Un salarié a été engagé par une société de production en qualité d’auteur de texte pour écrire le scénario d’un film et en qualité d’auteur réalisateur pour diriger la préparation de la production, établir le découpage technique, assurer la direction des prises de vues et des enregistrements sonores et diriger le montage et tous travaux de finition jusqu’à l’établissement de la version définitive du film. Il était prévu une rémunération de la cession du droit d’auteur. En revanche, ce contrat était taisant sur le salaire afférent au travail de technicien réalisateur effectué. La question était donc de déterminer la grille de salaires applicable.
Le salarié revendiquait l’application de l’accord collectif national du 3 juillet 2007 sur les salaires des techniciens de la production cinématographique, étendu et rendu obligatoire par arrêté ministériel du 26 novembre 2007, qui s’impose à la société de production en raison de son activité de production de films et du film qu’il a réalisé qui est un film de court métrage non exclusivement destiné au marché de la télévision et pouvant être exploité au cinéma , en vidéo/DVD, en VOD et sur internet.
L’AGS soutenait que le salarié a été embauché pour la réalisation d’une oeuvre audiovisuelle destinée au seul marché de la télévision, de sorte que l’accord professionnel de production cinématographique n’était pas applicable au contrat.
Convention collective de la production audiovisuelle ?
La société de production n’étant pas adhérente, ou membre d’une organisation signataire ou d’une organisation ayant adhéré à la convention collective de la production audiovisuelle dont elle admet le caractère non-étendu, elle ne revendiquait pas en avoir fait une application volontaire. Cette convention ne lui était donc pas applicable.
S’agissant de l’accord professionnel du 3 juillet 2007, celui-ci prévoit en son article 3 que la grille des salaires annexée à l’accord est applicable au 1er juillet 2007 et pendant la durée restant à courir des conventions collectives du 30 avril 1950 et 1er août 1960. La convention collective du 30 avril 1950 a été dénoncée par le syndicat des producteurs de films le 21 mars 2007. En application de l’article L2261-11 du code du travail, en cas de dénonciation par une partie seulement des signataires, ce qui est le cas en l’espèce, le texte de la convention reste applicable à l’auteur de la dénonciation durant le délai de survie qui est d’une année à compter de l’expiration du délai de préavis, sauf clause prévoyant une durée déterminée supérieure. La dénonciation ne contient pas l’indication de la durée du préavis, de sorte que cette durée est de trois mois.
Le début de la période d’emploi du salarié était antérieur à l’expiration du délai de survie. Ainsi la dénonciation de la convention collective du 30 avril 1950 par le syndicat des producteurs de films n’avait pas fait cesser le cours de cette convention au jour de la relation de travail.
Cet accord professionnel est applicable aux entreprises françaises et étrangères dont l’activité principale consiste à produire des films cinématographiques de long métrage, des films cinématographiques de court métrage et des films publicitaires lorsque ces entreprises produisent sur le territoire français (en ce compris les départements d’outre-mer) et à l’ensemble des personnels des entreprises visées ci-dessus, employés aux termes d’un contrat soumis au droit français. A titre indicatif, les entreprises relevant du code NAF 921 C ou 921 B pour les films publicitaires entrent dans le champ d’application du présent accord. Il a été étendu par arrêté du 26 novembre 2007. Les conditions de territorialité de production et d’applicabilité du droit français sont réunies.
Activités principales de la société de production
Aux termes de l’article L261-2 du code du travail, la convention collective applicable est celle dont relève l’activité principale exercée par l’employeur. En cas de pluralité d’activités, le juge doit rechercher l’activité principale réellement exercée par l’employeur. L’activité principale est celle qui occupe le plus grand nombre de salariés, ou encore celle qui représente le plus grand chiffre d’affaires. L’employeur, à la différence du salarié, dispose aisément des éléments de preuve lui permettant d’établir quelle est son activité principale. La preuve de la primauté d’activité ne saurait être mise à la charge du salarié.
Au cas d’espèce, il ressort de l’extrait K bis de la société de production que son objet social est la création, réalisation, production, distribution, diffusion de toutes oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles, et toutes opérations liées au cinéma, à la publicité, au multimédia et à l’audiovisuel. Son activité englobe la production cinématographique et donc la production de films cinématographiques. Elle ne fait pas valoir que cette activité serait secondaire par rapport à son activité dans le domaine audiovisuel qui vient en second rang dans l’énumération de ses domaines d’activité, se bornant à soutenir que le film dont elle a confié la réalisation au salarié était une oeuvre audiovisuelle destinée à la télévision, ce qui est indifférent pour déterminer l’accord applicable. Elle ne produit pas d’indications sur la répartition des ses effectifs et de son chiffre d’affaires entre ses activités cinématographiques et ses autres activités, tout comme elle se garde de justifier de la convention collective qu’elle applique à ses salariés, alors qu’elle ne peut ignorer que la première des questions soumises à la cour est celle de l’applicabilité de l’accord professionnel invoqué par le salarié.
Application de l’accord professionnel du 3 juillet 2007
En considération de ces éléments, les juges ont retenu que l’activité principale de la société de production est la production cinématographique de sorte que l’accord professionnel du 3 juillet 2007 lui est applicable. Toutefois la grille des salaires minima hebdomadaires garantis des techniciens de la production cinématographique ne mentionne pas la fonction de réalisateur de sorte qu’elle n’indique pas de montant minimum de rémunération pour cette catégorie de techniciens.
Il appartient donc aux juges de déterminer de la manière aussi réaliste que possible la valeur de la prestation de travail du réalisateur au regard de ses fonctions, des qualifications nécessaires et de la plus-value apportée par son activité, en se fondant sur tout élément pertinent, tels que les usages constatés dans le secteur professionnel concerné, ou encore en opérant une analogie avec une convention ou un accord collectif applicable dans un secteur d’activité proche ou similaire.
Selon la convention collective nationale des techniciens de la production cinématographique, du 30 avril 1950, les techniciens du cadre de la production sont le réalisateur, le directeur de production, le directeur de photographie, l’architecte décorateur chef, le chef monteur et le chef opérateur du son (art. 5). Le réalisateur a la responsabilité des prises de vues et de son, du montage et de la sonorisation du film, cela conformément au découpage et au plan de travail établis entre le producteur et lui-même (art 6).
Ainsi, dans le secteur professionnel du cinéma, le réalisateur, suivant l’usage constaté, supervise les cadres techniques en charge des prises de vues, du son et du montage, puisqu’il a la responsabilité de ces domaines. Il est expressément convenu dans le contrat d’auteur réalisateur conclu entre la société de production et le salarié que celui-ci assure la direction des prises de vues et des enregistrements sonores. Si les fonctions du salarié ne permettent pas de l’assimiler à un directeur de photographie, elles le placent en situation au moins égale à ce cadre technique en raison de ce que la direction et la responsabilité des prises de vues lui incombent.
Dès lors, la rémunération à laquelle il peut prétendre est égale à celle d’un directeur de photographie. Cette rémunération se calcule sur une base de travail hebdomadaire de 39 heures qui est celle du secteur de la production cinématographique. En l’occurrence, cette rémunération mensuelle a été fixée à 10.055,88 euros.