REPUBLIQUE FRANÇAISE 19 mars 2024
Tribunal judiciaire de Lyon RG n° 22/07131 TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON Chambre 9 cab 09 F R.G N° : N° RG 22/07131 – N° Portalis DB2H-W-B7G-XC46 Jugement du 19 Mars 2024 N° de minute Affaire : S.A.R.L. C&O DU PATRIMOINE le: EXECUTOIRE + COPIE la SELARL BERNASCONI-ROZET-MONNET SUETY-FOREST Me Céline DAILLER REPUBLIQUE FRANCAISE Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, en son audience de la Chambre 9 cab 09 F du Après que l’instruction eut été clôturée le 19 Octobre 2023, et que la cause eut été débattue à l’audience publique du 06 Février 2024 devant : Lise-Marie MILLIERE, Vice-présidente, Assistée de Danièle TIXIER, Greffière, Et après qu’il en eut été délibéré par le magistrat ayant assisté aux débats dans l’affaire opposant : DEMANDERESSE S.A.R.L. C&O DU PATRIMOINE, représentée par Maître Eric ROZET de la SELARL BERNASCONI-ROZET-MONNET SUETY-FOREST, avocats au barreau D’AIN DEFENDERESSE Madame [J] [R] représentée par Me Céline DAILLER, avocat au barreau de LYON EXPOSE DU LITIGE
Par acte d’huissier de justice du 16 août 2020, la société C&O DU PATRIMOINE, anciennement dénommée VG COURTAGE, a assigné Madame [R] devant le Tribunal judiciaire de LYON afin d’obtenir le paiement de la somme de 12 000 euros en exécution d’une lettre de mission du 21 avril 2021. Au terme de ses dernières écritures, notifiées par RPVA le 23 juin 2023, la SARL C&O DU PATRIMOINE sollicite, sur le fondement des articles 1110 et suivants du code civil, de : Elle affirme d’abord être en relation avec la défenderesse, ne l’ayant jamais démarchée, celle-ci étant sa cliente depuis 2001, tout comme sa mère avant elle. La société C&O DU PATRIMOINE prétend que les honoraires perçus en 2018 sont bien fondés, qu’ils ont été convenus et payés, ces derniers étant libres, Madame [R] disposant de toutes ses capacités pour signer la lettre de mission. Concernant le rapport de 2021, elle souligne que la cession de la nue-propriété de l’appartement devait permettre à Madame [R] de replacer les fonds dans un groupement d’investissement forestier, fiscalement avantageux en termes de droits de succession. Elle considère que le conseil donné a été mal compris par les successibles. S’agissant de la demande reconventionnelle en nullité de la lettre de mission, elle conclut que la défenderesse n’indique pas le motif de nullité invoqué. Concernant les dommages et intérêts pour abus de faiblesse, elle rappelle avoir proposé à Madame [R] des solutions patrimoniales parfaitement adaptées à sa situation, relevant que la défenderesse ne verse en tout état de cause aucune pièce à ce titre. S’agissant de la violation de la protection des données à caractère personnel alléguée, elle relève que Madame [R] n’est pas l’autorité de contrôle, qu’elle n’explique pas en quoi elle se serait rendue coupable d’une violation de confidentialité en la mettant en relation avec la société 3 COLONNES qui est une société sans but lucratif. Elle conclut qu’il n’y a aucun abus de sa part d’engager la présente procédure, rappelant qu’elle n’a pas encaissé le chèque en sa possession, le neveu de Madame [R] lui ayant d’ailleurs indiqué être prêt à régler des honoraires. Madame [J] [R] sollicite sur le fondement des articles L132-13 du code de la consommation, de l’article 1217 du code civil, du règlement européen du 25 mai 2018 relatif à la protection des données à caractère personnel, outre la loi n°78-17 du 06 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et notamment dans sa nouvelle rédaction depuis le 1er janvier 2019, de : – Débouter la société C&O DU PATRIMOINE de toutes ses demandes, fins et conclusions ; Elle affirme, alors qu’elle est âgée de 84 ans, qu’elle vit seule, avoir été démarchée de manière continue et harcelante par Monsieur [U], gérant de la société C&O DU PATRIMOINE, connaissance de longue date, afin d’obtenir la gestion de son patrimoine. Elle considère que l’engagement à une « extrême confidentialité » prévue au sein de la lettre de mission, inhérent à la profession de courtier, a été violé compte tenu des éléments patrimoniaux fournis par la société C&O DU PATRIMOINE à la société 3 COLONNE, inconnue de sa cliente. Elle conclut de manière générale que la société a failli à son obligation contractuelle en prodiguant des conseils consistant à : Elle en déduit que Monsieur [U] a manifestement profité de son ignorance, de sa faiblesse et de sa vulnérabilité. Elle fait valoir à ce titre ses problèmes de santé cardiaques, l’ayant diminuée physiquement et psychologiquement, en sus d’une fracture consécutive à sa dernière chute. Sur quoi, l’ordonnance de clôture a été rendue le 19 octobre 2023 et l’affaire, après avoir été renvoyée pour plaidoirie à l’audience du 06 février 2024, a été mise en délibéré au 19 mars 2024. MOTIFS
Sur l’étendue de la saisine Les demandes de « constater » et de « donner acte » ne sont pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile, pas plus que les demandes de « dire et juger » lorsqu’elles développent en réalité des moyens. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur ces demandes dont le tribunal n’est pas saisi. Sur la demande en nullité des deux lettres de mission pour abus de faiblesse formée par Madame [R] Il y a lieu d’examiner cette demande reconventionnelle en premier lieu, la demande en paiement formée par la société C&O DU PATRIMOINE étant sans objet, s’il y était droit. L’article L132-13 du code de la consommation dispose que le contrat conclu à la suite d’un abus de faiblese est nul et de nul effet. L’article L121-8 du code de la consommation le définit comme le fait d’abuser de la faiblesse ou de l’ignorance d’une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit, lorsque les circonstances montrent que cette personne n’était pas en mesure d’apprécier la portée des engagements qu’elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire ou font apparaître qu’elle a été soumise à une contrainte. Trois conditions sont donc nécessaires pour que la nullité du contrat soit encourue à ce titre : En l’espèce, lors de la conclusion de la première lettre de mission, Madame [R] était âgée de près de 79 ans, sa situation de faiblesse étant dès lors caractérisée à ce titre. Le seul fait qu’elle soit une personne âgée ne permet donc pas de conclure que la société C&O DU PATRIMOINE aurait abusé à deux reprises de sa faiblesse. Elle sera donc déboutée de sa demande visant à voir prononcer la nullité des deux lettres de mission. Sa demande de dommages et intérêts fondée sur l’abus de faiblesse qu’elle invoque sera rejetée pour les mêmes motifs. Sur la demande en paiement formée par la société [R] Il ressort des dispositions de l’article 1103 du code civil que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. L’article 1219 ajoute que la partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. Madame [R], pour s’opposer au paiement de la facture demandée au titre de la seconde lettre de mission, évoque notamment les similitudes tant avec l’objet de la première lettre de mission qu’entre les deux rappports, établis successivement le 14 octobre 2019 et le 21 avril 2021. A cet égard, il convient de relever que Madame [R] n’invoque dans son argumentaire les dispositions de l’article 1217 du code civil qu’à l’égard de la facture afférente à la seconde lettre de mission et non pour la première. En l’espèce, la première lettre de mission avait pour objet la réalisation d’un bilan patrimonial et d’une consultation patrimoniale, outre une assistance patrimoniale (se limitant à la mise en œuvre du plan d’action patrimonial) ainsi qu’un conseil en investissement. Un honoraire forfaitaire de 1800 euros TTC était fixé. Le rapport de mission reprenait une analyse de sa situation (famille, patrimoine, fiscale, impôts sur le revenu et la fortune) avec des conclusions recommandant à Madame [R] de ne pas opter pour une solution de viager ; « je vous propose donc une mission complémentaire pour définir une solution alternative en adéquation avec votre objectif par avenant à notre lettre de mission du 22/02/2018 afin de redéfinir les conditions de rémunération de notre conseil en fonctions des recherches et mise en œuvre des autres solutions envisageables ». Or, si Madame [R] soutient qu’aucune analyse ou étude n’a été réalisée, elle ne peut contester que la société C&O DU PATRIMOINE a bien effectué les obligations qui lui incombaient en application de la lettre de mission susvisée, quand bien même elle considérerait que ce travail ne justifiait pas une facturation. La seconde lettre de mission reprend les mêmes prestations déjà visées dans la première, tout en ajoutant un autre volet « Accompagnement financier : Suivi de l’ensemble des investissements et consultations des actifs financiers ». S’agissant des honoraires prévus, si l’ensemble de la grille forfaitaire des honoraires apparaît barré dans le document, la mention suivante est rajoutée « Précisions : En raison d’une mission préalable établie le 22 02 2018 et donc un compte rendu de mission a été remis après la période du COVID 19 le 14/10/2019 un avenant est proposé ce jour pour finaliser la mission de conseil. Cet avenant à la mission précédente sera facturé au tarif horaire de 200,00€ TTC de l’heure avec un minimum de 10 000, 00 € HT en raison des heures et frais déjà engagés à la mission d’origine et celles estimées pour aboutir au conseil recherché. Il est cependant accordé une réduction de 50% de ces honoraires si la mise en œuvre d’un réemploi pour un montant minimum de 300 000,000 € est assuré par le cabinet C&O DU PATRIMOINE sans omettre les honoraires de 3% HT liés directement aux investisssements proposés. » A ce titre, comme le souligne Madame [R], cette clause interpelle, visant le dépôt du premier rapport postérieurement à la période COVID, alors qu’il a été rendu plusieurs mois avant la prise des premières mesures sanitaires. Le rapport restitué en conséquence, le 21 avril 2021, ne fait dans un premier temps que rappeler l’analyse de la situation familiale, patrimoniale, et de l’impôt sur le revenu de Madame [R], exposée dans le premier compte-rendu, seul son budget étant repris en quelques lignes dans ce second document, tout comme un diagnostic successoral. En revanche, la société C&O DU PATRIMOINE, si elle vise ses précédentes conclusions quant à l’opportunité d’une vente en viager, émet de nouvelles préconisations portant déjà sur la vente de la nue-propriété de l’appartement de sa cliente mais également sur l’emploi du capital en découlant dans un placement dans la forêt française, pour préparer sa succession, outre un aménagement des clauses bénéficiaires de ses contrats d’assurance vie. Par ailleurs, Madame [R] fait grief au requérant d’avoir organisé ultérieurement la vente de la nue-propriété de son appartement, avec un acquéreur inconnu, ayant même signé le compromis de vente de celui-ci, pour ce qu’elle considère être un vil prix, considérant avoir été victime d’une « manipulation opérée et commanditée par M. [U], l’organisateur de la vente », représentant de la société C&O DU PATRIMOINE. En tout état de cause, si la défenderesse affirme que la société C&O DU PATRIMOINE ne justifie pas des heures de travail qu’elle expose, celle-ci se prévalant de 90 heures passés sur son dossier, il n’en demeure pas moins que la demanderesse lui a facturé au titre de ses honoraires le montant minimum annoncé dans la lettre de mission (10 000 euros auxquels s’ajoute la TVA). Dès lors, alors qu’elle n’a d’ailleurs pas formulé de demande subsidiaire de réduction du prix de la facture présentée à l’issue, ayant adressé dans un premier temps un chèque en paiement de celle-ci, il y a donc lui de faire droit à la demande en paiement de la société C&O DU PATRIMOINE et de rejeter également la demande de restitution de la somme de 1800 euros formée par Madame [R]. Sur la demande de dommages et intérêts pour violation de la protection des données à caractère personnel formée par Madame [R] Le règlement général sur la protection des données (RGPD), autrement dit le Règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, est entré en vigueur le 25 mai 2018. En l’espèce, il ressort des deux lettres de mission la mention suivante : La seconde lettre de mission précise : A cet égard, si la société C&O DU PATRIMOINE soutient et l’a expressément visé dans son premier rapport avoir pris attaché avec la société LES 3 COLONNES à la demande de Madame [R], celle-ci le déniant, il n’en va pas de même s’agissant de sa consultation de la société MONETIVIA. Or, celle-ci a manifestement eu connaissance de données personnelles de la défendresse, puisqu’elle a procédé à une estimation de son appartement. Néanmoins, si Madame [R] sollicite la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, elle ne précise pas le préjudice qu’elle aurait effectivment subi, se contentant de citer la sanction pouvant être prononcée à l’encontre de la société C&O DU PATRIMOINE. Elle sera donc déboutée de sa demande. Compte-tenu du rejet de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles et de sa condamnation au paiement de la facture sollicitée par la société C&O DU PATRIMOINE, il n’y a pas lieu d’examiner ses demandes formées au titre d’une procédure abusive qui aurait été initiée par cette dernière. Elles seront donc rejetées. Sur les demandes accessoires Sur les dépens Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. En application de l’article 699 du même code, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision. Madame [J] [R], partie succombant, sera condamnée à supporter les entiers dépens de la procédure, avec application, au profit de la SELARL BERNASCONI ROZET MONNET-SUETY FOREST, des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. Sur les frais irrépétibles Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer : Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. L’équité et la solution du litige motivent de condamner Madame [J] [R] à verser à la société C&O DU PATRIMOINE la somme de 1500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Sur l’exécution provisoire Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. Rien ne commande en l’espèce d’écarter l’exécution provisoire, laquelle est de droit en l’absence de disposition légale spécifique. PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant en audience publique, par jugement contradictoire et en premier ressort, DEBOUTE Madame [J] [R] de sa demande de prononcé de la nullité des deux lettres de missions des 22 février 2018 et 21 avril 2019, CONDAMNE Madame [J] [R] à régler à la société C&O DU PATRIMOINE la somme de 12 000 euros, DEBOUTE Madame [J] [R] de sa demande de restitution de la somme de 1800 euros, DEBOUTE Madame [J] [R] de ses demandes de dommages et intérêts au titre de l’abus de faiblesse et de la violation de la protection des données à caractère personnel qu’elle invoque, DEBOUTE Madame [J] [R] de ses demandes de dommages et intérêts et d’amende civile pour procédure abusive, CONDAMNE Madame [J] [R] à supporter les entiers dépens de la procédure, avec distraction au profit de la SELARL BERNASCONI ROZET MONNET-SUETY FOREST, CONDAMNE Madame [J] [R] à verser à la société C&O DU PATRIMOINE la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, DEBOUTE Madame [J] [R] de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, RAPPELLE que l’exécution provisoire de la décision est de droit. En foi de quoi la présente décision a été signée par la Présidente et la greffière, LA GREFFIERELA PRESIDENTE |
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