Travail dissimulé : solidarité financière du donneur d’ordre et taxation forfaitaire

Notez ce point juridique

1. Attention à la solidarité financière du donneur d’ordre en cas de travail dissimulé par un sous-traitant. Assurez-vous de vérifier régulièrement la situation de vos cocontractants et demandez les documents nécessaires pour éviter toute responsabilité.

2. Il est recommandé de conserver une comptabilité précise et complète pour éviter les évaluations forfaitaires et les redressements. Une comptabilité transparente peut vous protéger en cas de contrôle.

3. Soyez conscient des conséquences de la non-production d’attestations de vigilance de vos sous-traitants. Cela peut entraîner des sanctions financières et une responsabilité solidaire. Veillez à respecter les obligations légales en matière de contrôle des cocontractants.


La société [5] a été redressée par l’Urssaf Centre Val de Loire pour travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés. La société [6], qui avait confié une partie de son activité en sous-traitance à la société [5], s’est vue réclamer par l’Urssaf une somme importante de cotisations et contributions sociales pour non-production des attestations de vigilance. Après avoir saisi la commission de recours amiable de l’Urssaf, la société [6] a contesté le redressement devant le tribunal judiciaire de Blois, qui a annulé la mise en demeure mais a rejeté le reste des demandes. L’Urssaf a interjeté appel du jugement et demande à la Cour de valider le redressement et de condamner la société [6] au paiement des sommes réclamées. La société [6] demande quant à elle la confirmation du jugement et le rejet des demandes de l’Urssaf, ainsi que des dommages et intérêts.

Sur la solidarité financière du donneur d’ordre

La Cour a confirmé la mise en demeure de l’Urssaf à l’encontre de la société [6] pour travail dissimulé commis par sa sous-traitante, la société [5]. La société [6] a été jugée solidairement responsable des cotisations et contributions sociales dues par la société [5] en raison de son manquement à vérifier la régularité de la situation de cette dernière.

Sur la taxation forfaitaire appliquée à la sous-traitante

La Cour a validé le calcul du redressement opéré par l’Urssaf vis-à-vis de la société [5], en se basant sur un ratio de masse salariale généralement utilisé dans le secteur du bâtiment. La société [6] contestait ce calcul, mais la Cour a jugé que l’Urssaf n’avait pas commis d’erreur dans sa méthode de calcul.

Sur la majoration pour travail dissimulé

La majoration de 40% pour travail dissimulé a été confirmée par la Cour, en raison des faits commis à l’égard de plusieurs salariés par la société [5]. La société [6] a été jugée responsable de cette majoration en tant que donneur d’ordre.

Sur le taux de solidarité applicable au donneur d’ordre

La Cour a validé le taux de solidarité de 72,55% pour l’année 2015 et de 62,72% pour l’année 2016 imputé à la société [6] par l’Urssaf. Ce taux a été calculé conformément aux dispositions légales et aux facturations entre les deux sociétés.

Sur le droit à l’erreur de la cotisante

La société [6] a tenté de se prévaloir du droit à l’erreur prévu par la loi ESSOC, mais la Cour a jugé que ce droit ne s’appliquait pas aux faits de l’espèce. La société [6] a été condamnée à payer la somme totale de 223’537 euros à l’Urssaf.

Sur les frais de procédure

La société [6] a été condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel, contrairement au jugement initial qui condamnait l’Urssaf aux dépens.

– La société [6] est condamnée à payer à l’Urssaf Centre Val de Loire la somme totale de 223’537 euros
– La société [6] est condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel


Réglementation applicable

– Article L. 8222-1 du Code du travail:

« Toute personne vérifie lors de la conclusion d’un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimum en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce, et périodiquement jusqu’à la fin de l’exécution du contrat, que son cocontractant s’acquitte’:

1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5′;

2° de l’une seulement des formalités mentionnées au 1°, dans le cas d’un contrat conclu par un particulier pour son usage personnel, celui de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin, de ses ascendants ou descendants’. »

– Article D. 8222-5 du Code du travail:

« La personne qui contracte, lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution’:

1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l’article L. 243-15 émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s’assure de l’authenticité auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.

2° Lorsque l’immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, l’un des documents suivants’:

a) Un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis)’;

b) Une carte d’identification justifiant de l’inscription au répertoire des métiers’;

c) Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu’y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l’adresse complète et le numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d’un ordre professionnel, ou la référence de l’agrément délivré par l’autorité compétente’;

d) Un récépissé du dépôt de déclaration auprès d’un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d’inscription’. »

– Article L. 8222-2 du Code du travail:

« Toute personne qui méconnaît les dispositions de l’article L.8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé’:

1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale’;

2° Le cas échéant, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques dont il a bénéficié’;

3° Au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues par lui à raison de l’emploi de salariés n’ayant pas fait l’objet de l’une des formalités prévues aux articles L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche et L. 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie’. »

– Article L. 243-59-4 du Code de la sécurité sociale:

« L’agent chargé du contrôle fixe forfaitairement le montant de l’assiette dans les cas suivants’:

1° La comptabilité de la personne contrôlée ne permet pas d’établir le chiffre exact des rémunérations, ou le cas échéant des revenus, servant de base au calcul des cotisations dues’;

2° La personne contrôlée ne met pas à disposition les documents ou justificatifs nécessaires à la réalisation du contrôle ou leur présentation n’en permet pas l’exploitation.

Cette fixation forfaitaire est effectuée par tout moyen d’estimation probant permettant le chiffrage des cotisations et contributions sociales. Lorsque la personne contrôlée est un employeur, cette taxation tient compte, dans les cas mentionnés au 1°, notamment des conventions collectives en vigueur ou, à défaut, des salaires pratiqués dans la profession ou la région considérée. La durée de l’emploi est déterminée d’après les déclarations des intéressés ou par tout autre moyen de preuve’. »

– Article L. 243-7-7 du Code de la sécurité sociale:

« I.- Le montant du redressement des cotisations et contributions sociales mis en recouvrement à l’issue d’un contrôle réalisé en application de l’article L. 243-7 ou dans le cadre de l’article L. 243-7-5 du présent code est majoré de 25’% en cas de constat de l’infraction définie aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail.

La majoration est portée à 40’% dans les cas mentionnés à l’article L.8224-2 du code du travail’. »

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Me Sophie RISSE de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS

Mots clefs associés

– Solidarité financière
– Urssaf
– Procès-verbal de travail dissimulé
– Redressement
– Contrôle
– Travail dissimulé
– Sous-traitance
– Cotisations sociales
– Majoration
– Donneur d’ordre
– Circulaire DILTI
– Droit à l’erreur
– Loi ESSOC
– Frais de procédure

– Solidarité financière: principe selon lequel les membres d’un groupe ou d’une communauté contribuent financièrement pour soutenir les membres en difficulté
– Urssaf: Union de Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocations Familiales, organisme chargé de collecter les cotisations sociales des entreprises en France
– Procès-verbal de travail dissimulé: constat écrit établissant qu’un employeur a dissimulé une partie de l’activité de ses salariés pour échapper à ses obligations sociales
– Redressement: action de corriger une situation financière ou fiscale jugée non conforme par les autorités compétentes
– Contrôle: vérification effectuée par les autorités compétentes pour s’assurer du respect des obligations légales par une entreprise
– Travail dissimulé: fait pour un employeur de ne pas déclarer l’activité de ses salariés afin d’éviter de payer les cotisations sociales dues
– Sous-traitance: fait pour une entreprise de confier tout ou partie de la réalisation d’une prestation à un tiers
– Cotisations sociales: contributions financières obligatoires versées par les employeurs et les salariés pour financer la protection sociale
– Majoration: augmentation du montant d’une somme due en raison d’un retard ou d’une non-conformité
– Donneur d’ordre: personne ou entreprise qui confie une mission ou une prestation à un prestataire ou à un sous-traitant
– Circulaire DILTI: document émis par l’administration fiscale française pour préciser les modalités d’application de la loi sur le travail illégal
– Droit à l’erreur: principe selon lequel une entreprise peut bénéficier d’une tolérance en cas d’erreur de bonne foi dans ses déclarations fiscales ou sociales
– Loi ESSOC: loi pour un État au service d’une société de confiance, visant à simplifier les relations entre l’administration et les entreprises
– Frais de procédure: dépenses engagées pour faire valoir ses droits devant une juridiction ou une autorité administrative

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL D’ORLÉANS

CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE

GROSSE à :

URSSAF CENTRE VAL DE LOIRE

SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS

EXPÉDITION à :

SARL [6]

Pôle social du Tribunal judiciaire de BLOIS

ARRÊT du : 27 FEVRIER 2024

Minute n°99/2024

N° RG 23/01062 – N° Portalis DBVN-V-B7H-GYYM

Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire de BLOIS en date du 24 Mars 2023

ENTRE

APPELANTE :

URSSAF CENTRE VAL DE LOIRE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par M. [P] [H], en vertu d’un pouvoir spécial

D’UNE PART,

ET

INTIMÉE :

SARL [6]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Sophie RISSE de la SELARL WALTER & GARANCE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS

D’AUTRE PART,

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats et du délibéré :

Madame Nathalie LAUER, Président de chambre,

Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, Conseiller,

Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller.

Greffier :

Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l’arrêt.

DÉBATS :

A l’audience publique le 12 DECEMBRE 2023.

ARRÊT :

– Contradictoire, en dernier ressort.

– Prononcé le 27 FEVRIER 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Madame Nathalie LAUER, Président de chambre, et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La société [5] a fait l’objet d’un redressement de l’Urssaf Centre Val de Loire pour travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés.

La société [6] ayant confié une partie de son activité en sous-traitance à la société [5], l’Urssaf lui a demandé de produire les attestations de vigilance établies en application de l’article L. 8222-1 du Code du travail.

En l’absence de production de ces attestations de vigilance, une lettre d’observations en date du 29 juillet 2020, procédant à la mise en oeuvre de la solidarité financière a été notifiée par l’Urssaf à la société [6], pour la somme de 162’665 euros de cotisations et contributions sociales, outre 52’739 euros de majorations de redressement.

Une mise en demeure a été adressée à la société [6] le 11 décembre 2020, portant recouvrement de 162’665 euros de cotisations, 52’739 euros de majorations de redressement et 8’133 euros de majorations de retard, soit au total la somme de 223’537 euros.

La société a saisi la commission de recours amiable de l’Urssaf qui a, par décision du 31 mars 2021, rejeté son recours.

La société [6] a alors saisi le Pôle social du tribunal judiciaire de Blois aux fins de contestation du redressement.

Par jugement en date du 24 mars 2023, le tribunal judiciaire de Blois a’:

– déclaré la requête de la société [6] recevable,

– annulé la mise en demeure du 11 décembre 2020,

– condamné l’Urssaf aux dépens,

– rejeté le surplus des demandes.

Par déclaration en date du 17 avril 2023, l’Urssaf Centre Val de Loire a interjeté appel du jugement.

L’Urssaf Centre Val de Loire demande à la Cour de’:

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il annule la mise en demeure du 11 décembre 2020 et la condamne aux dépens,

– confirmer la décision de la commission de recours amiable du 31 mars 2021 notifiée le 1er avril 2021,

– valider le redressement dans son principe et son entier montant’;

– condamner la société [6] au paiement des causes du redressement, mises en recouvrement par mise en demeure du 11 décembre 2020, à savoir 223’537 euros au total,

– débouter la société [6] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– laisser les frais de procédure à la charge de la société [6].

La société [6] demande à la Cour de’:

– confirmer le jugement en son intégralité,

– annuler la mise en demeure du 11 décembre 2020,

– débouter l’Urssaf Centre Val de Loire de l’intégralité de ses demandes,

– condamner l’Urssaf Centre Val de Loire au paiement de la somme de 3’000’euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

En application de l’article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

MOTIFS

– Sur la solidarité financière du donneur d’ordre

Moyens des parties

L’Urssaf sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il a annulé le redressement. Elle soutient que le tribunal a statué ultra petita en décidant que le procès-verbal de synthèse ne peut valoir procès-verbal de travail dissimulé dès lors qu’il ne comprend pas l’ensemble des mentions prévues par les articles L. 133-1 et R. 133-1 du Code de la sécurité sociale’; que la société [6] avait seulement demandé l’annulation de la procédure au motif d’une absence de production du procès-verbal de travail dissimulé, lequel avait été produit aux débats’; qu’il n’appartient en outre pas au juge civil de se prononcer sur la régularité de la procédure pénale’; que les dispositions visées par le tribunal n’imposent que la remise à la personne contrôlée, lorsqu’un procès-verbal de travail dissimulé est établi, d’un document constatant la situation et comportant l’évaluation du montant des cotisations et contributions éludées, des majorations et pénalités et des éventuelles annulations de réductions et exonérations’; que ce document a bien été adressé à la société [5]; qu’aucune disposition n’impose que les mentions obligatoires du document établi en application de l’article L. 133-1 du Code de la sécurité sociale apparaissent également dans le procès-verbal de travail dissimulé’; qu’elle a produit devant le tribunal le procès-verbal de synthèse de la procédure pénale et la juridiction n’était pas fondée à décider que ce document ne valait pas procès-verbal de travail dissimulé’; que la cour ne pourra que constater la mauvaise foi de la société intimée, qui – forte de l’erreur commise par le tribunal judiciaire – soutient désormais que le procès-verbal ‘n’est pas clair’, alors qu’elle ne contestait en aucun cas son contenu en première instance’; que la société n’avait soulevé aucune observation sur son contenu devant le tribunal’; que la société [6] soutient désormais que la solidarité financière ne peut lui être appliquée au motif que l’enquête est clôturée à l’encontre de Mme [Y] [X], et non à l’encontre de son sous-traitant, la société [5]; que néanmoins, il ne peut être nié que l’enquête a mis en évidence des faits de travail dissimulé commis par Mme [Y] en sa qualité de gérante de la société [5], la personne physique étant poursuivie pour les faits commis pour le compte de la personne morale’; que la personne morale [5] ayant disparu en mars 2019 (liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif), seule la personne physique responsable des délits pouvait être poursuivie’; que l’argument de la société [6] sera donc écarté et la mise en oeuvre de la solidarité financière à son encontre confirmée.

La société [6] sollicite la confirmation du jugement. Elle indique que le tribunal n’a pas statué ultra petita puisqu’il a décidé de l’annulation de la mise en demeure qui était bien sollicitée par elle’; qu’à défaut pour l’Urssaf de transmettre le procès-verbal de travail dissimulé, aucune solidarité financière ne peut être mise en oeuvre, et le redressement réalisé à l’encontre du donneur d’ordre doit être annulé’; que devant le tribunal, l’Urssaf a versé aux débats le procès-verbal de synthèse dressé par la gendarmerie’;

que toutefois, il résulte des articles L. 133-1 et R. 133-1 du Code de la sécurité sociale que l’agent chargé du contrôle doit remettre à la personne contrôlée un document constatant la situation de travail dissimulé et comportant l’évaluation du montant des cotisations éludées, des majorations et pénalités afférentes, ainsi que du montant des réductions de cotisations annulées, et le document doit également mentionner la période concernée et les faits constatés’; que le procès-verbal de synthèse, établi par la gendarmerie est incomplet, car il ne donne aucune des informations ci-dessus, et il n’est pas clair sur la notion même de travail dissimulé, dans la mesure où il se contente d’établir quelques constats, sans expliquer de quelle façon ils pourraient établir l’existence d’une situation de travail dissimulé alors que l’on se situe plutôt dans une situation d’abus de biens sociaux’; que le procès-verbal de travail dissimulé produit a été établi uniquement à l’encontre de la société [5], de sorte que qu’elle n’en a jamais été destinataire, et qu’elle n’a jamais eu l’information visée aux articles L. 133-1 et R. 133-1 du Code de la sécurité sociale’; que ce procès-verbal ne saurait donc justifier le bien-fondé du redressement dont elle a fait l’objet’; qu’au surplus, l’enquête est clôturée à l’encontre de Mme [X] [Y] et non à l’encontre de la société [5] qui est seule sa sous-traitante’; que de ce fait, sa responsabilité ne peut être poursuivie sur le fondement de la responsabilité du donneur d’ordre.

Réponse de la Cour

L’article L. 8222-1 du Code du travail dispose’:

‘Toute personne vérifie lors de la conclusion d’un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimum en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce, et périodiquement jusqu’à la fin de l’exécution du contrat, que son cocontractant s’acquitte’:

1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5′;

2° de l’une seulement des formalités mentionnées au 1°, dans le cas d’un contrat conclu par un particulier pour son usage personnel, celui de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin, de ses ascendants ou descendants’.

L’article D. 8222-5 du Code du travail, dans sa version applicable au litige, dispose’:

‘La personne qui contracte, lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution’:

1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l’article L. 243-15 émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s’assure de l’authenticité auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.

2° Lorsque l’immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, l’un des documents suivants’:

a) Un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis)’;

b) Une carte d’identification justifiant de l’inscription au répertoire des métiers’;

c) Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu’y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l’adresse complète et le numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d’un ordre professionnel, ou la référence de l’agrément délivré par l’autorité compétente’;

d) Un récépissé du dépôt de déclaration auprès d’un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d’inscription’.

L’article L. 8222-2 du Code du travail dispose’:

‘Toute personne qui méconnaît les dispositions de l’article L.8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé’:

1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale’;

2° Le cas échéant, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques dont il a bénéficié’;

3° Au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues par lui à raison de l’emploi de salariés n’ayant pas fait l’objet de l’une des formalités prévues aux articles L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche et L. 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie’.

Par une décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 8222-2 du Code du travail, sous réserve qu’elles n’interdisent pas au donneur d’ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.

Il en résulte que si la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre n’est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l’encontre du cocontractant, l’organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d’ordre de l’existence ou du contenu de celui-ci, ainsi que l’a d’ailleurs jugé la Cour de cassation (Civ., 2ème 6 avril 2023, pourvoi n° 21-17.173′; Civ., 2ème 1er décembre 2022, pourvoi n° 21-14.702′; 2ème Civ., 8 avril 2021, pourvoi n° 19-23.728).

En l’espèce, la lettre d’observations notifiée à la société [6] mentionne les constatations suivantes’:

‘Vous avez confié pour la période du 23/04/2015 au 25/11/2016 une partie de votre activité en sous-traitance à’:

Dénomination [5] […]

Cette entreprise a assuré cette prestation en violation des articles L.8221-1, L.8221-2, L.8221-3 et L.8221-5 du code du travail, ce qui est constitutif du délit de travail dissimulé par dissimulation de salariés et/ou dissimulation d’activité.

Il est apparu que vous ne vous êtes pas assuré de la régularité de la situation en vous faisant remettre les documents mentionnés aux articles D8222-5 du code du travail [‘]

En effet, le 14 mars 2017 à 14h55, accompagné de Monsieur [L] [D], inspecteur du recouvrement agréé et assermenté de l’Urssaf Centre-Val de Loire, j’ai établi dans vos locaux un procès-verbal d’audition de Monsieur [R] [J], responsable légal de l’entreprise [6]. Lors de cet entretien Monsieur [R] a confirmé avoir eu recours aux services de la société [5] et m’a remis copie du contrat de sous-traitance liant commercialement les deux entreprises. Il a également confirmé de ne pas avoir demandé à la société [5], à la signature du contrat et tous les 6 mois, d’attestation de vigilance émise par l’Urssaf quant à sa situation au regard des cotisations et contributions sociales. [6] n’était pas non plus en possession de l’extrait Kbis de [5] en cours de validité. Comme Monsieur [R] s’y était engagé lors de cet entretien, il m’a transmis ultérieurement par courriel l’intégralité des factures émises par [5] enregistrées et payées dans la comptabilité d'[6]’.

L’Urssaf produit aux débats le procès-verbal de synthèse établi par la gendarmerie nationale le 13 août 2019 constatant l’infraction de travail dissimulé commise par la société [5] sur la période du 1er avril 2015 au 31 décembre 2016, relatant les actes essentiels de l’enquête telle que l’audition de la gérante de la société, Mme [Y], reconnaissant l’existence de travail dissimulé par dissimulation de salariés et/ou dissimulation d’activité. Les éléments mentionnés dans ce procès-verbal établissent sans ambiguïté les faits de travail dissimulé, de sorte que la société [6] n’est pas fondée à arguer de son manque de clarté.

Le tribunal a jugé que ce procès verbal de synthèse ne pouvait valoir procès verbal de travail dissimulé au motif qu’il ne comprenait pas l’ensemble des mentions prévues par les articles L. 133-1 et R. 133- du Code de la sécurité sociale.

L’article L.133-1 du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable lors du contrôle de la société sous-traitante, dispose’:

‘I.-Lorsqu’un procès-verbal de travail dissimulé a été établi par les agents chargés du contrôle mentionnés au premier alinéa de l’article L. 243-7 du présent code ou à l’article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, ou transmis aux organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-1 du présent code et à l’article L. 723-3 du code rural et de la pêche maritime en application de l’article L. 8271-6-4 du code du travail, l’inspecteur du recouvrement ou l’agent chargé du contrôle mentionné à l’article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime remet à la personne contrôlée un document constatant cette situation et comportant l’évaluation du montant des cotisations et contributions éludées, des majorations prévues à l’article L. 243-7-7 du présent code et, le cas échéant, des majorations et pénalités afférentes, ainsi que du montant des réductions ou exonérations de cotisations ou contributions sociales dont a pu bénéficier le débiteur annulées en application du deuxième alinéa de l’article L. 133-4-2.

Ce document fait état des dispositions légales applicables à cette infraction ainsi que celles applicables à la procédure prévue au présent article. Il mentionne notamment les dispositions du II du présent article ainsi que les voies et délais de recours applicables. Ce document est signé par l’inspecteur ou par l’agent chargé du contrôle mentionné à l’article L. 724-7 du code rural et de la pêche maritime.

II.-A la suite de la remise du document mentionné au I, la personne contrôlée produit des éléments justifiant, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’État, de l’existence de garanties suffisant à couvrir les montants évalués. A défaut, le directeur de l’organisme de recouvrement peut procéder, sans solliciter l’autorisation du juge prévue au premier alinéa de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, à une ou plusieurs des mesures conservatoires mentionnées aux articles L. 521-1 à L. 533-1 du même code, dans la limite des montants mentionnés au I du présent article.

À tout moment de la procédure, la personne contrôlée peut solliciter la mainlevée des mesures conservatoires prises à son encontre en apportant auprès du directeur de l’organisme des garanties suffisantes de paiement’.

L’article R. 133-1 du Code de la sécurité sociale dispose’:

‘Outre les mentions prévues au I de l’article L.133-1, le document prévu au même article mentionne la période concernée, les faits constatés et, lorsqu’il est fait application des dispositions de l’article L. 8271-6-4 du code du travail, l’auteur du constat.

Le document mentionné au premier alinéa est établi et signé par l’agent chargé du contrôle qui a constaté les infractions ou a exploité les informations transmises aux organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-1 du présent code ou à l’article L. 723-3 du code rural et de la pêche maritime en application des dispositions de l’article L. 8271-6-4 du code du travail.

Il est notifié à la personne contrôlée par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception’.

Les articles L. 133-1 et R. 133-1 du Code de la sécurité sociale imposent donc l’établissement, par l’inspecteur du recouvrement, d’un document distinct du procès-verbal de travail dissimulé qui en constitue le fondement, comportant l’évaluation du montant des cotisations et contributions éludées, des majorations ainsi que du montant des réductions ou exonérations de cotisations ou contributions sociales annulées.

Ces dispositions ne s’appliquent donc pas au contenu du procès-verbal de travail dissimulé établi par un officier de police judiciaire, de sorte que le tribunal a fait une application erronée de ces dispositions au procès-verbal de synthèse produit par l’Urssaf.

Le travail dissimulé ayant été commis par la société [5], la société [6] n’avait pas à être destinataire du procès-verbal de travail dissimulé ni même du document visé à l’article L. 133-1 du Code de la sécurité sociale.

Le procès-verbal de travail dissimulé retenant la responsabilité de Mme [Y] au titre de l’exécution de travail dissimulé en sa qualité de gérante de la société [5], l’intimée est mal fondée à soutenir que sa solidarité financière ne saurait être retenue au motif que l’enquête n’est pas clôturée à l’encontre de la société [5] qui est seule sa sous-traitante.

Il est donc établi que l’Urssaf a produit aux débats le procès-verbal de travail dissimulé commis par la société sous-traitante de la société [6]. Il résulte de la lettre d’observations que la société [6] ne s’est pas fait remettre par sa sous-traitante, la société [5] les documents mentionnés à l’article D. 8222-5 du Code du travail, de sorte que sa solidarité financière doit être retenue en application de l’article L. 8222-2 du Code du travail.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a annulé la mise en demeure du 11 décembre 2020.

– Sur la taxation forfaitaire appliquée à la sous-traitante

Moyens des parties

La société [6] soutient que le calcul du redressement opéré par l’Urssaf vis-à-vis est manifestement excessif’; que l’Urssaf a retenu un taux erroné de masse salariale’; qu’au regard des données statistiques établies par l’INSEE, il apparaît que le ratio de la masse salariale par rapport au chiffre d’affaires des entreprises du secteur est de l’ordre de 20’%’; qu’en considérant que sa masse salariale devrait être fixée à 56’% en 2015 et 57’% en 2016 du chiffre d’affaires, l’Urssaf a manifestement surévalué le montant des rémunérations non soumises à cotisations sociales’; qu’en assimilant son chiffre d’affaires à sa valeur ajoutée, l’Urssaf considère en fait qu’elle ne subit aucune charge dans la mesure où la société se livrerait uniquement à du prêt de main d’oeuvre sans achat de matériaux’; que la société [5] dégageait un chiffre d’affaires hors norme par rapport à celui des entreprises de son secteur, car elle utilisait un enduit à forte valeur ajoutée dont le prix de vente aux particuliers est de l’ordre de 100’€ du m², contre 25’€ en moyenne du m² pour un produit classique’; que le chiffre d’affaires de la société [5], généré par son activité de sous-traitante, ne peut s’analyser comptablement comme le chiffre d’affaires d’un ravaleur classique’; que la cour constatera que les statistiques retenues par l’inspecteur sont faussées au regard de l’option retenue de calculer l’assiette du redressement en appliquant un prorata sur la base de la valeur ajoutée et non pas du chiffre d’affaires de la société [5].

L’Urssaf réplique que l’agent chargé du contrôle fixe forfaitairement le montant de l’assiette dans les cas prévus à l’article R. 243-59 du Code de la sécurité sociale’; que bien que la société [5] ait reconnu que des salariés et des salaires n’ont pas été déclarés, il était impossible de retenir avec certitude et fiabilité quelles sont les sommes réelles attribuées aux salariés dissimulés’; que l’inspecteur a donc été contraint de recourir à une évaluation forfaitaire’; que le dispositif ESANE (Élaboration des Statistiques Annuelles d’Entreprises) permet de produire des statistiques structurelles d’entreprises, présentant toutes les garanties de fiabilité requises pour évaluer la masse salariale moyenne d’une entreprise eu égard à son secteur d’activité et son chiffre d’affaires notamment’; qu’une telle méthode de calcul forfaitaire est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui indique que l’utilisation d’un ratio généralement utilisé dans un secteur professionnel représentant la masse salariale appliqué au chiffre d’affaires de l’entreprise, reste opposable du fait de son caractère général et qu’il n’est pas lié aux spécificités éventuelles de l’entreprise’;

qu’en l’espèce, le chiffrage du redressement a été effectué en appliquant au chiffre d’affaires un ratio de masse salariale généralement utilisé dans le secteur du bâtiment, soit un ratio de 50’%’; que la différence majeure entre la société [5] et des entreprises du même secteur d’activité est que celle-ci n’a quasiment pas de dépenses liées à un fonctionnement normal puisqu’elle ne fournit à ses clients que la prestation de main-d’oeuvre sans achat de matériaux’; que faute de comptabilité ou de justificatif probant des écritures portées au débit du compte bancaire, il y a eu lieu de considérer que, compte-tenu du fait que l’activité principale de la société [5] est la fourniture de main d’oeuvre, et que les chiffres d’affaires estimés des années 2015 et 2016 sont donc assimilables à la valeur ajoutée de l’entreprise’; que la société [6] conteste la base retenue au motif que concernant le secteur des travaux de finition dans le bâtiment le ratio ‘frais de personnel’ / ‘chiffre d’affaires hors taxes’ est de 30’%’; qu’il sera relevé que la société [5] a pour code NAF le 4399C, ce qui ne correspond pas au secteur des ‘Travaux de finitions’ comme le présuppose l’intimée, mais au secteur ‘Autres travaux de constructions spécialisées »; qu’elle n’utilise pas, dans ce contexte, le chiffre d’affaires hors-taxes car celui-ci intègre la totalité des charges qu’une entreprise subit, qu’elle déclare régulièrement son personnel et fournit les matériaux’; que c’est donc à bon droit que l’inspecteur a appliqué un ratio entre la valeur ajoutée hors taxe, et les salaires et traitements, hors charges patronales’; que ni les considérations techniques portant sur les matériaux utilisés ou non par la société [5], ni les allégations du donneur d’ordre quant au chiffre d’affaires de son sous-traitant, ne peuvent se substituer à une comptabilité sincère et probante’; que le redressement ne saurait être remis en cause par la production de trois factures et deux grilles tarifaires’; que la taxation forfaitaire opérée par l’inspecteur agréé et assermenté ne pourra qu’être validée aussi longtemps que la comptabilité de la société [5] demeurera inexistante, incomplète, inexacte, incohérente ou falsifiée.

Réponse de la Cour

L’article R. 243-59-4 du Code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, dispose’:

‘L’agent chargé du contrôle fixe forfaitairement le montant de l’assiette dans les cas suivants’:

1° La comptabilité de la personne contrôlée ne permet pas d’établir le chiffre exact des rémunérations, ou le cas échéant des revenus, servant de base au calcul des cotisations dues’;

2° La personne contrôlée ne met pas à disposition les documents ou justificatifs nécessaires à la réalisation du contrôle ou leur présentation n’en permet pas l’exploitation.

Cette fixation forfaitaire est effectuée par tout moyen d’estimation probant permettant le chiffrage des cotisations et contributions sociales. Lorsque la personne contrôlée est un employeur, cette taxation tient compte, dans les cas mentionnés au 1°, notamment des conventions collectives en vigueur ou, à défaut, des salaires pratiqués dans la profession ou la région considérée. La durée de l’emploi est déterminée d’après les déclarations des intéressés ou par tout autre moyen de preuve’.

En l’espèce, l’Urssaf a constaté l’absence de comptabilité tenue par la société [5] de sorte qu’elle était fondée à recourir à la taxation forfaitaire.

La lettre d’observations notifiées au donneur d’ordre énonce, s’agissant des sommes à réintégrer’:

‘Il ressort ainsi des investigations menées par la gendarmerie que l’entreprise [5] aurait dû déclarer les assiettes de cotisations suivantes’:

Année 2015 = 252’187,33’€

Année 2016 = 262’497,16’€

En tenant compte des assiettes déclarées en 2015 (31’582’€) et 2016 (22’740’€), je retiens donc comme base de régularisation 220’605’€ au titre de l’année 2015 et 239’757’€ au titre de l’année 2016′.

La société [5] était immatriculée auprès de l’Urssaf sous le code NAF 4399C, correspondant à l’activité de travaux de maçonnerie générale, de sorte que la détermination de la masse salariale doit s’effectuer au regard de cette activité principale déclarée.

S’il est exact que le montant de la valeur ajoutée correspond au montant du chiffre d’affaires diminué des achats de matières premières, l’inspecteur a constaté que la société [5] ne fournissait à ses clients co-contractants que la prestation de main-d’oeuvre sans achat de matériaux, les débits dans les comptes bancaires n’établissant pas l’achat de matières premières. Il s’ensuit que l’Urssaf était fondée, en l’absence de comptabilité, à assimiler les chiffres d’affaires réalisés par la société [5] à la valeur ajoutée.

Après détermination de la valeur ajoutée, l’Urssaf a évalué la masse salariale théorique en rapport avec la valeur ajoutée, en se référant à base statistique Esane, établie par l’INSEE, en retenant le ratio comptable entre les charges d’exploitation salaires et traitement d’une part, et la valeur ajoutée au coût des facteurs, soit un ratio de 56,36’% pour l’année 2015 et de 57,14’% pour l’année 2016.

L’utilisation de ce ratio à la société [5] pour l’année 2015 met en évidence des salaires à déclarer de 252’187,33 euros (valeur ajourée de 447’458’€ x 56,36’%) pour l’année 2015 et de 262’497,16 euros (valeur ajoutée de 459’393’€ x 57,14’%) pour l’année 2016.

Seule la somme de 31’582 euros ayant été déclarée en 2015, la base de régularisation a été fixée à 220’605 euros au titre de l’année 2015. De même, seule la somme de 22’740 euros ayant été déclarée en 2016, la base de régularisation a été fixée à 239’757 euros au titre de l’année 2016.

La société [6] critique l’utilisation de ces ratios et demande de retenir un ratio de 20’% qui serait habituellement retenu par l’Urssaf pour l’activité codifiée sous le NAF 439. Cependant, ainsi qu’il a été précédemment exposé, la société [5] ne disposait pas de charges liées à l’achat de matériaux, de sorte que le ratio invoqué de 20’% ne peut être utilisé en l’espèce. La société [6] ne peut se prévaloir d’un ratio entre la masse salariale et le chiffre d’affaires, alors qu’en l’espèce le ratio comptable adapté est calculé entre la valeur ajoutée et les salaires. Le ratio calculé à partir du chiffre d’affaires ne peut donc être appliqué à la société sur sa valeur ajoutée pour les motifs précités.

En l’absence de comptabilité tenue par la société [5] et de mouvements bancaires attestant de l’achat de matériaux, le moyen tiré du fait qu’elle mettait en oeuvre un produit à haute valeur ajoutée est inopérant, ce produit étant facturé par le donneur d’ordre aux maîtres d’ouvrage et non acheté par la société sous-traitante.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’Urssaf n’a pas commis d’erreur d’appréciation ou de calcul dans la mise en oeuvre de la taxation forfaitaire de sorte que les montants de l’assiette de régularisation doivent être validés.

– Sur la majoration pour travail dissimulé

Moyens des parties

La société [6] soutient qu’aucun élément du dossier ne permet de constater que les conditions d’application de la majoration du redressement de 40’% trouvent à s’appliquer au cas d’espèce.

L’Urssaf fait valoir que la société [5] a exercé son activité de maçonnerie et décoration/rénovation de façade en 2015 et 2016 omettant intentionnellement de déclarer un certain nombre de ses salariés, ce qui a été reconnu lors de son audition en gendarmerie’; qu’il est donc établi que les faits de travail dissimulé ont été commis à l’égard de plusieurs salariés’; que conformément à la lecture combinée des articles L. 243-7-7 et L. 8224-2, la majoration de redressement est portée à 40’% dans les cas où les faits sont commis à l’égard de plusieurs personnes.

Réponse de la Cour

L’article L. 243-7-7 du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, dispose’:

‘I.- Le montant du redressement des cotisations et contributions sociales mis en recouvrement à l’issue d’un contrôle réalisé en application de l’article L. 243-7 ou dans le cadre de l’article L. 243-7-5 du présent code est majoré de 25’% en cas de constat de l’infraction définie aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail.

La majoration est portée à 40’% dans les cas mentionnés à l’article L.8224-2 du code du travail’.

L’article L. 8224-2 du Code du travail vise le fait de méconnaître les interdictions définies à l’article L. 8221-1 en commettant les faits à l’égard de plusieurs personnes.

En l’espèce, il résulte du procès-verbal de travail dissimulé que les faits ont été commis à l’égard de plusieurs personnes, de sorte que l’Urssaf était fondée à appliquer la majoration de 40’%.

Il n’y a donc pas lieu d’appliquer la majoration de 25’% telle que sollicité par la société [6].

– Sur le taux de solidarité applicable au donneur d’ordre

Moyens des parties

La société [6] indique qu’elle conteste le pourcentage de solidarité qui lui a été imputé, au motif que l’article 5.4 de la circulaire DILTI du 31 décembre 2005 relative à la solidarité financière des donneurs d’ordre en matière de travail dissimulé, prévoit pour les dettes sociales (rémunérations et cotisations sociales) que le prorata est calculé par rapport au temps de travail et à la masse salariale affectés à la réalisation de la prestation irrégulière’; que pour autant l’Urssaf n’a pas retenu un prorata calculé par rapport au temps de travail et à la masse salariale affectée à la réalisation des prestations à son bénéfice, déniant à la circulaire DILTI tout effet normatif’; que la cour annulera donc la mise en demeure du 11 décembre 2020.

L’Urssaf réplique qu’aux termes de l’article L.8222-3 du Code du travail, les sommes dont le paiement est exigible en application de l’article L. 8222-2 sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession’; que dès lors, peu importe l’invocation de circulaires interministérielles dépourvues d’effet normatif, c’est à bon droit qu’elle a calculé le redressement de la société [6] selon la formule ‘Redressement [5] x (Facturation d'[6] vis-à-vis de [5] / Facturation totale de [5]) »; qu’il y a lieu de valider ce pourcentage de solidarité imputé à la société [6] en raison de sa carence à produire les attestations de vigilance de son sous-traitant ayant commis le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés.

Réponse de la Cour

Selon l’article L. 8222-3 du Code du travail, les sommes dont le paiement est exigible du donneur d’ordre en application de la solidarité financière prévue à l’article L. 8222-2 du même code sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession.

Les circulaires étant dépourvues de portée normative, la société [6] n’est pas fondée à se prévaloir des dispositions de la circulaire DILTI du 31 décembre 2005 relative à la solidarité financière des donneurs d’ordre en matière de travail dissimulé.

Le taux de solidarité financière doit donc être déterminé au regard des dispositions de l’article L. 8222-3 du Code du travail précitées.

L’Urssaf a calculé ce taux en faisant le quotient entre les sommes facturées par la société [6] à la société [5] et la totalité des factures la société [5], sur la seule période de recours à la sous-traitance de celle-ci, soit un taux de 72,55’% pour l’année 2015 et de 62,72’% pour l’année 2016. Ce calcul étant conforme aux exigences légales, il convient de le valider.

Il n’y a donc pas lieu d’annuler la mise en demeure au motif d’une non-application par l’Urssaf de la circulaire du 31 décembre 2005.

– Sur le droit à l’erreur de la cotisante

Moyens des parties

La société [6] indique qu’à titre infiniment subsidiaire, elle entend se prévaloir du droit à l’erreur prévu par la loi ESSOC n° 2018-727 du 10 août 2018, qui permet à l’usager qui a commis une erreur, de démontrer qu’il ne l’a pas commise de mauvaise foi et qu’elle n’avait donc aucunement la volonté de manquer à ses obligations’; que dans le cadre de la loi ESSOC, la charge de la preuve est inversée de sorte qu’il revient à l’administration de démontrer que l’auteur de l’erreur était de mauvaise foi et avait l’intention de commettre une fraude, ce que ne démontre pas l’Urssaf’; qu’elle n’est en aucun cas l’auteur du délit de travail dissimulé pour laquelle elle se retrouve néanmoins impliquée, de sorte que sa bonne foi doit être retenue.

L’Urssaf fait quant à elle valoir que le bénéfice du droit à l’erreur ne peut pas s’appliquer aux faits de l’espèce puisqu’il n’a vocation à s’appliquer que lorsqu’un cotisant régularise une erreur’; que la société [6] ne peut régulariser l’absence de production d’attestations de vigilance’; que le droit à l’erreur ayant également pour vocation de ne pas faire supporter de sanction au cotisant, il ne peut pas non plus s’appliquer au bénéfice de la société [6] puisque les sommes qui lui sont réclamées ne résultent pas d’une sanction, mais ne sont que des cotisations, contributions et majorations dues par la société [5] au système de sécurité sociale’; qu’il convient donc de rejeter la demande de la société [6] tendant au bénéfice du droit à l’erreur.

Réponse de la Cour

La loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance a créé l’article l’article L. 123-1 Code des relations entre le public et l’administration ainsi rédigé’:

‘Une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l’objet, de la part de l’administration, d’une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d’une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l’administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué.

La sanction peut toutefois être prononcée, sans que la personne en cause ne soit invitée à régulariser sa situation, en cas de mauvaise foi ou de fraude’.

Le défaut de vigilance résultant du non-respect par la société [6] des dispositions de l’article D. 8222-5 du Code du travail, ne constitue pas une erreur susceptible de régularisation au regard de l’article L.123-1 Code des relations entre le public et l’administration, dès lors qu’il a permis de rémunérer une société sous-traitante qui a exécuté ses prestations par travail dissimulé.

La solidarité financière prévue par l’article L. 8222-2 du Code du travail ne peut en outre être regardée comme une sanction prononcée par l’administration à la suite d’une erreur.

En conséquence, la société [6] est mal fondée à se prévaloir d’un droit à l’erreur pour éviter le redressement réalisé par l’Urssaf au titre de la solidarité financière.

Il résulte de l’ensemble de ces considérations que le redressement opéré par l’Urssaf à l’encontre de la société [6] doit être intégralement validé, ainsi que la mise en demeure afférente, et la société sera condamnée à payer à l’Urssaf la somme totale de 223’537 euros. La société [6] sera déboutée de l’ensemble de ses demandes et le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a rejeté le surplus des demandes de l’Urssaf.

– Sur les frais de procédure

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné l’Urssaf aux dépens. La société [6] sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS:

Statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement sauf en ce qu’il a déclaré la requête de la société [6] recevable’;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute la société [6] de l’ensemble de ses demandes’;

Valide intégralement le redressement opéré par l’Urssaf à l’encontre de la société [6], ainsi que la mise en demeure en date du 11 décembre 2020′;

Condamne en conséquence la société [6] à payer à l’Urssaf Centre Val de Loire la somme totale de 223’537 euros’;

Condamne la société [6] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 

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