Protection des bijoux origami

Notez ce point juridique

Le concept des bijoux origami ne peut être protégé. Dans l’affaire opposant la société H&M à un concurrent sur la protection d’un cygne bijou origami, l’enseigne a obtenu gain de cause. De surcroît, le modèle litigieux ne constitue pas la copie servile de son bijou ‘cygne’ mais présente par rapport à ce modèle des différences, non seulement de dimensions mais aussi de forme, qui ne sont pas seulement de détail. La concurrence déloyale ou parasitaire n’a pas non plus été retenue.

La concurrence déloyale et le parasitisme, pareillement fondés sur l’article 1240 du code civil, sont caractérisés par l’application de critères distincts, la concurrence déloyale l’étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance qu’à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

Ces deux notions sont appréciées à l’aune du principe de la liberté du commerce qui implique qu’un produit, qui ne fait pas ou ne fait plus l’objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l’absence de faute, notamment par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, ou par l’existence d’une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l’exercice paisible et loyal du commerce.

L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité, la notoriété du produit copié.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRÊT DU 15 OCTOBRE 2019

Numéro d’inscription au répertoire général : 1816702 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B57DZ

sur renvoi après cassation, par arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation rendu le 07 mars 2018 (pourvoi n°Z 16-18.279), d’un arrêt du pôle 5 chambre 2 de la Cour d’appel de PARIS rendu le 11 mars 2016 (RG n°1403163) rendu sur appel d’un jugement du tribunal de commerce – Affaires contentieuses du 17 janvier 2014 (RG n°2013001567)

DEMANDERESSES À LA SAISINE

SARL H & M HENNES & MAURITZ,

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 398 979 310,

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

Représentée et assistée de Me Rebecca DELOREY de la SELAS BARDEHLE PAGENBERG, avocat au barreau de PARIS, toque : P0390

SAS CREACTIVITY

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 507 633 758

R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Me Pierre MASSOT de L’AARPI ARENAIRE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : G0252

DÉFENDERESSES À LA SAISINE

Société MANDATAIRES JUDICIAIRES ASSOCIES ‘MJA’

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 440 672 509

Ayant son siège social […]

[…]

Prise en la personne Maître Lucile JOUVE, ès-qualités de mandataire judiciaire de la société CREACTIVITY, désignée en cette qualité en vertu d’un jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 26 juillet 2018

R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Me Pierre MASSOT de l’AARPI ARENAIRE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : G0252

SARL H & M HENNES & MAURITZ,

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 398 979 310,

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

Représentée et assistée de Me Rebecca DELOREY de la SELAS BARDEHLE PAGENBERG, avocat au barreau de PARIS, toque : P0390

SAS CREACTIVITY

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 507 633 758

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Me Pierre MASSOT de l’AARPI ARENAIRE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : G0252

SARL D E S.R.L.

Société de droit italien

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

Via Bigi SNC CAP

[…]

Représentée et assistée de Me Laëtitia GAMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0172

PARTIE INTERVENANTE

Société MANDATAIRES JUDICIAIRES ASSOCIES ‘MJA’

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 440 672 509

Ayant son siège social […]

[…]

Prise en la personne Maître Lucile JOUVE, ès-qualités de mandataire judiciaire de la société CREACTIVITY, désignée en cette qualité en vertu d’un jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 26 juillet 2018

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 04 Septembre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur David PEYRON, Président de chambre

Mme Isabelle DOUILLET, Conseillère

  1. François THOMAS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Saoussen HAKIRI

ARRÊT :

  • Contradictoire

  • par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

  • signé par David PEYRON, Président de chambre et par Karine ABELKALON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La société CREACTIVITY, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris le 27 août 2008, et qui a pour activité la commercialisation par internet et la création de bijoux, indique avoir créé en 2009 un modèle ‘cygne’ inspiré de l’art japonais des origamis, qu’elle commercialise sous la marque ‘ORIGAMI JEWELLERY’ déposée le 13 juin 2008 en classe 14.

Elle expose que le bijou ‘cygne’ est inédit et particulièrement distinctif dans le domaine de la bijouterie en raison notamment de la combinaison des caractéristiques suivantes :

‘ ses ailes triangulaires déployées et pointant vers le haut,

‘ son cou très court, ramassé et incliné vers l’avant, contrairement à la représentation habituelle du cygne en origami, qui se caractérise notamment par leur long cou fin et droit,

‘ sa tête effilée, légèrement baissée et dont l’inclinaison est quasi parallèle à son corps,

‘ la pointe de son bec qui rappelle les pointes de ses ailes et contraste avec la rondeur de sa tête,

‘ les proportions de son corps très massif plein de rondeur qui contraste avec les lignes géométriques des pliages avec les petites ailes et le cou très court et ramassé,

‘ les matériaux utilisés (le métal) qui magnifient les choix esthétiques susvisés et qui contrastent avec la douceur des arrondis et la fragilité de l’art de l’origami.

Le 6 août 2012, la société CREACTIVITY a fait établir un procès-verbal d’huissier de justice constatant que la société HENNES & MAURITZ, ci-après la société H&M, vendait un bijou constituant, selon elle, une copie servile du sien, et commercialisé de surcroît à un prix sensiblement plus bas.

Le 12 décembre 2012, elle a obtenu une ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Paris faisant interdiction à la société H&M de poursuivre la commercialisation du bijou litigieux. Cette ordonnance a été confirmée par un arrêt de cette cour du 30 avril 2014.

C’est dans ce contexte que, par acte d’huissier en date du 8 janvier 2013, la société CREACTIVITY a fait assigner la société H&M en concurrence déloyale et parasitaire devant le tribunal de commerce de Paris.

Le fournisseur de la société H&M, la société italienne D E, est intervenu volontairement à l’instance.

Par jugement du 17 janvier 2014, le tribunal de commerce de Paris a :

  • dit que la société D E est recevable en son intervention volontaire,

  • débouté la société D E de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la société CREACTIVITY,

  • condamné la société H&M à payer à la société CREACTIVITY la somme de 4 000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice commercial et la somme de 8 000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice de perte d’image,

  • ordonné la publication du jugement dans un maximum de deux revues distribuées en France au choix de la demanderesse et aux frais de la défenderesse, dans la limite d’un plafond hors taxe global de 4 000 euros pour l’ensemb1e des deux publications,

  • interdit à la société H&M de reproduire, importer, de faire fabriquer, de commercialiser, d’offrir en vente et de vendre, sous quelque dénomination que ce soit et à quelque titre que ce soit, et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée a compter du 10e jour suivant la signification du jugement, tout article comportant les caractéristiques identifiant le modèle ‘cygne’ de la société CREACTIVITY et ce, pendant un délai de 90 jours à l’issue duquel il sera fait à nouveau droit,

  • ordonné la destruction de la totalité du stock d’invendu sous le contrôle d’un huissier de justice désigné à cet effet, au frais de la société H&M et sous astreinte 500 euros par jour de retard à compter du 10e jour suivant la signification du jugement ayant autorité de la chose jugée, et ce pendant un délai de 90 jours à l’issue duquel il sera fait à nouveau droit,

  • condamné in solidum la société H&M et la société D E à payer à la société

  • CREACTIVITY la somme de 10 000 euros au titre de1’article 700 du code de procédure civile, débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

  • ordonné l’exécution provisoire sauf en ce qui concerne les mesures d’interdiction et de destruction,

  • condamné in solidum la société H&M et la société D E aux dépens.

Statuant sur l’appel interjeté par la société H&M, cette cour (dans une autre composition), par un arrêt du 11 mars 2016, a :

  • déclaré recevable l’ensemble des demandes,

  • confirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce, sauf sur les montants des sommes allouées à la société CREACTIVITY en réparation de ses préjudices,

  • statuant à nouveau dans cette limite, condamné la société H&M à verser à la société CREACTIVITY :

  • la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial,

  • la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte portée à ses investissements et à son image,

  • condamné la société H&M aux dépens, y compris les frais de constat, et au paiement à la société CREACTIVITY de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

  • rejeté le surplus des demandes.

Statuant sur le pourvoi formé par la société H&M, la Cour de cassation, par un arrêt du 7 mars 2018, a :

  • cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 11 mars 2016 par la cour d’appel de Paris, remis, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, a renvoyé les parties devant cette cour d’appel, autrement composée,

  • condamné la société CREACTIVITY aux dépens et rejeté sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

La société H&M, par déclaration du 28 juin 2018, puis la société CREACTIVITY, par déclaration du 29 juin 2018, ont saisi cette cour désignée comme cour de renvoi.

Par ordonnance du 16 octobre 2018, le conseiller de la mise en état a prononcé la jonction des deux procédures.

Par jugement du 26 juillet 2018, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société CREACTIVITY désignant ès qualités de mandataire judiciaire la SELAFA MJA, en la personne de Me JOUVE, laquelle est intervenue à la procédure.

Dans ses dernières conclusions transmises le 18 juin 2019, la société H&M demande à la cour :

  • d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a dit recevable l’intervention volontaire de la société italienne D E,

  • de déclarer la société CREACTIVITY et son mandataire judiciaire, ès qualités, irrecevables et en tout cas mal fondés en l’ensemble de leurs demandes et de les en débouter,

  • de condamner la société CREACTIVITY à lui payer la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et d’ordonner que cette créance soit inscrite au passif de la société CREACTIVITY.

Dans leur dernières conclusions transmises le 19 juin 2019, la société CREACTIVITY et la SELAFA MJA, ès qualités, demandent à la cour :

  • de confirmer le jugement en ce qu’il a :

  • condamné la société H&M pour concurrence déloyale,

  • rejeté les demandes des sociétés H&M et D E,

  • ordonné des mesures d’interdiction, des mesures de destruction du stock de produits litigieux et des publications judiciaires,

  • et condamné les sociétés H&M et D E aux dépens et à lui payer une indemnité de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles,

  • d’infirmer ledit jugement en ce qu’il a :

  • limité la condamnation prononcée à l’encontre de la société H&M aux sommes de :

  • 4 000 € au titre de son préjudice commercial ;

  • 8 000 € au titre de son préjudice de perte d’image,

  • débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires, exclusivement lorsqu’il a débouté partiellement la société CREACTIVITY de ses demandes tendant à :

  • la voir déclarer recevable et bien fondée en ses demandes,

  • voir juger que la commercialisation par la société H&M de copies serviles du modèle ‘cygne’ de la société CREACTIVITY crée des risques de confusion et d’association préjudiciables constituant des actes de concurrence déloyale et parasitaire au sens des articles ‘1382″ et suivants du code civil,

  • voir constater que la commercialisation massive des copies serviles du modèle ‘cygne’ de la société CREACTIVITY par la société H&M entraîne un préjudice d’image et commercial irréparable pour la société CREACTIVITY, au vu de sa surface financière et commerciale,

en conséquence,

  • voir interdire à la société H&M de reproduire, d’importer, de faire fabriquer, de commercialiser, d’offrir en vente et de vendre, sous quelque dénomination que ce soit et à quelque titre que ce soit, et ce, sous astreinte de 1 500 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, tout article comportant les caractéristiques identifiant son modèle ‘cygne’,

  • voir ordonner, sous le contrôle d’un huissier de justice désigné à cet effet, aux frais de la société H&M et sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, la destruction de la totalité du stock d’articles litigieux, en sa possession,

  • voir juger qu’en application de l’article 35 de la loi du 9 juillet 1991, les astreintes prononcées seront liquidées, s’il y a lieu, par le tribunal ayant statué sur la présente demande,

  • voir condamner la société H&M à lui verser :

  • la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial, sauf à parfaire après communication des quantités d’articles litigieux détenus et vendus par la défenderesse,

  • la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte portée à ses investissements et à son image, sauf à parfaire après communication des quantités d’articles litigieux détenus et vendus par la défenderesse,

  • voir condamner la société H&M aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais de constat,

statuant à nouveau :

  • de juger recevable et bien fondée l’intervention de la SELAFA MJA, prise en la personne de Me Lucile JOUVE, es qualité de mandataire judiciaire de la société CREACTIVITY,

  • désignée en cette qualité en vertu d’un jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 26 juillet 2018, de juger que la commercialisation par la société H&M de copies serviles ou à tout le moins quasi-serviles du modèle ‘cygne’ crée des risques de confusion et d’association préjudiciables et constitue ainsi un acte de concurrence déloyale et parasitaire au sens des articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241, du code civil,

  • de condamner la société H&M à lui verser :

  • la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial,

  • la somme de 99 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte portée à ses investissements et à son image,

  • de dire irrecevables et mal fondées l’ensemble des demandes des sociétés H&M et D E, et de les en débouter,

  • de condamner les sociétés H&M et D E à lui verser chacune la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

  • de condamner les sociétés H&M et D E aux dépens, lesquels comprendront les frais de constat.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2 transmises le 5 février 2019, la société D E demande à la cour :

  • d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement, sauf en ce qu’il l’a déclarée recevable en son intervention volontaire,

  • statuant à nouveau, de déclarer la société CREACTIVITY mal fondée en l’ensemble de ses demandes,

  • de condamner la société CREACTIVITY à lui payer la somme de 7 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 juin 2019.

MOTIFS DE L’ARRÊT

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur l’intervention de la SELAFA MJA, prise en la personne de Me JOUVE, ès qualités de mandataire judiciaire de la société CREACTIVITY

Il y a lieu de recevoir l’intervention à l’instance de la SELAFA MJA, prise en la personne de Me JOUVE, qui a été désignée, par jugement du tribunal de commerce de Paris du 26 juillet 2018, ès qualités de mandataire judiciaire de la société CREACTIVITY dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l’égard de cette dernière.

Sur l’intervention volontaire de la société D E

Le jugement, non contesté en ce qu’il a dit la société D E recevable en son intervention volontaire, doit être confirmé sur ce point.

Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire

La société H&M conteste toute concurrence déloyale. Elle argue notamment que la société CREACTIVITY ne peut revendiquer aucun monopole sur le pendentif en forme de cygne « origami », que le pendentif ‘cygne’ commercialisé par la société CREACTIVITY ne revêt aucun caractère distinctif particulier, ni dans sa conception, ni dans sa forme, que la société CREACTIVITY, qui n’a pas engagé d’action en contrefaçon, ne peut se créer un monopole perpétuel tant sur le concept d’un pendentif cygne origami en métal moulé, que sur les caractéristiques du pendentif en forme de cygne « origami » par le bais de l’action en concurrence déloyale. Elle indique que le bijou litigieux qu’elle même commercialise ne constitue pas une copie servile mais résulte d’une démarche de création indépendante de deux designers de la société italienne D E et que les pendentifs en présence, s’ils résultent d’une source d’inspiration commune, présentent des différences de forme, de dimensions et de proportions. Elle indique encore qu’aucun risque de confusion n’est démontré dans l’esprit de la clientèle quant à l’origine des produits dès lors que le pendentif invoqué ne jouit pas sur le marché du degré de reconnaissance élevé allégué et que les circonstances de la commercialisation des deux pendentifs sont différentes. Elle ajoute qu’elle n’a commis aucune faute démontrée et a adopté un comportement et des précautions conformes aux usages loyaux du commerce en faisant appel à un fournisseur (la société D E) réputé et spécialisé dans le domaine de la bijouterie et en ne créant aucun risque de confusion, ni même d’association, entre les produits lors de la commercialisation de son bijou ou de sa promotion. Elle conteste de même tout parasitisme, arguant qu’elle n’a pas choisi de commercialiser un pendentif en forme de cygne « origami » dans le but de détourner les investissements de la société CREACTIVITY, nullement démontrés, ou de profiter de la prétendue notoriété de cette dernière. Elle conteste enfin le préjudice allégué par la société CREACTIVITY.

La société CREACTIVITY expose que l’action en concurrence déloyale peut être engagée même en l’absence de droit privatif dès lors qu’il y a création d’un risque de confusion, lequel comprend le risque d’association et peut exister même en l’absence de copie servile, dès qu’au moins un des éléments distinctifs de l’objet copié est reproduit. Elle fait valoir que son modèle ‘cygne’ a été créé à sa demande par Mme X et M. Y en 2008, avec l’aide d’un origamiste professionnel M. Z qui ont puisé leur inspiration dans un livre ‘Origami ‘ Decorazioni e Giochi con la Carta’ tout en apportant des modifications qui ont permis d’obtenir un nouveau pliage très éloigné de la forme traditionnelle du cygne dans l’art japonais de l’origami, de sorte que son modèle est très distinctif sur le marché considéré, se caractérisant par une combinaison totalement inédite de lignes modernes et épurées qui n’existait pas auparavant dans l’art de l’origami, et encore moins dans le domaine de la joaillerie. Elle soutient que la reprise par la société H&M, sans aucune nécessité et alors qu’aucune contrainte ne venait limiter sa liberté, de la combinaison de caractéristiques distinctives de son modèle ‘cygne’ (forme, proportions, matière, couleur) crée des risques de confusion et d’association sur le marché. Elle souligne que ces risques sont d’autant plus forts que le pendentif ‘cygne’ a rencontré un franc succès auprès de la clientèle et acquis une distinctivité et une reconnaissance accrue auprès de la clientèle en raison des efforts promotionnels qu’elle a réalisés. Elle soutient que la société H&M a aussi capté les efforts qu’elle a déployés pour lancer un bijou original et novateur et pour le promouvoir et a tiré indûment profit de la valeur économique ainsi créée, ces actes de parasitisme portant en outre atteinte à l’image et à la valeur économique du modèle ‘cygne’ qui a été vulgarisé.

La société D E, reprenant l’essentiel de l’argumentation de la société H&M, s’attache à démontrer sa qualité d’auteur du modèle de pendentif litigieux en forme de cygne, dont elle soutient qu’il a été créé par ses designers, Mme A et M. B, expliquant que si les deux pendentifs présentent des similitudes, ce n’est pas parce que le pendentif litigieux est la copie de celui de la société CREACTIVITY mais parce que les deux pendentifs sont inspirés du même modèle issu de l’ouvrage ‘Origami ‘ Decorazioni e Giochi con la Carta’. Elle argue que les deux bijoux sont différents et que ses choix créatifs tiennent compte de contraintes techniques de fabrication et de contraintes économiques.

La concurrence déloyale et le parasitisme, pareillement fondés sur l’article 1240 du code civil, sont caractérisés par l’application de critères distincts, la concurrence déloyale l’étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance qu’à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

Ces deux notions sont appréciées à l’aune du principe de la liberté du commerce qui implique qu’un produit, qui ne fait pas ou ne fait plus l’objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l’absence de faute, notamment par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, ou par l’existence d’une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l’exercice paisible et loyal du commerce.

L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité, la notoriété du produit copié.

Sur la concurrence déloyale

En l’espèce, il ressort de l’extrait du site internet www.bijoux-origami.com produit par la société CREACTIVITY (sa pièce 15) que dans l’art japonais de l’origami, qui consiste à créer des formes par pliage d’une feuille de papier, le cygne, symbole d’élégance, est une figure habituellement réalisée. La société H&M établit par ailleurs que la reproduction d’animaux (oiseaux, papillons…) en origami en métal pour la bijouterie existait avant même la constitution de la société CREACTIVITY en août 2008 (notamment, ouvrage Bijoux en origami de F G de 2006) et que la création de bijoux en origami reproduisant des oiseaux relevait d’une tendance dans le courant de la mode au moment de la création du bijou ‘Cygne’ en 2009 (pièces 2 à 12 de CREACTIVITY).

Par ailleurs, si la société CREACTIVITY fournit en grand nombre des pièces concernant sa participation à des salons professionnels (Première Classe), des sites ou blogs internet – parmi lesquels son propre site – où ses créations sont commentées et des articles de presse faisant état notamment de son bijou ‘cygne’, outre les attestations de deux journalistes qui témoignent avoir eu connaissance et apprécié le modèle ‘cygne’, tous ces éléments ne suffisent pas à vérifier son affirmation selon laquelle le bijou ‘cygne’ bénéficiait d’une réelle reconnaissance et d’un grand succès auprès du public au moment où la société H&M a mis sur le marché le modèle litigieux.

En effet, d’une part, la plupart de ces pièces ne concernent pas spécifiquement le bijou en cause ou ont une valeur probante relative (blogs, documents non datés ou portant une date postérieure aux faits) et, d’autre part, selon l’attestation de son expert-comptable, le chiffre d’affaires généré par la vente ‘des produits ‘Cygne » en 2011 s’élevait à 11 864 €, ce qui conduit à retenir, sur la base du prix indiqué de 130 €, un chiffre de 90 bijoux vendus en un an. La notoriété alléguée du bijou ne peut donc être tenue pour établie et la cour partage l’analyse du tribunal de commerce qui a retenu que le nombre de bijoux ‘cygne’ vendus est relativement faible. Dans ces conditions, il ne peut être considéré comme établi que la société italienne D E et la société H&M ont eu connaissance du bijou de la société CREACTIVITY avant de proposer et de commercialiser le bijou litigieux.

En outre, la société D E, qui a fourni le bijou à la société H&M et qui intervient au soutien de la thèse de la société H&M, produit les attestations de Mme A et de M. B qui indiquent qu’ils ont créé le bijou litigieux, au début du mois d’octobre 2010, à partir du livre précité ‘Origami ‘ Decorazioni e Giochi con la Carta’ – lui-même versé aux débats – et après avoir effectué des modifications sur un premier prototype afin de rendre le modèle plus attrayant et réalisable par l’équipe de production. La circonstance que ces deux témoignages soient rédigés dans des termes presque identiques ne doit pas conduire, en soi, à les écarter, pas plus le fait qu’ils ont été établis ‘pour les besoins de la cause’ ce qui est par hypothèse le cas des témoignages produits en justice. La société CREACTIVITY objecte que le modèle litigieux ne correspond pas au pliage de l’ouvrage ‘Origami ‘ Decorazioni e Giochi con la Carta’. Cependant, M. C, directeur général de la société D E, explique de façon précise et circonstanciée, dans deux attestations auxquelles sont jointes des croquis datés du 13 octobre 2010, les raisons – essentiellement d’ordre technique et économique – qui ont conduit à se distancier du modèle présenté dans l’ouvrage ( ‘Le modèle a été modifié à plusieurs reprises et adapté à notre type de fusion (…) notre production, pour des raisons de coûts, n’a pas recours à des alliages nobles de type or, argent etc., qui permettent de réaliser toutes formes et détails. Nous utilisons des alliages à base de zinc ou matériaux similaires, qui nécessitent pour être travaillés de prendre certaines précautions, et qui ne permettent pas de reproduire certains détails, comme des angles trop pointus ou des détails trop petits ou encore trop fins et, autre aspect important, les pièces à produire ne doivent pas comporter d’incisions avec angles pointus par rapport au plan horizontal, que nous appelons ‘contre-dépouilles’ dans notre jargon (…) le modèle que nous avons ainsi créé a subi, par rapport aux images des documents dont il a été inspiré, de nombreuses modifications dictées avant tout par des exigences stylistiques et techniques en matière de fusion (…)’ ; ‘aspect économique (coût final de l’article : moins de plis signifie moins de coûts) (…) En général, nous avons biseauté tous les points trop effilés et les coins trop pointus à la fois pour de raisons esthétiques mais surtout pour rendre le processus de fusion plus facile, plus rapide et donc plus économique (…) nous n’avons pas pu reproduire le modèle origami présent dans le livre car nous avons dû nécessairement adapter sa forme en fonction des contraintes techniques de fabrication et du coût de production (…)’).

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu par la société CREACTIVITY, le modèle litigieux ne constitue pas la copie servile de son bijou ‘cygne’ mais présente par rapport à ce modèle des différences, non seulement de dimensions mais aussi de forme, qui ne sont pas seulement de détail. Au titre des différences de forme, en premier lieu, le cygne litigieux, vu de côté, ne comporte pas deux pliures dans sa partie centrale, comme le bijou CREACTIVITY, mais une seule ; en deuxième lieu, l’arrière du cygne litigieux ne comporte pas de pliures comme le bijou CREACTIVITY ; en troisième lieu, le cygne litigieux ne présente pas de creux sur sa partie avant, ni sur sa partie inférieure (dessous du bijou) contrairement au ‘cygne’ de CREACTIVITY ; enfin, le cou du cygne litigieux est proportionnellement plus long et plus arrondi et ne laisse apparaître aucune pliure juste au dessous de la tête contrairement au cou du ‘cygne’ de CREACTIVITY. Les ressemblances entre les deux bijoux s’expliquent par leur inspiration commune, le recours de designers italiens d’une société italienne à un ouvrage rédigé en italien étant au moins aussi plausible que le recours de la société française CREACTIVITY à ce même ouvrage et les différences entre le cygne de cet ouvrage et celui finalement réalisé par la société D E étant explicitées de façon crédible dans les attestations précitées de son dirigeant.

Il sera encore relevé que le choix de la société H&M de commercialiser le bijou litigieux dans une version argentée, à l’instar d’une des versions du bijou ‘cygne’ de la société CREACTIVITY, ne peut être retenu comme fautif, l’argent ou la couleur argentée étant d’un usage très banal en matière de bijouterie.

Dans ces conditions, et alors que la société CREACTIVITY ne peut revendiquer aucun droit privatif sur le bijou ‘cygne’ et qu’en l’absence d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle, la copie d’un produit concurrent n’est pas en soi fautive, il n’est pas démontré que la société H&M ait délibérément cherché à créer un risque de confusion, dans l’esprit de la clientèle, avec le bijou ‘cygne’ de la société CREACTIVITY en commercialisant le bijou origami fourni par la société D E et se soit ainsi rendue l’auteur d’actes de concurrence déloyale.

Le jugement sera par conséquent infirmé de ce chef.

Sur le parasitisme

Si la société CREACTIVITY justifie de ses investissements pour la création et la promotion de son bijou ‘cygne’, les attestations précitées établissent, comme il vient d’être exposé, que le bijou litigieux commercialisé par H&M est le fruit d’un travail créatif des designers de la D E.

Il n’est donc pas démontré que la société H&M ait cherché à se placer dans le sillage de la société CREACTIVITY en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire et de ses investissements.

Le jugement sera par conséquent infirmé de ce chef également.

Le jugement sera également infirmé en toutes ses dispositions relatives à l’indemnisation de la société CREACTIVITY et autres mesures réparatrices (interdiction, destruction de stocks et publication) et la société CREACTIVITY sera déboutée de l’ensemble de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société CREACTIVITY qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant infirmées.

Les sommes qui doivent être mises à la charge de la société CREACTIVITY au titre des frais non compris dans les dépens exposés par les sociétés H&M et D E peuvent être équitablement fixées à 2 500 € pour chacune.

PAR CES MOTIFS,

Reçoit l’intervention à l’instance de la SELAFA MJA, prise en la personne de Me JOUVE, désignée, par jugement du tribunal de commerce de Paris du 26 juillet 2018, en qualité de mandataire judiciaire de la société CREACTIVITY placée en redressement judiciaire,

Infirme le jugement déféré si ce n’est en ce qu’il a dit la société D E recevable en son intervention volontaire,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute la société CREACTIVITY de l’ensemble de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire,

La condamne aux dépens de première instance et d’appel et au paiement à chacune des sociétés H&M et D E de la somme de 2 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE PRÉSIDENT

LE GREFFIER

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