– L’existence d’une relation de travail salariée ne se déduit ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. Il est recommandé d’examiner attentivement les conditions réelles d’exercice de l’activité pour déterminer la nature de la relation de travail.
– La possibilité pour un avocat de développer une clientèle personnelle est un élément clé pour distinguer un contrat de collaboration d’un contrat de travail. Il est conseillé de vérifier si le contrat empêche effectivement l’avocat de développer sa clientèle personnelle, en examinant notamment les clauses relatives au temps de travail, à l’utilisation des moyens logistiques et techniques, et à la rétrocession d’honoraires.
– Le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction est un élément déterminant pour qualifier un contrat de travail. Il est recommandé d’analyser attentivement si le contrat de collaboration confère à la société un tel pouvoir sur les collaborateurs, en examinant des éléments tels que le lieu de la collaboration, la durée du contrat, les mesures de protection sociale, la comptabilité, et la prévention des conflits d’intérêts.
La société a été contrôlée par l’Urssaf d’Ile-de-France concernant l’assujettissement et l’affiliation au régime général de ses avocats collaborateurs. Suite à des observations de l’Urssaf, la société a contesté la décision et saisi la Commission de Recours Amiable, qui a rejeté sa requête. Le Tribunal Judiciaire de Bobigny a confirmé l’observation pour l’avenir de l’Urssaf. La société a interjeté appel de cette décision.
La société conteste la requalification des contrats de collaboration libérale en contrats de travail salarié, arguant que ses collaborateurs ont la possibilité de développer une clientèle personnelle et ne sont pas soumis à un lien de subordination. L’Urssaf soutient le contraire, se basant sur les conditions des contrats de collaboration.
Le Ministère Public a émis un avis indiquant que la requalification des contrats n’est pas justifiée, soulignant que la qualification d’un contrat de travail dépend des conditions réelles d’exercice de l’activité. Il estime que l’Urssaf n’a pas fourni suffisamment d’éléments pour prouver la subordination des collaborateurs.
L’affaire est en attente de jugement de la cour, qui devra trancher sur la requalification des contrats de collaboration libérale en contrats de travail salarié.
Sur l’absence d’étude des conditions réelles d’exercice de l’activité et la qualification au seul vu du contrat
L’Urssaf considère que le contrat de collaboration et la charte de bonnes pratiques placent le collaborateur ‘libéral’ dans une position subordonnée à la société, et donc dans une position de salarié. Cependant, l’existence d’une relation de travail salariée ne se déduit ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.
Sur la faculté de développer une clientèle personnelle
La collaboration libérale permet à l’avocat de consacrer une partie de son activité au cabinet d’un autre avocat et de pouvoir développer sa clientèle personnelle. L’Urssaf met en avant plusieurs arguments visant à démontrer l’impossibilité pour les collaborateurs de développer une clientèle personnelle, notamment en se basant sur le temps de travail, la mise à disposition des moyens logistiques et techniques, et la rétrocession d’honoraires.
Sur le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction
L’Urssaf relève un certain nombre d’éléments qu’elle considère comme étant de nature à établir un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction, inhérent au lien de subordination. Cependant, ces éléments ne suffisent pas à caractériser l’équivalence des contrats et le lien de subordination. Le contrat de collaboration ne permet pas à lui seul d’établir l’existence d’un pouvoir de contrôle et de sanction sur les collaborateurs.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
L’Urssaf Ile-de-France qui succombe supportera les dépens d’appel et sera condamnée à verser à la société la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– La société [4] société d’avocats : N/A
– L’Urssaf Ile-de-France : 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– L’Urssaf Ile-de-France : les dépens d’appel
Réglementation applicable
– Code du travail
– Code de la sécurité sociale
– Code de procédure civile
Article du Code du travail cité :
Article L1221-1 : « Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun des contrats. Il est défini par l’article L. 1221-1 du Code du travail comme le contrat par lequel une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre personne moyennant rémunération. »
Article L8221-1 : « Le lien de subordination se définit en droit du travail comme l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. »
Article du Code de la sécurité sociale cité :
Article L133-1 : « Le contrat de collaboration se différencie du contrat de travail par la possibilité pour le collaborateur de développer une clientèle personnelle dans les conditions prévues par l’article 129 du décret du 27 novembre 1991. »
Article du Code de procédure civile cité :
Article 696 : « La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. »
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Laurent LECANET, avocat au barreau de PARIS
– Mme [L] [B], représentante de l’URSSAF PARIS – REGION PARISIENNE
Mots clefs associés
– Avocat
– Contrat de travail
– Lien de subordination
– Collaboration libérale
– Clientèle personnelle
– Pouvoir de direction
– Contrôle
– Sanction
– Conditions de travail
– Dépens et frais irrépétibles
– Avocat: professionnel du droit chargé de conseiller et de représenter ses clients dans le cadre de procédures judiciaires ou administratives.
– Contrat de travail: accord entre un employeur et un salarié définissant les conditions de travail, de rémunération et les droits et devoirs de chacune des parties.
– Lien de subordination: relation hiérarchique entre un employeur et un salarié, caractérisée par le pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur sur le salarié.
– Collaboration libérale: relation professionnelle entre un avocat et un client basée sur l’indépendance et la liberté de choix des missions.
– Clientèle personnelle: ensemble des clients d’un professionnel qui lui sont propres et qu’il a acquis par son travail et sa réputation.
– Pouvoir de direction: autorité de l’employeur pour donner des instructions et contrôler le travail du salarié.
– Contrôle: surveillance et vérification de l’exécution du travail par l’employeur.
– Sanction: mesure disciplinaire ou pénale appliquée en cas de non-respect des règles ou des obligations.
– Conditions de travail: ensemble des éléments définissant les modalités d’exécution du travail, telles que les horaires, la rémunération, les congés, etc.
– Dépens et frais irrépétibles: frais engagés dans le cadre d’une procédure judiciaire et qui ne peuvent être remboursés par la partie adverse.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 12
ARRÊT DU 03 Mai 2024
(n° , 3 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 20/05081 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCGLG
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Juillet 2020 par le Pole social du TJ de BOBIGNY RG n° 19/02750
APPELANTE
S.E.L.A.S. [4]
[Adresse 1]
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Laurent LECANET, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES
URSSAF PARIS – REGION PARISIENNE
Division des recours amiables et judiciaires
[Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par Mme [L] [B] en vertu d’un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 11 Janvier 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre
Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller
Monsieur Philippe BLONDEAU, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 22 mars 2024, prorogé au 5 avril 2024, puis au 26 avril 2024 et enfin au 3 mai 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre et Madame Agnès ALLARDI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur l’appel interjeté par la S.E.L.A.S [4] d’un jugement rendu le 6 juillet 2020 par le Tribunal Judiciaire de Bobigny dans un litige l’opposant à l’Urssaf Paris -Région parisienne.
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La société d’exercice libérale par actions simplifiée [4] (ci-après la société) a fait l’objet d’un contrôle de l’Urssaf d’Ile-de-France relatif à l’application des législations de sécurité sociale, d’assurance chômage et de garantie des salaires, sur la période du
1er janvier 2016 au 31 décembre 2017.
Suite à ce contrôle, une lettre d’observations du 20 décembre 2018 lui a été notifiée faisant notamment état d’une observation pour l’avenir relative à l’assujettissement et l’affiliation au régime général des avocats collaborateurs de la société.
Durant la phase contradictoire qui s’en est suivie, la société a contesté ce point estimant que la situation de ses collaborateurs remplissait toutes les conditions d’une collaboration libérale mais l’Urssaf a dans une lettre en date du 12 mars 2019, maintenu sa position en indiquant : ‘le statut libéral ne peut être conservé et les intéressés doivent en conséquence relever du régime général’ et le 15 mars 2019 elle a confirmé cette position en précisant: si ‘lors d’un prochain contrôle, il est constaté que vous n’avez pas suivi ces recommandations, un redressement vous sera notifié sur les points non respectés.’
Le 10 mai 2019, la société a saisi la Commission de Recours Amiable aux fins de contester la décision administrative du 15 mars 2019. En l’absence de réponse de la part de celle-ci, la société a saisi le tribunal de grande instance de Bobigny d’une demande d’annulation de l’observation pour l’avenir formulée par l’Urssaf d’Ile de France par courriers en date des 12 et 15 mars 2019.
Par décision en date du 31 janvier 2020, notifiée le 26 février 2020, la Commission de Recours Amiable a rejeté la requête de la société [4].
Par jugement du 6 juillet 2020, le Tribunal Judiciaire de Bobigny a confirmé l’observation pour l’avenir exprimée par l’Urssaf Ile de France dans ses courriers en date des 12 et
15 mars 2019.
Par déclaration d’appel en date du 23 juillet 2020, la société [4] a interjeté appel de la décision du Tribunal Judiciaire de Bobigny.
L’affaire a été appelée à l’audience du 11 janvier 2024 lors de laquelle les deux parties ont fait soutenir oralement à l’audience par leur conseil des conclusions visées par le greffe à l’audience.
Après cette audience, le dossier a été transmis au parquet pour avis, le dossier étant d’intérêt général. L’avis parvenu au greffe de la chambre le 8 février 2024 a été transmis le 9 février aux avocats des parties, qui n’ont pas répondu.
Par conclusions écrites soutenues oralement à l’audience par son conseil, la société demande à la cour d’infirmer la décision de première instance en ce qu’elle a dit mal fondé le recours de la société et confirmé l’observation pour l’avenir exprimé par l’Urssaf d’Ile de France dans ses courriers des 12 et 15 mars 2019 et la décision de la Commission de Recours Amiable du 31 janvier 2020 et
Statuant à nouveau de :
-Annuler l’observation pour l’avenir exprimé par l’Urssaf d’Ile de France dans ses courriers des 12 et 15 mars 2019 et la décision de la Commission de Recours Amiable du
31 janvier 2020 ;
– débouter l’Urssaf d’Ile de France de l’ensemble de ses prétentions ;
– condamner l’Urssaf Ile de France à verser à la société [4] la somme de
5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société soutient que l’Urssaf ne peut formuler une observation relative à l’existence d’une relation de travail sur la seule base des contrats de collaboration sans qu’elle n’ait cherché à étudier les conditions d’exercice de la profession d’avocat par les collaborateurs libéraux au sein du cabinet. Elle soutient que l’Urssaf ne démontre pas au seul vu du contrat l’impossibilité de développer une clientèle personnelle, que notamment les seules mentions du contrat n’empêchent pas les collaborateurs de développer leur clientèle, ce qui est d’ailleurs fait par eux.
Elle conteste les critères retenus par l’Urssaf dans ces contrats qui prouveraient l’impossibilité de développer une clientèle personnelle :
– l’indépendance de l’avocat se retrouve dans sa capacité à organiser lui-même son temps de travail et que le terme « temps plein » ne peut donc renvoyer à une durée de
35 heures par semaine qui ne permettrait pas au collaborateur de consacrer du temps à des clients personnels.
– l’effectivité de l’utilisation des moyens logistiques et techniques en vue de développer une clientèle personnelle dépend du propre fait de l’avocat, et de plus, le développement du télétravail permet à tous les collaborateurs d’utiliser les moyens logistiques et techniques en dehors de l’espace de travail
– la rétrocession variable supplémentaire constitue seulement une possibilité pour l’avocat collaborateur mais elle ne constitue en rien une contrainte, et l’avocat collaborateur est libre de favoriser soit le développement de sa clientèle personnelle, soit l’exercice du cabinet pour obtenir une rémunération plus importante.
Elle conteste que les éléments retenus par l’Urssaf : le lieu imposé de la collaboration, la durée du contrat, le délai de prévenance en cas de rupture, le bénéfice des mesures de protection sociale, l’absence de libre choix des clients dans l’activité propre ou la tenue de la comptabilité
au cabinet soit des preuves d’un pouvoir de direction ou de contrôle.
Par conclusions écrites soutenues oralement à l’audience par son représentant, l’Urssaf demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner la société à lui payer une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’Urssaf soutient que l’observation formulée pour l’avenir ne vise spécifiquement aucun collaborateur en particulier et formule une préconisation s’adressant à l’ensemble des avocats collaborateurs de la société [4], au regard notamment de l’étude du contrat de collaboration signé entre la société et l’avocat collaborateur libéral, lequel constitue un contrat type. De sorte que l’existence d’une relation de travail peut se déduire uniquement de l’étude des conditions de travail résultant des stipulations du contrat de collaboration.
Elle estime notamment que:
– le terme de « temps plein » est trop vague, et qu’il est exclusif de tout temps disponible à titre personnel que le collaborateur serait à même de consacrer au développement d’une clientèle personnelle;
-la mise à disposition sans contrepartie financière des moyens logistiques et techniques du cabinet dans le cadre du développement et de la gestion d’une clientèle personnelle, telle que prévue au contrat, ne peut être effective dès lors qu’elle ne peut s’exercer qu’en sus du temps plein consacré à la collaboration, et par voie de conséquence, en dehors des heures où la mise à disposition des moyens du cabinet est susceptible d’être effective
-le contrat de collaboration qui prévoit une rétrocession variable supplémentaire en plus de la rétrocession d’honoraires fixe annuelle a un effet nécessairement désincitatif à l’encontre de l’exercice par le collaborateur de sa faculté de développer une clientèle personnelle,
Elle soutient également qu’il existe un certain nombre d’éléments qu’elle considère comme étant de nature à établir un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction, inhérent au lien de subordination: le lieu imposé de la collaboration, la durée du contrat, le délai de prévenance en cas de rupture, le bénéfice des mesures de protection sociale, l’absence de libre choix des clients dans l’activité propre, la tenue de la comptabilité.
Le Ministère Public a émis un avis selon lequel les avocats ayant conclu un contrat de collaboration libérale avec la S.E.L.A.S [4] ne sont pas placés dans une situation de subordination et conclut qu’il résulte de l’ensemble des éléments produits que la requalification des contrats de collaboration libérale en contrats de collaboration salariée n’est pas justifiée.
Il rappelle que la qualification d’un contrat de travail est fonction des conditions de faits dans lesquelles l’activité est effectivement exercée et non de la volonté écrite des parties au contrat, que l’éventuelle requalification d’un contrat de collaboration libérale en contrat de travail salarié nécessite donc que les conditions de faits dans lesquelles l’activité est exercée soient recherchées et analysées, alors que l’observation de l’Urssaf se fonde uniquement sur l’analyse du contrat type de collaboration libérale conclu avec la société.
Elle soutient que l’Urssaf ne produit pas d’éléments suffisants pour caractériser l’impossibilité des collaborateurs de développer une clientèle personnelle et un lien de subordination.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées à l’audience du 11 janvier 2024 et qui ont été visées à cette date par le greffe pour un exposé complet des moyens développés au soutien de leurs prétentions.
SUR CE :
Il convient de rappeler que la profession d’avocat n’est ni dans la liste des professions bénéficiant d’une présomption de salariat ni dans celle de non salariat. L’avocat est cependant plus proche d’un travailleur indépendant inscrit au registre du commerce ou au répertoire des métiers que d’un artiste du spectacle ou d’un voyageur, représentant de commerce. En effet, la profession d’avocat est par essence une profession libérale. Jusqu’à la loi du 31 décembre 1971, l’avocat exerçait d’ailleurs exclusivement son activité de façon indépendante et la possibilité du statut de salarié n’a été créée qu’à partir de cette date.
Le contrat de travail est défini par la jurisprudence comme le contrat par lequel une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre personne moyennant rémunération (Cass. soc., 22 juillet 1954). Trois critères permettent donc d’identifier l’existence d’une relation de travail : la réalisation d’une prestation de travail, l’existence d’une rémunération, l’existence d’un lien de subordination. Le lien de subordination se définit en droit du travail comme l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Les deux premiers critères relatifs à la réalisation d’une prestation de travail et à l’existence d’une rémunération sont remplis de façon équivalente pour les avocats du cabinet qu’ils soient collaborateurs ou salariés. C’est donc le lien de subordination qui est l’élément déterminant pour qualifier un éventuel contrat de travail. La jurisprudence a abandonné la notion de dépendance économique au profit d’un lien de subordination juridique caractérisé par ‘l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements’. Ainsi, le lien de subordination nécessite de la part du donneur d’ordre : un pouvoir de direction, un pouvoir de contrôle et un pouvoir de sanction.
En ce qui concerne la profession d’avocat, il résulte de l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971 modifié par la loi du 31 décembre 1990 que l’avocat peut exercer sa profession en qualité de salarié ou de collaborateur non salarié, le contrat de collaboration se différenciant du contrat de travail par la possibilité pour le collaborateur de développer une clientèle personnelle dans les conditions prévues par l’article 129 du décret du 27 novembre 1991. Dès lors, est lié par un contrat de travail, nonobstant sa qualification de contrat de collaboration, l’avocat qui ne dispose pas de la possibilité de développer une clientèle personnelle
Le collaborateur libéral peut constituer et développer une clientèle personnelle, le cabinet avec lequel il collabore doit donc mettre à sa disposition, dans des conditions normales d’utilisation, les moyens matériels nécessaires aux besoins de sa collaboration mais aussi au développement de sa clientèle personnelle. A l’inverse le collaborateur salarié ne peut ni constituer ni développer de clientèle personnelle, il doit se consacrer exclusivement au traitement des dossiers qui lui sont confiés pendant l’exécution de son contrat de travail ainsi qu’aux missions d’aide juridictionnelle et de commissions d’office pour lesquelles il a été désigné. (Ch. mixte, 12 février 1999, no 96-17.468).
En l’espèce, il résulte de la lettre d’observations du 20 décembre 2018, confirmée par courriers des 12 et 15 mars 2019, que l’Urssaf considère que le contrat de collaboration et la charte de bonnes pratiques annexée placent le collaborateur ‘libéral’ dans une position subordonnée à la société [4] Société d’avocats, et donc dans une position de salarié, et que l’affiliation des collaborateurs au régime général doit, de ce fait, intervenir pour l’avenir.
1- Sur l’absence d’étude des conditions réelles d’exercice de l’activité et la qualification au seul vu du contrat
L’existence d’une relation de travail salariée ne se déduit ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs : l’absence d’autonomie du sujet dont le travail est contrôlé et soumis à des directives ou instructions constituant un indice décisif du salariat de droit commun.
La société soutient donc que l’Urssaf ne peut de la seule étude des contrats de collaboration, déduire qu’ils sont en réalité des salariés. Les similitudes entre le statut d’avocat libéral et d’avocat salarié sont nombreuses, seule la possibilité de développer une clientèle personnelle permet d’opérer une réelle distinction entre les deux statuts. Même si cette possibilité de développer une clientèle personnelle appartient aux avocats collaborateurs et découle de leurs pratiques et s’avérer très différentes en fonction des collaborateurs, il convient malgré tout de déterminer si les seules clauses du contrat empêchent en réalité cette collaboration, ou si le contrat crée une véritable dépendance des avocats collaborateurs.
Même en l’absence d’examen de cas concrets et après avoir interrogé les personnes concernées, l’Urssaf était sur le principe en droit de présenter une observation générale et il convient d’examiner les clauses du contrats sur ces deux points.
2- Sur la faculté de développer une clientèle personnelle
La collaboration libérale est définie par l’article 14.1 du règlement intérieur national (RIN) : c’est un mode d’exercice professionnel, exclusif de tout lien de subordination, permettant à l’avocat de consacrer une partie de son activité au cabinet d’un autre avocat et de pouvoir développer sa clientèle personnelle. Contrairement au collaborateur libéral, l’avocat salarié ne peut avoir de clientèle personnelle. D’après l’article 14.3 du RIN, il doit se concentrer exclusivement au traitement des dossiers qui lui sont confiés pendant l’exécution de son contrat de travail ainsi qu’aux missions d’aide juridictionnelle et de commission d’office pour lesquelles il a été désigné.
Selon une jurisprudence constante, l’existence d’une clientèle personnelle est exclusive du salariat. Ainsi, le contrat de collaborateur libéral peut être requalifié en contrat de travail dès lors que le contrat empêche l’avocat développer sa clientèle personnelle.
A ce titre, l’Urssaf Ile-de-France met en avant plusieurs arguments visant à démontrer l’impossibilité pour les collaborateurs de développer une clientèle personnelle.
Le temps de travail
L’Urssaf Ile-de-France, confirmé par le Tribunal Judiciaire, relève que le contrat de collaboration prévoit une collaboration « à temps plein aux activité du cabinet [4]». Cependant, il convient de souligner que contrairement à l’avocat salarié, l’avocat collaborateur libéral n’est soumis à aucune règle relative au temps de travail et que le terme « temps plein » ne peut donc renvoyer à une durée de 35 heures par semaine, mais qu’elle semble plutôt permettre d’opérer une distinction entre l’activité principale et l’activité partielle (« mi-temps » ou « mi-temps palais »). Elle indique que l’avocat collaborateur doit être disponible pour le cabinet.
Dès lors, cette seule utilisation du terme « temps plein » ne permet pas à lui seul de déduire l’impossibilité pour l’avocat collaborateur de développer sa clientèle personnelle.
La mise à disposition des moyens logistiques et techniques
L’Urssaf Ile-de-France, confirmé par le Tribunal Judiciaire de Bobigny, relève que la mise à disposition sans contrepartie financière des moyens logistiques et techniques du cabinet dans le cadre du développement et de la gestion d’une clientèle personnelle, telle que prévue au contrat, ne peut être effective dès lors qu’elle ne peut s’exercer qu’en sus du temps plein consacré à la collaboration, et par voie de conséquence, en dehors des heures où la mise à disposition des moyens du cabinet est susceptible d’être effective.
Toutefois, comme énoncé au point précédent, l’avocat collaborateur est libre dans l’organisation de son temps de travail et n’est soumis à aucune obligation en matière d’horaire travaillés. Dès lors, l’effectivité de l’utilisation des moyens logistiques et techniques en vue de développer une clientèle personnelle dépend du propre fait de l’avocat. Le contrat ne lui interdit nullement d’utiliser une salle ou les services téléphoniques par exemple, pour sa clientèle personnelle, sans limitation des heures où il peut le faire. De surcroît, les moyens du cabinet ne se limitent plus à l’espace de travail. Le développement du télétravail permet à tous collaborateurs d’utiliser les moyens logistiques et techniques en dehors de l’espace de travail.
L’effectivité de l’utilisation des moyens logistiques et techniques ne peut être appréciée en fonction du terme « temps plein ». Il appartiendrait à l’Urssaf de déterminer cette effectivité en se fondant sur un examen précis des conditions de travail.
La rétrocession d’honoraire
Outre une rétrocession d’honoraires prévue au contrat, celui-ci prévoit la possibilité pour la société [4] d’accorder une rétrocession amiable supplémentaire « eu égard à une appréciation individuelle et discrétionnaire des services rendus et de la performance » du collaborateur. L’Urssaf Ile-de-France, comme le Tribunal Judiciaire, en déduisent que cette disposition n’incite pas le collaborateur de développer une clientèle personnelle, laquelle se fait nécessairement au détriment du temps plein consacré a sa collaboration.
Cette rétrocession variable supplémentaire constitue seulement une possibilité pour l’avocat collaborateur de gagner plus, mais elle ne constitue en rien une contrainte. L’avocat collaborateur est libre de favoriser l’exercice du travail du cabinet, en percevant des honoraires supplémentaires, ou de développer sa clientèle personnelle. Cette seule clause ne démontre pas en elle-même une impossibilité pour le collaborateur de développer sa clientèle.
L’Urssaf ne peut se fonder sur les seuls éléments du contrat de collaboration pour déterminer la nature de la relation de travail et ne démontre pas une impossibilité pour le collaborateur de développer sa clientèle. De surcroît, l’étude du contrat de collaboration tend à démontrer qu’une attention particulière est portée au développement de la clientèle des collaborateurs. En effet, l’article 11 du contrat de collaboration, « Développement de carrière », prévoit pour le collaborateur la possibilité, une fois par an avec un associé du Cabinet, de faire le point sur la collaboration et notamment sur le développement et la carrière professionnelle du collaborateur. Cet article laisse supposer que le développement de la clientèle personnelle des collaborateurs est bien pris en compte, voire encouragé. Dans le cadre d’un examen de fait, l’Urssaf aurait pu utilement vérifier la bonne tenue de ces réunions.
3) Sur le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction
L’Urssaf relève un certain nombre d’éléments qu’elle considère comme étant de nature à établir un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction, inhérent au lien de subordination: le lieu de la collaboration, la durée du contrat, le délai de prévenance, le bénéfice des mesures de protection sociale, l’absence de libre choix des clients dans l’activité propre, la tenue de la comptabilité.
Tous ces éléments figurent de la même façon dans les contrats des avocats salariés et des avocats collaborateurs, mais ceci ne suffit pas à caractériser l’équivalence des contrats et le lien de subordination .
La circonstance que le lieu de la collaboration soit obligatoirement l’un des établissements de la société [4] n’établit pas un salariat : il est normal que l’avocat soit sur place qu’il soit collaborateur ou salarié: il peut recevoir les clients, assister aux réunions…etc..
La durée indéterminée de la collaboration ne constitue en rien un critère de salariat, dans la mesure où il peut y être mis fin des deux côtés, à tout moment avec seulement un délai de prévenance.
L’obligation de formation professionnelle, qui existe d’ailleurs pour tous les avocats, est une garantie de la qualité du travail effectué, et l’avocat collaborateur peut en outre bénéficier gratuitement des formations faites par le cabinet, mais sans aucune obligation.
Les mesures de protection sociale, notamment en matière de maladie, adoption ou parentalité prévues au contrat de collaboration dans les mêmes conditions que pour les salariés, sont un avantage qui peut sans doute garantir à la société [4] que ses collaborateurs restent ou un facteur d’attractivité dans le recrutement mais ne sont pas de nature à établir l’existence d’un contrat de travail, dans la mesure où elles ne créent pas de lien de subordination.
S’agissant de la comptabilité, le contrat de collaboration précise qu’elle demande aux collaborateurs d’avoir une comptabilité sincère ‘en parfaite correspondance avec les participes d’éthique notamment financière auquel le cabinet est attaché’. Cette obligation est en concordance avec des obligations légales et n’apparaît pas démesurée. La demande de faire appel à un cabinet précis, dont la société est sûre du fonctionnement, et qui offre des prix aux collaborateurs n’est qu’incitative et justifiée par le fait que la société est ainsi garantie de la transparence des comptes. Dès lors, cet élément ne peut constituer à lui seul la preuve de l’atteinte à l’autonomie du collaborateur.
La prévention des conflits d’intérêts, qui est une condition d’une bonne collaboration, obéit à des principes généraux : l’impossibilité pour un collaborateur prendre pour client un adversaire de la société [4] ou au contraire de détourner un client pour son compte personnel est parfaitement justifiée et ne permet pas de déduire un pouvoir de contrôle et de sanction.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le contrat de collaboration ne permet pas à lui seul d’établir l’existence d’un pouvoir de contrôle et de sanction sur les collaborateurs.
Le jugement qui a confirmé l’observation sur l’avenir sera en conséquence infirmé de ce chef. Il appartiendra à l’Urssaf de redresser éventuellement dans certains cas et notamment après signalement’avocats collaborateurs qui estimeraient au vu d’éléments concrets être dans le cadre d’un contrat de travail.
4)Sur les dépens et les frais irrépétibles
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, l’Urssaf Ile-de-France qui succombe supportera les dépens d’appel et sera condamnée à verser à la société [4] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire,
DÉCLARE recevable l’appel de la société [4] société d’avocats
INFIRME le jugement rendu le 6 juillet 2020 par le Tribunal Judiciaire de Bobigny en ce qu’il a dit mal fondé le recours de la société [4] et a confirmé l’observation pour l’avenir exprimé par l’Urssaf d’Ile-de-France dans ses courriers des 12 et 15 mars 2019 et la décision de la Commission de Recours amiable du 31 janvier 2020.
STATUANT A NOUVEAU,
ANNULE l’observation pour l’avenir exprimé par l’Urssaf d’Ile-de-France dans ses courriers des 12 et 15 mars 2019 et la décision de la Commission de Recours amiable du 31 janvier 2020,
DEBOUTE l’Urssaf Ile-de-France de l’ensemble de ses prétentions,
CONDAMNE l’Urssaf Ile-de-France à verser la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE l’Urssaf Ile-de-France aux dépens d’appel.
La greffière La présidente