Géolocalisation des délinquants : nullité des actes de procédure

Notez ce point juridique

Selon l’article 174, alinéa 2, du code de procédure pénale, lorsque la chambre de l’instruction constate la nullité d’un acte de la procédure, doivent être annulés par voie de conséquence les actes qui ont pour support nécessaire l’acte vicié.

En l’espèce, après avoir prononcé l’annulation de la géolocalisation en temps réel de sept véhicules et de deux lignes téléphoniques, des interceptions téléphoniques réalisées sur ces deux lignes, de la sonorisation de deux véhicules, des réquisitions adressées en matière de vidéosurveillance, l’arrêt attaqué procède à l’annulation, par voie de conséquence, de nombreux actes et pièces de la procédure ultérieure et à la cancellation de certains autres.

C’est donc à tort que la chambre de l’instruction a omis d’annuler d’autres actes et pièces, qui trouvent leur support nécessaire dans l’un ou plusieurs des actes annulés, tels que divers procès-verbaux de surveillance, de prise de contact, d’exploitation de conversations interceptées, de découverte d’une adresse, de réponse à réquisition, d’autres investigations et actes et d’avis à magistrat, une demande d’autorisation de prolongation d’une mesure de géolocalisation ainsi que deux demandes de perquisition sans assentiment.


N° F 22-87.240 FS-B

N° 00917


GM
5 SEPTEMBRE 2023


CASSATION SANS RENVOI


M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 SEPTEMBRE 2023



MM. [X] [R], [E] [K], [Y] [D] et [A] [H] ont formé des pourvois contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles, en date du 29 novembre 2022, qui, dans l’information suivie contre eux, notamment, des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, a prononcé sur leurs demandes d’annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 13 mars 2023, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.

Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.

Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de Me Goldman, avocat de MM. [X] [R], [E] [K], [Y] [D], [A] [H], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l’audience publique du 20 juin 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Maziau, Seys, Dary, Mme Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Aldebert, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Exposé du litige

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen pour tout ou partie des chefs susvisés, MM. [X] [R], [E] [K], [Y] [D] et [A] [H] ont présenté des requêtes en annulation d’actes et de pièces de la procédure.

Moyens

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a limité le prononcé de l’annulation des actes d’information aux cotes, au titre de l’annulation de la géolocalisation du véhicule Renault Modus immatriculé [Immatriculation 4] : D 31, D 32, D 40 à D 42, D 75, D 83 à D 84, D 95 à D 96, D 113 à D 117, D 127, D 134, D 245 à D 270, D 637, D 638 à D 641, D 885 à D 888, D 890 à D 891, D 893-D 894, D 985 à D 896, D 1287 à D 1347 ; au titre de l’annulation de la géolocalisation du véhicule Peugeot 1007 immatriculé [Immatriculation 3] : D 90 à D 92, D 95 à D 96, D 104 à D 107, D 113 à D 117, D 134, D 642 à D 645·, D 883 D 884, D 889, D 892, D 897 à D 898, D 1079 à D 1130 ; au titre de l’annulation de la géolocalisation du véhicule Renault Twingo immatriculé [Immatriculation 5] : D 133, D 245 à D 270, D 868-D 869, D 870 à D 875, D 876-D 877, D 1155 à D 1192 ; au titre de l’annulation de la géolocalisation du véhicule Audi A1 immatriculé [Immatriculation 6] : D 36 à D 39, D 893-D 894, D 1131 à D 1154 ; au titre des lignes téléphoniques de M. [D] : D 858 à D 859, D 860 à D 861, D 866, D 923, D 1006 à D 1019, D 1020 à D 1068 ; au titre de la sonorisation du véhicule Twingo : D 1357 à D 1427, D 1428 à D 1449 ; au titre des réquisitions au CSU d'[Localité 1] : D 107, D 126, D 136 ; au titre des réquisitions à [7] : D 63, alors :

« 1°/ que l’annulation de la géolocalisation du véhicule Renault Modus immatriculé [Immatriculation 4] devait conduire à l’annulation des cotes D163 et D164, constituant le procès-verbal d’une surveillance mise en place grâce à la géolocalisation annulée, qui trouvaient leur support nécessaire et exclusif dans cette géolocalisation, de sorte qu’en n’annulant pas ces cotes, la chambre de l’instruction a méconnu l’article 174 du code de procédure pénale ;






2°/ que l’annulation de la géolocalisation du véhicule Peugeot 1007 immatriculé [Immatriculation 3] devait conduire à l’annulation de la cote D651, relatant la prise d’attache téléphonique avec un consommateur identifié grâce à la géolocalisation annulée, qui trouvait son support nécessaire et exclusif dans cette géolocalisation, de sorte qu’en n’annulant pas cette cote, la chambre de l’instruction a méconnu l’article 174 du code de procédure pénale ;

3°/ que l’annulation de la géolocalisation du véhicule Audi A1 immatriculé [Immatriculation 6] devait conduire à l’annulation des cotes D33 (identification d’une adresse grâce à la géolocalisation), D59, D129 à D132, et D158 à D159 (déplacements des enquêteurs à l’adresse ainsi obtenue), D172 à D175 (demande de prolongation de géolocalisation), D196, D220 à D221 (procès-verbal et autorisation de perquisition faisant état des géolocalisations), qui trouvaient leur support nécessaire et exclusif dans cette géolocalisation, de sorte qu’en n’annulant pas ces cotes, la chambre de l’instruction a méconnu l’article 174 du code de procédure pénale ;

4°/ que l’annulation de la géolocalisation du véhicule Renault Twingo immatriculé [Immatriculation 5] devait conduire à l’annulation des cotes D452 à D463, constituant le procès-verbal de l’interpellation de M. [D], rendue possible grâce à la géolocalisation annulée, qui trouvaient leur support nécessaire et exclusif dans cette géolocalisation, de sorte qu’en n’annulant pas ces cotes, la chambre de l’instruction a méconnu l’article 174 du code de procédure pénale ;

5°/ que l’annulation de l’interception des lignes téléphoniques de M. [D] devait conduire à l’annulation des cotes D73, D74 et D97 (relation du contenu de conversations sur les lignes dont l’interception a été annulée) et D85 à D86 (procès-verbal d’une surveillance mise en place grâce à une conversation interceptée), qui trouvaient leur support nécessaire et exclusif dans cette interception, de sorte qu’en n’annulant pas ces cotes, la chambre de l’instruction a méconnu l’article 174 du code de procédure pénale ;

6°/ que l’annulation de la sonorisation du véhicule Renault Twingo immatriculé [Immatriculation 5] devait conduire à l’annulation des cotes D169 (découverte grâce à la sonorisation d’une adresse et d’une société à [Localité 2]) et D178 à D180, D181, D185, D274, D652 à D703, D831 à D839 et D1635 à D1650 (recherches relatives à la société identifiée grâce à la sonorisation), qui trouvaient leur support nécessaire et exclusif dans cette sonorisation, de sorte qu’en n’annulant pas ces cotes, la chambre de l’instruction a méconnu l’article 174 du code de procédure pénale ;

7°/ que l’annulation de la cote D126, par laquelle les enquêteurs avaient requis du CSU d'[Localité 1] qu’il oriente en direction d’un hall d’immeuble une caméra de vidéosurveillance devait conduire à l’annulation des cotes D121 à D125, qui forment le procès-verbal d’exploitation des images de ce hall d’immeuble issues de la caméra de vidéosurveillance, qui trouvaient leur support nécessaire et exclusif dans la réquisition annulée, de sorte qu’en n’annulant pas ces cotes, la chambre de l’instruction a méconnu l’article 174 du code de procédure pénale ;

8°/ que l’annulation de la cote D63, qui était une réquisition à l’agence [7] de fournir les identités des propriétaires et occupants d’un immeuble à [Localité 1], devait conduire à l’annulation des cotes D62 et D64 à D68 (réponse à la réquisition, qui a permis d’identifier l’appartement et la cave de M. [H]) et D381 à D451 (interpellation et garde à vue de M. [H], ainsi que la perquisition à son domicile), qui trouvaient leur support nécessaire et exclusif dans la réquisition annulée et la réponse apportée à celle-ci, de sorte qu’en n’annulant pas ces cotes, la chambre de l’instruction a méconnu l’article 174 du code de procédure pénale ;

9°/ que les annulations prononcées, et celles qu’il est reproché à la chambre de l’instruction de ne pas avoir prononcées, auraient dû conduire à l’annulation des procès-verbaux de synthèse D189 à D194 et D198 à D204 qui font référence à plusieurs mesures annulées par la chambre de l’instruction et trouvaient ainsi leur support nécessaire et exclusif dans les actes annulés, de sorte qu’en n’annulant pas ces cotes, la chambre de l’instruction a méconnu l’article 174 du code de procédure pénale ;

10°/ que l’annulation de la sonorisation du véhicule Renault Twingo immatriculé [Immatriculation 5] et celle de l’interception des lignes téléphoniques de M. [D] devaient conduire à l’annulation des cotes D182 (procès-verbal d’identification de M. [W]) et des cotes résultant de cette identification, savoir D556 à D632 (garde à vue et perquisitions), D769 à D830 (recherches bancaires), D1236 à D1286 (géolocalisation du véhicule Toyota), D1465 à D1467 (interrogatoire de première comparution et mise en examen), D1522 et D1570 (courrier de M. [W] au juge d’instruction), D1854 à D2070 (recherches bancaires), D2071 à 2082 (interrogatoires), D2083 à D2210 (demandes d’actes par avocat), qui trouvaient leur support nécessaire et exclusif dans la sonorisation et les interceptions annulées, de sorte qu’en n’annulant pas ces cotes, la chambre de l’instruction a méconnu l’article 174 du code de procédure pénale. »

Motivation

Réponse de la Cour

Moyens

Sur le moyen, pris en sa dixième branche

4. Les demandeurs ne sont pas recevables à reprocher à la chambre de l’instruction de ne pas avoir prononcé l’annulation, par voie de conséquence, en application de l’article 174, alinéa 2, du code de procédure pénale, d’actes et de pièces de la procédure ultérieure qui se rapportent à une autre personne mise en examen, M. [M], dès lors qu’ils n’allèguent ni n’établissent leur intérêt à obtenir l’annulation des éléments en cause.

5. Le grief est en conséquence irrecevable.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche en ce qu’il concerne les cotes D 220 et D 221

6. Par ordonnance du 25 mars 2022, cotée D 220 et D 221, le juge des libertés et de la détention a autorisé la perquisition sans assentiment de locaux d’habitation ou autres sis à dix adresses.

7. Ainsi que la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de le constater, cette décision, si elle fait référence à la géolocalisation du véhicule de M. [D] qui a été annulée, s’appuie également sur d’autres éléments pour autoriser les actes, en particulier l’exploitation de factures téléphoniques détaillées révélant des contacts réguliers entre certaines des personnes mises en cause et des consommateurs de produits stupéfiants, et sur des opérations de surveillance physique réalisées les 12 et 17 janvier 2022 révélant des transactions.

8. Dès lors, l’autorisation en cause ne trouve pas son support nécessaire dans la décision de géolocalisation du véhicule Audi A1 de M. [D] qui a été annulée.

9. Le grief doit en conséquence être écarté.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

10. Pour refuser d’annuler l’interpellation de M. [D] en suite de l’annulation de la géolocalisation de son véhicule Twingo, l’arrêt attaqué énonce que celle-ci repose sur d’autres éléments, tels les renseignements anonymes et les interpellations antérieures de l’intéressé en flagrant délit de détention de produits stupéfiants.

11. En se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction n’a pas méconnu le texte visé au moyen.

12. Le grief doit en conséquence être écarté.

Sur le moyen, pris en sa huitième branche en ce qu’il concerne les cotes D 381 à D 451

13. Ainsi que la Cour de cassation est encore en mesure de le constater dans les pièces du dossier, l’interpellation, le placement en garde à vue de M. [H] et la perquisition de son domicile ne trouvent pas leur support nécessaire dans la réquisition à l’agence immobilière [7] qui a été annulée, la domiciliation de l’intéressé étant antérieurement connue des enquêteurs à la suite de la réception d’un renseignement anonyme (cote D 58).

14. Le grief doit en conséquence être écarté.

Mais sur le moyen, pris en son surplus

Vu l’article 174, alinéa 2, du code de procédure pénale :

15. Selon ce texte, lorsque la chambre de l’instruction constate la nullité d’un acte de la procédure, doivent être annulés par voie de conséquence les actes qui ont pour support nécessaire l’acte vicié.

16. Après avoir prononcé l’annulation de la géolocalisation en temps réel de sept véhicules et de deux lignes téléphoniques, des interceptions téléphoniques réalisées sur ces deux lignes, de la sonorisation de deux véhicules, des réquisitions adressées en matière de vidéosurveillance au CSU d'[Localité 1] et à la station [8] energies, de la réquisition adressée à l’agence [7], d’une perquisition et de la garde à vue de M. [D], l’arrêt attaqué procède à l’annulation, par voie de conséquence, de nombreux actes et pièces de la procédure ultérieure et à la cancellation de certains autres.

17. C’est à tort que la chambre de l’instruction a omis d’annuler d’autres actes et pièces, visés au dispositif, qui trouvent leur support nécessaire dans l’un ou plusieurs des actes annulés, tels que divers procès-verbaux de surveillance, de prise de contact, d’exploitation de conversations interceptées, de découverte d’une adresse, de réponse à réquisition, d’autres investigations et actes et d’avis à magistrat, une demande d’autorisation de prolongation d’une mesure de géolocalisation ainsi que deux demandes de perquisition sans assentiment.

18. La cassation est dès lors encourue de ce chef.

Motivation

Portée et conséquences de la cassation

19. La cassation, n’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond, aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d’appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire.





Dispositif

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles, en date du 29 novembre 2022, mais seulement en ce qu’il n’a pas annulé les cotes D 163, D 164, D 651, D 33, D 59, D 129 à D 132, D 158, D 159, D 172 à D 175, D 196, D 73, D 74, D 97, D 85, D 86, D 169, D 178 à D 180, D 181, D 185, D 274, D 652 à D 703, D 831 à D 839, D 1635 à D 1650, D 121 à D 125, D 62, D 64 à D 68, D 189 à D 194, D 198 à D 204, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

PRONONCE l’annulation :
– du procès-verbal de surveillance coté D 163 et D 164 ;
– du procès-verbal d’attache téléphonique coté D 651 ;
– du procès-verbal de surveillance coté D 33 ;
– du procès-verbal de renseignement coté D 59 ;
– du procès-verbal d’identification de véhicule coté D 129 à D 132 ;
– du procès-verbal de surveillance coté D 158 et D 159 ;
– de la demande d’autorisation de prolongation de la géolocalisation en temps réel de deux véhicules cotée D 172 à D 175 ;
– du procès-verbal de renseignement coté D 196 ;
– du procès-verbal de découverte d’un établissement coté D 73 ;
– du procès -verbal d’identification coté D 74 ;
– du procès-verbal de renseignement et identification coté D 97 ;
– du procès-verbal de surveillance et identification coté D 85 et D 86 ;
– du procès-verbal de découverte de diverses adresses coté D 169 ;
– du procès-verbal de recherches concernant une société coté D 178 à D 180 ;
– du procès-verbal d’avis à magistrat coté D 181 ;
– du procès-verbal de recherches coté D 185 ;
– du procès-verbal d’attache téléphonique coté D 274 ;
– des procès-verbaux de transport, perquisition, audition libre, estimation de la valeur mobilière, réquisition aux finances publiques et attache téléphonique cotés D 652 à D 703 ;
– du procès-verbal de recherches sur compte bancaire coté D 831 à D 839 ;
– du procès-verbal d’état des lieux, placement sous scellés et inventaire avec prisée coté D 1635 à D 1650 ;
– du procès-verbal d’exploitation vidéo de la CSU coté D 121 à D 125 ;
– du procès-verbal d’exploitation de liste coté D 62 ;
– de la feuille de présence cotée D 64 à D 68 ;
– de la demande d’acte cotée D 189 à D 194 ;
– de la demande d’acte cotée D 198 à D 204 ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille vingt-trois.

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