En prononçant la déchéance de la marque de spiritueux Saint-Germain (liqueur de sureau) alors que le déposant produisait plusieurs pièces comptables portant la mention ‘St-Germain’ et relatives à la vente de bouteilles d’alcool sous cette dénomination, la juridiction d’appel, qui a dénaturé ces documents, a violé les articles L. 713-3, b) et L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle.
Le premier de ces textes interdit, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.
Le second de ces textes sanctionne par la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la déchéance ne pouvant prendre effet avant l’expiration de ce délai.
Répondant à la question préjudicielle précitée, la CJUE, par un arrêt du 26 mars 2020 (C International Spirits e. a., C-622/18), a dit pour droit que ‘l’article 5, paragraphe 1, sous b), l’article 10, paragraphe 1, premier alinéa, et l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, lus conjointement avec le considérant 6 de celle-ci, doivent être interprétés en ce sens qu’ils laissent aux Etats membres la faculté de permettre que le titulaire d’une marque déchu de ses droits à l’expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l’Etat membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque.’
A cet égard, la CJUE a précisé qu’il convenait d’apprécier, au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque, l’étendue du droit exclusif conféré au titulaire, en se référant aux éléments résultant de l’enregistrement de la marque et non pas par rapport à l’usage que le titulaire a pu faire de cette marque pendant cette période (arrêt précité, points 38 et 39).
Par ailleurs, la déchéance d’une marque, prononcée en application de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, ne produisant effet qu’à l’expiration d’une période ininterrompue de cinq ans sans usage sérieux, son titulaire est en droit de se prévaloir de l’atteinte portée à ses droits sur la marque qu’ont pu lui causer les actes de contrefaçon intervenus avant sa déchéance.
Toutefois, antérieurement à la déchéance Les grandes ressemblances visuelles, phonétiques et intellectuelles précédemment relevées sont suffisantes à caractériser un risque de confusion ou d’association dans l’esprit du public entre les signes en présence désignant des produits identiques, celui-ci étant susceptible de rattacher les deux marques en cause à une même entreprise ou à des entreprises économiquement liées.
________________________________________
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRÊT DU 25 MARS 2022
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07274 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDP6L
sur renvoi après cassation, par arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation rendu le 4 novembre 2020 (pourvoi n°W 16-28.281), d’un arrêt du pôle 5 chambre 1 de la Cour d’appel de PARIS rendu le 13 septembre 2016 (RG n°15/04749) sur appel d’un jugement de la 3ème chambre 2ème section du Tribunal de grande instance de PARIS du 16 janvier 2015 (RG n°12/10354)
DEMANDEUR A LA SAISINE
M. Z X
Né le […] à Strasbourg
De nationalité française
Exerçant la profession de chef d’entreprise
[…]
Représenté par Me Tania KERN de l’AARPI KERN & WEYL, avocate au barreau de PARIS, toque P 291
DEFENDERESSES A LA SAISINE
Société C SPIRITS INTERNATIONAL, société de droit américain, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé
[…]
[…]
PENNSYLVANIE
ETATS-UNIS D’AMERIQUE
[…] prise en la personne de son président en exercice, M. B C, domicilié en cette qualité au siège social situé
[…]
Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 389 865 817
Représentées par Me Anne-I OUDINOT, avocate au barreau de PARIS, toque B 653
Assistées de Me Damien REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque D 451
S.A.S. ETABLISSEMENTS D E, prise en la personne de son président en exercice, M. H-I J, domicilié en cette qualité au siège social situé
[…]
[…]
Immatriculée au rcs de Dijon sous le numéro 015 753 981
Représentée par Me Sylvie BENOLIEL-CLAUX du Cabinet BENOLIEL AVOCATS, avocate au barreau de PARIS, toque C 415
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 2 février 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Agnès MARCADE, Conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport
Mme Agnès MARCADE a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Brigitte CHOKRON, Présidente
Mme Laurence LEHMANN, Conseillère
Mme Agnès MARCADE, Conseillère
Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Brigitte CHOKRON, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement contradictoire rendu le 16 janvier 2015 par le tribunal de grande instance de Paris ;
Vu l’arrêt rendu le 13 septembre 2016 par la cour d’appel de Paris ;
Vu l’arrêt de cassation rendu le 4 novembre 2020 par la Cour de cassation ;
Vu la déclaration de saisine du 8 avril 2021 remise au greffe par M. Z X ;
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 22 octobre 2021 par M. Z X, demandeur à la saisine ;
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 5 août 2021 par la société Etablissements D E, défenderesse à la saisine ;
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 3 août 2021 par les sociétés C Spirits International et St Dalfour, défenderesses à la saisine ;
Vu l’ordonnance de clôture du 2 décembre 2021.
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
M. X, créateur de la société Part des Anges qui commercialise des alcools et spiritueux, est titulaire de la marque française semi figurative SAINT GERMAIN déposée le 5 décembre 2005 et enregistrée sous le n°3 395 502 pour désigner en classes 30, 32 et 33, les produits suivants : ‘Boissons alcooliques (à l’exception des bières), cidres, digestifs. Vins, spiritueux, extraits ou essences alcooliques. Bières, eaux minérales et gazeuses, boissons de fruits et jus de fruits, sirops et autres préparations pour faire des boissons. Limonades, nectars de fruits, sodas, apéritifs sans alcool. Pâtisseries et confiserie, glaces comestibles. Boissons à base de cacao, chocolat ou de thé’.
Il indique avoir constaté que la société constituée selon les lois de l’Etat de Pennsylvanie, C International Spirits (C), qui l’avait contacté courant 2007 en vue de racheter sa marque Saint-Germain – ce qui ne s’était pas concrétisé faute d’une ‘offre raisonnable’ – avait néanmoins distribué une liqueur de sureau sous la dénomination ‘ST-GERMAIN’ fabriquée par la société St Dalfour et un sous-traitant de cette dernière, la société Etablissements D E (Y).
Par actes des 8 et 11 juin 2012, M. X a fait assigner les sociétés C, St Dalfour et Y en contrefaçon de marque devant le tribunal de grande instance de Paris.
Dans une instance parallèle opposant M. X à une société de droit américain « Osez Vous », le tribunal de grande instance de Nanterre, par jugement en date du 28 février 2013, a prononcé la déchéance des droits de M. X sur sa marque semi figurative Saint Germain n°3 395 502 à compter du 13 mai 2011 pour les « Boissons alcooliques (à l’exception des bières), cidres, digestifs. Vins, spiritueux, extraits ou essences alcooliques ». Ce jugement a été confirmé en toutes ses dispositions par un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 11 février 2014 qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi et est aujourd’hui irrévocable.
Le jugement du 16 janvier 2015 dont appel a :
– rejeté l’intégralité des demandes de M. X,
– rejeté la demande formée au titre de la procédure abusive formée par la société Y,
– condamné M. X aux dépens et au paiement aux sociétés C et ST Dalfour de la somme de 3.000 euros et à la société Y de la même somme, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt en date du 13 septembre 2016, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement du tribunal en ce qu’il a jugé qu’aucune atteinte n’a pu viser la marque Saint Germain, laquelle n’a jamais exercé sur le public une quelconque fonction, et en ce qu’il a débouté M. X de l’ensemble de ses demandes ; et y ajoutant a :
– débouté la société Y de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
– condamné M. X aux dépens d’appel ainsi qu’au paiement de sommes, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, aux sociétés C et Dalfour, ensemble, ainsi qu’à la société Y.
M. X a formé un pourvoi contre cette décision et par un arrêt du 26 septembre 2018, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation des articles 5, paragraphe 1, sous b), 10 et 12 de la directive n° 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques.
En suite de la décision du 26 mars 2020 de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 13 septembre 2016 en toutes ses dispositions en ce que :
Vu les articles L. 713-3, b) et L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, tels qu’interprétés à la lumière des articles 5, paragraphes 1, sous b), 10 et 12 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques :
6. Le premier de ces textes interdit, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.
7. Le second de ces textes sanctionne par la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la déchéance ne pouvant prendre effet avant l’expiration de ce délai.
8. Répondant à la question préjudicielle précitée, la CJUE, par un arrêt du 26 mars 2020 (C International Spirits e. a., C-622/18), a dit pour droit que ‘l’article 5, paragraphe 1, sous b), l’article 10, paragraphe 1, premier alinéa, et l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, lus conjointement avec le considérant 6 de celle-ci, doivent être interprétés en ce sens qu’ils laissent aux Etats membres la faculté de permettre que le titulaire d’une marque déchu de ses droits à l’expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l’Etat membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque.’
9. A cet égard, la CJUE a précisé qu’il convenait d’apprécier, au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque, l’étendue du droit exclusif conféré au titulaire, en se référant aux éléments résultant de l’enregistrement de la marque et non pas par rapport à l’usage que le titulaire a pu faire de cette marque pendant cette période (arrêt précité, points 38 et 39).
10. Par conséquent, la déchéance d’une marque, prononcée en application de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, ne produisant effet qu’à l’expiration d’une période ininterrompue de cinq ans sans usage sérieux, son titulaire est en droit de se prévaloir de l’atteinte portée à ses droits sur la marque qu’ont pu lui causer les actes de contrefaçon intervenus avant sa déchéance.
11. Pour rejeter les demandes formées par M. X, l’arrêt retient que celui-ci ne justifie d’aucune exploitation de la marque depuis son dépôt et en déduit que, faute pour la marque d’avoir été mise en contact avec le consommateur, son titulaire ne peut arguer ni d’une atteinte à sa fonction de garantie d’origine, ni d’une atteinte portée au monopole d’exploitation conféré par ladite marque, ni encore d’une atteinte à sa fonction d’investissement.
12. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
14. Pour rejeter les demandes formées par M. X, l’arrêt retient encore que les pie’ces produites par celui-ci pour justifier que la liqueur de sureau supportant le signe « St-Germain » avait été commercialisée par les sociétés poursuivies durant la période considérée sont, à l’exception d’une seule, postérieures au 13 mai 2011, date d’effet de la déchéance de ses droits sur la marque ‘Saint Germain’, et en déduit que la réalité de l’atteinte alléguée n’est pas démontrée.
15. En statuant ainsi, alors que M. X produisait plusieurs pièces comptables, datées de mai 2009 à mai 2011, portant la mention ‘St-Germain’ et relatives à la vente de bouteilles d’alcool sous cette dénomination, la cour d’appel, qui a dénaturé ces documents, a violé le principe susvisé’ .
M. X a, par déclaration du 8 avril 2021, saisi la présente cour de renvoi.
Par ses dernières conclusions il demande à la cour de :
– le déclarer recevable et bien fondé en l’ensemble de ses demandes ;
– infirmer le jugement rendu le 16 janvier 2015 du tribunal de grande instance de Paris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté la société Y de sa demande indemnitaire présentée au titre d’une prétendue procédure abusive ;
Statuant à nouveau,
– juger qu’en faisant usage du signe ‘ST-GERMAIN’ entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011 pour désigner une liqueur de sureau notamment en fabriquant, offrant à la vente et en vendant cette liqueur en France, et en l’exportant ou l’important, les sociétés C, St Dalfour et Y ont commis des actes de contrefaçon de la marque française SAINT GERMAIN n°05 3 395 502,
– juger que ces actes de contrefaçon constituent une atteinte à ses droits sur la marque française SAINT GERMAIN n°05 3 395 502,
En conséquence,
– condamner les sociétés C, St Dalfour et Y à réparer son préjudice :
– à titre principal, condamner solidairement les sociétés C, St Dalfour et Y à lui payer la somme de 908.915 euros augmentée de 13% pour tenir compte de l’inflation entre 2010 et 2021, en application de l’alinéa second de l’article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle, somme calculée en retenant le chiffre d’affaires réalisé par la société C Spirits International et en appliquant un taux de redevance indemnitaire de 5% ;
– à titre subsidiaire condamner :
– solidairement les sociétés C, St Dalfour et Y à lui payer la somme de 201.142,30 euros augmentée de 13% pour tenir compte de l’inflation entre 2010 et 2021,
– et solidairement les sociétés C, St Dalfour et Y à lui payer la somme de 68.693 euros, augmentée de 13% pour tenir compte de l’inflation entre 2010 et 2021, en application l’alinéa second de l’article L. 716-14 de code de la propriété intellectuelle, somme calculée en retenant d’une part le chiffre d’affaires réalisé par la société St Dalfour et d’autre part celui réalisé par les Etablissements D E et en appliquant un taux de redevance indemnitaire de 5%,
– à titre infiniment subsidiaire condamner solidairement les sociétés C, St Dalfour et Y à lui payer la somme de 200.000 euros en application de l’alinéa premier de l’article L. 716-14 de code de la propriété intellectuelle, somme prenant en compte les conséquences économiques négatives des actes de contrefaçon (perte des investissements consentis par lui pour le lancement de sa marque SAINT GERMAIN soit 80.000 euros et perte de chance d’intégrer le marché et impossibilité d’exploiter la marque SAINT GERMAIN évaluée à 50.000 euros), son préjudice moral (20.000 euros) et les très importants bénéfices réalisés par les intimées (50.000 euros).
– condamner solidairement les sociétés C, St Dalfour et Y à lui rembourser l’intégralité des montants réglés à ces dernières au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner solidairement les sociétés C, St Dalfour et Y à la somme de 45.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile du fait des procédures de première instance et d’appel,
– condamner solidairement les sociétés C, St Dalfour et Y à la somme de 25.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble des frais irrépétibles engendrés par la procédure devant cour d’appel de renvoi.
– condamner solidairement les sociétés C, St Dalfour et Y aux entiers dépens de première instance, d’appel et d’appel sur renvoi y compris les frais afférents aux saisies-contrefaçon réalisées dans les locaux des intimées, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par leurs conclusions, les sociétés C et St Dalfour demandent à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, au besoin par substitution de motifs,
– débouter en conséquence M. Z X de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– subsidiairement, dire et juger que l’atteinte qui a été portée à la marque SAINT GERMAIN n°05 3 395 502 n’a été constitutive d’aucun préjudice pour M. Z X,
– très subsidiairement, allouer à M. Z X une indemnité symbolique pour l’atteinte de principe portée à son droit de marque avant qu’il n’en ait été déclaré déchu,
– condamner M. Z X à leur payer, ensemble, la somme complémentaire de 10.000 euros en cause d’appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. Z X en tous les dépens, et dire que ceux-ci pourront être directement recouvrés, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par ses conclusions, la société Y, intimée demande à la cour de :
– débouter M. Z X de ses demandes fondées sur l’article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle,
– juger que la réparation intégrale du préjudice subi par M. X doit tenir compte de l’absence d’exploitation de sa marque SAINT-GERMAIN n°3 395 502,
En conséquence,
– juger que le montant des dommages-intérêts prononcés à son encontre ne peut excéder la somme totale de 2.000 euros,
– débouter M. X de l’ensemble de ses demandes fondées sur l’article 700 du code de proce’dure civile,
– juger que les frais irrépétibles et les dépens seront laissés à la charge de chacune des parties.
A titre liminaire, la cour relève que la société Y ne sollicite pas dans le dispositif de ses écritures l’infirmation du chef du jugement rejetant sa demande de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive. Il convient donc de considérer que le jugement est devenu irrévocable sur ce point.
Sur la contrefaçon de la marque ‘SAINT GERMAIN’ n°3 395 502
M. X soutient que, bien qu’il ait été partiellement déchu de ses droits sur la marque SAINT GERMAIN n° 3 395 502 à compter du 13 mai 2011 pour les ‘Boissons alcooliques (à l’exception des bières), cidres, digestifs. Vins, spiritueux, extraits ou essences alcooliques’, l’action en contrefaçon fondée sur une marque dont la déchéance a été prononcée reste fondée pour les actes commis antérieurement à cette déchéance soit, dans la présente espèce, aux faits commis antérieurement au 13 mai 2011 non encore prescrits. Il en déduit qu’en tant que titulaire de la marque SAINT GERMAIN déchue, il conserve le droit d’obtenir la condamnation des faits de contrefaçon commis entre les 9 juin 2009 et 13 mai 2011, intervenus avant la date d’effet de la déchéance.
Les sociétés C et St Dalfour font valoir que les signes en présence n’étant pas identiques, il convient d’apprécier la contrefaçon en application des dispositions de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle et qu’il appartient donc au demandeur à la contrefaçon d’établir l’existence d’un risque de confusion qui doit être apprécié globalement en prenant compte notamment de la connaissance de la marque sur le marché et l’association qui peut en être faite avec le signe utilisé. Elles en déduisent qu’en l’espèce le risque de confusion ne peut être apprécié faute pour la marque ‘SAINT GERMAIN’ d’avoir jamais été exploitée.
La société Y soutient quant à elle qu’aucun acte de reproduction ne peut être caractérisé en l’absence d’identité des signes et que les faits reprochés seront uniquement appréciés à l’aune de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle.
Ainsi que l’a clairement rappelé la CJUE puis la Cour de cassation dans son arrêt précité, la déchéance d’une marque, prononcée en application de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, ne produisant effet qu’à l’expiration d’une période ininterrompue de cinq ans sans usage sérieux, son titulaire est en droit de se prévaloir de l’atteinte portée à ses droits sur la marque qu’ont pu lui causer les actes de contrefaçon intervenus avant sa déchéance.
Aussi, bien que la déchéance des droits de M. X sur l’enregistrement de la marque SAINT GERMAIN a déjà été prononcée à compter du 13 mai 2011, celui-ci peut se prévaloir des atteintes portées à ses droits antérieurs à cette date.
M. X reproche aux défenderesses à la saisine l’usage du signe complexe ST-GERMAIN pour désigner une liqueur de sureau.
L’usage du signe ST GERMAIN considéré comme contrefaisant se présente comme suit :
Il est établi par les nombreux éléments fournis au débat par le demandeur à la saisine (pièces 8-2 saisie-contrefaçon du 11 mai 2012 dans les locaux de la société Y, 8-4 et 17 documents comptables de la société Y, 40-3 documents comptables de la société St Dalfour, pièce 12 catalogue 2011 de la maison du whisky) que la liqueur de sureau ST GERMAIN a été fabriquée, offerte à la vente et commercialisée en France antérieurement au 13 mai 2011 ce qui n’est pas discuté par les défenderesses à la saisine.
La marque antérieure est constituée par le signe complexe suivant :
Il n’est pas discuté que la liqueur de sureau appartient à la catégorie des boissons alcooliques désignées par la marque antérieure et qu’il s’agit donc de produits identiques.
Les signes complexes en présence n’étant toutefois pas identiques, il convient de rechercher s’il existe entre ces signes un risque de confusion, incluant le risque d’association, qui doit être apprécié globalement à la lumière de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. Cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par les marques en tenant compte notamment des éléments distinctifs de celles-ci.
Contrairement à ce que soutiennent les sociétés C et St Dalfour l’absence d’exploitation de la marque antérieure est indifférente. En effet, au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque dite ‘délai de grâce’, l’appréciation du risque de confusion, incluant le risque d’association, s’apprécie par référence aux éléments résultant de l’enregistrement de la marque.
Les signes en présence ont en commun le terme GERMAIN auquel est adjoint, en attaque, le mot SAINT pour la marque antérieure, et les lettres ST dans le signe contesté, pour former les expressions SAINT GERMAIN dans la marque antérieure et ST-GERMAIN pour le signe contesté.
Ces expressions qui seront utilisées par le consommateur pour désigner le produit qu’il souhaite acquérir constituent l’élément dominant des signes en présence, les éléments graphiques qui y sont ajoutés, écriture manuscrite pour la marque antérieure, cartouche noir entouré d’un liseré doré pour le signe contesté ne faisant pas perdre à ces expressions ce caractère dominant.
Elles sont visuellement constituées de deux termes, le premier ayant en commun les lettres S et T et le second étant identique. Phonétiquement, elles seront prononcées de la même façon, les lettres ST étant l’abréviation usuelle du terme ‘saint’. Conceptuellement elles renvoient toutes deux au même saint patron.
Les grandes ressemblances visuelles, phonétiques et intellectuelles précédemment relevées sont suffisantes à caractériser un risque de confusion ou d’association dans l’esprit du public entre les signes en présence désignant des produits identiques, celui-ci étant susceptible de rattacher les deux marques en cause à une même entreprise ou à des entreprises économiquement liées.
En conséquence, les sociétés St Dalfour et Y en fabriquant et en vendant des liqueurs de sureau sous le signe ST-GERMAIN et la société C en faisant fabriquer et en achetant ces produits ont porté atteinte aux droits sur de la marque SAINT GERMAIN dont M. X est titulaire.
La contrefaçon de la marque ‘SAINT GERMAIN’ n°3 395 502 par l’usage du signe ST-GERMAIN pour désigner des liqueurs de sureau est ainsi caractérisée.
Sur le préjudice
Selon les dispositions de l’article L. 716-14 devenu L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle :
‘Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte.
Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ».
L’article 13 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45), intitulé ‘Dommages-intérêts’, dispose :
«1. Les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte.
Lorsqu’elles fixent les dommages-intérêts, les autorités judiciaires :
a) prennent en considération tous les aspects appropriés tels que les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, dans des cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte,
ou
b) à titre d’alternative, peuvent décider, dans des cas appropriés, de fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question.
2. Lorsque le contrevenant s’est livré à une activité contrefaisante sans le savoir ou sans avoir de motifs raisonnables de le savoir, les États membres peuvent prévoir que les autorités judiciaires pourront ordonner le recouvrement des bénéfices ou le paiement de dommages-intérêts susceptibles d’être préétablis.’
M. X sollicite à titre principal l’allocation d’une somme forfaitaire en réparation du dommage qu’il estime lui être causé par les actes de contrefaçon de sa marque.
Ainsi que l’a rappelé la CJUE dans son arrêt en date du 26 mars 2020 (points 46 et 47) , il y a lieu de se référer pour la fixation des dommages et intérêts à la directive 2004/48, en particulier à l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de celle-ci, selon lequel ces dommages et intérêts doivent être ‘adaptés au préjudice que [le titulaire de la marque] a réellement subi’ et que ‘Si l’absence d’usage d’une marque ne fait pas obstacle, par elle-même, à une indemnisation liée à la commission de faits de contrefaçon, cette circonstance n’en demeure pas moins un élément important à prendre en compte pour déterminer l’existence et, le cas échéant, l’étendue du préjudice subi par le titulaire et, partant, le montant des dommages et intérêts que celui-ci peut éventuellement réclamer.’
Les sociétés C, St Dalfour et Y ont fait le choix de faire fabriquer, fabriquer et vendre des liqueurs de sureau ST-GERMAIN en France alors que la marque SAINT GERMAIN dont est titulaire M. X n’était pas encore déchue, le délai de grâce de cinq années n’étant pas expiré. L’absence d’exploitation de la marque contrefaite ne s’oppose pas au principe d’une indemnisation, ce quand bien même l’action en contrefaçon a été introduite alors que la marque encourait la déchéance. A cet égard, le débat soulevé par les défenderesses à la saisine fondé sur les dispositions du code de la propriété intellectuelle issues de l’ordonnance 2019-1169 du 13 novembre 2019 et particulièrement de l’article L. 716-4-3 du code de la propriété intellectuelle est inopérant, ces dispositions n’étant pas applicables à la présente espèce. Il s’infère donc de cette atteinte portée à la marque de M. X dont les défenderesses à la saisine ne discutent avoir eu connaissance, un préjudice qu’il convient d’indemniser étant précisé que la période concernée par les actes de contrefaçon, se situe entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011.
Selon les éléments fournis au débat par M. X, celui-ci a, par l’intermédiaire de sa société Part des Anges, envisagé d’exploiter la marque SAINT GERMAIN pour distribuer une crème de Cognac et a, en juillet 2006, fait réaliser par la société Repères une étude de marché (pièce 23 X) et par la société Bronson des visuels et emballages pour ces produits (pièces 26 et 27). Les deux attestations générales et non circonstanciées de particuliers (pièces 34 et 35) faisant état de consommation de crème de Cognac SAINT GERMAIN jusqu’en 2008 ne sont pas suffisantes à montrer que le projet de M. X est allé au-delà des actes préparatoires de 2006 et que l’apparition sur le marché des produits contrefaisants l’ont dissuadé de poursuivre ce projet. Il sera à cet égard relevé, à l’instar de la cour d’appel de Versailles dans son arrêt du11 février 2014, que l’arrivée sur le marché du produit ST-GERMAIN dont le demandeur à la saisine a eu connaissance au cours de l’année 2010, ne peut être considérée comme un juste motif de défaut d’exploitation de sa marque SAINT GERMAIN.
La marque antérieure SAINT GERMAIN n’a en conséquence jamais été exploitée et les préparatifs en vue de son exploitation qui ont eu lieu en 2006, sont antérieurs à l’exploitation du signe ST-GERMAIN par les défenderesses à la saisine pour désigner une liqueur de sureau et il n’est pas montré que la cessation de ces préparatifs a été causée par les faits de contrefaçon.
Si M. X demande, à titre d’indemnisation, l’allocation d’une somme forfaitaire prévue à l’avant dernier alinéa des dispositions de l’article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle précitées, il ne peut néanmoins prétendre en raison de l’absence d’exploitation de sa marque, à une indemnisation correspondant au montant des redevances de licence ou de droits dus équivalente à celle d’un titulaire de marque exploitée, en raison de la faible valeur économique de sa marque et du peu d’investissements consentis notamment publicitaires pour faire connaître cette marque sur le marché.
M. X ne peut donc être suivi lorsqu’il considère que le préjudice qu’il a réellement subi correspond à une redevance de 5% calculée sur la base du chiffre d’affaires hors taxes réalisé par la société C du fait de la commercialisation de la liqueur ST-GERMAIN qu’il évalue à plus de 18 millions d’euros, étant relevé que la grande majorité des produits sont destinés à l’exportation, ou de ses fournisseurs, les sociétés St Dalfour et Y, évalué à plus de 5 millions d’euros en chiffres d’affaires cumulés.
Au vu de ce qui précède et des éléments dont dispose la cour, la marque contrefaite de M. X n’ayant jamais été exploitée et la redevance d’exploitation basée sur le chiffre d’affaires des contrefacteurs n’apparaissant pas pertinente pour réparer le préjudice réellement subi par le demandeur à la saisine, l’allocation d’une redevance forfaitaire annuelle est plus adaptée pour réparer le préjudice qu’il a réellement subi. Cette redevance sera fixée à la somme forfaitaire de 10.000 euros par an et il sera alloué à M. X la somme totale de 20.000 euros, la période de contrefaçon étant fixée par M. X du 8 juin 2009 et le 13 mai 2011, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de l’inflation entre 2010 et 2021, la demande à ce titre d’augmentation de 13% de la somme allouée n’étant nullement justifiée par la longueur de la procédure.
Le jugement doit en conséquence être infirmé en ce qu’il a rejeté les demandes de M. X au titre de la contrefaçon de sa marque.
Sur les autres demandes
Le sens de l’arrêt conduit à infirmer les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles.
M. X demande que les défenderesses à la saisine soient condamnées à lui rembourser l’intégralité des montants qu’il leur a réglés au titre des frais irrépétibles.
Cependant le présent arrêt, infirmatif sur ce point, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de M. X.
Partie perdante, les sociétés C, St Dalfour et Y sont condamnées aux dépens de première instance et d’appel et à payer à M. X en application de l’article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme globale de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel, les défenderesses à la saisine étant déboutées de leurs demandes à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, dans les limites de sa saisine,
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
Condamne solidairement les sociétés C Spirits International, St Dalfour et Etablissements D E à payer à M. Z X la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts en réparation des actes de contrefaçon de la marque SAINT GEMAIN n°3 395 502 commis entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011,
Condamne solidairement les sociétés C Spirits International, St Dalfour et Etablissements D E à payer à M. Z X la somme globale de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel,
Déboute les sociétés C Spirits International, St Dalfour et Etablissements D E de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne les sociétés C Spirits International, St Dalfour et Etablissements D E aux dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La greffière La présidente