Propriété intellectuelle : Image des biens sur les aménagements intérieurs : plaidez le parasitisme

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Une société a découvert que la société Agence crehouse avait publié sur son compte instagram deux photos de cuisines qu’elle avait réalisées chez deux clients sans mentionner son nom.

S’estimant victime de parasitisme par appropriation de son savoir-faire, la société a fait assigner son concurrent par devant le tribunal de commerce aux fins de voir interdire toute publication de ses réalisations et indemniser son préjudice moral.

Exception d’incompétence non fondée

Pour accueillir l’exception d’incompétence fondée sur l’article L331-1 du code de propriété intellectuelles, selon lequel, les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et artistique, y compris lorsqu’elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux judiciaires, déterminés par voie réglementaire, le tribunal a retenu que la société agissait en reconnaissance de son droit de paternité, recouvrant le droit moral de l’auteur d’une œuvre protégée, sur les cuisines objet des publications litigieuses.

Ce jugement a été censuré : il ressortait des termes clairs de l’assignation que l’action de la société a pour objet de faire cesser des agissements parasitaires imputés à son concurrent  consistant « en la présentation comme le sien de son savoir-faire afin de vanter son travail auprès de son public », engageant sa responsabilité sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

Si dans les motifs de son assignation, la société a entendu appuyer son action en dénonçant la volonté de la société Agence crehouse de « s’approprier la paternité » de ses créations afin « d’appâter le chaland », non seulement cette évocation de la paternité de ses créations, faisant abstraction de toute référence à la protection légale des oeuvres de l’esprit, était indifférente sur les faits de parasitisme fondés sur le détournement de son savoir-faire mais la société  avait, dans ses conclusions postérieures, soutenues à l’audience du tribunal, explicité le sens de cette expression en soulignant qu’elle ne revendiquait aucun droit de propriété intellectuelle sur les cuisines litigieuses mais un savoir-faire acquis grâce à son expérience et ses investissements dont le concurrent aurait entendu tirer un avantage parasitaire.

L’action en parasitisme

L’action en parasitisme, fondé sur l’article 1240 du code civil, qui implique l’existence d’une faute commise par une personne au préjudice d’une autre, peut être mise en œuvre quels que soient le statut juridique ou l’activité des parties, même en situation de non-concurrence, dès lors que l’auteur se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements, peu important la finalité de ces agissements.

Aucun examen d’un droit moral

L’action en responsabilité et cessation des agissements parasitaires engagée par la société n’implique donc aucun examen d’un droit moral protégé par le code de propriété intellectuelle ni de statuer sur la mise en oeuvre des règles relatives à la protection des oeuvres de l’esprit.

Compétence du tribunal de commerce

Par conséquent, en retenant que la société agissait en reconnaissance d’une création originale protégée par le code de propriété intellectuelle, connexe à une action en concurrence déloyale, le tribunal a dénaturé l’objet du litige dont il était saisi et, au surplus, excédé ses pouvoirs en relevant que les deux sociétés n’étaient pas en situation concurrentielle, cette considération, inopérante en matière de parasitisme, touchant le fond du litige. Le tribunal de commerce était donc pleinement compétent.

____________

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PAU

2ème CH – Section 1

ARRET DU 20 juillet 2022

Dossier : N° RG 22/01048 – N° Portalis DBVV-V-B7G-IFWA

Nature affaire :

Demande en cessation de concurrence déloyale ou illicite et/ou en dommages et intérêts

Affaire :

S.A.R.L. [J] ET ASSOCIES

C/

S.A.R.L. AGENCE CREHOUSE

A R R E T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 20 juillet 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 14 juin 2022, devant :

Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,

assisté de Madame SAYOUS, Greffière présente à l’appel des causes,

Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Jeanne PELLEFIGUES et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente

Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller

Monsieur Marc MAGNON, Conseiller

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANTE :

S.A.R.L. [J] ET ASSOCIES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me François PIAULT de la SELARL SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de PAU

Assistée de Me Sophie LALANDE, avocat au barreau de Bayonne

INTIMEE :

S.A.R.L. AGENCE CREHOUSE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Richard THIBAUD de la SELARL AVOLIS, avocat au barreau de BAYONNE

sur appel de la décision

en date du 28 MARS 2022

rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BAYONNE

FAITS-PROCEDURE -PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES

La société à responsabilité [J] et associés, cuisiniste, a réalisé des cuisines pour des clients qui avaient confié la maîtrise d’oeuvre de la construction de leur logement à la société à responsabilité limitée Agence crehouse, architecte.

Au mois de février 2021, la société [J] et associés a découvert que la société Agence crehouse avait publié sur son compte instagram deux photos de cuisines qu’elle avait réalisées chez deux clients sans mentionner son nom.

S’estimant victime de parasitisme par appropriation de son savoir-faire, et suivant exploit du 4 juin 2021, la société [J] et associés a fait assigner la société Agence crehouse par devant le tribunal de commerce de Bayonne aux fins de voir interdire toute publication de ses réalisations et indemniser son préjudice moral.

La société Agence crehouse a soulevé l’incompétence matérielle et territoriale du tribunal de commerce de Bayonne au profit du tribunal de commerce de Bordeaux, au visa de l’article L331-1 du code de la propriété intellectuelle, au motif que la société [J] et associés revendiquait un droit moral sur l’originalité des cuisines photographiées.

Par jugement du 28 mars 2022, auquel il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens initiaux des parties, le tribunal s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Bordeaux et a condamné la demanderesse aux dépens.

Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception remise le 30 mars 2022 à la société [J] et associés.

Par déclaration faite au greffe de la cour le 13 avril 2022, comportant ses conclusions d’appel, la société [J] et associés a relevé appel de ce jugement statuant exclusivement sur la compétence.

Par requête remise le 14 avril 2022, la société [J] et associés a saisi le premier président d’une demande d’autorisation d’assigner à jour fixe au visa des articles 83 et suivants du code de procédure civile.

Par ordonnance du 13 mai 2022, le président de chambre délégué par le premier président a fait droit à la requête, l’affaire étant fixée au 14 juin 2022.

Suivant exploit du 17 mai 2022, remis au greffe par voie électronique le 19 mai, la société [J] et associés a fait assigner la société Agence crehouse par devant la cour d’appel en demandant,au visa des articles 1240 du code civil, L721-3 du code de commerce, 42 et 83 et suivants du code de procédure civile, d’infirmer le jugement entrepris, et, statuant à nouveau, de :

— dire que le tribunal de commerce de Bayonne est compétent pour connaître du litige

— renvoyer l’affaire par devant le tribunal de commerce de Bayonne pour qu’il soit statué au fond

— condamner la société Agence crehouse à lui payer une somme de 4.800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 13 juin 2022, la société Agence crehouse a demandé à la cour, au visa des articles 73 et 56 du code de procédure civile, L331-1 du code de propriété intellectuelle, 3 du décret 2009-1205 du 9 octobre 2009 et L112-1 et L112-2 du code de propriété intellectuelle, de confirmer le jugement entrepris et de condamner la société [J] et associés à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Les parties ont été avisées par message RPVA que le délibéré sera rendu par anticipation le 20 juillet 2022.

MOTIFS

Pour accueillir l’exception d’incompétence fondée sur l’article L331-1 du code de propriété intellectuelles, selon lequel, les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et artistique, y compris lorsqu’elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux judiciaires, déterminés par voie réglementaire, le tribunal a retenu que la société [J] et associés agissait en reconnaissance de son droit de paternité, recouvrant le droit moral de l’auteur d’une œuvre protégée, sur les cuisines objet des publications litigieuses.

Mais, il ressort des termes clairs de l’assignation que l’action de la société [J] et associés a pour objet de faire cesser des agissements parasitaires imputés à faute à la société Agence crehouse consistant « en la présentation comme le sien de son savoir-faire afin de vanter son travail auprès de son public », engageant sa responsabilité sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

Si dans les motifs de son assignation, la société [J] et associés a entendu appuyer son action en dénonçant la volonté de la société Agence crehouse de « s’approprier la paternité » de ses créations afin « d’appâter le chaland », non seulement cette évocation de la paternité de ses créations, faisant abstraction de toute référence à la protection légale des oeuvres de l’esprit, était indifférente sur les faits de parasitisme fondés sur le détournement de son savoir-faire mais la société [J] et associés avait, dans ses conclusions postérieures, soutenues à l’audience du tribunal, explicité le sens de cette expression en soulignant qu’elle ne revendiquait aucun droit de propriété intellectuelle sur les cuisines litigieuses mais un savoir-faire acquis grâce à son expérience et ses investissements dont la société Agence crehouse aurait entendu tirer un avantage parasitaire.

L’action en parasitisme, fondé sur l’article 1240 du code civil, qui implique l’existence d’une faute commise par une personne au préjudice d’une autre, peut être mise en œuvre quels que soient le statut juridique ou l’activité des parties, même en situation de non-concurrence, dès lors que l’auteur se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements, peu important la finalité de ces agissements.

L’action en responsabilité et cessation des agissements parasitaires engagée par la société [J] et associés n’implique donc aucun examen d’un droit moral protégé par le code de propriété intellectuelle ni de statuer sur la mise en oeuvre des règles relatives à la protection des oeuvres de l’esprit.

Par conséquent, en retenant que la société [J] et associés agissait en reconnaissance d’une création originale protégée par le code de propriété intellectuelle, connexe à une action en concurrence déloyale, le tribunal a dénaturé l’objet du litige dont il était saisi et, au surplus, excédé ses pouvoirs en relevant que les deux sociétés n’étaient pas en situation concurrentielle, cette considération, inopérante en matière de parasitisme, touchant le fond du litige.

Le jugement sera donc infirmé et l’affaire renvoyée devant le tribunal de commerce de Bayonne.

La société Agence crehouse sera condamnée aux dépens d’appel et à payer une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

et statuant à nouveau,

REJETTE l’exception d’incompétence du tribunal de commerce de Bayonne au profit du tribunal de commerce de Bordeaux soulevée par la société Agence crehouse,

RENVOIE l’affaire par devant le tribunal de commerce de Bayonne pour statuer sur le fond du litige,

CONDAMNE la société Agence crehouse aux dépens d’appel,

CONDAMNE la société Agence crehouse à payer à la société [J] et associés une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Catherine SAYOUS, greffier suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.

LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT,

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