Insuffisance d’actif et fautes de gestion du diriganeant

Notez ce point juridique

1. Attention à la date de cessation des paiements : il est recommandé de vérifier si elle est antérieure à la démission du dirigeant, car cela peut avoir un impact sur la responsabilité en cas d’insuffisance d’actif.

2. Il est recommandé de provisionner les sommes réclamées en cas de contentieux fiscal en cours, même si des dégrèvements ont été obtenus, afin de refléter la situation réelle de la société et d’éviter une faute de gestion.

3. Attention à la gestion des dettes fiscales et des honoraires d’expert-comptable : il est recommandé de régler ces dettes pour éviter des conséquences sur la situation financière de la société et de respecter les obligations comptables pour éviter des fautes de gestion.

Résumé de l’affaire

La société Stone, spécialisée dans la restauration de type « kebab », a été placée en liquidation judiciaire en 2015. Le mandataire judiciaire a assigné l’ancien gérant, M. [Y] [O], pour contribuer à l’insuffisance d’actif de la société. Après plusieurs jugements et appels, la Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Lyon. M. [Y] [O] conteste toute responsabilité dans l’insuffisance d’actif et les fautes de gestion, tandis que la Selarl Bouvet et Guyonnet demande sa condamnation. Le ministère public a recommandé la confirmation du jugement initial. La procédure est en attente de délibération.

Les points essentiels

Sur la portée de la cassation

Selon l’article 638 du code de procédure civile, ‘l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation’.

Le liquidateur judiciaire relève que l’arrêt n’a pas remis en cause dans ses premières et deuxièmes branches l’analyse de la cour d’appel sur les fautes de gestion, la cassation partielle a porté sur l’insuffisance d’actif au jour de la démission et les autres points n’ont pas été atteints par la cassation.

Cependant, l’arrêt d’appel a été cassé sauf en ce qu’il a déclaré le jugement régulier ; il en résulte que le liquidateur ne peut se prévaloir de ce que les fautes imputées à M. [Y] sont définitivement établies par décision de justice, s’agissant d’un chef atteint par la cassation. L’existence de fautes de gestion doit en conséquence être réexaminée même si l’analyse des fautes de gestions par la cour d’appel de Chambéry n’a pas été remise en cause.

Sur le bien fondé de l’action en insuffisance d’actif

Aux termes de l’article L 651-2 du code de commerce, ‘Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée. (…)

Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l’activité d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine non affecté.

Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à l’égard d’un entrepreneur individuel relevant du statut défini à la section 3 du chapitre VI du titre II du livre V du présent code, le tribunal peut également, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine personnel.

L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.

Les sommes versées par les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés’.

M. [Y] [O] fait valoir que :

– sa cessation de fonctions est intervenue le 21 janvier 2014 et aucune condamnation ne peut intervenir en l’absence de caractérisation de l’insuffisance d’actif à la date de cessation de ses fonctions, et en outre, le tribunal de commerce et la cour n’ont pas démontré le lien entre fautes de gestion et insuffisance d’actif,

– le tribunal de commerce a retenu des fautes de gestion entraînant un passif fiscal de 253.585 euros ayant pour origine des inobservations et transgressions sur la TVA sur la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007, ce qui ne caractérise pas l’insuffisance d’actif à la date précitée, alors que les redressements ont fait l’objet de dégrèvements en 2010, et un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 31 mai 2016 révèle un vrai différend de fond sur la validité des redressements, étant précisé qu’il n’avait pas été avisé de ces suites,

– le contrôle avait été motivé par le fait que l’ancien expert comptable déposait des liasses en retard ou incomplètes, d’où le choix d’un nouvel expert-comptable, et la procédure aurait dû être régularisée par le mandataire, puisque lui-même n’était plus gérant lors de l’arrêt de la cour administrative d’appel, de sorte qu’il n’a pas retardé la déclaration de cessation des paiements puisque la décision a été prononcée après la fin de ses fonctions,

-sur le redressement des années 2009 et 2010, l’administration n’a pas mis les rappels en recouvrement notifiés en raison d’irrégularités de procédure,

– aucune insuffisance d’actif liée au redressement sur les exercices 2005 et 2007 validé le 31 mai 2016 n’existait donc le 21 janvier 2014 ou 20 février 2014 faute de créance fiscale définitive, il n’y avait donc pas lieu à passer une provision dans les comptes, aucune action n’a d’ailleurs été engagée par l’administration fiscale,

– sur la dette envers l’expert-comptable (honoraires 2009 à 2011), l’existence d’un contentieux justifiée par l’attitude de ce praticien ne démontre pas l’insuffisance d’actif ni d’une faute de gestion, et la dette a été réglée,

– sur le passif social, les cotisations ont été réglées avant le 2ème semestre 2014,

– le mandataire n’a jamais caractérisé l’origine des difficultés financières de la société et l’état de cessation des paiements ne suffit pas, aucune action n’a été engagée avant l’Urssaf en avril 2015, les comptes annuels au 31 décembre 2013 n’ont jamais été versés, et il n’était plus gérant lors de la finalisation de ces comptes le 30 avril 2014, et les comptes précédents ne traduisent aucune insuffisance d’actif.

Il précise que :

– le procès-verbal d’assemblée générale prévoyait que le nouveau gérant assumait l’entière responsabilité des actions passées et futures de la société et aucune condamnation ne peut être prononcée,

– le non dépôt des comptes annuels à compter de l’exercice 2013 ne lui est pas imputable en raison de sa démission, la comptabilité irrégulière n’est justifiée par aucune pièce et les comptes qui relevaient de ses fonctions sont réguliers,

– le report de la date de cessation des fonctions ne caractérise pas une faute de gestion qui lui soit imputable, il n’a pas été informé et n’a pu contester cette date, le chiffre d’affaire avait progressé lors de sa gérance,

– la décision de la continuation de la société malgré la perte de capitaux propres a été prise à une assemblée générale où il était absent car non convoqué,

– sur sa démission et la cession de ses parts sociales, il a exercé un droit et le contrat comportait une garantie de passif et le rappel des procédures en cours,

– la vente des murs de la Sci Keivan à la Sci [F] est logique suite à la cession des parts,

– son emploi comme salarié était bien réel puisqu’il n’exerçait plus aucune fonction de direction ou de gestion, les bulletins de salaire antérieurs au 30 avril 2014 ne mentionnaient que des avantages en nature de nourriture et à partir de juillet 2014 la rémunération mensuelle était de 1.182,76 euros, il n’y a pas eu cumul de fonctions et son licenciement n’est pas une manoeuvre,

– le compte courant d’associé débiteur qui provient d’écritures comptables ne caractérise pas une faute de gestion.

Le liquidateur fait valoir que :

– le dernier bilan n’a pas été remis au liquidateur, mais il a été arrêté, certifié conforme et annexé en copie à l’acte de cession de parts sociales, et remis au cessionnaire ; il mentionne des capitaux propres négatifs (39.087 euros) un passif de 73.653 euros hors dette fiscale, les provisions pour risque n’ont pas été constituées,

– le prix de cession et la moitié des parts sociales a été fixé à 5.000 euros le 21 mai 2014 compte tenu du passif fiscal potentiel ; ce passif existait de la même façon et pour le même montant au 31 décembre 2013 ; le solde des parts sociales est donc de 5.000 euros et l’actif de la société de 10.000 euros au 31 décembre 2013, de grosses sommes sont exclues de la garantie de passif,

– l’insuffisance d’actif est établie avec la cessation des paiements antérieure et les capitaux propres négatifs à la date de retrait du dirigeant alors que le montant de l’insuffisance d’actif est certain,

– M. [Y] [O] fait une lecture tronquée de la procédure devant les juridictions administratives, sa demande de décharge de cotisations et pénalités a été rejetée par le tribunal qui a confirmé le redressement, la cour d’appel a confirmé et les non-paiements concernaient sa période de gérance,

– les factures d’expert comptable impayées relevaient également de sa gestion, ce qui a certainement engendré le non dépôt des comptes ultérieurs,

– les dépôts tardifs des comptes confirment la mauvaise tenue de la comptabilité, et le compte 2013 n’a pas été déposé,

– le compte-courant débiteur est interdit,

– la date de cessation des paiements a été fixée le 1er janvier 2014 eu égard à la comptabilité irrégulière,

– M. [F] ne pouvait être désigné responsable avant sa désignation et la disposition du procès-verbal d’assemblée générale est contraire au droit public, cette mention devait exonérer M. [Y] [O] de sa responsabilité alors qu’il avait une connaissance parfaite de la situation, il a en outre exclu de la garantie de passif (limitée au prix de cession de 5.000 euros) les sommes issues du contentieux fiscal,

– le gérant aurait dû établir des provisions au titre du contentieux fiscal,

– la société n’était pas en mesure dès 2010 de faire face au passif exigible (-36.888 euros) et la perte était supérieure à 50% des capitaux propres,

– après les cessions intervenues, M. [Y] [O] est devenu curieusement salarié de la société pour conserver un contrôle de son fonctionnement, mais il n’exerçait aucunes fonctions, dès lors que le fonds n’était plus exploité (agent polyvalent de la restauration), il a alourdi le passif social, il a profité de l’allocation de sécurisation professionnelle et de la prise en charge de l’AGS.

Il est constant que l’action a été engagée dans les trois ans du jugement de liquidation judiciaire et est recevable. Il convient donc d’examiner successivement’existence d’une insuffisance d’actif, les fautes alléguées et le lien de causalité.

* l’insuffisance d’actif

Il résulte de l’état des créances arrêté par le juge commissaire le 27 juin 2017 que la société Stone présentait un passif définitif de 341.080,68 euros dont un montant privilégié de créances fiscales de TVA de 261.825 euros.

La société Stone ne présentait aucun actif notable en raison de l’impossibilité d’effectuer un contrôle et les locaux avaient été repris par le bailleur suite à la résiliation du bail commercial par la Sci [F] après commandement de payer du 17 février 2015 resté infructueux.

L’insuffisance d’actif a ainsi été établie de manière certaine.

Il convient ensuite de déterminer si cette insuffisance d’actif existait au moment où M. [Y] [O] a cessé ses fonctions.

De manière liminaire, M. [Y] [O] se prévaut de la date du 21 janvier 2014 qui correspond à la date de sa démission de ses fonctions de gérant et de la nomination en cette qualité de M. [F], mais il convient cependant de prendre en considération la seule date du 20 février 2014 retenue par la Cour de cassation et correspondant à celle des mesures de publicité.

Ensuite, bien que la date de cessation des paiements, définitive, n’établisse pas à elle seule l’insuffisance d’actif, il est constant qu’elle est en date du 7 janvier 2014, soit antérieure à la démission, et elle révèle déjà l’insuffisance de l’actif disponible pour faire face au passif exigible à cette date.

S’agissant des pièces comptables permettant de comparer les masses actives et passives, le bilan 2013 n’a pas été remis au liquidateur judiciaire mais il apparaît cependant que si les comptes n’ont pas été déposés, ils ont été arrêtés puisqu’il en est fait état dans l’acte de cession de parts en précisant que le cédant en a remis une copie au cessionnaire. De même, le procès-verbal d’ assemblée générale du 26 février 2014 en fait état et les approuve. Ces comptes permettent d’avoir une vision de la société à une période très proche de la démission. S’ils ne sont pas produits par l’appelant alors qu’ils ont été établis, l’acte de cession de parts fait ressortir des capitaux propres négatifs à hauteur de 39.097 euros et un passif total de 73.653 euros hors dettes fiscales. Il est également fait état en page 7 du litige fiscal portant sur la TVA, l’impôt sur les sociétés et l’amende fiscale de distribution pour les années 2005 à 2007, l’administration réclamant un montant de 161.642 euros et 91.540 euros.

S’agissant de cette dette fiscale, il résulte des éléments du dossier que les deux avis de mise en recouvrement du 14 décembre 2009 avaient fait l’objet d’un dégrèvement pour des questions de procédure mais que l’administration avait immédiatement indiqué reprendre la procédure d’imposition de sorte que deux nouveaux avis de mise en recouvrement avaient été reçus en novembre 2010 puis, en raison d’une nouvelle annulation, que deux autres avis avaient été émis le 30 novembre 2010. Une provision pour risques aurait dû être constituée nonobstant l’action devant les juridictions administratives.

S’agissant de l’actif, il résulte de l’acte de cession que le prix de cession de la moitié des parts du capital social de la Sarl Stone a été fixé à 5.000 euros en raison du passif fiscal, ce qui était déjà le cas lorsque l’appelant a cessé ses fonctions de sorte qu’une valeur de 10.000 euros peut être retenue. Il n’est justifié d’aucun autre actif et les capitaux propres étaient déjà négatifs.

Il découle de l’ensemble de ces éléments qu’il existait déjà une insuffisance d’actif lorsque M. [Y] [O] a cessé ses fonctions.

* les fautes de gestion

Il est rappelé que l’action en comblement de passif a pour objet de sanctionner le comportement d’un dirigeant antérieur au jugement d’ouverture de la procédure collective.

En l’espèce, M. [Y] [O] ne peut prétendre échapper à l’action prévue par l’article L 651-2 du tribunal de commerce aux motifs que le nouveau dirigeant serait, selon accord, seul responsables des fautes antérieures à sa nomination et en ce que la garantie de passif ne concernerait pas les dettes fiscales alors qu’il s’agit manifestement de manoeuvres visant à le soustraire

Les montants alloués dans cette affaire:

Réglementation applicable

– Article 638 du code de procédure civile
– Article L 651-2 du code de commerce

Article 638 du code de procédure civile:
« L’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation. »

Article L 651-2 du code de commerce:
« Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée. (…)

Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l’activité d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine non affecté.

Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à l’égard d’un entrepreneur individuel relevant du statut défini à la section 3 du chapitre VI du titre II du livre V du présent code, le tribunal peut également, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine personnel.

L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.

Les sommes versées par les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés. »

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE
– Me Georges PEDRO
– Me Olivier NAGABBO
– Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET
– Me Isabelle ROSADO
– Me Clémence RUILLAT

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