Propriété intellectuelle : Co-développement de logiciel : bien répartir les droits en amont

Notez ce point juridique

En matière de conception collective de logiciel, attention à contractualiser en amont (avec un contrat de copropriété ou de co-développement par exemple). Deux associés développeurs qui avaient apporté à une société commune leurs travaux universitaires sur un logiciel permettant de résumer automatiquement des textes scientifiques et techniques, ont vu leur logiciel être qualifié d’oeuvre de collaboration. Suite à un différend, l’exploitation du logiciel par l’un des coauteurs sans le consentement de l’autre a porté nécessairement atteinte aux droits de celui-ci et constitue une contrefaçon. La restitution des codes sources sous astreinte a été confirmée.

 

* * *

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 79A

16e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 MARS 2023

N° RG 21/05515 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UXCU

AFFAIRE :

[J] [R]

C/

[G] [X]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Août 2021 par le Juge de l’exécution de NANTERRE

N° RG : 20/07868

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 23.03.2023

à :

Me Stéphanie CHANOIR, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Corinne ROUX de l’ASSOCIATION ASSOCIATION ROUX PIQUOT-JOLY, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [J] [R]

né le 27 Août 1972 à Angers (49)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Stéphanie CHANOIR, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 143 – Représentant : Me Virginie GUIOT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

Monsieur [G] [X]

né le 15 Juin 1958 à Fez (Maroc)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Corinne ROUX de l’ASSOCIATION ASSOCIATION ROUX PIQUOT-JOLY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 564 – Représentant : Me Muriel LECRUBIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0449

INTIMÉ

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 15 Février 2023, Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Florence MICHON, Conseiller faisant fonction de Président,

Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

Madame Lucile GRASSET, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO

EXPOSÉ DU LITIGE

Vu le jugement rendu le 12 octobre 2010 par le tribunal de grande instance de Créteil – saisi par monsieur [R] (informaticien) d’un litige l’opposant à monsieur [X] (créateur, dans le cadre de ses travaux à l’université de [Localité 5] II, d’un logiciel permettant de résumer automatiquement des textes scientifiques et techniques en langue française), ceci à la suite de leur commune création, en 2002, d’une société Pertinence Mining ayant pour objet la conception et la vente de logiciels et, notamment, d’un logiciel dénommé Pertinence Summarizer résumant automatiquement un document par la sélection de phrases importantes dont l’un et l’autre revendiquaient la qualité d’auteur exclusif – qui a : dit que le logiciel Pertinence est une oeuvre de collaboration, dont les coauteurs sont monsieur [G] [X] et monsieur [J] [R],

condamné monsieur [R] à remettre à monsieur [X] l’intégralité des codes sources des applications Pertinence Summarizer et ce sous une forme non cryptée et sur un support informatique,

débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

ordonné l’exécution provisoire de la présente décision,

condamné monsieur [R] aux dépens.

Vu l’arrêt rendu le 27 février 2013 par la cour d’appel de Paris, qui a :

déclaré irrecevables comme étant des prétentions nouvelles en cause d’appel l’ensemble des demandes de monsieur [X], tant à titre principal qu’à titre subsidiaire, relatives aux logiciels Pertinence Information network, Pertinence meta Search, Connivences.info et Podoo.net,

dit n’y avoir lieu à écarter des débats la pièce 153 du dossier de monsieur [X],

confirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

statuant sur les chefs de demande omis par le jugement entrepris et y ajoutant :

débouté monsieur [X] et la société Pertinence Mining, représentée par son liquidateur judiciaire, Maître [E], de leurs demandes en interdiction de l’usage du signe «Pertinence» et du nom de domaine et en dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire,

débouté monsieur [R] de sa demande en condamnation de monsieur [X] à lui restituer sous astreinte le cédérom concernant les codes sources du logiciel Pertinence Summarizer et à détruire toutes les copies qu’il aurait pu en faire et à lui interdire l’utilisation desdits codes sources,

débouté monsieur [R] de sa demande de publication judiciaire d’extraits du présent arrêt aux frais de la société Pertinence Mining et de monsieur [X] ainsi que son affichage sur les sites internet de ces deux parties,

débouté messieurs [R] et [X] de leurs demandes respectives en dommages et intérêts pour appel et procédure abusifs,

dit n’y avoir lieu à prononcer de condamnation sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens de la procédure d’appel lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Vu l’arrêt rendu le 15 juin 2016 par la première chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n° 14-29741), motif pris que ‘l’exploitation d’un logiciel par un de ses coauteurs sans le consentement de l’autre porte nécessairement atteinte aux droits de celui-ci et constitue une contrefaçon’, qui a cassé et annulé ledit arrêt, mais seulement en ce qu’il rejette les demandes formées par monsieur [R] en réparation d’actes de contrefaçon, remis, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel de Versailles,

Vu l’arrêt rendu le 25 janvier 2019 par cette cour d’appel de renvoi, statuant dans les limites de la cassation intervenue, qui a :

confirmé le jugement et, y ajoutant :

interdit à maître [E] ès-qualités et à monsieur [X] de commercialiser le logiciel Pertinence Summarizer,

interdit à maître [E] ès-qualités et à monsieur [X] d’utiliser les codes sources du logiciel Pertinence Summarizer,

rejeté les demandes plus amples ou contraires et dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

Vu la sommation de communiquer lesdits codes sources délivrée le 12 octobre 2017, à la requête de monsieur [X] et à l’encontre de monsieur [R], puis l’assignation délivrée contre ce dernier, le 06 octobre 2020, aux fins de fixation d’une astreinte et de condamnation au paiement de dommages-intérêts,

Vu le jugement avant dire-droit rendu le 26 mars 2021 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Nanterre saisi ordonnant une consultation, le jugement avant dire-droit du 12 mai 2021 désignant, aux lieu et place du premier consultant, monsieur [I] [S] et la présentation orale des conclusions de sa consultation, en présence des parties, à l’audience du 18 juin 2021 (synthétisée par ce juge en page 4/8 du jugement entrepris),

Vu le jugement contradictoire rendu le 13 août 2021 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Nanterre qui a :

assorti l’obligation posée à l’encontre de M. [J] [R] par jugement du 12 octobre 2010

du tribunal de grande instance de Créteil de remettre à M. [G] [X] l’intégralité des codes sources des applications Pertinence Summerizer (sic), et ce sous forme non cryptée et sur un support informatique, d’une astreinte provisoire,

fixé à 100 euros par jour de retard pour une durée de deux mois, à compter de l’expiration d’un délai d’un mois à partir de la signification de la présente décision, le montant de cette astreinte provisoire,

débouté M. [J] [R] et M. [G] [X] de leurs demandes indemnitaires,

condamné M. [J] [R] à payer à M. [G] [X] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [J] [R] aux dépens de l’instance, en ce compris le coût de la consultation fixé à 3.000 euros,

rappelé que les décisions du juge de l’exécution sont exécutoires de plein droit,

Vu l’appel à l’encontre de ces trois jugements interjeté par monsieur [J] [R] selon déclaration reçue au greffe le 1er septembre 2021.

Vu l’ordonnance rendue le 03 mars 2022 par le président de la présente chambre de la cour saisi par monsieur [R] d’une demande de sursis à statuer motivée par les recours en révision par lui formés à l’encontre des arrêts précités rendus par la cour d’appel de Paris le 27 février 2013 et celle de Versailles du 25 janvier 2019, lequel magistrat a rejeté sa demande,

Vu l’ordonnance rendue le 03 mars 2022 par le président de la présente chambre de la cour proposant une médiation aux parties et le courrier du médiateur désigné du 08 avril 2022 l’informant de la fin de sa mission en l’absence d’accord amiable trouvé entre les parties,

Vu les dernières conclusions au fond notifiées le 16 juin 2022 par monsieur [J] [R] qui demande à la cour, au visa des articles 378, 593, 599 du code de procédure civile, L 131-1 alinéa 2 et R 121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d’exécution, 1240 et 1353 du code civil :

de (le) déclarer recevable et bien fondé en son appel, en toutes ses prétentions, fins et conclusions,

de débouter monsieur [G] [X] de toutes ses demandes, fins et conclusions, notamment sa demande de dommages et intérêts formée à titre d’appel incident,

à titre principal

d’infirmer les trois jugements rendus par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Nanterre dans ces limites :

1. le jugement avant dire droit en date du 26 mars 2021 en ce qu’il a : ordonné une consultation et commis pour y procéder monsieur [T] [D] avec mission de se voir remettre par chacune des parties la version du CD Rom transmis le 22 février 2011 qu’elle détient ; se faire communiquer toute pièce utile à sa mission ; de dire si l’intégralité des codes sources des applications Pertinence Summarizer est contenue dans les CD Rom transmis sous une forme non cryptée et sur un support informatique // de dire, le cas échéant, si ces codes source sont exploitables par monsieur [X] // fixé à 600 euros la somme à verser au consultant par monsieur [J] [R] avant le 09 avril 2021 à titre d’avance sur sa rémunération // réservé le surplus des demandes,

2. le jugement avant dire droit en date du 12 mai 2021 en ce qu’il a : déchargé monsieur [T] [D] de sa mission de consultation et commis pour le remplacer monsieur [I] [S] avec mission : (même mission que précédemment) // fixé à 1.000 euros la somme à verser au consultant par monsieur [J] [R] avant le 26 mai 2021 à titre d’avance sur sa rémunération,

3 . le jugement en date du 13 août 2021 en ce qu’il a : assorti l’obligation posée à l’encontre de M. [J] [R] par jugement du 12 octobre 2010 du tribunal de grande instance de Créteil de remettre à M. [G] [X] l’intégralité des codes sources des applications Pertinence Summerizer et ce sous forme non cryptée et sur un support informatique d’une astreinte provisoire // fixé à 100 euros par jour de retard pour une durée de deux mois, à compter de l’expiration d’un délai d’un mois à partir de la signification de la présente décision, le montant de cette astreinte provisoire // débouté M. [J] [R] de ses demandes indemnitaires // condamné M. [J] [R] à payer à M. [G] [X] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile // condamné M. [J] [R] aux dépens de l’instance, en ce compris le coût de la consultation fixé à 3.000 euros // rappelé que cette décision est exécutoire de plein droit,

de confirmer le jugement en date du 13 août 2021 (précité) en ce qu’il a débouté monsieur [G] [X] de sa demande indemnitaire,

de constater que le 22 février 2011, monsieur [J] [R], par l’intermédiaire de son conseil, a remis à monsieur [G] [X] les codes sources de l’application Pertinence Summarizer sous une forme non cryptée et sur un support informatique, conformément au jugement du tribunal de grande instance de Créteil en date du 12 octobre 2010, confirmé par la cour d’appel de Paris le 27 février 2013,

en conséquence

de condamner monsieur [G] [X] à (lui) verser la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts du fait du caractère abusif de la procédure qu’il a initiée devant le juge de l’exécution et ayant donné lieu aux jugements précités,

subsidiairement dans l’hypothèse où la cour confirmerait (sa) condamnation au paiement d’une astreinte

de reporter le point de départ de l’astreinte provisoire à la signification de l’arrêt à intervenir,

en tout état de cause

de condamner monsieur [G] [X] au paiement à monsieur [J] [R] de la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

de condamner monsieur [G] [X] au paiement des entiers dépens de première instance et d’appel en ce compris le montant de la consultation judiciaire.

Vu les dernières conclusions au fond notifiées le 13 décembre 2021 par monsieur [G] [X], visant le jugement rendu le 13 août 2021 (précité), les dispositions des articles L131-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution, des articles 1353 et 1240 du code civil, du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Créteil le 12 octobre 2010 et de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 27 février 2013 confirmant le jugement précité en toutes ses dispositions condamnant monsieur [J] [R] «à remettre Monsieur [G] [X] l’intégralité des codes sources des applications Pertinence Summarizer et ce sous une forme non cryptée et sur un support informatique est définitif » (sic), qui prie la cour :

de débouter monsieur [R] de sa demande de sursis à statuer,

de confirmer le jugement rendu le 13 août 2021 par le ‘Jex’ de Nanterre en ce qu’il a : assorti d’une astreinte provisoire la condamnation de monsieur [R] par jugement du tribunal de grande instance de Créteil du 12 octobre 2010 « à remettre monsieur [G] [X] l’intégralité des codes sources des applications Pertinence Summarizer et ce sous une forme non cryptée et sur un support informatique est définitif » (sic) // fixé à 100 euros par jour de retard pour une durée de 2 mois, à compter de l’expiration d’un délai d’un mois à partir de la signification de la présente décision, le montant de cette astreinte provisoire // condamné monsieur [R] à payer à monsieur [X] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’instance, en ce compris le coût de la consultation fixé à 3.000 euros,

en conséquence

de débouter monsieur [J] [R] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

d’infirmer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau,

de fixer à 300 euros par jour de retard pour une durée de 4 mois, à compter de l’expiration d’un délai d’un mois à partir de la signification du jugement dont appel, le montant de l’astreinte provisoire,

de condamner monsieur [J] [R] à payer à monsieur [G] [X] la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts,

de condamner monsieur [J] [R] à payer à monsieur [G] [X] la somme de 6.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

de condamner monsieur [J] [R] aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 21 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Liminairement, il n’y a pas lieu, pour la cour, de se prononcer sur la demande de sursis à statuer sur laquelle il a été statué en cours de procédure par ordonnance du 03 mars 2022 et qui, au surplus, ne figure pas au rang des dernières conclusions au fond de monsieur [R].

Sur la demande en fixation d’astreinte

Il convient de rappeler que, pour faire droit à cette demande présentée par monsieur [X], le premier juge, se fondant sur les dispositions des articles L 131-1 et L 131-2 précités lui donnant pouvoir de prononcer une astreinte, indépendante des dommages-intérêts, afin d’assurer l’exécution d’une décision rendue par un autre juge, a repris le dispositif des quatre décisions rendues au fond sus-visées, en particulier la motivation de la cour d’appel de renvoi dans son arrêt du 25 janvier 2019 énonçant que ‘le chef de l’arrêt ayant confirmé le jugement en ce qu’il a condamné monsieur [R] à remettre à monsieur [X] l’intégralité des codes sources des applications Pertinence Summarizer et ce sous une forme non cryptée et sur un support informatique est définitif’ et ‘qu’il n’y a donc pas lieu de statuer de nouveau sur ce point’.

Concluant que monsieur [K] a ainsi été condamné à restituer ces codes sources, ceux-ci devant l’être dans leur intégralité, et qu’il appartenait à monsieur [R] de démontrer qu’il avait exécuté son obligation de faire dans les limites fixées par le titre exécutoire, il a jugé que les trois procès-verbaux d’huissier (sans compétence informatique particulière et sans adjonction d’un sapiteur) produits n’étaient pas suffisants pour le démontrer et ce alors que l’expert désigné par le tribunal indique (sans être contredit par une consultation à laquelle monsieur [R] aurait pu faire procéder) que les CD Rom remis ne permettent pas, du fait de leur incomplétude, le fonctionnement normal de l’application.

Il a jugé, par ailleurs, dénués d’effet sur la demande d’astreinte les moyens tirés de l’impossibilité d’exploiter ces codes sources par monsieur [X], en lien avec la revendication de la paternité de cette oeuvre de collaboration.

Il a tenu compte de l’ancienneté du titre exécutoire et des précédentes remises d’éléments par monsieur [R] pour en fixer le montant.

Au soutien de son appel tendant à voir infirmer le jugement au fond en ce qu’il a ordonné une astreinte, ce dernier fait d’abord valoir que le jugement du 12 octobre 2010 a été parfaitement exécuté puisque, par son conseil et par pli recommandé du 22 février 2011, il a spontanément exécuté la décision, ceci sous forme non cryptée et sur support informatique, et l’a renouvelé en 2012 ; il estime que l’action de son adversaire est motivée par le fait qu’il a perdu les deux CD Rom envoyés et tente de forcer la remise des autres codes sources des autres applications de la suite logicielle Pertinence.

Reprenant les dispositions des articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, il soutient ensuite que la preuve du défaut de remise intégrale des codes sources du logiciel en cause incombe à monsieur [X], demandeur au prononcé d’une astreinte et qui se plaint non point d’une inexécution mais d’une mauvaise exécution.

Sur ce point, il conteste la consultation réalisée, reprise par le tribunal, selon laquelle ‘l’absence de remise des codes sources du système KENiA, l’application Pertinence Summarizer est privée de fonctionnalité et ne constitue qu’une interface’ et entend éclairer la cour en faisant valoir que la technologie KENiA (ou : Knowledge Extraction and Notification Architecture), composant sur lequel existent des droits d’auteur distincts dès lors qu’une note explicative indique que ‘Pertinence Summarizer est fondée sur une technologie propriétaire appelée KENiA’, est intégrée au logiciel Pertinence Summarizer (présentant une interface innovante développée en Java) et qu’il est l’auteur de ces deux créations différentes.

Il objecte donc que les codes sources du composant KENiA ne sont pas visés par l’obligation de restitution mise à sa charge.

Pour soutenir, en troisième lieu, que les deux fichiers par lui remis sous forme de CD Rom en 2011 et 2012 correspondaient bien aux fichiers du logiciel Pertinence Summarizer, il fournit une analyse technique précise de ces éléments en s’appuyant sur le constat dressé à la demande de monsieur [X] le 10 juin 2011, duquel il ressort que figurent bien les fichiers Java nécessaires au lancement de l’application litigieuse portant l’extension .

Il produit de plus devant la cour un document technique daté du 31 mai 2022 établi par un expert en informatique par lui mandaté outre l’extrait d’un site démontrant qu’il est possible de développer des applications Web Java avec les Java Server Pages (ou jsp), et un extrait du site internet présentant un article intitulé : introduction aux Java Server Page (pièces n° 55, 9-1 et 9-2).

Il fait enfin valoir qu’il démontre, par des constats d’huissier, que monsieur [X] exploite les codes sources du logiciel Pertinence Summarizer qu’il a intégrés à des logiciels dénommés Aisummarizer et Essential Summarizer exploités par deux sociétés par lui fondées et dont il est le directeur Recherche et Développement. Preuve, selon lui, que son adversaire est bien en possession des codes sources litigieux et contrevient à l’interdiction d’utiliser ces codes sources ressortant de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 25 janvier 2019.

Ceci étant rappelé, monsieur [X] rappelle à juste titre que, devant la Cour de cassation monsieur [R] contestait la qualité d’oeuvre de collaboration de l’application Pertinence Summarizer (en se prévalant du défaut d’éligibilité d’un logiciel à la protection par le droit d’auteur mais aussi contestant l’appréciation des juges du fond sur leurs apports respectifs à l’oeuvre) dont il a été jugé qu’ils en étaient tous deux les coauteurs ; que la Cour de cassation, par arrêt du 15 juin 2016, y a répondu en énonçant que ce moyen n’était manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Il ajoute que c’est ce qu’a d’ailleurs rappelé la cour d’appel de renvoi dans son arrêt du 25 janvier 2019.

Par suite, monsieur [X] est fondé à opposer à la revendication de droits d’auteur par monsieur [R] invoquant la technologie KENiA le fait que la question a déjà été définitivement jugée.

Au surplus, cette tardive revendication de droits d’auteur sur cette technologie KENiA (dont monsieur [R] déclare s’en être d’abord prévalu puis l’avoir abandonnée devant le tribunal de Créteil sans fournir d’explications) ne suffit pas pour se prononcer sur son éligibilité à la protection par le droit d’auteur. En tout hypothèse, cette question échappe au pouvoir juridictionnel du juge de l’exécution.

S’agissant de la remise matérielle du CD Rom en cause le 22 février 2011, il est vrai que monsieur [X] ne la conteste pas mais il évoque une ‘mascarade’ ou ‘un simulacre’ en expliquant qu’il a pu déplorer une mauvaise exécution de l’obligation de faire, ce qu’il a fait constater par huissier le 10 juin 2011.

A cet égard, il convient de rappeler les termes de la disposition du titre exécutoire qui condamne monsieur [R] ‘à remettre à monsieur [X] l’intégralité des codes sources des applications Pertinence Summarizer et ce sous forme non cryptée et sur un support informatique’ (soulignement de la cour).

Les parties se divisant sur la bonne ou mauvaise exécution de l’obligation de faire mise à la charge de monsieur [R], susceptible de justifier le prononcé d’une astreinte si elle se révélait imparfaite, c’est à juste titre que monsieur [R] soutient que si celui qui se prétend libéré doit justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation de faire, il incombe à celui qui en conteste la réalisation complète d’apporter la preuve de ses allégations selon lesquelles elle n’a été que partiellement exécutée.

Pour se prévaloir d’une réalisation incomplète de cette obligation, monsieur [X] qui explique, sans être contredit, qu’il n’a jamais été en possession des codes sources du logiciel Pertinence Summarizer du fait que la plate-forme de développement les contenant était fixée chez monsieur [R] à qui il envoyait ses propres développements pour qu’il les intègre au logiciel Rafi réécrit en langage Java pour devenir Pertinence Summarizer, à telle enseigne que le 24 mars 2002 celui-ci lui a adressé par courriel deux fichiers (lexique «french-chemistry-lex» et grammaire «french-chemistry-mle») à inclure dans les codes sources litigieux, soutient que l’envoi réalisé contient uniquement l’interface utilisateur de l’application, de sorte que les codes sources communiqués ne permettent pas, du fait de leur incomplétude, le fonctionnement total de l’application.

Il peut se prévaloir de la consultation de monsieur [S] (à l’encontre duquel, précise-t-il incidemment, son adversaire a déposé une plainte déontologique mais qui ne saurait invalider ses travaux), laquelle a été développée oralement et contradictoirement à l’audience devant le juge de l’exécution à la suite de l’envoi de questions précises aux parties.

Le premier juge l’a synthétisée comme suit :

‘ Monsieur [S], après avoir indiqué que seul monsieur [R] lui a remis la copie du CD Rom litigieux, expose que celui-ci ne comprend que la sous-partie ‘vue’, ni la classe java ni les servlets n’étant présents, de sorte que le support ne contient pas l’intégralité de l’application Pertinence Summarizer, seule l’interface utilisateur étant intégrée. Il précise que plusieurs éléments ne sont pas inclus dans celui-ci, à savoir la traduction de l’interface, les servlets cibles d’action, le fichier web.xml et des classes java. En réponse à la question posée par le tribunal, il expose que les codes sources présents peuvent être exploités mais pas en tant qu’application Pertinence Summarizer, les fonctions métier et résumé étant absentes.

Rappelant que le patron ‘modèle-vue-contrôleur'(ci-après’modèle MVC’) constitue un patron de programmation, lequel comprend le modèle jsp, des servlets et des codes java, l’expert indique que le CD-Rom transmis n’inclut pas le mode d’emploi pour savoir comment exploiter l’application. Il expose que les fichiers properties, associant un mot clé et une valeur, sont absents, alors qu’ils constituent une modalité de fonctionnement et donc un code source. Il ajoute que le code source se définit comme un fichier web-xml, contenant un langage de programmation interprété.

En réponse aux moyens soulevés par M. [R], l’expert déclare qu’en l’absence de remise des codes sources du système ‘KENiA’, l’application Pertinence Summarizer est privée de fonctionnalités et ne constitue qu’une interface. Il explique que les fonctionnalités revendiquées respectivement au titre de Pertinence Summarizer et de ‘KENiA’ se superposent pour l’essentiel, de sorte que le système ‘KENiA’ constitue non pas une brique logicielle mais une architecture logicielle. Il confirme enfin que la production de texte n’est pas intégrée dans les données transmises et que javascript permet uniquement l’affichage de l’interface utilisateur. »

Par ailleurs, il est vrai que monsieur [R] tire argument de l’exploitation depuis leur rupture, par monsieur [X], d’un logiciel dénommé Essentiel Summarizer intégrant, selon lui, les codes sources du logiciel Pertinence Summarizer et que s’il l’étayait devant le premier juge en se référant à des rapports d’huissier dégageant, par la reprise des propres dires de monsieur [R], des similitudes, comme l’a relevé ce juge, il le conforte devant la cour au moyen d’un document technique établi unilatéralement le 31 mai 2022 par monsieur [N] [B], expert en informatique par lui mandaté – lequel, spécifiant sa mission, précisait : ‘monsieur [R] aimerait qu’un expert judiciaire en informatique spécialisé dans le domaine judiciaire confirme son interprétation d’un résultat de constat d’huissier’, écrivait notamment (pièce n° 55) :

‘je confirme également que les deux fichiers mentionnés dans le constat d’huissier (le code source original issu du CD Rom) et (le code source retrouvé sur le web) sont identiques à l’exception de deux lignes qui, elles, diffèrent de quelques caractères (…) ce qui signifie que les deux fichiers sont identiques à 99,71 %. Il ne fait aucun doute que le fichier d’origine créé pour le logiciel Pertinence Summarizer en 2005 a été copié pour être intégré au logiciel Essentiel Summarizer en 2010, après avoir modifié un titre et une taille de fenêtre’

en le complétant par deux documents explicatifs relatifs à Java Server Pages.

Néanmoins, monsieur [X] peut être suivi lorsqu’il rétorque qu’il a poursuivi sa carrière dans le domaine du résumé automatique en reprenant le développement de son logiciel Rafi dont il est l’auteur et non point monsieur [R], étant privé des codes sources de Pertinence Summarizer qui découle de Rafi, à l’instar d’autres outils qu’il a développés par la suite grâce à des techniques nouvelles, de sorte que les éventuelles similitudes relevées ne sont pas surprenantes.

Il évoque au surplus l’arrêt de renvoi rendu le 25 janvier 2019 par la cour d’appel de Versailles rejetant le grief de contrefaçon qu’articulait alors monsieur [R] à l’encontre de divers logiciels parmi lesquels Essential Summarizer en se prévalant de points communs. La cour énonçait alors que ‘ces logiciels ne reprennent donc pas des éléments caractéristiques du logiciel litigieux et présentent de nouvelles fonctionnalités’.

Par suite, le jugement sera confirmé en ce qu’il assortit la condamnation à remettre ‘l’intégralité’ des codes sources litigieux dans les formes précisées prononcée à l’encontre de monsieur [R] par le tribunal de grande instance de Créteil le 12 octobre 2010 d’une astreinte.

Sur les autres demandes relatives à l’astreinte

Il n’y a pas lieu de modifier le point de départ du délai de deux mois de l’astreinte provisoire fixé par le juge, comme le demande l’appelant, d’autant plus qu’en méconnaissance de l’article 954 du code de procédure civile, il ne développe aucun moyen de fait ou de droit au soutien de cette demande subsidiaire, se bornant à reproduire dans sa motivation les termes de son dispositif (page 17/33 de ses conclusions).

De même, s’agissant de la demande de monsieur [X] formée sur appel incident qui tend à ce que soit reconduite cette astreinte provisoire ( pour un montant de 300 euros par jour de retard et pour une durée de 4 mois passé un mois à compter de la signification de la décision dont appel), il convient de la rejeter dès lors que la première n’est pas liquidée et qu’il appartient au juge de la liquidation de se prononcer sur l’opportunité de sa reconduction.

Sur les demandes indemnitaires réciproquement formées par les parties

La solution donnée au présent litige conduit à débouter monsieur [R] de sa demande en paiement de dommages-intérêts fondée sur le caractère abusif de la procédure que monsieur [X] a initiée devant le juge de l’exécution et qui a donné lieu aux trois jugements querellés.

De son côté, monsieur [X] poursuit la condamnation de monsieur [R] à une même somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts.

Il stigmatise la mauvaise foi de son adversaire, évoque le fait qu’après son abandon et la confiscation des codes sources, la société Pertinence Mining qu’ils avaient ensemble constituée n’a pu poursuivre l’exploitation de leur logiciel et ses applications, ce qui est, selon lui, à l’origine de sa déconfiture et d’une liquidation judiciaire à laquelle, seul, il a dû faire face, tout en affrontant le harcèlement judiciaire de monsieur [R] qui a multiplié les procédures et les tromperies pour gagner du temps afin d’échapper à son obligation de restituer, quitte à remettre en cause l’autorité de la chose jugée.

Il se prévaut d’un préjudice indéniable du fait de la perte du fruit de son travail depuis 15 ans et des centaines d’heures consacrées au logiciel Performence Summarizer, des épreuves judiciaires affrontées ainsi que de son recours contraint à une voie d’exécution ou encore de la nécessité qui a été la sienne de développer de nouveaux outils qu’il exploite, grâce à la maintenance de son logiciel Rafi.

Ceci étant dit, s’il est constant qu’en application de l’article L 213-6 du code de l’organisation judiciaire, le juge de l’exécution (et la présente cour d’appel investie des mêmes pouvoirs) a compétence pour connaître de la contestation d’une mesure d’exécution forcée, il n’entre pas dans ses attributions de se prononcer sur une demande de condamnation à des dommages-intérêts qui n’est pas fondée sur l’exécution ou l’inexécution dommageable de la mesure.

Les fautes invoquées par l’intimé excèdent le pouvoir juridictionnel de la cour et dans le strict cadre de l’objet du présent litige, à savoir le prononcé d’une mesure d’astreinte, il ne peut être reproché à monsieur [R] d’avoir agi pour la défense de ses droits, ceci d’une manière circonstanciée, en contestant son prononcé.

Tout au plus monsieur [X] peut-il se prévaloir des frais occasionnés par cette procédure appelés à être compensés sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur les frais de procédure et les dépens

L’équité commande de condamner monsieur [R] à verser à monsieur [X] la somme complémentaire de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Débouté de ce dernier chef de demande monsieur [R] qui succombe supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe ;

CONFIRME les trois jugements rendus par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Nanterre les 26 mars, 12 mai et 13 août 2021 et, y ajoutant ;

Dit n’y avoir lieu à statuer sur la demande de sursis à statuer ;

Rejette la demande subsidiaire de monsieur [J] [R] tendant à voir reporter le point de départ de l’astreinte ;

Rejette la demande de prononcé d’une nouvelle astreinte provisoire formée devant la cour par monsieur [G] [X] ;

Condamne monsieur [J] [R] à verser à monsieur [G] [X] la somme complémentaire de 2.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d’appel avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Florence MICHON, Conseiller faisant fonction de Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

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