Le traçage GPS des salariés

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L’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace que la géolocalisation


Le principe applicable

Selon l’article L. 1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

Le GPS, un recours ultime

Il résulte de ces dispositions légales que l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace que la géolocalisation, n’est pas justifiée lorsque le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail.

Légalité du traçage GPS

Pour être valide, un système de géolocalisation devait, avant le 25 mai 2018, faire l’objet d’une déclaration auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) puis d’une information préalable des institutions représentatives du personnel et d’une information individuelle des salariés.

A défaut, la production d’un relevé de géolocalisation constitue un mode de preuve illicite.

Les logiciels non assimilés aux traceurs

En l’espèce, le salarié expose que l’employeur a mis en place depuis plus d’un an le logiciel « Scot Facility » pour les interventions, sans aucune information préalable du personnel et sans déclaration à la CNIL alors que l’utilisation de ce logiciel constituerait un traitement automatisé des données pour surveiller les salariés.

Toutefois, il n’est pas démontré que ce logiciel serait un système de géolocalisation imposé par l’employeur ni que celui-ci l’utiliserait pour surveiller le personnel.

La lettre de la CNIL du 15 octobre 2018 adressée à l’employeur à la suite de la plainte déposée par le salariée rappelle les obligations générales contenues dans le règlement général sur la protection des données (RGPD) et aucune pièce du dossier n’établit qu’une procédure relative à des manquements de l’employeur en la matière aurait été diligentée.

Le gérant a d’ailleurs attesté sur l’honneur le 22 novembre 2018 ‘ lettre adressée à la CNIL – de ce que le logiciel litigieux n’appartenait pas à l’entreprise, la fonction géolocalisation n’était pas activée, l’entreprise ne possédait aucun logiciel de géolocalisation et aucun personnel ne gérait la géolocalisation.

Les documents produits par l’employeur corroborent le contenu de cette attestation sur l’honneur et permettent de constater que le salarié avait la possibilité de refuser au logiciel d’accéder à la position géographique de l’appareil et ce, pour chaque intervention programmée, que ce logiciel ne contenait aucune donnée personnelle du salarié et qu’en tout état de cause, une information individuelle avait été réalisée par courriel le 27 juillet 2015.

Il n’est par conséquent pas démontré que l’employeur apportait aux droits du salarié et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.


Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 17 MAI 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 20/05640 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OZFJ

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 13 NOVEMBRE 2020

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER N° RG F18/01021

APPELANT :

Monsieur [F] [M] [B]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Nathalie GARBISON DE MORTILLET, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

S.A.R.L. ROUX INTERVENTIONS

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représentée par Me Lysiane KARKI avocat au barreau D’ANGERS

Ordonnance de clôture du 14 Février 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 MARS 2023,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère, chargé du rapport.

Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère, faisant fonction de Président en l’absence du Président empêché

Madame Florence FERRANET, Conseiller

Madame Caroline CHICLET, Conseiller

Greffier lors des débats : M. Philippe CLUZEL

ARRET :

– contradictoire;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère, en l’absence du Président empêché, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

Après un contrat de travail à durée déterminée du 2 janvier 2014, M. [F] [M] [B] a été engagé par la SARL Next Business Day par contrat de travail à durée indéterminée du 3 avril 2014, en qualité de technicien de maintenance informatique, qualification prévue par la convention collective nationale bureautique et informatique, moyennant une rémunération mensuelle brut de 1800€.

Le 7 avril 2016, le contrat de travail a fait l’objet d’un transfert au profit de la SARL Roux Interventions.

Celle-ci a soumis au salarié un avenant du 1er décembre 2017 précisant notamment que

– la convention collective nationale applicable était celle des bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs, sociétés de conseil du 15 décembre 1987 dite Syntec numéro 1486,

– les fonctions de technicien de maintenance étaient classées au niveau 1.4.2 coefficient 250 statut Etam,

– la rémunération s’élevait à 1 832,79 € dans le cadre d’un forfait en heures sur le mois.

Le 8 février 2018, l’employeur a notifié au salarié une mise en garde.

Par lettre du 9 février 2018, le salarié a refusé de signer l’avenant proposé, sollicitant une négociation.

Du 15 au 20 février 2018, il a été placé en arrêt de travail pour maladie.

Le 24 mai 2018, il s’est présenté aux élections du comité social éconmique (CSE).

Le 19 juin 2018, il a été élu au premier tour.

Le 25 juin 2018, l’employeur lui a notifié un avertissement.

Entre-temps, à compter du 4 juin 2018, le salarié avait été placé en arrêt de travail pour maladie jusqu’au 13 août 2018.

Par lettre du 21 septembre 2018, l’employeur a notifié au salarié sa mise à pied à titre conservatoire et l’a convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé le 2 octobre 2018.

Par requête enregistrée le 26 septembre 2018, exposant que l’avertissement était injustifié et devait être annulé, que des heures supplémentaires lui étaient dues pour la période comprise entre 2014 et 2016, que des indemnités devaient lui être payées du fait du travail accompli à son domicile, que le « tracking GPS » n’avait pas été signalé, qu’il avait été victime de harcèlement moral et qu’une enquête devait être menée sur l’entrave aux élections du CSE et sur les pressions exercées depuis les élections du CSE, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier.

Le 15 octobre 2018, le salarié à porté plainte contre l’employeur auprès des services de la CNIL.

Le 11 décembre 2018, l’inspecteur du travail a autorisé le licenciement du salarié pour faute grave.

Le 13 décembre 2018, l’employeur a notifié au salarié son licenciement pour faute grave.

Par jugement avant dire droit du 6 mars 2020, le conseil de prud’hommes a

– ordonné la réouverture des débats à l’audience du bureau de jugement du 26 juin 2020,

– demandé à la SARL Roux Interventions de fournir les fiches d’intervention avec la date, l’heure d’entrée et de sortie chez le client, et ce pour la période du 20 septembre 2016 à la fin du contrat,

– réservé les dépens.

Par jugement du 13 novembre 2020, le conseil de prud’hommes a

– condamné M. [M] [B] à régler à la SARL Roux Intervention les sommes suivantes :

* 973,66 € HT au titre du remboursement de l’utilisation de la carte Total,

* 397 € au titre du remboursement du loyer du véhicule,

* 566, 40 € au titre du remboursement du trop-perçu du solde de tout compte ;

– débouté les parties du reste de leurs demandes ;

– condamné M. [M] [B] aux éventuels dépens.

Par déclaration enregistrée au RPVA le 10 décembre 2020, le salarié a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 20 octobre 2021, M. [F] [M] [B] demande à la Cour, au visa des articles L. 1331-1, L. 1121-1, L. 3171-4, L.8221-1, L. 1152-1, L. 1132-1 et L. 4121-1 du code du travail de :

– juger son appel recevable et fondé ;

– réformer le jugement en ce qu’il l’a débouté de l’ensemble de ses demandes et en ce qu’il l’a condamné au paiement du remboursement de la somme de 973,66€, du paiement de la somme de 397 €, et du paiement de la somme de 566,40 € ;

– condamner l’employeur au paiement de la somme de 1 630,80 € outre les congés payés y afférents de 163,08 € ;

– ordonner la délivrance d’un bulletin de paie rectificatif sous astreinte de 150 € par jour de retard, le conseil de prud’hommes se réservant le droit de liquider l’astreinte ;

– annuler les sanctions injustifiées ;

– condamner l’employeur au paiement de la somme de 5 000 € net à titre de dommages intérêts au titre des sanctions injustifiées ;

– condamner l’employeur au paiement de la somme de 5 187 € à titre d’indemnité d’occupation ;

– dire et juger que cette somme portera intérêt au taux légal depuis son exigibilité ;

– condamner l’employeur au paiement de la somme de 200 € à titre de remboursement de l’imprimante du salarié utilisée à des fins professionnelles ;

– condamner l’employeur au paiement de la somme de 10 000 € net à titre de dommages intérêts au titre du traitement de données non déclaré à la CNIL comme il se doit ;

– condamner l’employeur au paiement de la somme de 25 000 € net à titre de dommages intérêts venant réparer le préjudice moral subi;

– réformer le jugement en ce qu’il a fait droit aux demandes reconventionnelles injustifiées et abusives formulées par l’employeur ;

– condamner l’employeur au paiement de la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 et aux entiers dépens de l’instance.

Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 5 novembre 2021, la SARL Roux Interventions demande à la Cour de :

– la recevoir en son appel incident, le dire bien fondé et y faisant droit ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [M] [B] de l’ensemble de ses demandes ;

-débouter celui-ci de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions ;

– le condamner au paiement de la somme de 10.000 € à son profit, tant au titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article L1222-1 du Code du travail, qu’au titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 32-1 du Code de procédure civile pour procédure abusive ;

– le condamner au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour l’exposé des prétentions des parties et leurs moyens, il est renvoyé, conformément à l’article 455 du Code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 octobre 2022.

MOTIFS

Sur le rappel de salaires au titre des heures supplémentaires.

Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du Code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, le salarié expose avoir accompli 100 heures supplémentaires non payées entre 2014 et 2018, représentant 1630,80 € outre l’indemnité de congés payés y afférents, et sollicite l’infirmation du jugement qui l’a débouté de sa demande et qui a, selon lui, fait peser exclusivement sur sa personne la charge de la preuve.

L’employeur soulève, page 11 de ses conclusions, la prescription concernant une partie de la période litigieuse.

En effet, en application de l’article L3245-1 du Code du travail, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

En l’espèce, le salarié a interrompu le cours de la prescription en saisissant le conseil de prud’hommes le 21 septembre 2018 en sorte que sa demande en rappel de salaire ne peut porter que sur la période comprise entre le 21 septembre 2015 et le 21 septembre 2018, date de la notification de sa mise à pied à titre conservatoire, et que la demande concernant la période comprise entre le 1er janvier 2015 et le 20 septembre 2015 est prescrite.

Le salarié verse aux débats les pièces suivantes :

– des courriels adressés à l’employeur en 2017 et 2018 soit le dimanche, soit entre midi et deux, soit encore après 20h00, notamment un courriel du 28 février 2018 envoyé à 23h09 mentionnant une arrivée à 23h05 après un trajet sans pause depuis 8h00 en raison de le neige sur la route,

– sa lettre non datée contestant l’avertissement notifié le 1er juin 2008 et faisant état d’heures supplémentaires non payées ainsi que sa lettre non datée sollicitant le calcul et le paiement des heures supplémentaires accomplies de 2014 à 2018 au vu des rapports d’intervention horodatés en possession de l’employeur,

– des documents relatifs aux questions posées au CSE du 21 septembre 2018 relatives à la durée du travail, à la fatigue routière en lien avec le planning des rendez-vous ainsi qu’à la communication des horaires et des déplacements,

– des rapports de formation Strator auprès des SNC Girsac et Le Pyrénée les 14 mai 2018 et 22 février 2018 (interventions pour installer le logiciel dédié aux débits de tabac et former le client),

– l’attestation régulière en la forme de M. [T] [A], ex-salarié, lequel indique notamment que le salarié s’est confié à plusieurs reprises au sujet des heures supplémentaires non payées.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre.

Celui-ci – qui conteste la matérialité des heures supplémentaires alléguées et fait valoir que les courriels ne sont, en soi, pas suffisamment probants et qu’en raison d’un horaire collectif, il n’avait pas l’obligation de contrôler la durée du travail – ne produisait en première instance aucune pièce aux débats ; ce qui a conduit le conseil de prud’hommes à lui ordonner de produire les fiches d’intervention du salarié.

Toutefois, l’intégralité de ces fiches n’est pas versée aux débats par l’employeur ; ce qui ne permet pas de remettre en question tous les éléments produits par le salarié.

Au vu des pièces, il apparaît néanmoins que le nombre effectif d’heures supplémentaires non payées est inférieur à celui réclamé.

L’employeur sera condamné à payer au salarié la somme de 562,32€ outre 56,23 € au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ces chefs de demandes.

Sur le travail dissimulé.

La dissimulation d’emploi salarié prévue à l’article L 8221-5 du Code du travail n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, notamment omis d’accomplir la formalité relative à la déclaration préalable à l’embauche.

L’article L 8223-1 du même Code, dans sa version applicable, prévoit qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié concerné par le travail dissimulé a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l’espèce, au vu du faible volume d’heures supplémentaires dues par l’employeur, l’intention de dissimulation n’est pas démontrée.

La demande au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulée doit être rejetée. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur l’annulation des sanctions.

L’article L 1331-1 du Code du travail dispose que constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

L’article L 1333-1 du même Code prévoit qu’en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La mise en garde du 8 février 2018.

La mise en garde est rédigée comme suit :

« Monsieur,

Par la présente, nous faisons suite au mail que vous m’avez adressé avec copie à l’ensemble des techniciens de l’entreprise.

Dans ce mail vous affirmez de manière extrêmement claire qu’à l’occasion des élections des délégués du personnel qui ont été organisées à l’initiative de la direction en octobre 2016 et qui ont donné lieu à un PV de carence, faute de candidat, il y a eu « légalement entrave ». Ce courriel m’étant nominativement adressé il me semble évident que vous me visez personnellement.

Je tiens à attirer votre attention sur le fait que le délit d’entrave à la mise en place des institutions représentatives du personnel est un fait extrêmement grave, si grave qu’il est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 7.500 euros.

Bien sûr, un certain nombre d’éléments cumulatifs doivent être réunis pour que la qualification de délit d’entrave puisse être retenue (…).

En conséquence et au regard de la publicité qui en a été faite une telle accusation constitue une atteinte à ma probité, mon honneur d’autant que ces accusations ont été portées devant un groupe fermé constitué de salariés lié à moi par un lien hiérarchique.

En votre qualité de salarié vous bénéficiez d’une liberté d’expression aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise, sous résrve que l’exercice de cette liberté ne dégénère pas en abus. (…) ;

Nous souhaitons qu’à l’avenir, de telles accusations ne se reproduisent plus et que vous mesuriez désormais la teneur des propos que vous présentez comme des certitudes.

Le présent courrier constitue une mise en garde écrite non constitutive d’une sanction disciplinaire, ceci étant, si de tels agissements devaient se reproduire nous ne manquerions pas d’engager à votre encontre une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’à la rupture de votre contrat de travail. (…) ».

Contrairement à ce que soutient l’employeur et malgré la dernière phrase ci-dessus reproduite, la teneur comminatoire et la menace de sanction confèrent à cet écrit le caractère de sanction disciplinaire.

L’employeur reproche au salarié de l’avoir accusé à tort d’avoir commis une entrave aux élections du CSE au travers d’un courriel adressé en copie à l’ensemble du personnel de l’entreprise.

Ce courriel adressé par le salarié le 29 janvier 2018, relatif aux changements initiés par la direction dans le cadre de l’avenant au contrat de travail, fait état de l’absence de dialogue social, sollicite la tenue de nouvelles élections du personnel, annonce sa candidature à l’élection en qualité de délégué du personnel et comporte la phrase suivante :

« Nous avons subi des pressions sur les anciennes élections de délégués nous avons laissé passé même si légalement il y a eu entrave »,

avant la conclusion suivante :

« Nous aborderons les points sur lesquels nous souhaiterions débattre tous à l’unanimité. Sachez que si nous n’arrivons pas à nous entendre un mouvement de grève générale suite à ce contrat risque fort d’arriver ».

La teneur de ce courrier, rédigé par un salarié qui annonce sa candidature aux élections du personnel, n’apparaît nullement constitutif d’un abus de sa liberté d’expression ou d’une faute susceptibles d’être sanctionnés disciplinairement ; et ce, même s’il a été adressé en copie au personnel de l’entreprise.

Il y aura lieu d’annuler cette sanction et d’infirmer le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande. Le préjudice résultant de la notification d’une telle sanction injustifiée sera réparé par la somme de 150 € à titre de dommages et intérêts.

L’avertissement du 25 juin 2018.

L’avertissement est rédigé dans les termes suivants :

« Objet : Avertissement.

Monsieur [M] [B],

Suite à vos agissements, nous vous informons de notre décision de vous adresser un avertissement qui sera versé à votre dossier personnel.

Les faits que nous vous reprochons sont les suivants :

Vous êtes technicien de maintenance informatique et exercez vos missions chez les clients de la société. Vos interventions se situent pendant vos horaires de travail d’une manière générale entre 9h00 et 12h00 et entre 14h00 et 18h00 étant précisé que vos horaires de travail peuvent être modifiés en fonction des impératifs de services.

Dans le cadre de vos interventions, certaines doivent être réalisées en respectant strictement l’horaire d’intervention fixé par la planification (celles dont l’horaire d’intervention est fixé de manière impérative) et d’autres peuvent être réalisées sur un créneau horaire (celle dont l’horaire d’intervention est fixé à partir d’une certaine heure).

Pour vos interventions de la journée du 01/06/2018, il vous était demandé de réaliser deux interventions avec des horaires « impératifs » : Casio [Localité 6] et [Localité 5], plus une intervention Orchestra dont vous deviez fixer l’heure de RDV à partir de l’horaire donné par le service planification et une dernière intervention Leclerc qui étaient « à partir de » c’est-à-dire sans impératif et sans RDV (cf Scott et mail qui vous ont été communiqués la veille).

En conséquence, vous deviez donc organiser vos différentes interventions en fonction des impératifs de service et donc être à l’heure aux RDV fixés. En vous organisant correctement, il n’y avait aucun problème pour assurer ces interventions dans l’ordre programmé.

Le RDV CASIO de [Localité 6] devait être honoré impérativement à 9h30, celui de [Localité 5] à 11h30, celui d’Orchestra à partir de 14h30 et l’intervention de LECLERC [Localité 7] était à intégrer dans votre journée.

L’ensemble de ces clients se situent dans le même secteur géographique et sont distants les uns des autres dans un rayon de 80 km au plus.

Sans aucune raison objective et de votre propre initiative vous avez décidé de changer l’ordre des interventions dont les RDV impératifs et ceci sans obtenir l’accord préalable de la planification et donc du client.

Le CASIO de [Localité 6] n’a pas été réalisé, c’est le client qui a téléphoné à la planification vers 10H00 en demandant pourquoi aucun technicien ne s’était présenté à 9H30. Cela ne fait pas très professionnel vis-à-vis du client.

La veille au soir, vous avez estimé ne pouvoir être à l’heure au RDV de 9h30 au regard de la circulation du vendredi matin en centre de [Localité 6] et avez donc, de votre propre initiative, décidé de ne pas honorer le RDV de 9h30 alors qu’en application de vos dispositions contractuelles vous commencez votre travail à 9h00 et auriez dû faire en sorte de vous trouver chez le client à 9h30 même si cela impliquait un temps de déplacement hors temps de travail.

Vous avez pris seul l’initiative de commencer vos interventions par Orchestra St Aunes qui était noté « à partir  » donc sans impératif et sans RDV. Ce qui a eu pour conséquence de vous empêcher d’être à l’heure à [Localité 5], intervention CASIO programmée avec un horaire impératif de 11H30.

Lorsque vous avez prévenu le client de votre retard, celui-ci, mécontent, vous a fixé un nouveau RDV à 14H00 (après l’heure de pointe de son restaurant). Vous nous avez indiqué que vous vous êtes présenté à [Localité 5] vers 13H30 en nous envoyant dans l’après-midi une photo et en affirmant qu’une personne à l’accueil vous aurait signifié que l’étabIissement était fermé. Là encore, vous ne prenez pas contact avec la planification et décidez de quitter les lieux sans attendre l’heure du RDV fixé avec le client. Le client nous a certifié que son restaurant était ouvert et qu’il n’a vu aucun technicien se présenter pour l’intervention. Très mécontent de ce deuxième RDV raté, il a demandé d’intervenir impérativement ce même jour(1er juin) à 18H00.

A 13H30, vous avez, selon vos dires, quitté [Localité 5] pour vous rendre au LECLERC [Localité 7] pour une intervention programmée « à partir  » donc sans horaire impératif. La plani’cation a essayé de vous joindre sans succès pour vous demander de vous rendre à 18h00 à [Localité 5] car le client est très en colère et cette intervention est sensible (c’est un client très important pour Roux Interventions dont la satisfaction pourrait déboucher sur d’autres missions).

Lorsque nous sommes enfin parvenus à vous joindre en cours d’après-midi, vous avez refusé de vous y rendre et avez coupé votre téléphone pour ne pas être joignable de l’après-midi apres 16h30. Bien qu’à 18h00, cette intervention répondait à un impératif de service et aurait dû être réalisée par vos soins.

Constituent des manquements graves à vos obligations les faits suivants :

– Ne pas respecter les deux interventions ([Localité 6] et [Localité 5]) avec des horaires impératifs dont vous avez parfaitement connaissance et qui étaient tout a fait réalisables au regard de vos horaires de travail et du temps séparant les deux interventions.

– De modifier l’ordre des interventions de votre propre initiative de manière contraire aux intérêts de l’entreprise et sans en avoir informé la planification.

– Ne pas avoir respecté l’horaire de 14H00 pour le deuxième RDV de CASIO [Localité 5].

– D’avoir refusé de retourner à [Localité 5] à 18H00 compte tenu des circonstances, ce qui est un manquement a vos obligations professionnelles.

– D’avoir volontairement coupé votre téléphone professionnel afin de ne pas être joignable après 16h30 l’après-midi du 1er juin 2018.

Les conséquences de vos décisions et de votre comportement ont eu plusieurs conséquences :

– Le mécontentement des deux clients qui ont fait remonter leur insatisfaction auprès de notre donneur d’ordre. Le Service Commercial de Roux Interventions a dû rendre des comptes sur ces deux interventions avec impératifs horaires non réalisés, et tout particulièrement sur le CASIO [Localité 5]. Le client nous a fait savoir que ce n’était pas un bon point pour notre entreprise et un manque de sérieux dans notre travail.

– Nous avons dû mandater un autre technicien le lundi suivant.

– Une nouvelle fois, plusieurs personnes de la planification nous ont fait part dela dif’culté qu’iIs ont de travailler avec vous car vous ne respectez pas les consignes et qu’il est de plus en plus difficile de discuter avec vous. La satisfaction du client est, et doit être, la priorité de chaque collaborateur et, il est

inconcevable de ne pas appliquer cette valeur chère à l’entreprise.

Nous ne pouvons pas tolérer une telle attitude de votre part vis-à-vis de nos clients et de vos collègues de travail.

Nous ne pouvons pas accepter le fait que vous ne respectez pas une des valeurs principales de Roux Interventions qui est le service et la satisfaction du client, valeur essentielle à l’avenir de notre entreprise.

Ainsi, par votre comportement, vous avez manqué à vos obligations professionnelles.

Nous ne pouvons pas tolérer de tels faits.

Ainsi, nous vous notifions, par la présente, un avertissement, qui sera versé à votre dossier personnel.

Nous vous précisions que si de tels agissements se reproduisaient, nous pourrions être amenés à envisager à votre égard une sanction plus grave. (…) ».

L’employeur reproche au salarié une insubordination caractérisée par le fait d’avoir le 1er juin 2018, de sa propre initiative, privilégié une intervention non impérative (Orchestra prévue à compter de 14h30) au détriment de deux interventions impératives sans accord préalable du service de planification (clients Casio à [Localité 6] et à [Localité 5] respectivement fixés à 9h30 et 11h30), de ne pas avoir honoré le rendez-vous avec Casio à [Localité 5], d’avoir refusé de s’y rendre et d’avoir sciemment coupé son téléphone portable après 16h30 afin de ne pas être contacté par le service de planification.

Pour établir les faits reprochés, l’employeur verse aux débats :

– un courriel du 1er juin 2018 de Mme [E] [J] adressé à la direction aux termes duquel elle indique d’une part, avoir eu un problème avec « [F] [M] » ce jour même, celui-ci ayant « commencé sa tourné à l’envers malgré les RDV fixés et imposés », ayant « refusé d’aller sur site à 18h00 » et s’étant « mis directement sur répondeur » et étant injoignable et d’autre part, constater que les techniciens font ce qu’ils veulent, le service RIS devant modifier sa façon de travailler,

– un courriel du même jour de Mme [X] [L] relatif au « loupé intervention Casio » corroborant le premier courriel s’agissant de la modification de la tournée par le salarié, son refus d’intervention, le mécontentement du client Casio et le fait qu’il a coupé son téléphone pour ne plus être joignable.

Ces éléments objectifs adressés le jour même des faits reprochés établissent l’insubordination du salarié.

Celui-ci ne conteste pas les faits reprochés mais affirme sans le prouver qu’il a été retardé par un accident de la circulation et a dû modifier l’ordre de sa tournée.

Il n’en demeure pas moins qu’il n’explique ni la raison pour laquelle il n’a pas pris contact avec le service de planification pour faire part de la difficulté et prendre les instructions, ni le motif justifiant son refus de se déplacer à 18h00 ni encore sa décision de couper son téléphone portable. Le moyen tiré de ce qu’il ne voulait plus accomplir d’heures supplémentaires non payées doit être écarté au vu du faible volume d’heures supplémentaires retenues ci-dessus.

Ce comportement constitue une faute justifiant la notification de l’avertissement.

Le fait que, selon la salariée, le service RIS ne serait pas suffisamment organisé ne retire pas le caractère fautif de l’insubordination du salarié.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes d’annulation et de dommages et intérêts.

Sur l’indemnité d’occupation et le remboursement de l’utilisation de matériel personnel à des fins professionnelles.

L’indemnité d’occupation de domicile est une indemnité à laquelle peut prétendre un salarié dès lors qu’un local professionnel n’est pas mis à sa disposition et qu’il est tenu, de par ses fonctions ou sur demande de son employeur, d’utiliser une partie de son domicile personnel à des fins professionnelles. Elle compense le désagrément lié à l’utilisation du domicile à des fins professionnelles, notamment du fait que le matériel professionnel soit stocké dans le logement du salarié. Son montant est souverainement apprécié par les juges en fonction de différents indices, tels que le temps d’occupation du domicile à des fins professionnelles, la surface utilisée à des fins professionnelles ou encore la valeur locative de l’immeuble.

En l’espèce, le salarié expose que la société n’avait aucun établissement à [Localité 6] et qu’il lui était demandé de disposer d’une imprimante à son domicile afin d’imprimer systématiquement les rapports d’intervention devant être remplis avec la clientèle ainsi que les feuilles de route.

Par courriel du 1er mars 2018 versé aux débats par le salarié, le service « conduite d’activité » en la personne de M. [K] demande au personnel, dont le salarié, de prendre en compte une nouvelle consigne consistant à imprimer le rapport contenu en pièce jointe pour chaque intervention Strator, ce document devenant obligatoire et devant être envoyé par courriel ou transmis par une application Scot-mobile le jour même.

Par ailleurs, au courriel adressé le 14 mars 2018 par le salarié signalant une panne de son imprimante personnelle, la direction a répondu le même jour : « afin de pallier à l’urgence, une imprimante sera disponible dès demain au dépôt TNT de [Localité 6] ».

Enfin, il n’est pas contesté que l’entreprise n’offrait pas de local aux salariés itinérants.

Ces éléments établissent l’utilisation par le salarié d’un espace de son logement pour y réaliser des tâches administratives à compter du 14 mars 2018 jusqu’au 21 septembre 2018, date de sa mise à pied à titre conservatoire.

Il y a lieu de condamner l’employeur à lui verser la somme de 600€ au titre de l’indemnité d’occupation du logement.

Un salarié est en droit de solliciter une indemnité de remboursement des frais occasionnés par le travail à domicile.

En l’espèce, le salarié estime que l’employeur doit lui rembourser son imprimante, celle-ci étant tombée en panne.

Toutefois, il ne démontre pas que sa propre imprimante serait devenue inutilisable du fait de l’utilisation faite à titre professionnel, en sorte que cette demande doit être rejetée.

Le jugement sera infirmé s’agissant de l’indemnité d’occupation mais confirmé s’agissant du remboursement de l’imprimante.

Sur le traçage GPS.

Selon l’article L. 1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

Il résulte de ces dispositions légales que l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace que la géolocalisation, n’est pas justifiée lorsque le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail.

Pour être valide, un système de géolocalisation devait, avant le 25 mai 2018, faire l’objet d’une déclaration auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) puis d’une information préalable des institutions représentatives du personnel et d’une information individuelle des salariés.

A défaut, la production d’un relevé de géolocalisation constitue un mode de preuve illicite.

En l’espèce, le salarié expose que l’employeur a mis en place depuis plus d’un an le logiciel « Scot Facility » pour les interventions, sans aucune information préalable du personnel et sans déclaration à la CNIL alors que l’utilisation de ce logiciel constituerait un traitement automatisé des données pour surveiller les salariés.

Toutefois, il n’est pas démontré que ce logiciel serait un système de géolocalisation imposé par l’employeur ni que celui-ci l’utiliserait pour surveiller le personnel.

La lettre de la CNIL du 15 octobre 2018 adressée à l’employeur à la suite de la plainte déposée par le salariée rappelle les obligations générales contenues dans le règlement général sur la protection des données (RGPD) et aucune pièce du dossier n’établit qu’une procédure relative à des manquements de l’employeur en la matière aurait été diligentée.

Le gérant a d’ailleurs attesté sur l’honneur le 22 novembre 2018 ‘ lettre adressée à la CNIL – de ce que le logiciel litigieux n’appartenait pas à l’entreprise, la fonction géolocalisation n’était pas activée, l’entreprise ne possédait aucun logiciel de géolocalisation et aucun personnel ne gérait la géolocalisation.

Les documents produits par l’employeur corroborent le contenu de cette attestation sur l’honneur et permettent de constater que le salarié avait la possibilité de refuser au logiciel d’accéder à la position géographique de l’appareil et ce, pour chaque intervention programmée, que ce logiciel ne contenait aucune donnée personnelle du salarié et qu’en tout état de cause, une information individuelle avait été réalisée par courriel le 27 juillet 2015.

Il n’est par conséquent pas démontré que l’employeur apportait aux droits du salarié et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

La demande sera rejetée. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le harcèlement moral et l’obligation de sécurité.

Selon l’article L.1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En cas de litige, l’article L.1154-1 du même Code, dans sa rédaction applicable, prévoit que le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l’exitence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

L’article L 4121-1 du Code du travail dispose que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent

1° des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail,

2° des actions d’information et de formation,

3° la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

En l’espèce, le salarié fait valoir l’existence d’un préjudice moral sur le fondement des articles sus-mentionnés et rappelle notamment que si l’autorisation de licenciement accordée par l’autorité administrative ne lui permet plus de contester la cause ou la validité du licenciement, elle ne le prive pas du droit de demander réparation du préjudice qui en est résulté sur le plan moral.

Il précise qu’il a été brimé après la reprise par la SARL Roux Interventions et plus particulièrement après la présentation de sa candidature aux élections du CSE et sa prise de position en faveur des salariés, qu’il a été sanctionné par un avertissement six jours après son élection, qu’il a rencontré des difficultés pour exercer son mandat, que la saisine de la Direccte n’est pas intervenue immédiatement après sa mise à pied à titre conservatoire, qu’il n’a pu être assisté d’un conseiller lors de l’entretien préalable au licenciement du fait de l’employeur qui a dissuadé la personne qu’il avait choisie de se présenter à ses côtés, qu’il lui a été fait croire que son mandat était suspendu du fait de la mise à pied à titre conservatoire, que la durée de celle-ci a été excessive, que l’employeur a refusé de solder ses congés alors qu’il était en grande difficulté, que la déloyauté générale de l’employeur à son égard a entraîné la dégradation de son état de santé et que l’employeur a fait preuve d’une volonté de lui nuire.

Il verse aux débats les pièces suivantes :

– son courriel du 29 janvier 2018 aux termes duquel il a pris position contre l’avenant proposé et a annoncé sa candidature aux élections du CSE ainsi que la réponse de l’employeur du 8 février 2018 lui notifiant une mise en garde et la lettre d’avertissement du 25 juin 2018,

– la lettre de l’inspecteur du travail du 18 octobre 2018 accusant réception de la demande d’autorisation de procéder à son licenciement,

– des échanges de courriels au mois d’octobre 2018 desquels il résulte qu’il a demandé à solder ses congés payés alors qu’il était mis à pied depuis trois semaines puis un mois, qu’il était sans ressources en charge de trois enfants et le refus de l’employeur évoquant la procédure en cours à l’inspection du travail,

– un courriel adressé le 5 novembre 2018 à son médecin aux termes duquel il faisait état de ses idées noires et sollicitait un rendez-vous, ainsi qu’un certificat médical du 23 septembre 2019 de son médecin généraliste indiquant avoir reçu l’intéressé à trois reprises en décembre 2015, une fois en janvier 2016, en février 2016 et le 8 avril 2017 « pour un syndrôme anxiodépressif, lombalgies, prise pondérale sur polyphagie, idées noires, sentiment de dévalorisation, troubles du sommeil et troubles comportementaux (agressivité, hyper-irritabilité), liés selon lui à des problèmes professionnels (surmenage, l’impression « qu’on veut l’évincer », harcèlement, manque de reconnaissance), qui ont nécessité la prescription de rééducation/anxiolytique, anti-dépresseur/AINS/décontractant musculaire, ainsi qu’un arrêt de travail du 5 décembre 2015 au 31 mars 2016 et du 08 avril 2017 au 17 avril 2017 »,

– l’attestation régulière de M. [N] [R], ex-salarié de l’entreprise, qui indique avoir été contacté par l’employeur alors que le salarié lui avait demandé de l’assister à l’entretien préalable au licenciement du 2 octobre 2018, que l’employeur lui avait dit ne pas être certain que ses frais de déplacements seraient pris en charge, que le rendez-vous pouvait durer cinq minutes comme une heure et que dans la mesure où il ne connaissait pas le fond du dossier, il ne comprenait pas l’intérêt de sa présence ; il ajoutait avoir alors décidé de ne pas se déplacer,

– le courriel adressé le 9 octobre 2018 par le salarié à l’employeur demandant si son mandat était suspendu, sans qu’aucune réponse ne soit produite.

L’avertissement, jugé fondé, ne peut être retenu.

Les « brimades » ne sont pas étayées.

En revanche, pris dans leur ensemble, les autres faits établis – la mise en garde, le défaut d’assistance du conseiller choisi du fait de la dissuasion de l’employeur, le retard dans la saisine de l’inspection du travail aux fins d’autorisation de licenciement, l’absence de réponse à la question de la suspension du mandat pendant la mise à pied à titre conservatoire ainsi que la dégradation de l’état de santé du salarié – sont autant d’agissements répétés permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

L’employeur, qui conteste tout harcèlement moral, soutient que la procédure d’autorisation du licenciement a pris du retard du fait de la saisine par erreur de la Direccte incompétente territorialement, que la Direccte compétente a procédé à une enquête dont la durée échappait totalement à l’entreprise, qu’aucune « discrimination » n’a été relevée par l’inspection du travail, laquelle a autorisé le licenciement pour faute grave au regard des mêmes pièces que celles qui sont soumises à la cour, que la mise à pied à titre conservatoire était régulière, que la faute reprochée dans le cadre du licenciement était caractérisée et justifiait le refus de l’employeur de faire droit à la demande de congés alors que le contrat de travail était suspendu du fait de la faute commise et que le certificat médical du 23 septembre 2019 contient de fausses affirmations dans la mesure où en 2015, le salarié a été victime d’un accident du travail et ne présentait aucun syndrôme anxio-dépressif. Il ajoute que le certificat médical produit a été rédigé pour les besoins de la cause.

Il verse aux débats les pièces suivantes :

– les courriels et écrits établissant que la saisine de l’inspection du travail est intervenue le 12 octobre 2018, que l’unité départementale d’Occitanie n’était pas compétente, seule l’unité sise dans le département du Morbihan à [Localité 4] étant compétente au regard du siège de l’entreprise, que cette unité a réceptionné la demande le 22 octobre 2018 et la Direccte a procédé à une enquête contradictoire le 20 novembre 2018,

– la décision de l’inspecteur du travail du 11 décembre 2018 aux termes de laquelle celui-ci relève que le salarié a procédé de façon récurrente, à 19 reprises et en dernier lieu le 12 septembre 2018, à l’achat de carburant au moyen de la carte de carburant professionnelle pour un volume supérieur au volume contenu par le réservoir du véhicule professionnel, ce qui constitue une faute d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement et que le projet de licenciement est exempt de tout lien avec le mandat détenu par le salarié,

– la preuve de ce que le salarié a été victime d’un accident du travail (« s’est fait mal au dos en déplaçant un carton ») le 5 décembre 2015 et la fiche d’aptitude médicale du 4 avril 2016 selon laquelle il a été déclaré apte à reprendre son poste,

– l’attestation de suivi individuel de l’état de santé établie par le médecin du travail le 21 février 2018 dont il résulte que le salarié est apte à son poste de technicien informatique Caces-Cariste mais qu’une « contre-indication au port de charge supérieur à 25 kilogrammes, si fréquents, » nécessite une « aide à la manutention liée à la distance à parcourir jusqu’au véhicule de transport ».

Au vu de ces éléments, la saisine par l’employeur d’une unité départementale incompétente s’explique par le fait que le siège social de l’entreprise est situé en Bretagne et non en Occitanie, ce qui démontre une simple erreur de la part de l’employeur. La durée de l’instruction du dossier n’est par conséquent imputable qu’à l’inspection du travail qui a diligenté une enquête avant de prendre la décision d’autoriser le licenciement au vu des pièces produites, ce qui justifiait la notification de la mise à pied à titre conservatoire.

Le refus par l’employeur de faire droit à la demande de solde des congés payés alors que le contrat de travail était suspendu du fait de la mise à pied à titre conservatoire est par conséquent également justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

En revanche, aucun élément objectif n’est produit par l’employeur s’agissant de la mise en garde qui s’analyse en une sanction disciplinaire, de sa responsabilité dans l’absence du conseiller du salarié lors de l’entretien préalable au licenciement et de l’absence de toute réponse à la question posée par le salarié au sujet de la suspension de son mandat alors que la mise à pied à titre conservatoire ne pouvait entraîner la suspension de son mandat d’élu.

L’employeur ne prouvant pas que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, le harcèlement moral sera retenu.

Le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité est également démontré au vu de ce qui précède, étant précisé que celui-ci ‘ qui a la charge de la preuve ‘ ne produit aucun élément susceptible de contredire le salarié.

Il s’ensuit qu’il y a lieu de constater l’existence d’un préjudice moral résultant du fait de l’employeur et de condamner celui-ci à payer au salarié la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Sur les demandes reconventionnelles.

L’employeur sollicite la condamnation du salarié à lui rembourser des achats de carburant et le paiement de péages autoroutiers au moyen de la carte Total de l’entreprise alors qu’il était en période de suspension de son contrat de travail.

Il verse aux débats un récapitulatif relatif à 6 dépenses de péage et à 13 dépenses de carburant entre le 18 mai 2018 et le 6 décembre 2018 ainsi que les factures correspondantes.

Il sollicite également sa condamnation à lui payer un loyer du fait de la restitution tardive du véhicule de service, le 17 janvier 2019.

Toutefois, en l’absence de démonstration d’une faute lourde commise par le salarié permettant d’engager la responsabilité pécuniaire de ce dernier envers l’employeur, les demandes doivent être rejetées.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné le salarié au remboursement de la somme réclamée au titre de la carte Total et au paiement du loyer du véhicule.

Sur le remboursement du trop-perçu au titre du solde de tout compte.

L’employeur ne présente aucune observation relative au trop-perçu dont le remboursement a été ordonné par les premiers juges alors que le salarié relève qu’aucune pièce objective du dossier ne permet d’expliquer le fondement de cette demande.

Faute de toute argumentation juridique et de tout document justificatif, le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné le salarié à rembourser la somme de 566, 40 € à ce titre.

Sur la procédure abusive.

L’article 32-1 du Code de procédure civile dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10.000 euros, sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.

En l’espèce, l’employeur fait valoir que la procédure prud’homale initiée par le salarié est abusive et que celui-ci a retenu abusivement le véhicule de service après son licenciement, lequel présentait des traces d’effraction lors de la restitution.

Toutefois, le caractère abusif de l’action n’est pas démontré au vu de ce qui précède. La demande de dommages et intérêts doit être rejetée.

Sur les demandes accessoires.

L’employeur sera tenu aux dépens de première instance et d’appel.

Il est équitable de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, par arrêt mis à disposition au greffe ;

CONFIRME le jugement du 13 novembre 2020 du conseil de prud’hommes de Montpellier en ce qu’il a débouté M. [F] [M] [B] de ses demandes au titre :

– de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulée,

– de l’annulation de l’avertissement du 25 juin 2018 et du paiement subséquent de dommages et intérêts,

– du remboursement de son imprimante,

– du traçage GPS,

– de l’obligation de sécurité ;

INFIRME ledit jugement pour le surplus ;

DIT que les salaires relevant de la période comprise entre le 21 septembre 2015 et le 21 septembre 2018 sont prescrits ;

DIT que la mise en garde du 8 février 2018 constitue une sanction disciplinaire et ANNULE ladite sanction ;

DIT que la SARL Roux Interventions est redevable envers M. [F] [M] [B] d’une indemnité d’occupation ;

DIT que M. [F] [M] [B] a été victime d’un harcèlement moral et d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ;

CONDAMNE la SARL Roux Interventions à payer à M. [F] [M] [B] les sommes suivantes :

– 562,32 € à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires postérieures au 21 septembre 2018,

– 56,23 € au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

– 150 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral consécutif à la notification de ladite mise en garde,

– 600 € au titre de l’indemnité d’occupation,

– 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral consécutif au harcèlement moral et au manquement de l’obligation de sécurité ;

Y ajoutant,

DEBOUTE la SARL Roux Interventions de sa demande au titre de l’action abusive ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL Roux Interventions aux entiers dépens de l’instance ;

LE GREFFIER P/LEPRESIDENTEMPECHE

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