Propriété intellectuelle : Atteinte au secret des affaires en matière de saisie-contrefaçon

Notez ce point juridique

L’article L. 151-1 du code de commerce, issu de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, dispose : ‘Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;

2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret’.

L’article L. 151-8 du code de commerce, issu de la même loi dispose en outre : ‘A l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue : (…) 3° pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national’.

En l’espèce, les éléments recueillis sous la rubrique ‘informations techniques’ exclusivement relatives au produit litigieux ‘ECOPOL A’ sont nécessaires à la preuve de la contrefaçon des droits de propriété industrielle sur le brevet européen EP 070, dont la société Angus est titulaire, cette dernière ayant en outre fourni un commencement de preuve de ladite contrefaçon au moyen des éléments qui lui sont raisonnablement accessibles, de sorte que le secret des affaires n’est pas opposable.

Les éléments recueillis sous la rubrique ‘informations comptables’, dont les lignes portant sur d’autres produits qu’Ecopol A ont été caviardées, et notamment les pièces intitulées’Vente Ecopol A’ relative à un tableau des ventes du produit Ecopol A indiquant le nom des clients, les quantités vendues, et la facturation, et ‘Article stock Ecopol A’correspondant à l’état des stocks, sont nécessaires à la solution du litige, à l’exception des ‘109 pièces adresse’ et des noms des clients figurant sur la pièce ‘Vente Ecopol A’ qui ont été expurgés, aucune atteinte au secret des affaires n’étant dès lors opposable de ce chef.

Les demandes de la société Bio Ex de maintien sous séquestre et de désignation d’une personne physique pouvant seule avoir accès aux pièces ont donc été rejetées.

__________________________________________________________________________________

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : 20/16706 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCVOP

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 29 Octobre 2020 -Président du TJ de PARIS – RG n° 20/07070

APPELANTE

S.A.S. BIO EX

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés du HAVRE sous le numéro 418 324 331

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[…]

[…]

[…]

Représentée par Me Arnaud GUYONNET de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

Assistée de Me Laurine JANIN REYNAUD de la SELARL DUCLOS THORNE MOLLET-VIEVILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0075

INTIMEE

Société ANGUS HOLDINGS SAFETY GROUP LIMITED

Société de droit anglais

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[…]

ROYAUME-UNI

Représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistée de Me Benjamin MAY de la SELARL ARAMIS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0186

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 juin 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et Françoise BARUTEL, conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente

Mme Françoise BARUTEL, conseillère

Mme Déborah BOHÉE, conseillère.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

• Contradictoire

• par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

• signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Vu l’ordonnance de référé rétractation rendue le 29 octobre 2020 par le président du tribunal judiciaire de Paris,

Vu l’appel interjeté le 19 Novembre 2020 par la société Bio Ex,

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 19 avril 2021 par la société Bio Ex, appelante,

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 12 mai 2021 par la société de droit anglais Angus Holdings Safety Group Limited (Angus), intimée,

Vu l’ordonnance de clôture du 18 mai 2021,

SUR CE, LA COUR :

La société de droit anglais Angus est la holding d’un groupe spécialisé dans le domaine de la lutte contre l’incendie au moyen notamment des produits ‘Jetfoam’ et ‘Jetfoam Icao-c’, qui sont des émulseurs anti-incendie sans fluor.

Elle est titulaire d’un brevet européen EP 3 218 070 (EP 070) intitulé ‘Compositions moussantes pour la lutte contre l’incendie’, issu de la demande internationale WO 2016/075480 déposée le 13 novembre 2015, et revendiquant la priorité de la demande de brevet anglais GB 20140020251 déposée le 14 novembre 2014. La mention de la délivrance du brevet EP 070 a été publiée le 10 juillet 2019.

Les produits Jetfoam sont distribués en France par la filiale française du groupe Angus, la société

Eau et Feu, sous la référence Airfoam.

La société de droit français Bio Ex est la filiale française du groupe international Leader, spécialisé dans la conception de produits de lutte contre l’incendie.

Courant 2019, la société Angus a été informée par sa filiale française, de la perte d’appels d’offres, en juillet 2019 (Aéroport de Marseille Provence) et en septembre 2019 (UGAP), l’un et l’autre remportés par la société Bio Ex dont l’offre Ecopol A avait été jugée plus avantageuse.

En septembre 2019, la société Angus a procédé à l’achat d’un exemplaire du produit Ecopol A, auprès d’une société néerlandaise Hobrand Algebra, qu’elle a fait analyser par le laboratoire Adinov.

Soupçonnant que le produit Ecopol A reproduisait les revendications de son brevet EP 070, la société Angus a, par une requête du 8 juillet 2020, saisi le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris afin d’être autorisée à faire pratiquer une saisie-contrefaçon dans l’établissement secondaire de Sainte-Consorce de la société Bio Ex.

Il a été fait droit à cette requête par une ordonnance du 10 juillet 2020 et les opérations se sont

déroulées à Sainte-Consorce le 21 juillet 2020.

A la demande de la société Bio Ex, aucun des éléments saisis et/ou annexés au procès-verbal de saisie contrefaçon du 27 juillet 2020 n’a été remis par l’huissier à la société requérante.

Par acte du 14 août 2020, la société Bio Ex a fait assigner en référé la société Angus devant le juge ayant autorisé la saisie-contrefaçon aux fins d’obtenir la rétractation de l’ordonnance du 10 juillet 2020 et subsidiairement sa modification.

Par acte d’huissier du 19 août 2020, la société Angus a fait assigner la société Bio Ex devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon des revendications 1 à 25 de la partie française de son brevet EP 070.

Par ordonnance de rétractation rendue le 29 octobre 2020, le juge des référés a :

Dit n’y avoir lieu à rétractation, ni à modification, de l’ordonnance du 10 juillet 2020 ;

Ordonné la remise à la société Angus des ‘Informations techniques’ (pièce ‘lots Ecopol A’ et pièces n°2 à 9 annexées au procès-verbal de Me Fradin-Tête), ainsi que les ‘Informations comptables’, à l’exclusion des ‘109 pièces adresse’, et des noms des clients figurant sur la ‘pièce vente Ecopol A’, qui en seront expurgés ;

Dit toutefois que conformément aux dispositions de l’article R.153-8 du code de commerce, les éléments actuellement tenus sous séquestre y seront maintenus jusqu’à l’expiration du délai d’appel ou jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel à intervenir si un appel est interjeté ;

Condamné la société Bio Ex aux dépens ;

Condamné la société Bio Ex à payer à la société Angus la somme de 8.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 11 février 2021, la société Angus a déposé une requête en limitation devant l’INPI pour la partie française du brevet EP 070, limitation qui a été acceptée par l’INPI le 25 février 2021.

Sur la demande de rétractation de l’ordonnance de saisie-contrefaçon du 10 juillet 2020

La société Bio Ex soutient que l’ordonnance doit être rétractée du fait de la présentation déloyale des faits. Elle prétend que la société Angus a travesti la présentation du produit incriminé afin de créer un indice de contrefaçon, que le jour où elle a présenté sa requête elle avait parfaitement conscience que le brevet européen EP 070 invoqué comportait une revendication couvrant en réalité une composition du domaine public insusceptible de fonder une saisie-contrefaçon. Elle ajoute que la jurisprudence exige que le requérant fasse la démonstration d’une atteinte probable portée à son brevet, qu’il revient au juge de la rétractation d’apprécier la pertinence des soupçons de contrefaçon en procédant, au besoin, à une revue approfondie des documents présentés au soutien de la requête et de la loyauté de cette présentation.

Elle fait valoir que la caractéristique c) de la revendication 1 impose que le rapport en poids du premier tensioactif au second tensioactif soit compris dans la plage de 2,5:1(2,5) à 1:1,2 (0,83), et que le rapport de la société Adinov du 19 juin 2020, intitulé ‘Semi-quantification de 6 tensioactifs dans un échantillon par perfusion à débit ESI-MS’, produit par la société Angus, n’a recherché la présence que de 6 types de tensio-actifs alors que la revendication 1 liste un nombre bien plus important susceptible d’entrer dans la composition du premier tensio-actif (caractéristique a) et du second tensio-actif (caractéristique b), et que cette sélection effectuée par la société Angus est de nature à fausser le ratio calculé pour établir le rapport en poids du premier tensio-actif au second tensio-actif.

Elle ajoute que la prétendue reproduction de la caractéristique e) a également été présentée de façon déloyale puisque ladite caractéristique porte sur une composition moussante anti-incendie ne contenant pas de polysaccharides, et que les résultats d’analyses chimiques réalisées par le laboratoire Adinov ne sont pas concluants quant à la présence ou l’absence de polysaccharides au sein du produit Ecopol A, de sorte qu’il importe peu que la société Angus ait employé des formules prudentes et usé du conditionnel dans sa requête.

En réponse, la société Angus oppose qu’elle a présenté son brevet EP 070 tel que délivré par l’Office européen des brevets, et qu’aucune déloyauté ne saurait lui être reprochée de n’avoir pas mentionné, au jour de sa requête, la limitation de son brevet EP 070 qui a été effectuée plus de six mois après, alors qu’il n’appartient ni au requérant, ni au juge des requêtes de tenir compte d’un brevet américain n’ayant aucun effet en France.

Elle soutient que, sous couvert d’un motif de déloyauté, la société Bio Ex se livre à une contestation sur le fond de la contrefaçon du brevet EP 070, ce qui n’a pas lieu d’être dans le cadre d’une instance en rétractation, le juge de la rétractation devant seulement vérifier si la requête remplissait les conditions d’octroi d’une saisie contrefaçon,ce qui est le cas en l’espèce.

Elle rappelle qu’elle a apporté au soutien de sa requête des indices de la contrefaçon qui suffisent en eux-mêmes à justifier l’autorisation de pratiquer une saisie, et fait valoir que la société Bio Ex tente de démontrer sur le fond l’absence de contrefaçon pour en tirer un argument de rétractation.

La cour rappelle que le juge saisi d’une demande de rétractation d’une ordonnance sur requête est investi des attributions du juge qui l’a rendue et doit, après débat contradictoire, statuer sur les mérites de la requête.

En outre, le requérant, dans une procédure sur requête, a un devoir de loyauté encore plus impératif que dans une procédure contradictoire et doit présenter au juge tous les éléments susceptibles d’avoir une incidence sur l’appréciation portée par le juge sur les mesures sollicitées.

Selon l’article R. 615-2 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, l’ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon en matière de brevet est rendue sur simple requête et sur la représentation du brevet. Au soutien de sa requête, le demandeur doit donc identifier le brevet qu’il invoque, établir que ce brevet est en vigueur en justifiant du paiement des annuités et justifier de sa qualité de propriétaire.

En l’espèce, il est constant que la société Angus a satisfait à ces exigences relativement au brevet EP 070 devant le juge des requêtes.

La société Bio Ex reproche à la société Angus de n’avoir pas mentionné au juge des requêtes la limitation d’un brevet américain parent du brevet litigieux, cette limitation correspondant selon elle à celle qui a été ensuite opérée devant l’INPI pour le brevet EP 070.

La cour rappelle que le juge saisi d’une requête aux fins de saisie-contrefaçon dans une affaire de brevet n’est pas juge de la validité du brevet, ce qui relève de la compétence du juge du fond.

Il ne peut être reproché à la société Angus, qui a présenté son brevet tel que délivré par l’office européen des brevets, soit un titre présumé valable et tel qu’en vigueur au jour de la requête, de n’avoir pas mentionné la limitation d’un brevet américain appartenant à la famille du brevet litigieux, les conditions de la délivrance, selon des règles et des pratiques différentes, dudit brevet américain n’ayant aucun effet en France, n’étant pas de nature à modifier la décision du juge des requêtes français. Il ne peut davantage lui être fait grief de n’avoir pas fait part de la limitation du brevet, acceptée par l’INPI le 25 février 2021 à l’issue d’une requête déposée plus de 7 mois après le prononcé de l’ordonnance litigieuse.

Au soutien de sa requête en saisie-contrefaçon, la société Angus a en outre fourni au juge des éléments de nature à constituer un commencement de preuve de la contrefaçon alléguée.

La société Bio Ex prétend que la présentation des éléments relatifs à la prétendue reproduction des caractéristiques c) et e) a été faite de façon déloyale.

S’agissant de la présentation relative à la reproduction de la caractéristique c) dont il convient de mentionner qu’elle divulgue que le rapport en poids du premier tensioactif choisi dans une famille de tensio-actifs au second tensioactif choisi dans une autre famille est dans la plage de 2,5:1 à 1:1,2, la société Bio Ex soutient que tous les tensio-actifs décrits dans la 1re et dans la seconde famille de tensioactifs de la revendication 1 n’ont pas été recherchés au sein de la solution Ecopol A, et que cette sélection déloyale aurait des conséquences sur le calcul des ratios de poids entre le premier et le second tensio-actif.

La cour rappelle cependant que le requérant à une saisie-contrefaçon sur le fondement de l’article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle ne doit pas démontrer la contrefaçon, puisque c’est précisément l’objectif poursuivi par la saisie-contrefaçon objet de la requête, mais seulement fournir des éléments raisonnablement accessibles constituant un commencement de preuve de la contrefaçon du brevet revendiqué.

En l’espèce, la société Angus a justifié au soutien de sa requête, de la page dédiée au produit Ecopol A sur le site internet de la société Bio Ex, de deux fiches techniques, d’une fiche sécurité et d’une plaquette commerciale du produit incriminé, ainsi que d’une attestation d’un ingénieur chimiste salarié de la société Angus, M. Z X Y, indiquant que l’analyse de la fiche de données de sécurité du produit Ecopol A lui a donné des indices de la présence des 6 tensio-actifs visés dans la revendication 1. Ces éléments constituent un commencement de preuve de la contrefaçon incriminée, seul exigé au stade de la requête de saisie-contrefaçon, les développements de la société Bio-Ex relatifs à la critique de la méthode suivie par M. X Y pour identifier les composés présents dans le produit Ecopol A relevant de moyens de défense à une action en contrefaçon sans caractériser un défaut manifeste de transparence ou une quelconque omission déloyale, sans lesquels le juge des requêtes n’aurait pas autorisé la saisie-contrefaçon, objet de la présente instance.

S’agissant des éléments produits à titre de commencement de preuve de la reproduction de la

caractéristique e) du brevet incriminé laquelle divulgue l’absence de polysaccharides, il est constant que les rapports Adimov produits par la société Angus concluent, pour le premier, ‘les polysaccharides n’ont pas été détectés dans le spectre IR de la partie non volatile polaire de l’Ecopol A’, et pour le second, ‘À ce stade de l’étude, nous n’avons trouvé aucune preuve de présence de polysaccharide dans l’Ecopol A.’. Si ces deux rapports nuancent ces affirmations en indiquant respectivement ‘Néanmoins, le signal IR des polysaccharides pourrait être superposé par les bandes IR de triéthanolamine [TEA]’ et ‘S’ils sont présents en plus petites quantités dans le résidu, les signaux IR des polysaccharides pourraient être superposés par les signaux de sel de TEA’, ces éléments de nature à laisser subsister un doute quant à la présence de polysaccharides dans l’échantillon du produit Ecopol A, ont été communiqués au juge des requêtes, de sorte qu’aucune présentation déloyale des faits n’est caractérisée de ce chef.

La société Bio Ex prétend enfin que la formulation de l’ordonnance querellée ne précise pas expressément que l’huissier de justice était autorisé à procéder à une recherche informatique en lien avec un produit spécifique, c’est à dire le produit Ecopol A, ou par mots clé, lui conférant ainsi un pouvoir général d’investigation lui ayant permis d’appréhender des éléments sans lien avec l’objet de la saisie-contrefaçon, de sorte que l’ordonnance doit être rétractée de ce chef.

La cour rappelle qu’aux termes de l’article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle, le président peut autoriser l’huissier de justice ‘à procéder à toute constatation utile en vue d’établir l’origine, la consistance et l’étendue de la contrefaçon’.

Or, tel est bien le cas en l’espèce, ainsi que l’a relevé à juste titre le juge de la rétractation, l’huissier de justice n’ayant été autorisé à faire rechercher que des documents relatifs au produit Ecopol A incriminé ainsi que le précisent les points 1, 3, 4, 5, 6, 7 et 9 de l’ordonnance querellée, ces limitations expresses étant exclusives de tout pouvoir général d’investigation allégué à tort par la société appelante.

Il résulte de ces développements que la société Bio Ex sera déboutée de ses demandes tendant à la rétractation de l’ordonnance de saisie-contrefaçon et à la restitution immédiate des documents et produits saisis. L’ordonnance déférée doit dès lors être confirmée de ces chefs.

Sur les demandes subsidiaires de modification de l’ordonnance du 10 juillet 2020

La société Bio Ex reproche au premier juge de n’avoir pas statué sur l’atteinte portée au secret des affaires par les ‘informations techniques’ et les ‘informations comptables’ collectées lors de la saisie-contrefaçon, et ce alors que ces informations techniques, financières et commerciales méritent la mise en place de mesures de protection particulières, les fiches nomenclatures ‘article F05.05.0500 et article F05.06.0000″ contenant notamment la formule chimique du produit Ecopol A couverte par le secret des affaires. Elle sollicite à titre subsidiaire la désignation d’un cercle restreint de personnes physiques pouvant accéder à ces secrets, et à titre infiniment subsidiaire d’ordonner la consignation par la société Angus d’une somme de 500 000 euros jusqu’à la décision définitive du juge du fond statuant sur la contrefaçon, afin de pouvoir être justement indemnisée de la violation de ses secrets des affaires si l’action en contrefaçon échouait ou si le brevet était déclaré nul.

La société Angus oppose que la protection au titre du secret des affaires ne saurait l’empêcher, en vertu d’une ordonnance de saisie-contrefaçon, d’avoir accès aux informations recueillies par l’huissier, qui portent sur les produits argués de contrefaçon et qui sont nécessaires pour confirmer la preuve de la contrefaçon. Elle critique la demande subsidiaire de l’appelante de mise en place d’un cercle de confidentialité, estimant que les modalités d’accès aux pièces maintenues sous séquestre demeurent trop restrictives pour lui permettre d’apprécier pleinement la reproduction du brevet EP 070 par le produit Ecopol A et de faire utilement valoir ses droits. Elle conteste la recevabilité, comme nouvelle en appel, de la demande de consignation, et prétend, en tout état de cause, que la demande de consignation est infondée en l’absence d’éléments de nature à mettre en doute sa

solvabilité, et que son montant est élevé et disproportionné.

La cour rappelle que l’article L. 151-1 du code de commerce, issu de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, dispose : ‘Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;

2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret’.

L’article L. 151-8 du code de commerce, issu de la même loi dispose en outre : ‘A l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue : (…) 3° pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national’.

En l’espèce, ainsi que l’a pertinemment relevé le premier juge, les éléments recueillis sous la rubrique ‘informations techniques’ exclusivement relatives au produit litigieux ‘ECOPOL A’ sont nécessaires à la preuve de la contrefaçon des droits de propriété industrielle sur le brevet européen EP 070, dont la société Angus est titulaire, cette dernière ayant en outre fourni un commencement de preuve de ladite contrefaçon au moyen des éléments qui lui sont raisonnablement accessibles, de sorte que le secret des affaires n’est pas opposable.

Le premier juge a également à juste titre retenu que les éléments recueillis sous la rubrique ‘informations comptables’, dont les lignes portant sur d’autres produits qu’Ecopol A ont été caviardées, et notamment les pièces intitulées’Vente Ecopol A’ relative à un tableau des ventes du produit Ecopol A indiquant le nom des clients, les quantités vendues, et la facturation, et ‘Article stock Ecopol A’correspondant à l’état des stocks, sont nécessaires à la solution du litige, à l’exception des ‘109 pièces adresse’ et des noms des clients figurant sur la pièce ‘Vente Ecopol A’ qui ont été expurgés, aucune atteinte au secret des affaires n’étant dès lors opposable de ce chef.

Les demandes de la société Bio Ex de maintien sous séquestre et de désignation d’une personne physique pouvant seule avoir accès aux pièces seront donc rejetées, et l’ordonnance querellée confirmée sur ce point.

La société Bio Ex forme une demande infiniment subsidiaire de consignation par la société Angus d’une somme de 500 000 euros à la Caisse des dépôts et consignations.

L’article L. 615-5 du code de la propriété intellectuelle, relatif à la saisie contrefaçon, prévoit en son alinéa 5 que la juridiction ‘peut subordonner l’exécution des mesures qu’elle ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du défendeur si l’action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou la saisie annulée.’

La demande de consignation est une mesure conservatoire présentée en défense à la saisie contrefaçon dirigée à l’encontre de la société Bio Ex. Elle ne constitue en conséquence pas une prétention nouvelle au sens de l’article 564 du code de procédure civile, de sorte que cette demande est bien recevable.

Il est constant que la société Bio Ex a formé par conclusions du 4 décembre 2020 des demandes de nullité à l’encontre du brevet EP 070, postérieurement auxquelles la société Angus a sollicité auprès de l’INPI la limitation de son brevet par requête du 11 février 2021, acceptée le 25 février 2021. Il n’est pas davantage contesté que la société Bio Ex a saisi le 11 février 2021 le Centre de médiation et d’arbitrage de Paris en vue d’un règlement amiable du litige et de la préservation de ses secrets d’affaires, et que la société Angus n’a pas donné suite à cette proposition.

Il est enfin avéré, et non contesté, que la saisie contrefaçon entraîne la divulgation à la société Angus de la formule chimique, à savoir les composants et leurs quantités respectives, du produit ECOPOL A, susceptible de constituer la violation d’un secret d’affaires pour le cas où le brevet invoqué EP 070 de la société Angus serait annulé, ou que la société Angus serait déboutée de son action en contrefaçon dudit brevet.

Il suit de ces développements, et sans que soit requise la preuve d’éléments mettant en doute la solvabilité de la société Angus, condition qui n’est pas exigée par l’article L. 615-5 sus-visé, qu’il y a lieu de faire droit à la demande de consignation, et d’ordonner à la société Angus de consigner à la Caisse des dépôts et consignation la somme de 50 000 euros, le montant de 500 000 euros demandé étant insuffisamment justifié.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme l’ordonnance sur requête rendue le 29 octobre 2020 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

Ordonne la consignation par la société Angus Holdings Safety Group Limited de la somme de 50 000 euros à la Caisse des dépôts et consignations dans un délai d’un mois à compter de la signification du présent arrêt ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d’appel, et qu’il n’y a pas lieu à faire droit aux demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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