La boisson pétillante à base de jus de raisins sans alcool dénommée «So Jennie» n’a pas utilisé de façon fautive les « codes de communication » du Champagne (conditionnement, argumentaire promotionnel …).
Absence d’atteinte à l’appellation Champagne
Il est acquis que le Champagne est une appellation d’origine protégée et bénéficie à ce titre, de règles d’ordre public protectrices interdisant toute appropriation privative. Le Comité interprofessionnel du Vin de champagne (« CIVC » ou « comité Champagne ») créé par la loi du 12 avril 1941 et doté de la personnalité civile a notamment pour mission d’assurer la protection des intérêts collectifs des groupements de base qu’il représente, à savoir l’ensemble des professionnels participant à la production, la récolte, l’élaboration et la commercialisation des vins de champagne identifiés par l’appellation d’origine «Champagne».
Le nom de l’appellation protégée, à savoir Champagne, n’a pas été utilisé directement pour désigner le produit en cause, tant à titre de marque que de nom de domaine, dénomination sociale ou enseigne, le produit étant commercialisé sous la marque française « SO JENNIE ».
L’utilisation commerciale « Champagne » prohibée à l’article 103 2.a) i) du Règlement susvisé n’exige nullement que l’appellation protégée soit effectivement reprise pour désigner le produit mais exige plus généralement une utilisation commerciale « directe ou indirecte ». A cet égard, en matière d’appellation d’origine, doivent être considérés comme comparables des produits qui sont de nature semblable. En l’espèce, si le produit SO JENNIE est, comme un vin de champagne, une boisson effervescente, cette seule caractéristique ne fait pas pour autant de ce produit un produit comparable aux vins de champagne au sens des dispositions européennes sur l’appellation d’origine.
En effet, le produit en cause est un jus de raisin, sans alcool, issu d’un procédé de fabrication différent de celui des vins alcoolisés bénéficiant de l’appellation d’origine Champagne, ne nécessitant pas, contrairement à ces produits, de fermentation. Ce produit est au demeurant vendu avec la mention « boisson à base de pulpe de raisin » figurant sur la contre-étiquette.
Le produit s’adresse en outre à une autre clientèle que celle consommant du champagne, particulièrement avisée et vigilante, qui ne saurait se laisser tromper aisément dès lors qu’elle est habituée à distinguer les produits mis en vente dans ce domaine. En effet, le consommateur visé par le produit SO JENNIE est un consommateur qui précisément ne souhaite pas boire d’alcool en consommant cette boisson, notamment par choix alimentaire, envie du moment, du fait de son âge, de sa grossesse ou le cas échéant de pratiques religieuses. L’appellation d’origine champagne est quant à elle par nature destinée à protéger une boisson alcoolisée à laquelle elle n’est pas substituable aux yeux du consommateur ne souhaitant pas boire d’alcool.
Enfin, s’il arrive que les deux produits en cause soient présentés à la vente dans des lieux identiques, ils ne bénéficient pas de réseaux de distribution identiques étant observé que le produit So Jennie ne fait l’objet d’aucune restriction de vente alors que les vins de champagne sont assujettis à la réglementation des boissons alcoolisées, et doivent à ce titre être placés sur des étagères dédiées.
Le produit SO JENNIE ne peut donc être qualifié de produit comparable au Champagne de telle sorte que le CIVC n’est pas fondé à rechercher la responsabilité de la société le commercialisant.
En tout état de cause, le produit SO JENNIE bénéficie d’un univers distinct de celui des vins de Champagne, à savoir l’univers du plaisir de la fête sans alcool, du bien-être et de la santé, quand bien même ces univers peuvent comporter des éléments communs, inhérents à l’univers de la fête et du luxe, l’existence de cet univers propre permet suffisamment au consommateur averti de distinguer le produit en cause, non alcoolisé, du produit alcoolisé, bénéficiant de l’appellation protégée de telle sorte qu’il n’est nullement établi que le consommateur, en présence du produit SO JENNIE en cause, sera amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, le produit bénéficiant de la dénomination Champagne.
La seule utilisation d’un contenant « de nature champenoise », en l’espèce une bouteille en verre, garnie d’une coiffe rose, un muselet et un bouchon champignon en liège, ne saurait suffire à rendre son contenu comparable au Champagne, de tels contenants étant également utilisés pour des boissons ne relevant pas de l’appellation d’origine Champagne (crémants, jus de fruits sans alcool, bière et même vins) de sorte que les développements du CIVC sont inopérants sur ce point.
Protection des appellations d’origine
Aux termes de l’article 232 du Règlement UE n°1308/2013 du parlement européen et du conseil, en date du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles, ce règlement est entré en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, soit le 20 décembre 2013, et est applicable depuis le ler janvier 2014, donc à la présente instance, introduite postérieurement, le 7 juillet 2014, sans pour autant qu’aient été abrogées les diverses dispositions législatives alors en vigueur en la matière, qui, lorsqu’elles se superposent, doivent néanmoins être interprétées conformément au règlement susvisé en application du principe de primauté des règlements de l’Union européenne sur le droit national.
Le Règlement UE n°1308/2013 du parlement européen et du conseil, en date du 17 décembre 2013, définit en son article 93 l’appellation d’origine comme étant « le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, d’un pays, qui sert à désigner un produit visé à l’article 92 « , satisfaisant à des exigences limitativement énumérées.
L’article 103 de ce Règlement, titré « Protection », dispose qu’une appellation d’origine protégée et une indication géographique protégée, ainsi que le vin qui fait usage de cette dénomination protégée en respectant le cahier des charges correspondant, sont protégés contre : a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte de cette dénomination protégée ; i) pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée,- ou ii) dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d’une appellation d’origine ou indication géographique. (..) c) toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, à l’origine, à la nature ou aux qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit vitivinicole concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un contenant de nature à créer une impression erronée sur l’origine du produit».
En France, l’appellation d’origine est toujours définie par l’article L 115-1 du code de la consommation selon lequel une appellation d’origine est constituée par « la dénomination d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains ».
Cette définition est par ailleurs reprise à l’article L 641-5 du code rural et de la pêche maritime (dans sa version en vigueur au 8 mai 2010) pour les « produits agricoles, forestiers ou alimentaires et les produits de la mer, bruts ou transformés » qui « possèdent une notoriété dûment établie et dont la production est soumise à des procédures comportant une habilitation des opérateurs, un contrôle des conditions de production et un contrôle des produits ».
Enfin, les modalités de la protection des appellations d’origine sont définies à l’article L 643-1 de ce même code (dans sa version en vigueur au 1er janvier 2007), lequel dispose que « L’appellation d’origine contrôlée ne peut jamais être considérée comme présentant un caractère générique et tomber dans le domaine public. Le nom qui constitue l’appellation d’origine ou toute autre mention l’évoquant ne peuvent être employés pour aucun produit similaire (…) Ils ne peuvent être employés pour aucun établissement et autre produit ou service lorsque cette utilisation est susceptible de détourner ou d’affaiblir la notoriété de l’appellation ».
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