Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 29 novembre 2005, 03-14.989, Publié au bulletin
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 5 mars 2003), que, le 12 novembre 2002, la Société nationale de télévision France 2 (France 2) a diffusé, au cours du journal télévisé de 20 heures, un reportage consacré à l’école de danse de l’Opéra de Paris, présenté dans les termes suivants : « Un rapport d’experts réalisé pour les syndicats épingle les méthodes de l’Ecole de danse, les élèves seraient humiliés et soumis à des traitements indignes ; la direction proteste et veut porter plainte ;
elle défend une discipline à l’ancienne ; alors que se passe t-il vraiment à l’école des petits rats, c’est l’enquête de cette émission… » et comportant les passages suivants : Discipline de fer, pression permanente, grâce à cet apprentissage, l’école des étoiles a formé des stars comme Patrick X… et a gagné sa réputation d’excellence. Incarnation de cet idéal de rigueur et de sévérité, Claude Y…, petit rat puis étoile de l’Opéra de Paris, dirige l’établissement depuis 30 ans, mais ses méthodes sont aujourd’hui mises en cause dans le rapport d’un cabinet spécialisé. Il dénonce les indignités faites aux enfant, le déni de la douleur, la discipline de la terreur psychologique. Des conclusions contestées par l’Opéra » ; un témoin :
« L’école est comparable à une structure pour des sportifs de haut niveau et pourtant il manque l’infrastructure qui suit du point de vue médical ». Le commentaire : « Nanterre, banlieue parisienne, l’école des petits rats de l’Opéra, ici pas de kinésithérapeute, ni d’infirmerie, le règlement est clair, volets toujours fermés aux deux-tiers, jardin inaccessible aux enfants, sortie et téléphone portable interdits. 120 internes de 8 à 18 ans y vivent, pour certains dans la crainte d’être renvoyés » ; qu’à la suite de cette diffusion, Mme Z…, dite Claude Y… (Mme Y…), a demandé, le 8 janvier 2003, à M. A…, directeur de la publication de France 2, en application des dispositions de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982, la diffusion d’une réponse dans une édition du journal télévisé de 20 heures ; que, le 30 janvier 2003, en l’absence de réponse, Mme Y… a saisi le président du tribunal de grande instance de Paris, statuant en matière de référés ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. A… et France 2 font grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté les exceptions de nullité soulevées, d’avoir déclaré recevable l’action de Mme Y… et d’avoir ordonné la diffusion du droit de réponse, alors, selon le moyen, que l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982, en ce qu’il prévoit un droit de réponse audiovisuel à « toute personne physique ou morale dans le cas où des imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation auraient été diffusées dans le cadre d’une activité de communication audiovisuelle », renvoie à l’infraction de diffamation régie par les dispositions de la loi du 29 juillet 1881, qui doivent ainsi recevoir application ; qu’en écartant l’application des dispositions des articles 53 et 55 de la loi du 29 juillet 1881 à l’action aux fins d’exercice du droit de réponse audiovisuel exercé par Mme Y…, la cour d’appel a violé les articles 29 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 ;
Mais attendu que l’exercice du droit de réponse dans le cadre d’une activité de communication audiovisuelle et, en cas de refus, l’action devant le président du tribunal de grande instance, statuant en matière de référés, sont régis par les dispositions de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 et du décret du 6 avril 1987 pris pour son application à l’exclusion de celles de la loi du 29 juillet 1881 ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que M. A… et France 2 font grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté les exceptions de nullité soulevées, d’avoir déclaré recevable l’action de Mme Y… et d’avoir ordonné la diffusion d’une réponse, alors, selon le moyen :
1 / que le droit de réponse n’est accordé à une personne mise en cause par des imputations susceptibles de porter atteinte à sa réputation ou à son honneur qu’autant qu’elle n’a pas été autrement en mesure de s’exprimer et de faire valoir son point de vue et ses explications ; que la société France 2 avait à de nombreuses reprises, sous des formes différentes tant avant qu’après la diffusion du reportage, été appelée à s’exprimer, ce qu’elle avait refusé ; qu’il résultait de ce refus systèmatique qu’elle ne pouvait plus revendiquer un droit de réponse ;
qu’en retenant que le refus de toute explication opposé par l’intéressée ne la privait pas de son droit de réponse, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 ;
2 / qu’en ne recherchant pas si les précisions contenues dans le droit de réponse que prétendait exercer Mme Y… ne faisaient précisément pas partie des informations que la société France 2 avait en vain cherché à obtenir auprès d’elle sur le fonctionnement interne de l’école, ce dont il résultait que Mme Y… ne pouvait sans abus prétendre diffuser au titre de son droit de réponse ce qu’elle avait refusé de porter à la connaissance de la société France 2 qui a été privée par son fait des éléments qui, selon Mme Y…, écartaient les accusations portées contre elle, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 ;
3 / que les imputations qui ouvrent droit à une réponse dans le cadre des dispositions de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 ne se distinguent pas des imputations diffamatoires régies pare la loi du 29 juillet 1881 ; que la bonne foi du journaliste fait en conséquence obstacle au droit de réponse audiovisuel ; qu’en refusant de prendre en compte la bonne foi, la cour d’appel a violé cette loi ensemble l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 ;
4 / que le journaliste bénéficie de la liberté d’expression et de communication des informations qui n’est limitée qu’en cas d’abus ;
qu’en ordonnant la diffusion d’un droit de réponse sans caractèriser l’abus qui aurait été commis par le journaliste dans l’exercice de la liberté d’informer, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, ensemble l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que l’exercice du droit de réponse prévu par l’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 n’est pas subordonné à la condition que la personne mise en cause ait préalablement refusé de donner des explications ;
Et attendu que l’exercice du droit de réponse ne suppose pas que soit caractérisé l’abus commis par le journaliste dans l’exercice de sa liberté d’informer ; que le moyen est mal fondé en ses première, deuxième et quatrième branches et que l’exclusion de la loi du 29 juillet 1881 en la matière rend inopérante la troisième branche ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société nationale de télévision France 2 et M. A…, ès qualités, aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la Société nationale de télévision France 2 et M. A…, ès qualités, à payer à Mme Y… la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf novembre deux mille cinq.