Des ententes verticales à dimension nationale
L’autorisation de visite et de saisie au sein des locaux de la société LONGCHAMP a été validée. Le groupe LONGCHAMP est présumé avoir mis en oeuvre des agissements susceptibles d’être qualifiés d’ententes verticales à dimension nationale visant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, ce qui est susceptible de constituer une pratique prohibée aux termes de l’article L. 420-1 2° du code de commerce et de l’article 101-1 a) du TFUE.
Il résulte de l’ordonnance du JLD que la société LONGCHAMP, fabricant et distributeur des sacs à main et de voyage, des accessoires et de la petite maroquinerie haut de gamme, vend les produits de la marque à la fois en point de vente physique et en ligne.
Le réseau de distribution de LONGCHAMP
LONGCHAMP commercialise ses produits au sein d’un réseau intégré constitué de ses propres magasins, dans les corners des grands magasins, ainsi que par le biais d’un réseau de distribution sélective composé de boutiques multimarques; en ligne, les articles sont vendus par la marque elle-même sur son site www.longchamp.com et par un certain nombre de distributeurs autorisés par l’intérmédiaire de leur propre site internet.
L’exemption par catégorie
La distribution sélective est définie à l’article 1er 1.g du règlement UE n° 2022/720 de la commission du 10 mai 2022. Si les accords verticaux de ce type peuvent bénéficier de l’exemption par catégorie prévue au règlement précité, c’est à al seule condition qu’ils ne contiennet pas de restrictions caractérisées prévues à l’article 4 dudit règlement.
Les indices d’ententes prohibées
En premier lieu, des distributeurs d’articles de la marque LONGCHAMP indiquent que cette entreprise leur communiquerait des prix de revente qui ne seraient pas des prix conseillés mais imposés.
En deuxième lieu, des stipulations des contrats conclus entre l’entreprise LONGCHAMP et ses distributeurs agréés sont susceptibles de limiter la liberté de ces derniers de fixer leurs propres prix.
En troisième lieu, selon plusieurs déclarations de distributeurs, l’entreprise LONGCHAMP transmettrait à ses distributeurs des étiquettes autocollantes avec le prix des produits pré-imprimé.
S’il est avéré, ce comportement est susceptible de restreindre la liberté des distributeurs de fixer librement les prix de revente des produits de la marque LONGCHAMP.
En quatrième lieu, d’autres déclarations de revendeurs laissaient entendre qu’en période de promotions ou de soldes, l’entreprise LONGCHAMP imposerait à ses distributeurs des pourcentages de réduction à pratiquer selon la référence du produit, d’autres distributeurs agréés indiquent que LONGCHAMP leur aurait communiqué des pourcentages de réduction à appliquer.
Ces éléments d’information font présumer que LONGCHAMP aurait mis en oeuvre divers agissements à l’égard de ses distributeurs agréés visant à leur faire appliquer des prix uniformisés auprès des consommateurs en période de promotions ou de soldes.
En outre, les distributeurs de produits LONGCHAMP appliquerait de manière significative les prix qui leur sont communiqués par ce fournisseur.
La synthèse de l’analyse effectuée par le service économique de l’Autorité de la concurrence sur un échantillon de 16 distributeurs en ligne, dont le site internet de l’entreprise LONGCHAMP a servi de référence pour les prix pratiqués, et fait apparaître un niveau de respect des prix par les 15 distributeurs à hauteur de 93% des prix pratiqués par le site internet LONGCHAMP pour l’ensemble des produits. Cette synthèse corrobore les déclarations des distributeurs en ce sens.
La concurrence entre les distributeurs multimarques
L’entreprise LONGCHAMP pourrait ainsi avoir comme objectif d’empêcher ou de limiter la concurrence entre les distributeurs multimarques agréés et entre ceux-ci et ses boutiques en nom propre et son site internet de vente.
En dernier lieu, des distributeurs indiquent que l’entreprise LONGCHAMP procéderait à une vérification des prix qu’ils pratiquent et que des sanctions pourraient être imposées par la marque en cas de non-respect des prix conseillés.
De surcroît, les contrats conclus par LONGCHAMP avec les distributeurs depuis au moins 2004 permettraient à ce fournisseur d’avoir connaissance des prix pratiqués par ces derniers.
Ces éléments d’information feraient présumer que l’entreprise LONGCHAMP aurait mis en place une police des prix pratiqués par ses distributeurs multimarques qui pourrait donner lieu à des sanctions en cas de non-respect des prix conseillés.
Les prix conseillés par l’entreprise LONGCHAMP pourrait en réalité être qualifiés de prix imposés, pratique répréhensible de hausse artificielle des prix au regard des articles L. 420-1 2° du Code de commerce et 101-1 a) TFUE.
Il en résultait que l’ensemble des agissements décrits et analysés dans l’ordonnance du JLD semblait constituer les premiers éléments d’un faisceau d’indices qui laissaient présumer l’existence d’un système d’ententes verticales à dimension nationale visant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, susceptible de relever de la pratique prohibée par l’article L. 420-1 2° du Code de commerce et pouvant toucher potentiellement tant l’ensemble du territoire national que susceptible d’affecter sensiblement le commerce entre Etats membres et de relever ainsi de l’application de l’article 101-1 a) du TFUE.
Grosses délivrées aux parties le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 15
ORDONNANCE DU 28 Juin 2023
(n°24, 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 22/16767 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGO3M
Décision déférée : Ordonnance rendue le 28 septembre 2022 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS
Nature de la décision : Contradictoire
Nous, Elisabeth IENNE-BERTHELOT, Conseillère à la Cour d’appel de PARIS, déléguée par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l’article 450-4 du code de commerce ;
Assistée de Valentin HALLOT, greffier présent lors des débats, et de Véronique COUVET, greffier présent lors du prononcé ;
MINISTÈRE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au parquet général représenté lors des débats par Madame Monica d’ONOFRIO, avocat général.
Après avoir appelé à l’audience publique du 31 mai 2023 :
LONGCHAMP S.A.S.
Prise en la personne de ses représentants légaux
Immatriculée au RCS de PARIS sous le n° 737 050 187
Dont le siège social est au : [Adresse 3]
[Localité 5]
Élisant domicile au cabinet LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C2477
Assistée de Maîtres Marie-Cécile RAMEAU et Bertrand HOMASSEL de la S.A.S. BREDIN PRAT, avocats au barreau de PARIS, toque T12
APPELANTE
et
L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Prise en la personne de son Rapporteur général
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Mme [V] [D], dûment mandatée
INTIMÉE
Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 31 mai 2023, le conseil de l’appelante et le représentant de l’Autorité ;
Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 31 mai 2023, Madame Monica D’ONOFRIO, avocat général, en son avis ;
Les débats ayant été clôturés avec l’indication que l’affaire était mise en délibéré au 28 juin 2023 pour prononcé en audience publique, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 462 du Code de procédure pénale.
Avons rendu l’ordonnance ci-après :
Le 28 septembre 2022, le juge des libertés et de la détention (ci-après JLD) près du Tribunal Judiciaire (ci-après TJ) de PARIS a rendu, sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce, une ordonnance (2022/02) d’autorisation de visite et saisie dans les locaux de l’entreprise :
-LONGCHAMP sis [Adresse 3] et [Adresse 4]; [Adresse 1], et les sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses;
Le JLD visait la requête présentée à l’occasion de l’enquête demandée le 14 septembre 2022 par le Rapporteur général de l’Autorité de la Concurrence (ci-après ADLC) relative à la pratique prohibée par les articles L420-1 2° du code de commerce et 101-1 a) du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) susceptible d’être relevée dans le secteur de la distribution des articles de maroquinerie.
L’ordonnance était accompagnée de 33 pièces annexées à la requête du Rapporteur général de l’ADLC.
L’autorisation de visite et de saisie des lieux susmentionnés était délivrée sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce au motif que le groupe LONGCHAMP serait présumé avoir mis en oeuvre des agissements susceptibles d’être qualifiés d’ententes verticales à dimension nationale visant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, ce qui est susceptible de constituer une pratique prohibée aux termes de l’article L. 420-1 2° du code de commerce et de l’article 101-1 a) du TFUE.
Il résultait de l’ordonnance du JLD que la société LONGCHAMP, fabricant et distributeur des sacs à main et de voyage, des accessoires et de la petite maroquinerie haut de gamme, vend les produits de la marque à la fois en point de vente physique et en ligne.
LONGCHAMP commercialise ses produits au sein d’un réseau intégré constitué de ses propres magasins, dans les corners des grands magasins, ainsi que par le biais d’un réseau de distribution sélective composé de boutiques multimarques; en ligne, les articles sont vendus par la marque elle-même sur son site www.longchamp.com et par un certain nombre de distributeurs autorisés par l’intérmédiaire de leur propre site internet.
La distribution sélective est définie à l’article 1er 1.g du règlement UE n° 2022/720 de la commission du 10 mai 2022. Si les accords verticaux de ce type peuvent bénéficier de l’exemption par catégorie prévue au règlement précité, c’est à al seule condition qu’ils ne contiennet pas de restrictions caractérisées prévues à l’article 4 dudit règlement.
En premier lieu, des distributeurs d’articles de la marque LONGCHAMP indiquent que cette entreprise leur communiquerait des prix de revente qui ne seraient pas des prix conseillés mais imposés.
En deuxième lieu, des stipulations des contrats conclus entre l’entreprise LONGCHAMP et ses distributeurs agréés sont susceptibles de limiter la liberté de ces derniers de fixer leurs propres prix.
En troisième lieu, selon plusieurs déclarations de distributeurs, l’entreprise LONGCHAMP transmettrait à ses distributeurs des étiquettes autocollantes avec le prix des produits pré-imprimé.
S’il est avéré, ce comportement est susceptible de restreindre la liberté des distributeurs de fixer librement les prix de revente des produits de la marque LONGCHAMP.
En quatrième lieu, d’autres déclarations de revendeurs laissaient entendre qu’en période de promotions ou de soldes, l’entreprise LONGCHAMP imposerait à ses distributeurs des pourcentages de réduction à pratiquer selon la référence du produit, d’autres distributeurs agréés indiquent que LONGCHAMP leur aurait communiqué des pourcentages de réduction à appliquer.
Ces éléments d’information font présumer que LONGCHAMP aurait mis en oeuvre divers agissements à l’égard de ses distributeurs agréés visant à leur faire appliquer des prix uniformisés auprès des consommateurs en période de promotions ou de soldes.
En outre, les distributeurs de produits LONGCHAMP appliquerait de manière significative les prix qui leur sont communiqués par ce fournisseur.
La synthèse de l’analyse effectuée par le service économique de l’Autorité de la concurrence sur un échantillon de 16 distributeurs en ligne, dont le site internet de l’entreprise LONGCHAMP a servi de référence pour les prix pratiqués, et fait apparaître un niveau de respect des prix par les 15 distributeurs à hauteur de 93% des prix pratiqués par le site internet LONGCHAMP pour l’ensemble des produits. Cette synthèse corrobore les déclarations des distributeurs en ce sens.
L’entreprise LONGCHAMP pourrait ainsi avoir comme objectif d’empêcher ou de limiter la concurrence entre les distributeurs multimarques agréés et entre ceux-ci et ses boutiques en nom propre et son site internet de vente.
En dernier lieu, des distributeurs indiquent que l’entreprise LONGCHAMP procéderait à une vérification des prix qu’ils pratiquent et que des sanctions pourraient être imposées par la marque en cas de non-respect des prix conseillés.
De surcroît, les contrats conclus par LONGCHAMP avec les distributeurs depuis au moins 2004 permettraient à ce fournisseur d’avoir connaissance des prix pratiqués par ces derniers.
Ces éléments d’information feraient présumer que l’entreprise LONGCHAMP aurait mis en place une police des prix pratiqués par ses distributeurs multimarques qui pourrait donner lieu à des sanctions en cas de non-respect des prix conseillés.
Les prix conseillés par l’entreprise LONGCHAMP pourrait en réalité être qualifiés de prix imposés, pratique répréhensible de hausse artificielle des prix au regard des articles L. 420-1 2° du Code de commerce et 101-1 a) TFUE.
Il en résultait que l’ensemble des agissements décrits et analysés dans l’ordonnance du JLD semblait constituer les premiers éléments d’un faisceau d’indices qui laissaient présumer l’existence d’un système d’ententes verticales à dimension nationale visant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, susceptible de relever de la pratique prohibée par l’article L. 420-1 2° du Code de commerce et pouvant toucher potentiellement tant l’ensemble du territoire national que susceptible d’affecter sensiblement le commerce entre Etats membres et de relever ainsi de l’application de l’article 101-1 a) du TFUE.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, le JLD estimait que l’utilisation des pouvoirs définis à l’article L 450-3 du code de commerce ne paraissait pas suffisante pour permettre à l’Autorité de la concurrence de corroborer ses soupçons et que le recours aux pouvoirs de l’article L 450-4 du code de commerce cosntitue le seul moyen d’atteindre l’objectif recherché, Le JLD de PARIS a autorisé des visites domiciliaires au sein des locaux de la société LONGCHAMP et des sociétés du même groupe qui seraient situés à la même adresse.
Les opérations de visite et saisie se sont déroulées les 29 et 30 septembre 2022.
Le 10 octobre 2022, la SAS LONGCHAMP a interjeté appel de l’ordonnance du 28 septembre 2022 (RG 22/16767).
L’affaire a été audiencée pour être plaidée le 31 mai 2023.
La société appelante a déposé au greffe de la Cour d’appel de Paris des conclusions au soutien de son appel à l’encontre de l’ordonnance rendue par le JLD , en date du 23 janvier 2023 et des conclusions en date du 24 mai 2023.
L’Autorité de la concurrence a déposé des observations en date du 9 mai 2023.
Le Parquet général a rendu son avis le 26 avril 2023.
* * *
Dans ses conclusions, la partie appelante fait une présentation de la société Longchamp, entreprise familiale fondée en 1948 qui a développé un savoir faire reconnu dans la fabrication et la commercialisation d’articles de maroquinerie haut de gamme et qui emploie 3000 salariés dans le monde. La partie appelante indique qu’à l’appui de sa requête le Rapporteur général a produit 33 annexes qui permettraient selon lui de présumer que Longchamp aurait mis en oeuvre une pratique d’imposition des prix de vente de ses distributeurs agréés. Elle demande au Premier président de la Cour d’appel de Paris d’annuler et reformer l’ordonnance du JLD au motif que le JLD n’a manifestement pas vérifié le bien-fondé de la demande du Rapporteur général, à titre subsidiaire la demande du Rapporteur général était infondée (les éléments sont insuffisants pour caractériser une présomption d’agissement anticoncurrentiel, d’imposition de prix de revente ou de police des prix), à titre très subsidiaire la mesure autorisée par le JLD n’était ni nécessaire ni proportionnée à l’objectif recherché.
Par ces motifs, il est demandé au Premier Président de la Cour d’Appel de PARIS de :
– A titre principal, annuler l’ordonnance n°2022/02 du 28 septembre 2022 du JLD de PARIS;
-A titre subsidiaire, reformer l’ordonnance précitée et rejeter la demande d’autorisation du Rapporteur général de l’Autorité de la concurrence de procéder à des opérations de visites et de saisies dans les locaux de LONGCHAMP sur le fondement de l’article L. 450-4 du code de commerce ;
– En toutes hypothèses :
– Juger que les opérations de visites et de saisies qui se sont déroulées les 29 et 30 septembre 2022 dans les locaux de LONGCHAMP sur le fondement de l’Ordonnance précitée sont nulles de plein droit ;
– Ordonner à l’Autorité de la concurrence de restituer à LONGCHAMP l’ensemble des documents saisis sous format électronique et papier lors des opérations de visites et saisies qui se sont déroulées les 29 et 30 septembre 2022 dans ses locaux situés [Adresse 1] et [Adresse 3], ainsi que la suppression définitive des éventuelles copies ;
– Débouter l’Autorité de la concurrence de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– Condamner l’Autorité de la concurrence à verser la somme de 10.000 euros à LONGCHAMP, en application de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
Dans ses écritures, l’Autorité de la concurrence conclut au rejet des moyens soulevés par la partie appelante en ce que l’ordonnance du JLD fait état de la présomption d’imposition des prix de revente et de l’éventualité que des documents incriminants puissent se trouver dans les locaux de Longchamp, qu’il en résulte que l’autorisation de visite domiciliaire est valide.
Par ces motifs, l’Autorité de la concurrence demande au Premier président de :
– confirmer l’ordonnance d’autorisation rendue le 28 septembre 2022 par le JLD du TJ de Paris
– rejeter la demande de restitution, par voie de conséquence, des pièces saisies dans les locaux de Longchamp le 29-30 septembre 2022 ;
– condamner Longchamp au paiement de 20 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Dans son avis, le Parquet général requiert le rejet de la demande d’annulation et la confirmation de l’ordonnance du JLD du TJ de Paris du 28 septembre 2022.
La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Après avoir entendu à l’audience publique du 31 mai 2023, le conseil de la société SAS Longchamp, la représentante de l’Autorité de la concurrence et Madame l’Avocat général, la Cour d’appel a mis l’affaire en délibéré pour être rendue à l’audience publique du 28 juin 2023.
SUR CE
Sur le moyen selon lequel le juge n’a manifestement pas vérifié le bien-fondé de la demande du Rapporteur général.
La partie appelante rappelle les termes de l’article L 450-4 al 2 du code de commerce et l’obligation pour le juge de procéder à une analyse précise et concrète des pièces annexées à la procédure, alors qu’en l’espèce le juge a repris mot pour mot les termes de la requête sans apporter aucune nuance, qu’il n’a pas relevé certaines déclarations divergentes de la part de certains distributeurs ou bien qu’il n’a pas rejeté certaines citations mises en exergue par l’Autorité qui étaient tronquées.
L’autorité soutient que le JLD n’a manqué à aucune de ses obligations en rendant son ordonnance du 28 septembre 2022 et qu’il doit apprécier au vu des éléments fournis, s’il existe des présomptions simples d’agissements prohibés sans qu’il soit nécessaire d’exiger une preuve suffisante de chacun d’eux pris isolément, que de plus la pratique de l’ordonnance prérédigée est confirmée par la jurisprudence de la Cour de cassation. Elle cite les pièces et rappelle les déclarations rapportées qui selon elle ne sont ni tronquées ni divergentes.
Il résulte de la lecture attentive de l’ordonnance rendue le 28 septembre 2022 que le JLD a motivé sa décision en s’appuyant sur les pièces communiquées par l’Autorité de la concurrence à l’appui de sa requête qui sont au nombre de 33, que malgré les critiques de l’appelante envers les pièces produites, aucun élément ne permet d’affirmer que le JLD n’a pas effectué un contrôle in concreto de la requête et des pièces soumises à son appréciation, qu’il a motivé sa décision en citant chaque pièce à l’appui des indices invoqués, qu’il convient de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que le juge est réputé avoir rendu l’ordonnance qu’il a signé même lorsqu’il s’agit d’une ordonnance prérédigée, qu’en signant l’ordonnance dont il s’est approprié la motivation le JLD n’a pas méconnu son office, que l’ordonnance contestée répond aux exigences de l’article L450-4 du code de commerce, que les divergences entre les pièces et les critiques de leur contenu seront examinées par la Cour dans la cadre de l’appréciation du bien fondé ou non de la requête présentée au JLD.
Ce moyen sera rejeté.
Sur le moyen selon lequel la demande du Rapporteur général était infondée.
La partie appelante soutient que des éléments d’information présentés par le Rapporteur général à l’appui de sa requête ne permettent pas de caractériser une quelconque présomption de pratique d’imposition des prix de revente. Elle argue notamment que :
– de manière générale les déclarations des distributeurs auditionnés ne constituent en aucun cas des indices crédibles et convergents, l’ordonnance ne fait état d’aucune disposition contractuelle matérialisant une pratique d’imposition des prix de revente, les éléments relatifs aux étiquettes pré imprimées adressées aux distributeurs ne sont pas probants et ne constituent pas des indices sérieux d’une telle pratique, il n’est pas avéré que les distributeurs appliqueraient les prix conseillés par Longchamp de manière significative et que cela ne caractériserait en aucune manière une présomption d’agissement anticoncurrentiel, les éléments d’information ne permettent pas de présumer qu’en période de promotions Longchamp imposerait à des distributeurs des pourcentages de réduction à appliquer.
Ainsi , selon la partie appelante, les éléments d’information présentés au JLD ne permettent pas de caractériser une quelconque présomption de surveillance ou de police des prix qui aurait été exercée par Longchamp à l’égard de ses distributeurs agréés et le Premier président devra juger que les éléments relevés par le JLD dans l’ordonnance ne permettent pas de caractériser une présomption de pratique d’imposition des prix de revente justifiant une visite domiciliaire.
Il convient de rappeler qu’il résulte de l’article L 450-4 du code de commerce que ‘le juge doit vérifier que la demande d’autorisation qui lui est soumise est fondée, cette demande doit comporter tous les éléments d’information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d’infractions […] la demande d’autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer l’existence de pratiques dont la preuve est recherchée’, et que selon la jurisprudence constante il relève du pouvoir souverain du juge de considérer qu’il existe des présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant des visites domiciliaires (cass com 14 janvier 1992).
Concernant l’ordonnnance contestée, le JLD a souverainement apprécié la pertinence des indices laissant présumer l’existence d’une pratique anticoncurrentielle entre la SAS Longchamp et les distributeurs de la marque.
En ce qui concerne les déclarations des distributeurs auditionnés , le nombre des ces auditions, et la localisation géographique des distributeurs sont des indices utiles, étant observé que les déclarations de la part de distributeurs qui ont cessé leur relation contractuelle avec Longchamp dont l’objectivité peut être remise en cause ne concernent que trois auditions.
En ce qui concerne l’argument selon lequel l’ordonnance ne fait état d’aucune disposition contractuelle matérialisant une pratique d’imposition des prix de revente, il convient de rappeler qu’une pratique anticoncurrentielle fait rarement l’objet d’une clause contractuelle, et que de telles pratiques se concrétisent par des contacts confidentiels sans formalisme, d’où la nécessité d’une procédure de visite domiciliaire inopinée afin de découvrir d’éventuels éléments dissimulés.
En ce qui concerne les éléments relatifs aux étiquettes pré imprimées adressées aux distributeurs qui selon la partie appelante ne sont pas probants , il convient de relever que dans le cadre d’une pratique des prix librement fixée par les distributeurs, la conception des étiquettes de prix pré imprimées n’est pas cohérente, l’argumentation de la SAS Longchamp qui attribue à cette pratique un caractère esthétique (qualité de l’étiquetage de poduits) se heurte aux constats effectués le 4 décembre 2019 et le 22 jullet 2021 au sein des boutiques ‘Hexa bag’ et ‘la sellerie’.
En ce qui concerne l’argument selon lequel il n’est pas avéré que les distributeurs appliqueraient les prix conseillés par Longchamp de manière significative et que cela ne caractériserait en aucune manière une quelconque police des prix et une présomption d’agissement anticoncurrentiel, même en période de promotion, il convient de rappeler qu’il résulte de la requête et de l’ordonnance que l’Autorité a procédé à une analyse de données sur la période de juillet à octobre 2021 sur un échantillon de 16 distributeurs en ligne et sur le site internet de la SAS Longchamp qui a servi de référence, que la méthode comparative des prix pour 550 références de produits avec ceux affichés par la SAS Longchamp et l’échantillonage de 75000 observations de prix fait apparaître un niveau de respect des prix de 93%, que l’étude constituée de 16 rapports et la synthèse (annexe 33) sont des données objectives que le JLD a retenu pour rendre sa décision (page 8 et 9 de l’ordonnance), que de plus les différentes auditions des distributeurs ont confirmé la pratique dite des ‘clients mystères’ permettant le contrôle du respect des prix, ce dont a tenu compte le JLD pour motiver son ordonnance.
Il en résulte que l’ensemble de ces pratiques constituent des indices convergents susceptibles de caractériser les présomption d’entrave à la libre fixation des prix, qu’elles ont été rappelées par le JLD dans sa décision d’autorisation des opérations de visite et de saisie conformément à la requête qui était fondée et c’est à juste titre que le JLD a autorisé l’Autorité à procéder aux opérations de visite et de saisie.
Ce moyen est rejeté.
Sur le moyen selon lequel la mesure autorisée par le JLD n’était ni nécessaire ni proportionnée à l’objectif recherché.
La partie appelante rappelle que les mesures d’enquêtes prévues à l’article L 450-4 du code de commerce portent atteinte à l’inviolabilité du domicile, droit fondamental protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et que la CEDH a jugé que cette ingérence dans les locaux d’une société commerciale doit répondre à un besoin impérieux et doit être proportionnée au but légitime recherché. La partie appelante relève que la motivation de l’ordonnance sur la nécessité et la proportionnalité de la mesure est déficiente, et que les services d’instruction de lAutorité auraient pu faire usage des pouvoirs prévus par l’article L450-3 du code de commerce, une pratique d’entente verticale d’imposition des prix de revente en l’espèce n’étant pas une pratique qui peut rester secrète.
L’Autorité de la concurrence rappelle que la procédure de l’article L 450-4 du code de commerce n’a pas un caractère subsidaiire par rapport aux autres procédures et que l’Autorité n’a pas à rendre compte de son choix de recourir à cette procédure, celle-ci étant adaptée au regard de la complexité des agissements illicites présumés et de leur caractère secret, seule la visite inopinée des bureaux et la saisie des documents et messageries électoniques des responsables de la société peuvent permettre de contrôler la volonté de la société Longchamp d’affecter le libre jeu de la concurrence en imposant des prix de revente à ses distributeurs agréés par le jeu de différentes stipulations contractuelles ou par des comportements illicites. En outre, il est relevé que le JLD a pris soin d’expliquer la proportionnalité du recours aux pouvoirs d’enquête de l’article L 450-4 du code de commerce.
Il convient de rappeler qu’en prenant connaissance du dossier présenté par l’Autorité de la concurrence le JLD exerce de fait un contrôle de proportionnalité. En cas de refus, il peut inviter l’Administration à avoir recours à d’autres moyens d’investigation moins intrusifs. En conséquence la signature de l’ordonnance par le JLD signifie que ce dernier entend privilégier l’enquête dite ‘lourde’ et les mesures prévues par l’article L 450-4 du code de commerce et qu’il considère que des diligences auprès de la société ou auprès de tiers seraient insuffisantes et dénuées de «’l’effet de surprise’», qu’au surplus, bien qu’aucune disposition légale n’oblige le JLD à motiver sa décision sur le caractère proportionné de la mesure, dans son ordonnance du 28 septembre 2022 celui-ci a pris le soin de motiver sa décision sur ce point. Le JLD a en effet affirmé dans sa décision que ‘l’utilisation des pouvoirs définis à l’article L 450 -3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l’Autorité de corroborer ses soupçons’, il a rappelé que ‘les actions concertées,les ententes expresses ou tacites qui ont pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse sont établies selon les modalités secrètes’, et que ‘les documents nécessaires à la preuve de la pratique prohibée sont détenus et conservés dans des lieux qui facilitent leur dissimulation’ en cas de vérification, que ‘le recours à l’article L 450-4 du code de commerce est le seul moyen d’atteindre l’objectif recherché’. Ainsi le JLD a parfaitement motivé sa décision concernant la proportionnalité de la mesure.
Il convient de rappeler que l’article 8 de la CESDH, tout en énonçant le droit au respect de la vie privée et familiale, est tempéré par son paragraphe 2 qui dispose que ‘il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui’. En l’espèce, il n’y a pas eu de violation des dispositions de l’article 8 de la CESDH et la mesure n’a aucunement été disproportionnée eu égard au but poursuivi.
Ce moyen sera rejeté.
Ainsi, l’ordonnance du 28 septembre 2022 rendue par le JLD du TJ de Paris sera déclarée régulière et confirmée.
Les circonstances de l’instance ne justifient pas l’application de l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement et en dernier ressort :
-Déclarons régulière et confirmons en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de PARIS en date du 28 septembre 2022;
– Rejetons toute autre demande ;
-Disons qu’il n’ y a pas lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Disons que la charge des dépens sera supportée par la partie appelante.
LE GREFFIER
Véronique COUVET
LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRESIDENT
Elisabeth IENNE-BERTHELOT