Une réquisition judiciaire (demande de communication de données informatiques présumées contrefaisantes) est parfaitement compatible avec le droit de ne pas s’incriminer soi-même dont bénéficie la personne poursuivie.
L’article 77-1-1 du code de procédure pénale
L’article 77-1-1 du code de procédure pénale dispose que « le procureur de la République ou, sur autorisation de celui-ci, l’officier de police judiciaire, peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l’enquête, y compris celles issues d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, de lui remettre ces informations, notamment sous forme numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-5, la remise des informations ne peut intervenir qu’avec leur accord. En cas d’absence de réponse de la personne aux réquisitions, les dispositions du second alinéa de l’article 60-1 sont applicables. Le dernier alinéa de l ‘article 60-1 est également applicable. »
L’article 77-1-1 du code de procédure pénale vise «toute personne» susceptible de détenir des informations intéressant l’enquête, y compris celles issues d’un système informatique, sans exclure les personnes mises en cause dans le cadre de l’enquête. Considérer qu’une personne visée par une procédure d’enquête ne pourrait pas se voir délivrer une réquisition aux fins de remise des éléments de preuve qu’elle détient ajouterait au texte, lequel est dépourvu d’ambiguïté.
Droit de garder le silence et du droit de ne pas s’incriminer soi-même
L’article 14, § 3, (g) du Pacte des droits civils et politiques dispose que « toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes : [ ..} – g- à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable ».
S’agissant du droit de garder le silence et du droit de ne pas s’incriminer soi-même, la jurisprudence de Cour européenne des droits de l’homme, la jurisprudence française, et l’article 7 de la directive du parlement européen et du conseil n° 2016/343 du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales, définissent un régime précis. L’article 7 de la directive qui est consacré au« droit de garder le silence et droit de ne pas s’incriminer soi-même» prévoit que :
« 1. Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit de garder le silence en ce qui concerne l’infraction pénale qu’ils sont soupçonnés d’avoir commise ou au titre de laquelle ils sont poursuivis.
2. Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit de ne pas s’incriminer eux-mêmes.
3. L’exercice du droit de ne pas s’incriminer soi-même n’empêche pas les autorités compétentes de recueillir les preuves qui peuvent être obtenues légalement au moyen de pouvoirs de contrainte licites et qui existent indépendamment de la volonté des suspects ou des personnes poursuivies.
4. Les États membres peuvent autoriser leurs autorités judiciaires à tenir compte, lorsqu’elles rendent leur jugement, de l’attitude coopérative des suspects et des personnes poursuivies.
5. L’exercice par les suspects et les personnes poursuivies du droit de garder le silence et du droit de ne pas s‘incriminer soi-même ne saurait être retenu contre eux ni considéré comme une preuve qu’ils ont commis l’infraction pénale concernée.
6. Le présent article n’empêche pas les États membres de décider que, pour des infractions mineures, la procédure ou certaines parties de celle-ci peuvent être menées par écrit ou sans que le suspect ou la personne poursuivie ne soit interrogé par les autorités compétentes à propos de 1’infraction concernée, pour autant que le droit à un procès équitable soit respecté. »
Ce texte consacre le droit pour un prévenu de se taire et de ne pas s’incriminer lui même, la directive énonçant dans ses considérants que « le droit de garder le silence constitue un aspect important de la présomption d’innocence et devrait servir de rempart contre 1’auto-incrimination » et que « les suspects et les personnes poursuivies ne devraient pas être forcées, lorsqu’il leur est demandé de faire des déclarations ou de répondre à des questions, de produire des preuves ou des documents ou de fournir des informations pouvant conduire à leur propre incrimination ».
Droit de réquisition
Cependant, ce texte réserve expressément la possibilité au cours des procédures d’enquête et des procédures judiciaires de recueillir les preuves qui peuvent être obtenues légalement au moyen de pouvoirs de contrainte licites et qui existent indépendamment de la volonté des suspects ou des personnes poursuivies. Autrement dit, le droit de ne pas s’incriminer soi-même ne s’étend pas aux données qui peuvent être obtenues de la personne suspecte ou poursuivie en recourant à des pouvoirs coercitifs mais qui existent indépendamment de la volonté de l’intéressé.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, SAUNDERS c/ Royaume Uni, 17 décembre 1996, requête n° 19187/91 et O’HALLORAN et FRANCIS cl Royaume Uni, 29 juin 2007, requêtes n°15809/02 et 25624/02) a rappelé que les informations qui existent indépendamment de la volonté du prévenu sont exclues du champ d’application du droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination :
« (…) le droit de ne pas s’incriminer soi-même concerne en premier lieu le respect de la détermination d’un accusé de garder le silence. Tel qu’il s’entend communément dans les systèmes juridiques des Parties contractantes à la Convention et ailleurs, il ne s’étend pas à l’usage, dans une procédure pénale, de données que l’on peut obtenir de l’accusé en recourant à des pouvoirs coercitifs mais qui existent indépendamment de la volonté du suspect, par exemple les documents recueillis en vertu d’un mandat, les prélèvements d’haleine, de sang et d’urine ainsi que de tissus corporels en vue d’une analyse de l’ADN.»
Le Conseil constitutionnel s’est également prononcé à plusieurs reprises et notamment dans la décision n° 2018-696 QPC du 30 mars 2018 sur l’article 434-15-2 du code pénal réprimant le refus de remettre aux autorités judiciaires ou de mettre en œuvre la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie, dans laquelle il est relevé que :
« Les dispositions critiquées n’imposent à la personne suspectée d’avoir commis une infraction, en utilisant un moyen de cryptologie, de délivrer ou de mettre en œuvre la convention secrète de déchiffrement que s’il est établi qu’elle en a connaissance. Elles n’ont pas pour objet d’obtenir des avetcc de sa part et n’emportent ni reconnaissance ni présomption de culpabilité mais permettent seulement le déchiffrement des données cryptées. En outre, l’enquête ou l’instruction doivent avoir permis d’identifier l’existence des données traitées par le moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit. Enfin, ces données, déjà fixées sur un support, existent indépendamment de la volonté de la personne suspectée. »
Le Conseil constitutionnel en conclut de qu’il « résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne portent pas atteinte au droit de ne pas s’accuser ni au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances ».
Par arrêt rendu le 10 décembre 2019 (pourvoi n° 18-86 878), la chambre criminelle de la Cour de cassation a décidé que ce même article 434-15-2 du code pénal ne porte pas atteinte au droit de se taire et de ne pas s’incriminer soi-même « dès lors que le droit de ne pas s’incriminer soi-même ne s’étend pas aux données que l’on peut obtenir de la personne concernée en recourant à des pouvoirs coercitifs mais qui existent indépendamment de la volonté de l’intéressé ».