Production Audiovisuelle : 19 mars 2019
Cour d’appel de Paris
RG n°
16/00242
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 3
ARRÊT DU 19 Mars 2019
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 16/00242 – N° Portalis 35L7-V-B7A-BXZLF
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Octobre 2015 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS section RG n° 15/07716
APPELANTE
Société TV5MONDE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Michèle CORRE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0171,
M. [H] [D] (DRH) en vertu d’un pouvoir général
INTIMEE
Mme [R] [Z]
[Adresse 2]
[Adresse 1]
née le [Date anniversaire 1] 1977 à AVRANCHES (50300)
comparante en personne,
assistée de Me Joyce KTORZA, avocat au barreau de PARIS, toque : B0053
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 22 Janvier 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Daniel FONTANAUD, Président de chambre
Laurence SINQUIN, Conseillère
Roselyne NEMOZ-BENILAN, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Sylvie FARHI, lors des débats
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de Chambre et par Madame Sylvie FARHI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [R] [Z] a été engagée par la société TV5 MONDE par plusieurs contrats à durée déterminée successifs à compter du 8 mars 2006, en qualité de monteur. Elle n’a pas pu bénéficier du plan d’intégration des collaborateurs pigistes et intermittents et a saisi le conseil de prud’hommes de Paris avec d’autres collègues monteurs, le 7 novembre 2014.
Par jugement du 19 octobre 2015, le conseil de prud’hommes de [Localité 1] a requalifié les contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée à temps plein à compter du 8 mars 2006, a fixé le salaire de base hors accessoires à la somme mensuelle de 4612 euros et a condamné la société TV5 MONDE au paiement de :
‘ 9000 euros au titre de l’indemnité de requalification,
‘ 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et a débouté Madame [Z] pour le surplus de ses demandes.
La société TV5 MONDE a relevé appel de cette décision, Madame [Z] a formé appel incident.
Par conclusions visées au greffe le 22 janvier 2019, au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société TV5 MONDE demande à la Cour l’infirmation du jugement en ce qu’il a retenu le salaire contractuel.
À titre principal, elle sollicite que le calcul de la rémunération mensuelle de base soit établi à partir d’une reconstitution de carrière et fixé au 1er janvier 2016 à la somme de 2575,33 euros, que l’indemnité de requalification soit réduite à la somme de 2612 euros. Elle réclame le remboursement d’une somme de 66055,99 euros au titre du trop perçu suite à l’exécution provisoire du jugement et le rejet de la demande de rappel de salaire.
A titre subsidiaire, elle sollicite la limitation du montant de rappel de salaire, accessoires inclus à la somme de 22612,16 euros.
Par conclusions visées au greffe le 22 janvier 2019, au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne les moyens, Madame [Z] sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a requalifié la relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps plein, a fixé l’indemnité de requalification à 9000 euros et a retenu un salaire contractuel de 4616 euros et a condamné la société sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Elle demande l’infirmation pour le surplus, subsidiairement un salaire fixé à 3530 euros et la condamnation de la société au paiement de :
‘ 75562 euros ou subsidiairement 21344 euros à titre de rappels de salaire et les congés payés afférents,
‘ 4567 euros à titre de prime d’ancienneté et les congés payés afférents,
‘ 6000 euros à titre de prime de fin d’année,
‘ 15732 euros ou subsidiairement 11526 euros au titre du rappel de la prime de sujétion,
‘ 720 euros en remboursement de la cotisation CSG CRDS indûment prélevée sur l’indemnité de requalification,
‘ 7000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les intérêts et les dépens.
Pour plus ample exposé des faits de la procédure et des prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l’audience.
MOTIFS
La Cour relève au préalable que la société ne conteste plus la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et ne s’oppose par l’octroi d’une indemnité de requalification. Pour la détermination de cette indemnité, il y a lieu de trancher le litige relatif au salaire de référence.
Sur la fixation de la rémunération dans le cadre du contrat à durée indéterminée
Il y a lieu de rappeler que la requalification de la relation contractuelle qui confère au salarié le statut de travailleur permanent dans l’entreprise a pour effet de replacer ce dernier dans la situation qui aurait été la sienne s’il avait été recruté depuis l’origine dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée de sorte que son salaire n’est pas celui qu’il percevait en qualité de salarié engagé par un contrat à durée déterminée mais celui qu’il aurait perçu s’il avait été engagé par un contrat à durée indéterminée.
Alors que la société prétend à un calcul de la rémunération sur la base d’une reconstitution de carrière calquée sur les dispositions de la Convention collective de la communication et de la production audiovisuel (la CCCPA) et l’accord d’entreprise du 28 décembre 2012, Madame [Z] soutient que son salaire doit être déterminé sur la moyenne des rémunérations perçues pendant ses 12 derniers mois d’activité ou sur la moyenne de la rémunération perçue lors des contrats exécutés sans prime ou bonification.
Pour l’emploi de monteur, Madame [Z] conteste l’application de la CCCPA.
Au préalable, il convient de relever que plusieurs éléments permettent de confirmer qu’il était d’usage, au sein de la société, de faire application de cette convention collective. Tout d’abord figure en exergue de l’accord d’entreprise de 2012 la mention : « Les parties signataires du présent accord collectif ont conclu une convention d’entreprise afin de remplacer dans toutes leurs dispositions : ‘ la convention collective de la production et de la communication audiovisuelle’ ».
Par ailleurs, l’employeur relève à juste titre que la société de droit privé TV5 MONDE s’inscrit dans le secteur public audiovisuel et dans plusieurs accords NAO antérieures à l’accord d’entreprise figurent un alignement dans la réflexion sur l’évolution des salaires par rapport à l’Audiovisuel public.
Enfin, la société produit un contrat de travail souscrit en 2004 entre une salariée, Madame [U] et la société TV5 MONDE, dans lequel il est clairement indiqué : « Le présent contrat est régi par la convention collective de la communication et de la production audiovisuelle ainsi que le règlement intérieur de l’entreprise… ».
Ces éléments permettent de considérer qu’ il existe une présomption d’application de la CCCPA au sein de l’entreprise et Madame [Z] ne transmet pas d’éléments permettant de contredire cet usage.
En outre, rien ne justifie d’écarter l’application au sein de la société de l’accord d’entreprise signé par les syndicats le 28 décembre 2012.
Pour ce faire Madame [Z] fait valoir que l’emploi de monteur ne figure ni dans la CCCPA, ni dans l’accord d’entreprise.
Toutefois, c’est à juste titre que la société prend comme référence pour la classification des monteurs celui dénommé ‘chef monteur’ dans la mesure où les fonctions de « monteur ‘ chef monteur » sont assimilées en un même emploi repère dans l’avenant numéro 4 de l’accord d’entreprise sur la modulation du temps de travail du 28 juin 2005. Antérieurement, l’ emploi de chef monteur figure dans la classification indiciaire de la CCCPA et permet de disposer d’une base pour la reconstitution de carrière.
Madame [Z] estime également que le processus de reconstitution de carrière est contraire aux déclarations de la secrétaire générale qui précise lors de la réunion d’intégration du 15 mai 2004 que les salaires seraient discutés «au cas par cas ».
Les pièces et débats démontrent que la détermination du salaire par une reconstitution de carrière est apparu à la suite de débats au sein de l’entreprise lors notamment du plan d’intégration des collaborateurs pigistes et intermittents et que la société avait envisagé une étude individualisé de la situation de chaque salarié. Cela ne contredit pas l’application de règles conventionnelles rappelées ci-dessus.
Madame [Z] considère également que la détermination du salaire par une reconstitution de carrière conduirait à une minoration de sa rémunération, qu’elle est incompatible avec les garanties de rémunération fixées dans l’accord d’entreprise qui indique : « TV5 MONDE garantit à chaque salarié que le changement de convention ne peut qu’impacter favorablement le salaire annuel acquis à la date de la signature de la convention».
La spécificité de la rémunération des contrats d’intermittents exclut les garanties énoncées. En effet, l’accord précité dans son tome 1 chapitre 2 précise que le salaire garanti est un salaire de base majoré de l’ensemble des primes – faisant ainsi référence aux modalités de rémunération des salariés permanents – et le salaire des collaborateurs PTA du groupe 7.
La particularité statutaire des personnels intermittents conduit à un calcul de la rémunération notablement différent de celui des salariés permanents et d’un montant largement supérieur qui justifie que l’accord ait distingué les deux types de situation.
En conséquence de ces motifs, il y a lieu de retenir le calcul selon la reconstitution de carrière effectué par la société TV5 MONDE sur les dispositions de la CCCPA, les différents accords NAO et sur l’accord d’entreprise de transposition du 28 décembre 2012 et du 29 mai 2007 et de retenir une classification à partir de mars 2006 à un niveau B16 et N5 soit à cette date un salaire de 1984,84 euros. Avec l’avancement garanti Madame [Z] sera à un positionnement en 2010 à B16 N7. De la transposition de janvier 2013 au 1er janvier 2016, date de notification de la décision prud’homale, Madame [Z] sera repositionnée au Groupe 4 niveau 1.
Au regard de cette évolution telle qu’elle résulte des tableaux fournis par l’employeur, il y a lieu de fixer le salaire mensuel brut de référence de Madame [Z] au 1er janvier 2016 à la somme de 2575, 33 euros. Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
Sur les demande de rappels de salaire de Madame [Z] pendant les périodes intersticielles
En cas de requalification de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, il appartient au salarié d’établir qu’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant les périodes interstitielles.
Afin de satisfaire à la preuve qui lui incombe Madame [Z] transmets plusieurs mails un tableau recapitulatif, ses bulletins de salaire et contrats à durée déterminée.
Il ressort de ces éléments que Madame [Z] a travaillé 148 jours en 2013 et 145 jours en 2014, soit sur une période très peu inférieure à un équivalent temps plein d’un permanent dans l’audiovisuel qui est de 187 jours.
Même si ses missions étaient déterminées à partir des plannings qu’elle transmettait mensuellement pour le mois suivant par voie de mails, aucun élément ne permet d’établir qu’elle connaissait à cette date le choix qu’en ferait l’employeur et qu’elle était à même de prévoir ses périodes de travail.
Il résulte, en effet, des messages communiqués que suite à ses propositions, Madame [Z] pouvait n’être retenue que sur la plage de temps décidé par l’employeur.
Elle justifie que le service était souvent confronté à des imprévus, qu’il devait combler en urgence et que Madame [Z] devait répondre du jour pour le lendemain à des sollicitations de l’employeur.
Enfin, il n’est pas contesté que ses temps de missions aient été variables sur les semaines et sur les mois. La déclaration fiscale 2014 montre qu’elle n’avait pas d’autres employeurs.
Ainsi, l’ensemble de ces circonstances permettent de conclure au vu des pièces et des débats que sur les périodes de l’année où Madame [Z] n’était pas employée, elle se tenait à la disposition de son employeur.
Il sera fait droit à la demande de rappel de salaire au titre des périodes interstitielles.
Les calculs produits par l’employeur démontrent qu’avec les versements opérés au titre du statut d’intermittent et les salaires à temps plein et les primes calculés sur le principe de la reconstitution de carrière, la société TV5 MONDE est redevable d’une somme de 22612,16 euros sur la période de 2012 à 2014, l’année 2015 n’ayant généré aucune créance au bénéfice de la salariée.
Sur l’indemnité de requalification
Aux termes de l’article L.1245-2 alinéa 2 du code du travail, si le juge fait droit à la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, il doit lui accorder une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
Madame [Z] sollicite la confirmation du jugement concernant le montant de son indemnité de requalification et évoque les conséquences générées par la précarité de son statut.
Il convient de relever que Madame [Z] a connu un statut précaire sur le plan professionnel pendant près de 9 ans et même si elle a bénéficié pendant ces années du statut d’intermittent, il ne compensait qu’en partie les avantages sociaux offerts par le CDI. C’est par une juste évaluation, adoptée par la Cour, que les premiers juges, après examen de l’ensemble des pièces produites par les parties, ont fixé à la somme de 9000 euros l’indemnité de requalification qui devait être allouée à Madame [Z]
S’agissant de la demande de 720 euros en remboursement de la cotisation CSG CRDS indûment prélevée sur l’indemnité de requalification, Madame [Z] justifie que les dispositions de la Circulaire DRT du 29 août 1992 exclut le prélèvement de la CSG CRDS sur l’indemnité de requalification. Il sera donc fait droit à sa demande.
Sur les demandes de rappels de primes
Dès lors qu’il y a requalification en contrat à durée indéterminée, Madame [Z] est en droit de revendiquer en plus du salaire de base un rappel des primes d’ancienneté, de prime de fin d’année, de prime liée à sa situation familiale et de prime de sujétion.
Les calculs pris comme référence par la société pour le rappel de salaire intègrent correctement la prime de fin d’année le supplément familial prévu dans l’accord d’entreprise du 28 décembre 2012, la prime d’ancienneté la prime de sujétion de 8% augmentée à 9% en application des dispositions de l’accord d’entreprise de 2012. Ces primes sont incluses dans le montant alloué au titre des rappels de salaire.
Sur la demande de la société concernant le remboursement du trop perçu en exécution du jugement
En janvier 2016, la société TV5 MONDE a appliqué la décision de la juridiction prud’homale et a versé à Madame [Z] jusqu’au mois de janvier 2019 une rémunération de 185175,25 euros.
Au regard du tableau qu’elle produit et du calcul retenu par la Cour sur la base de la reconstitution de carrière, la salariée est redevable d’un trop perçu jusqu’au mois de janvier 2019 de 66055,99 euros.
PAR CES MOTIFS
INFIRME le jugement, sauf en ce qu’il a requalifié les contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein et alloué 9000 euros à titre d’indemnité de requalification et fait droit à la demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Et statuant à nouveau ;
FIXE le salaire de référence sur la base de la reconstitution de carrière de Madame [Z] à la somme 2575, 33 euros ;
FAIT droit à la demande de rappel de salaire de Madame [Z] au titre des périodes interstitielles entre les contrats de travail à durée déterminée ;
CONDAMNE la société TV5 MONDE à payer à Madame [Z] la somme de :
– 22612,16 euros euros à titre de rappel de salaire pour les périodes interstitielles et 2261,21 euros au titre des congés payés y afférents ;
-720 euros à titre de remboursement de la cotisation CSG CRDS prélevées sur l’indemnité de requalification ;
CONDAMNE Madame [Z] à payer à la société TV5 MONDE la somme de 66 055,99 euros en remboursement du trop perçu en exécution du jugement jusqu’au mois de janvier 2019 ;
Y ajoutant ;
Dit que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société TV5 MONDE payer à Madame [Z] en cause d’appel la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties du surplus des demandes ;
CONDAMNE la société TV5 MONDE aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT