Absence de parasitisme
La filière viticole a été déboutée de sa demande d’interdiction d’usage de l’expression « Premier cru » pour désigner des produits de beauté et employée par la société Caudalie dans sa communication commerciale.
En effet, les crèmes de soin et produits de beauté ne sont ni des produits vinicoles, ni des produits agroalimentaires et sont distincts du vin. Cet usage n’est pas fautif et ne caractérise nullement des actes de parasitisme, dès lors que les produits ainsi commercialisés, quand bien même ils revendiquent leur affiliation à l’univers de la vigne et du vin, ne sont aucunement similaires à ceux protégés par de telles mentions, en ce qu’ils ne sont ni comestibles, ni issus d’un terroir particulier, de sorte que l’usage contesté, en vertu du principe de spécialité, ne porte pas atteinte aux investissements de la communauté de producteurs et de négociants en vins, n’a aucun effet sur le pouvoir attractif du signe distinctif et n’est pas de nature à le banaliser.
Par ailleurs, les termes litigieux ne constituent ni une usurpation, ni une imitation, ni une évocation, dès lors qu’eu égard à la nature des produits qu’ils désignent (des crèmes cosmétiques et de soin), ils ne peuvent être associés aux vins.
Premier cru : question de la marque déceptive
Plus encore, le dépôt de la marque « Premier cru » pour désigner des produits cosmétiques est valide (non déceptif). Il n’est pas établi que le consommateur puisse commettre une erreur sur la qualité substantielle du produit ou du service qui lui est vendu/fourni, qualité importante aux yeux du consommateur auquel le produit ou le service est destiné et particulièrement être amené à croire que les ingrédients utilisés dans la composition des produits incluent du vin classé « Premier Cru », compte tenu du positionnement marketing de la société Caudalie, qui de tout temps a indiqué utiliser les vertus cosmétiques liées aux pépins de raisin, à la sève de vigne et aux sarments de vigne , qui constituent son univers (et non pas au vin fut-il premier cru classé). La marque n’est donc pas déceptive.
De même la marque n’est pas descriptive au sens de l’article L711-2 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que « sont dépourvus de caractère distinctif b) les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service » car les termes « Premier Cru » associés à une crème de soin et à des produits cosmétiques, ne décrivent pas une caractéristique des produits et services visés, à savoir un ingrédient (le vin Premier Cru) lequel n’est pas utilisé dans la composition des crèmes.
Pratique commerciale trompeuse ?
Cet usage ne caractérise pas non plus une pratique commerciale trompeuse et déloyale prohibée par les articles L120-1, L121-1 et L. 213-1 du code de la consommation, en ce que la décision commerciale du consommateur serait dirigée et celui-ci serait trompé sur l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles du produit.
Dès lors qu’il s’agit de produits cosmétiques et non agroalimentaires, les instructions de la DGGCRF ne sont pas applicables en l’espèce et ni la volonté de tromper, ni par ailleurs la méprise alléguée du consommateur, ne sont rapportées. Au mieux, la dénomination fait référence à l’univers de la vigne et du vin, qui constitue le domaine et l’élément essentiel du positionnement publicitaire de la marque, puisque les produits contiennent des polyphénols issus du raisin, mais en aucun cas, le consommateur n’est supposé comprendre que les produits contiennent du vin.
Détournement d’AOC ?
Le détournement d’une AOC n’est pas non plus établi. L’utilisation des termes contestés, dès lors qu’ils s’appliquent à des crèmes de soin et produits de beauté, ne peut être considérée comme un acte illicite de propagande ou de publicité en faveur de l’alcool, tel que prévu par les articles L. 3323-2 et L. 3323-3 du code de la santé publique, dès lors qu’ils ne sont nullement évocateurs d’une quelconque boisson alcoolisée, quand bien même pour les besoins du marketing et de l’histoire de la marque, ils peuvent être associés à une exploitation vinicole.
Les mentions traditionnelles, liées au régime des Indications Géographiques et des Appellations d’Origine, font l’objet d’une règlementation spécifique dans le domaine viticole, afin d’en réglementer l’usage.
L’article 13 du décret du 19 août 1921 portant application de l’article L. 214-1 du code de la consommation interdit, en toute circonstance et sous quelque forme que ce soit, en ce qui concerne les vins, vins mousseux et eaux-de-vie : (…) l’emploi 10 de toute indication, de tout mode de présentation (dessin, illustration, image ou signe quelconque) susceptible de créer une confusion dans l’esprit de l’acheteur sur la nature, l’origine, les qualités substantielles, la composition des produits, ou la capacité des récipients les contenant, 2° des mots « grand cru » ou « premier cru » sauf lorsqu’il est fait de ces mots un usage collectif conformément aux dispositions des cahiers des charges des appellations d’origine protégées pouvant en bénéficier, 3° Des mots « cru classé » précédés ou non d’une indication hiérarchique ou de tout autre mot évoquant une hiérarchie de mérite entre les vins provenant de domaines viticoles particuliers, sauf: (…) b) Lorsqu’il s ‘agit de vins de Bordeaux provenant de domaines viticoles figurant dans le classement de 1855; Pour l’étiquetage de ces vins, les termes. « cru classé » ou « grand cru classé » peuvent être utilisés, précédés ou non de l’indication de leur ordre de classement et suivis ou non de la référence à l’année de classement.
Aux termes du Règlement (UE) n°1308/2013, la mention traditionnelle est « une mention employée de manière traditionnelle dans un État membre pour les produits visés à l’article 92, paragraphe 1 [qui incluent le vin] : a) pour indiquer que le produit bénéficie d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée en vertu du droit de l’Union ou du droit national; ou b) pour désigner la méthode de production ou de vieillissement ou la qualité, la couleur, le type de lieu ou un événement particulier lié à l’histoire du produit bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée ». (article 112) « Les mentions traditionnelles protégées peuvent être utilisées exclusivement pour un produit qui a été produit en conformité avec la définition [d’une mention traditionnelle]. Les mentions traditionnelles sont protégées contre toute utilisation illicite ». (article 113 du même texte).
Le Règlement de la Commission n° 670/2011 protège (article 40 paragraphe 2) « les mentions traditionnelles répertoriées dans la base de données électronique « E-Bacchus » dont la mention traditionnelle « Premier Cru » et « Grand Cru », uniquement dans la langue et pour les catégories de produits de la vigne indiquées dans la demande, contre : a) toute usurpation, même si la mention protégée est accompagnée d’une expression telle que « genre », « type », « méthode », « façon », « imitation », « goût », « manière » ou d’une expression similaire, b) toute autre indication fausse ou trompeuse quant à la nature, aux caractéristiques ou aux qualités essentielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, c) toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur et notamment de donner l’impression que le vin bénéficie de la mention traditionnelle protégée ».
L’usage des mentions traditionnelles, telles que « GRAND CRU » et « PREMIER CRU », n’est cependant pas exclusivement réservé aux vins et produits vinicoles et est toléré par l’administration, pour des produits autres que viticoles, mais toujours d’origine agricole et associés à un terroir spécifique, pour des produits de qualité supérieure (produits provenant d’une origine géographique clairement identifiée, et auxquels les consommateurs attribuent des caractères organoleptiques spécifiques résultant de cette origine) et sous réserve que les consommateurs bénéficient d’une information objective et ne soient pas induits en erreur.
Peu importe que la mention « Premier Cru » ne figure pas en tant que telle, mais qu’elle soit associée à d’autres termes (comme « Classé » ou « climats » en Bourgogne), dans les classements de vins, les demandeurs sont fondés à agir.
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