REPUBLIQUE FRANÇAISE 14 mai 2024
Tribunal judiciaire de Lille RG n° 24/00526 TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o- Référé ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ DU 14 MAI 2024 DEMANDERESSE : Mme [N] [W] DÉFENDERESSE : Association [6] JUGE DES RÉFÉRÉS : Sarah HOURTOULE, 1ere VP adjointe, suppléant le Président en vertu des articles R. 212-4 et R. 212-5 du Code de l’Organisation Judiciaire GREFFIER : Sébastien LESAGE DÉBATS à l’audience publique du 09 Avril 2024
ORDONNANCE du 14 Mai 2024 LA JUGE DES RÉFÉRÉS Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil et avoir mis l’affaire en délibéré, a statué en ces termes : L’association [6] créée en 2009, est un établissement d’enseignement supérieur et de recherche privé sous statut d’association Loi 1901 sans but lucratif. Madame [N] [W] était inscrite pour l’année universitaire 2023-2024 en Master 1 du Programme Grande Ecole de [6] et a suivi au premier semestre 2023-2024 les enseignements théoriques sur le campus situé à [Localité 5]. Madame [N] [W] a été membre du bureau de l’association Bureau des Etudiants (BDE) en 2023. Par courriel du 16 octobre 2023, Madame [N] [W] a été convoquée à un conseil de discipline du 8 novembre pour « non-respect du règlement intérieur de [6] et non-respect de la charte éthique de l’étudiant ». Par lettre du 18 décembre 2023, [6] a notifié à Madame [N] [W] la délibération du conseil de discipline et son exclusion temporaire de 18 mois à compter du 1er janvier 2024. Exposant qu’elle entend contester cette sanction disciplinaire et qu’elle a besoin des pièces de son dossier que [6] a refusé de lui communiquer, Madame [N] [W] a, par acte du 14 mars 2024, fait assigner [6] fait assigner [6] devant le président du tribunal judiciaire de Lille statuant en référé aux fins de L’affaire a été appelée à l’audience du 9 avril 2024 pour être plaidée. A cette date, Madame [N] [W], représentée par son avocat, sollicite le bénéfice de son exploit introductif d’instance et soutient oralement les demandes qu’elle y formule tout en précisant que [6] lui a communiqué son dossier disciplinaire mais qu’elle maintient ses demandes n’ayant pas reçu l’intégralité des documents demandés. Par conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience, [6] demande au président du tribunal judiciaire de Conformément aux dispositions des articles 455 et 446-1 du code de procédure civile, il est fait référence à l’acte introductif d’instance et aux écritures des parties qui ont été soutenues oralement. La présente décision susceptible d’appel est contradictoire. MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de communication de pièces sous astreinte Madame [N] [W] indique à l’audience qu’elle a reçu communication de son dossier disciplinaire. Elle soutient toutefois qu’il manque un mail du 9 septembre avec Madame [S]. Elle sollicite aussi la communication des échanges écrits entre l’école et les organisateurs au sujet de l’alcool et les courriers et courriels entre l’école SKEMA et le fournisseur afin de constater qu’elle n’était pas impliquée dans l’élaboration et la communication du devis afin de prouver que SKEMA était au courant avant le SEI de la falsification du devis et de la quantité excessive d’alcool au regard de la limite qu’elle avait exigée de 4 verres par personnes. Elle demande aussi la communication des procès-verbaux des conseils de discipline de Madame [P], Madame [L], Monsieur [O] et Monsieur [A] afin de pouvoir démontrer le caractère collectif de la sanction. [6] estime que le recours à l’article 145 du code de procédure civile est encadré pour éviter tout détournement de procédure et vise à solliciter sur un motif légitime et afin de conserver ou établir avant tout procès la preuve de faits. [6] précise avoir transmis par la voie officielle à l’avocat de Madame [W] le dossier disciplinaire de la demanderesse de sorte que celle-ci dispose des éléments lui permettant d’introduire une action en contestation de la sanction. SKEMA s’oppose à la communication des pièces sollicitées. S’agissant du dossier disciplinaire, elle soutient qu’il est entier. S’agissant des décisions touchant les autres étudiants ayant comparu devant un conseil de discipline chaque délibération qui est personnelle et individuelle a été adressée séparément à chaque étudiant. SKEMA estime que cette demande sous le couvert de l’article 145 du code de procédure civile constitue un détournement de procédure. *** Sur la demande de communication de l’intégralité des pièces du dossier disciplinaire ayant fondé les poursuites et la sanction de Madame [N] [W] Il n’est pas contesté que le dossier disciplinaire de Madame [N] [W] a été communiqué par SKEMA le 29 mars 2024. Madame [N] [W] soutient qu’il n’est pas complet mais fonde cela sur un souvenir de sa consultation du dossier, sans étayer sa demande, sans établir que le mail dont elle sollicite la communication existe. Il ne pourra donc y avoir lieu à référé sur cette demande. Sur la demande de communication du procès-verbal des conseils de discipline des autres étudiants entendus pour les mêmes faits, à savoir Madame [R] [P], Madame [M] [L], Monsieur [J] [O] et Monsieur [K] [A] En application des articles 6 et 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. Il appartient d’abord au juge saisi d’une demande de communication de pièces sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile de rechercher si cette communication est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s’il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Le droit à la protection des données à caractère personnel garanti par le règlement UE 2016/679 du Parlement et du Conseil du 27 avril 2016 (RGPD) n’est pas absolu et doit également être mis en balance, conformément au principe de proportionnalité, avec d’autres droits fondamentaux, tel le droit à un recours effectif. A l’audience, Madame [N] [W] indique avoir sollicité les autres étudiants qui ont refusé de lui communiquer les procès-verbaux des conseils de discipline les concernant. Madame [W] affirme que les conseils de discipline ont forcément pris en compte ce qui s’est dit lors des autres conseils puisqu’il a été décidé que les décisions seraient communiquées après que tous les conseils de discipline se soient tenus. Cependant, elle n’apporte aucun élément à l’appui de cette affirmation et il ne ressort pas de la délibération du conseil de discipline que ce qui s’est dit lors des autres conseils de discipline aurait pu avoir une incidence (pièce demanderesse n°5) la mention faite en page 1 de ce document selon laquelle « les membres délibèreront à l’issue de ce Conseil et lui notifieront la décision après la tenue de l’ensemble des conseils de discipline sur le sujet » n’implique pas que les autres délibérations seront examinées pour décider du sort de Madame [W]. La communication des autres délibérations ne saurait par ailleurs permettre d’apprécier précisément la disproportion et les violations des droits de la défense qui entachent la sanction et la procédure disciplinaire dans la mesure où les étudiants ont été sanctionnés dans l’affaire concernant Madame [W], de la même sanction d’exclusion durant 18 mois. Ainsi, Madame [W] n’établit pas de motif légitime et n’apporte pas d’élément permettant de faire droit à la communication d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’autres étudiants comme indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi. Il n’y aura pas lieu à référé sur cette demande. Sur la demande de communication de l’intégralité des courriels entre l’école et les étudiants et entre l’école et le fournisseur concernant la commande d’alcool. Madame [N] [W] n’établit pas avoir sollicité des documents de la part de SKEMA avant de le faire devant le juge des référés. En effet, le courrier officiel adressé par son conseil à SKEMA ne demande que la communication de son dossier disciplinaire. La production forcée d’une pièce ne peut être ordonnée que s’il existe un intérêt légitime pour le demandeur. En l’espèce, Madame [N] [W] affirme que ces échanges permettront de constater qu’elle n’était pas impliquée dans l’élaboration et la communication du devis et que SKEMA était au courant avant le week-end de la falsification du devis. Il n’y aura pas lieu à référé sur cette demande. Sur la demande reconventionnelle de SKEMA BUSSINESS SCHOOL de condamnation de Madame [N] [W] pour procédure abusive [6] a transmis à Madame [N] [W] la délibération de son conseil disciplinaire et interrogé la demanderesse sur l’utilité du maintien de son instance au regard des jurisprudences communiquées. En réponse, Madame [N] [W] fait valoir qu’aucune faute ne peut lui être imputée du fait du maintien de la présente instance, car celle-ci a été initiée en raison du refus de SKEMA de communiquer le dossier disciplinaire sollicité. L’article 32-1 du code de procédure civile dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. L’exercice d’une action en justice peut dégénérer en un abus du droit d’ester en justice mais cela suppose la démonstration d’une faute. En l’espèce, SKEMA BUSSINESS SCHOOL ne démontre pas en quoi l’action de Madame [W] serait constitutive d’une faute à son encontre dans la mesure où lors de l’assignation, elle avait sollicité la communication de son dossier disciplinaire par courrier d’avocat le 16 janvier 2024 et n’a assigné devant le président du tribunal judiciaire le 14 mars 2024, qu’après avoir reçu le refus du SKEMA par un courrier du 1er février 2024. L’amende civile prévue par l’article 32-1 du code de procédure civile est une sanction dont l’initiative appartient non aux plaideurs mais à la juridiction et dont celle-ci ne fera pas application à défaut d’une action en justice dilatoire ou abusive. [6] sera donc débouté de sa demande de condamnation de Madame [N] [W] pour procédure abusive. Sur les autres demandes L’article 491, alinéa 2 du Code de procédure civile dispose que le juge statuant en référé statue sur les dépens. L’article 696 dudit Code précise que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. En application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, la partie tenue aux dépens ou à défaut, la partie perdante, est condamnée au paiement d’une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Madame [N] [W], qui succombe, supportera les dépens et ses propres frais. Ses demandes pour frais irrépétibles seront rejetées. Elle sera en outre condamnée à payer à [6], la somme de 2000 euros, au titre des frais irrépétibles que l’établissement d’enseignement a été contraint d’exposer pour assurer sa défense et sa représentation et préserver ses droits et qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge. La présente décision est exécutoire par provision en application des articles 484 et 514 et 514-1 alinéa 3 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS
Statuant par ordonnance mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort ; Disons n’y avoir lieu à référé, sur la demande de Madame [N] [W] de communication de pièces sous astreinte ; Déboutons [6] de sa demande de condamnation de Madame [N] [W] pour procédure abusive ; Condamnons Madame [N] [W] à payer à [6] la somme de 2000 euros (deux mille euros) au titre des frais irrépétibles ; Déboutons Madame [N] [W] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; Condamnons Madame [N] [W] aux dépens ; Rappelons que la présente ordonnance est exécutoire par provision. La présente ordonnance a été signée par la juge et le greffier. LE GREFFIER LA JUGE DES RÉFÉRÉS Sébastien LESAGE Sarah HOURTOULE |
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