Les commissaires aux comptes ont pour mission permanente, à l’exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents comptables de la personne ou de l’entité dont ils sont chargés de certifier les comptes et de contrôler la conformité de sa comptabilité aux règles en vigueur. Comme l’illustre cette affaire, le non respect de cette mission peut être sanctionné par l’engagement de leur responsabilité.
Responsabilité des commissaires aux comptes
Les articles L. 823-9 et L. 823-10 du code de commerce disposent respectivement que « les commissaires aux comptes certifient, en justifiant de leurs appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l’entité à la fin de cet exercice ». Par ailleurs, en vertu de l’article L. 822-17, alinéa 1 er, du même code, « les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l’égard de la personne ou de l’entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l’exercice de leurs fonctions ».
Dans cette affaire, le rapport général du commissaire aux comptes certifiait les comptes annuels avec une provision pour dettes aux cinémas largement sous évaluée, ce qui constituait une faute.
L’expert judiciaire a caractérisé la spécificité du modèle économique de la société commercialisant les chèques cinéma qui repose sur le volume d’émission des chèques, générant de faibles marges, voir des marges négatives, la marge réelle provenant du taux important de chèques ne donnant pas lieu à paiement car ils ont été perdus ou périmés Ainsi, la viabilité de l’entreprise reposait sur l’excédant de fonds de roulement avant remboursement aux cinémas, cette trésorerie étant optimisée par des produits financiers. Dans ce contexte la détermination de la provision revêtait une importance cruciale puisqu’outre le fait qu’elle doive être honorée, elle constituait le poste le plus porteur de risques. Il résulte de l’expertise que les dossiers du commissaire aux comptes qui ont été consultés comportaient peu de diligences pour valider la régularité et l’image fidèle des comptes à laquelle cette provision importante intervient de façon très significative.
Il était ainsi constant que le commissaire aux comptes a certifié sans réserve le montant d’un poste crucial sans qu’il ait pu en contrôler l’évaluation. Le commissaire aux comptes n’est pas tenu d’une obligation de résultat et il ne peut lui être reproché de n’avoir pu déterminer le montant de la provision représentant le montant des chèques cinéma remboursés mais il est en revanche soumis à une obligation de moyens portant sur l’exercice de diligences suffisantes en vue de certifier l’exactitude des comptes annuels. Or, la provision constitue un poste du bilan devant être analysé et contrôlé avec beaucoup d’attention et en particulier à cette date, dans une période de pourparlers en vue d’une cession, ce dont était au courant le commissaire aux comptes.
Le commissaire aux comptes ne s’est pas mis en mesure de documenter sa certification en l’absence de contrôle substantiel ou lié à l’organisation ou au contrôle interne, ce qui est contraire aux règles de l’art. En effet, aucune procédure de suivi formalisée ne permettait d’évaluer la provision. La méthode du cabinet d’expert comptable portait sur l’évaluation de la provision en déduisant du montant des ventes 20% constituant selon lui le pourcentage des billets perdus ou périmés. Le cabinet avait renoncé à une méthode de comptage physique selon lui, moins fiable compte tenu des « aléas ».
Evaluation des provisions
La preuve de l’absence totale de rigueur de ces prétendues méthodes d’évaluation de la provision résultait du fait que le commissaire aux comptes a indiqué dans ses notes qu’il n’avait n’a pu vérifier le montant de cette provision. En sa qualité d’homme de l’art, prudent, attentif et avisé, il appartient au commissaire aux comptes de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour remplir efficacement sa mission et vérifier la pertinence des outils méthodologiques adoptés pour construire le bilan. Le commissaire aux comptes ne faisait état d’aucune des diligences qu’il aurait mises en oeuvre pour vérifier le montant de la provision. Devant l’impossibilité de vérifier le montant de la provision, le commissaire aux comptes devait, en l’absence de toute assurance raisonnable, demander des éléments complémentaires et poursuivre ses investigations. En tout état de cause, il aurait dû émettre dans son rapport une réserve sur le montant de cette provision invérifiable. Le fait que les futurs cessionnaires aient au cours des pourparlers en vue de l’achat réalisé des investigations avec leur expert comptable sur les comptes ne peut exonérer le commissaire aux comptes de sa responsabilité. Ainsi, la faute du commissaire aux comptes résultant de la certification sans réserve d’une provision qu’il n’a pas contrôlée était établie. Le préjudice qui résulte de cette certification sans réserve réside, comme l’a indiqué l’expert, dans le fait que le cessionnaire a eu confiance dans cette certification, et partant dans le montant de la provision.