Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 22 juin 2010, 10-81.275, Publié au bulletin
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
– X… Samy,-
X… Teia,
contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de PAPEETE, en date du 19 janvier 2010, qui, dans l’information suivie contre eux du chef de viols, a prononcé sur leur demande d’annulation de pièces de la procédure ;
Vu l’ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 26 avril 2010, joignant les pourvois en raison de la connexité et prescrivant leur examen immédiat ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le second moyen de cassation, proposé pour Teia X…, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 63-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt a rejeté la requête en nullité de la procédure de garde à vue diligentée contre Teia X… ; »aux motifs que, par ailleurs, Teia
X… soulève la nullité de la procédure de flagrance au motif qu’il aurait dû être assisté d’un interprète en langue tahitienne, notamment lors de la notification de ses droits de gardé à vue, dès lors qu’il ne sait pas lire le français ; que Teia X…, de nationalité française, a déclaré comprendre le français mais ne pas savoir le lire ou l’écrire bien qu’ayant quitté l’école en CM2 ; qu’en l’état de telles déclarations, l’officier de police judiciaire, qui a pu, au demeurant, se rendre compte que Teia X… comprenait le français, a interrogé en français ce gardé à vue qui lui a répondu en français et auquel lecture de sa déposition a été faite en français sans que Teia X… invoque une mauvaise compréhension du français ; que, d’ailleurs, lors de l’interrogatoire de première comparution pour lequel le juge d’instruction avait eu recours à un interprète, ce magistrat, après avoir posé diverses questions, traduites en langue tahitienne, relatives à la contrainte qu’avait pu exercer Teia X…, a mentionné qu’il cessait de poser des questions au mis en cause concernant les faits « compte tenu du caractère apparemment délibéré de ses réponses contradictoires » ;
« 1°) alors que, selon l’article 63-1 du code de procédure pénale, l’officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, l’agent de police judiciaire, a le devoir de notifier les droits attachés au placement en garde à vue dès que la personne retenue se trouve en état d’en être informée, dans une langue qu’elle comprend ; que tout retard injustifié dans la mise en oeuvre de cette obligation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne en ce qu’elle constitue une violation de la garantie de l’exercice concret et effectif des droits de la défense ; qu’il appartient donc au juge de vérifier concrètement si la personne gardée à vue a une compréhension effective de la langue dans laquelle ses droits lui ont été notifiés ; qu’en l’espèce, l’intéressé avait déclaré ne savoir ni lire ni écrire le français ; qu’en omettant de rechercher, en l’espèce, si l’intéressé avait effectivement pu exercer de manière concrète et effective ses droits de la défense, qui supposaient une compréhension des droits qui lui avaient été notifiés en langue française, la chambre de l’instruction n’a pas justifié légalement sa décision au regard des textes susvisés ;
« 2°) alors que, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu’en retenant, pour écarter la demande de nullité de la procédure en ce qu’elle avait été diligentée dans une langue que l’intéressé ne savait ni lire ni écrire, que ce dernier comprenait le français lors de sa garde à vue, tout en constatant qu’il avait dû être assisté d’un interprète devant le juge d’instruction, la chambre de l’instruction a entaché sa décision d’une contradiction de motifs »;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Teia X…, mis en examen, le 25 août 2009, du chef de viols, a présenté, le 23 octobre 2009, une requête en nullité des actes accomplis pendant sa garde à vue et des actes de procédure subséquents, en faisant valoir que, ne sachant pas lire le français, il aurait dû être assisté d’un interprète en langue tahitienne ;Attendu que, pour écarter ce moyen de nullité, l’arrêt énonce que Teia X…, de nationalité française, a déclaré, en réponse à une question posée par l’officier de police judiciaire, ne pas savoir lire et écrire le français mais le comprendre ; que les juges relèvent que l’officier de police judiciaire, qui a pu vérifier que l’intéressé comprenait le français, l’a interrogé en français, sans qu’à aucun moment celui-ci n’invoque des difficultés de compréhension de cette langue ;
Attendu qu’en prononçant ainsi, par des motifs qui établissent qu’il n’a été porté aucune atteinte aux intérêts du demandeur, la chambre de l’instruction a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le premier moyen de cassation, proposé pour Samy X…, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 64-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt a rejeté la requête en nullité de la procédure de garde à vue diligentée contre Samy X… ; »aux motifs qu’en l’espèce, l’enregistrement des interrogatoires de Samy
X… n’a pas été effectué, alors qu’il avait été placé en garde à vue pour crime, aucune pièce de la procédure d’enquête de flagrance de la brigade de gendarmerie de Bora Bora n’établissant que le procureur de la République de Papeete ait été avisé de la situation et ait désigné la personne dont les interrogatoires ne seraient pas enregistrés ; que seule une mention du procès-verbal de synthèse de l’enquête de flagrance indique : « la brigade de Bora Bora ne disposant que d’une seule caméra, il n’a pas été possible d’enregistrer les auditions de Samy X… » ; que, d’une part, l’article 64-1 du code de procédure pénale édicte l’obligation d’enregistrer certains interrogatoires sans assortir son non-respect de la sanction de la nullité de l’interrogatoire n’ayant pas fait l’objet d’un enregistrement et, d’autre part, prévoit des exceptions à la règle en envisageant la situation dans laquelle la multiplicité des personnes enregistrées ne permet pas de procéder à l’enregistrement des interrogatoires de chacune des personnes gardées à vue ; que Samy X… n’invoque d’ailleurs pas comme motif de nullité le fait que ses interrogatoires n’aient pas fait l’objet d’un enregistrement mais le fait que le procureur de la République n’ait pas été informé de la situation et n’ait pas désigné par écrit la personne dont les interrogatoires ne seraient pas enregistrés ; que les prescriptions du cinquième alinéa de l’article 64-1 du code de procédure pénale n’étant pas, comme celles du premier alinéa du même article, prévues à peine de nullité, il appartient au requérant de démontrer que la violation de ces prescriptions a porté atteinte à ses intérêts ; que Samy X… n’offrant même pas de justifier du grief que lui aurait causé le défaut d’information du procureur de la République au sujet de l’impossibilité d’enregistrer les interrogatoires des deux personnes gardées à vue et l’absence de désignation par ce magistrat de la personne dont les interrogatoires ne seraient pas enregistrés, sa requête sera rejetée ; qu’il convient, d’observer au surplus, que, lors de ses auditions devant les enquêteurs Samy X… a donné des versions changeantes des faits, contestant d’abord avoir violé la plaignante puis le reconnaissant et maintenant ses déclarations après que lecture lui en aiété faite en langue tahitienne par l’officier de police judiciaire, ce qui aurait pu être fait en langue française dès lors que Samy X… avait déclaré comprendre le français mais ne pas savoir le lire ou l’écrire ; qu’enfin, le reproche selon lequel les interrogatoires auraient pu être échelonnés pour permettre avec une seule caméra d’enregistrer tous les interrogatoires, d’une part, n’a pas été formulé dans la requête écrite en nullité et, d’autre part, ne peut être retenu dès lors que les investigations sont menées dans un ordre et une chronologie que décident les officiers de police judiciaire en charge de la procédure selon les nécessités de l’enquête, les effectifs d’enquêteurs, etc… et qu’en l’espèce, les pièces de la procédure révèlent que les interrogatoires des deux frères gardés à vue ont eu lieu quasi simultanément, ce qui ne permettait d’enregistrer qu’une seule des deux personnes ;
« 1°) alors que les interrogatoires des personnes placées en garde à vue pour crime doivent faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel ; que l’absence d’enregistrement audiovisuel empêche les magistrats de contrôler la régularité de la garde à vue et porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée ; qu’en conséquence, l’exigence d’enregistrement s’impose à peine de nullité de la procédure ; qu’en retenant le contraire, pour débouter Samy X… de sa demande en nullité de la procédure de garde à vue, la chambre de l’instruction a violé les textes susvisés ; »2°) alors que, dans sa requête en nullité, Samy
X… faisait valoir, en premier lieu, que son interrogatoire n’avait pas fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel, et, en second lieu, que cette absence d’enregistrement n’avait pas été portée à la connaissance du procureur de la République qui n’avait pu rendre une décision écrite sur les personnes dont l’interrogatoire n’avait pas été enregistré ; qu’en retenant néanmoins que Samy X… n’invoquait pas comme motif de nullité le fait que ses interrogatoires n’aient pas fait l’objet d’un enregistrement mais le fait que le procureur de la République n’ait pas été informé de la situation et n’ait pas désigné par écrit la personne dont les interrogatoires ne seraient pas enregistrés, la chambre de l’instruction a dénaturé les conclusions qui lui étaient soumises »;
Vu l’article 64-1 du code de procédure pénale ;
Attendu que, selon ce texte, les interrogatoires des personnes placées en garde à vue pour crime font l’objet d’un enregistrement audiovisuel, et, lorsque le nombre de personnes gardées à vue devant être simultanément interrogées fait obstacle à l’enregistrement de tous les interrogatoires, l’officier de police judiciaire en réfère sans délai au procureur de la République qui désigne, par décision écrite versée au dossier, au regard des nécessités de l’enquête, la ou les personnes dont les interrogatoires ne seront pas enregistrés ; que l’omission de ces prescriptions porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Samy X…, mis en examen, le 25 août 2009, du chef de viols, a présenté, le 23 octobre 2009, une requête en nullité de sa garde à vue et des actes de procédure subséquents, en faisant valoir que ses interrogatoires n’avaient pas fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel et qu’aucune pièce de l’enquête ne faisait état de l’impossibilité d’enregistrer simultanément les interrogatoires des deux personnes gardées à vue, ainsi que de la décision du procureur de la République désignant la personne dont les interrogatoires ne seraient pas enregistrés ;
Attendu que, pour écarter cette exception de nullité, après avoir constaté que le procureur de la République n’avait pas été informé de la difficulté tenant à l’existence d’une seule caméra à la brigade de gendarmerie, et qu’il n’avait pu dès lors désigner celle des deux personnes gardées à vue dont les interrogatoires ne seraient pas enregistrés, l’arrêt retient que le demandeur ne démontre pas en quoi la méconnaissance des prescriptions de l’article 64-1 du code de procédure pénale aurait porté atteinte à ses intérêts ;
Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
I – Sur le pourvoi de Teia X… :
Le REJETTE ;
II – Sur le pourvoi de Samy X… :CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Papeete, en date du 19 janvier 2010, en ses seules dispositions ayant rejeté la demande d’annulation de pièces de la procédure présentée par Samy X…, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Papeete et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Beauvais conseiller rapporteur, Mme Anzani conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;