1. Sur la recevabilité de l’appel:
Attention à développer des moyens spécifiques pour appuyer une demande d’irrecevabilité de l’appel, car l’absence de développement de tels moyens peut entraîner le rejet de la demande, même en l’absence de moyen relevé d’office.
2. Sur la demande de sursis à statuer:
Il est recommandé de formuler clairement une demande de sursis à statuer dans les écritures présentées devant la cour, car l’absence d’une telle demande peut conduire à la confirmation du rejet du sursis par le jugement initial.
3. Sur la fictivité de la personne morale:
Il est recommandé de fournir des preuves tangibles et spécifiques pour étayer les allégations de fictivité d’une personne morale, en se basant sur des critères juridiques établis par la jurisprudence, tels que la création de la société dans le but de reprendre frauduleusement l’activité d’une autre société en liquidation judiciaire.
La société Lina Sun, exploitant un centre de bronzage, a connu des dissensions entre ses associés, ce qui a conduit à la désignation d’un administrateur provisoire et à la révocation du gérant initial. Suite à des difficultés financières, la société a été placée en liquidation judiciaire. Le tribunal de commerce de Bobigny a étendu cette procédure à la société L’Orient Spa, constituée ultérieurement par l’ancien gérant de Lina Sun. L’Orient Spa a fait appel de cette décision, contestée également par le mandataire liquidateur. Le ministère public a recommandé l’annulation de l’extension de la liquidation judiciaire à L’Orient Spa. L’affaire est en attente de jugement.
Sur la recevabilité de l’appel :
Me [U] ès qualités, qui demande à ce que l’appel soit déclaré irrecevable dans le dispositif de ses écritures, ne développe aucun moyen en ce sens, et alors qu’aucun moyen à cette fin n’est susceptible d’être relevé d’office, cette demande sera écartée et l’appel de la société L’Orient Spa sera déclaré recevable.
Sur la demande de sursis à statuer :
La société L’Orient Spa demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande de sursis à statuer dans l’attente d’une décision pénale définitive mais ne forme devant la cour aucune demande tendant au prononcé d’un tel sursis statuer de sorte que la cour ne peut que confirmer le jugement de ce chef.
Sur le fond :
L’article L. 621-2, alinéa 2, du code de commerce applicable à la liquidation judiciaire par renvoi du I. de l’article L.641-1 du même code dispose notamment que : » à la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale « .
Sur la motivation du jugement :
La société L’Orient Spa, après avoir rappelé que le tribunal a fondé sa décision sur une » communauté d’intérêts « , une » unité d’entreprise » et une » interdépendance » entre les deux sociétés sans pour autant définir ces concepts, soutient que cette motivation s’apparente à une véritable absence de motivation et sollicite l’infirmation du jugement au regard du défaut de motivation au visa de l’article 455 du code de procédure civile.
Sur la fictivité de la personne morale :
La société L’Orient Spa soutient en premier lieu qu’elle n’est pas fictive, en ce que son activité d’exploitation d’un spa est différente de celle de la société Lina Sun qui exploite uniquement un centre de bronzage, que le liquidateur ne prouve pas que la création de la société L’Orient Spa a été faite au préjudice de la société Lina Sun, de ses actifs ou de ses créanciers, que le nom commercial a été agréé par les associés de la société Lina Sun lors d’une assemblée générale du 16 décembre 2019 dont le procès-verbal a été déposé au greffe le 14 septembre 2021.
Sur la confusion des patrimoines :
La société L’Orient Spa soutient que le mandataire liquidateur ne rapporte pas la preuve de relations financières anormales entre les deux sociétés, ni un détournement d’actifs de sa part. Me [U] ès qualités indique subsidiairement que l’article L. 641-1 alinéa 2 du code de commerce prévoit que la confusion des patrimoines entre plusieurs entités se caractérise par l’existence de relations financières anormales.
Sur la décision de la cour :
La cour a conclu que la société L’Orient Spa ne formule pas de demande d’annulation du jugement dans le dispositif de ses écritures et ne tire pas les conséquences juridiques adéquates d’un supposé défaut de motivation affectant le jugement. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’examiner ce moyen.
Sur la fictivité de la société L’Orient Spa :
La cour a jugé que les conditions pour déclarer fictive la société appelante ne sont pas réunies. En effet, bien que l’usage des réseaux sociaux par la société L’Orient Spa à des fins publicitaires soit susceptible d’attirer à elle la clientèle du centre de bronzage de la société Lina Sun, il n’est pas justifié d’une absence d’affectio societatis de MM. [V] et [L] [A] en vue d’exercer l’activité de spa.
Sur la confusion des patrimoines :
La cour a également jugé que les conditions pour prononcer une extension de la liquidation judiciaire de la société Lina Sun à la société L’Orient Spa ne sont pas réunies. Aucune pièce comptable n’étant versée aux débats, le critère de l’imbrication des comptes doit être écarté, et le seul usage à titre de dénomination sociale du nom commercial de la société Lina Sun ou la prétendue utilisation de ses comptes Snapchat et Instagram n’étant pas suffisants pour caractériser des relations financières anormales.
Conclusion :
Par conséquent, aucune des conditions alternatives du prononcé de l’extension de la procédure collective ne sont réunies, de sorte que le jugement dont appel doit être infirmé. Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
– La société L’Orient Spa : Somme allouée pour recevabilité de l’appel
– M [U] ès qualités : Somme allouée pour la demande d’extension à la société L’Orient Spa
– Dépens en frais privilégiés de procédure collective
Réglementation applicable
Voici la liste des articles des Codes cités dans le texte fourni, ainsi que le texte de chaque article cité :
– Article L. 621-2, alinéa 2, du Code de commerce :
– Texte : « À la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale. »
– Article L. 641-1, I, du Code de commerce (par renvoi) :
– Texte : « La liquidation judiciaire est applicable à tout débiteur mentionné à l’article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible. Elle est également applicable dans les conditions prévues à l’article L. 640-3. »
– Article 455 du Code de procédure civile :
– Texte : « Le jugement doit être motivé. Il énonce les points sur lesquels il se fonde et les raisons pour lesquelles il retient ou écarte les prétentions et les moyens des parties. »
– Article 73 du Code de procédure civile :
– Texte : « Les exceptions de procédure doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. »
– Article L. 641-1, alinéa 2, du Code de commerce (mentionné subsidiairement) :
– Texte : « La confusion des patrimoines entre plusieurs entités se caractérise par l’existence de relations financières anormales. »
Ces articles sont cités et utilisés dans le contexte de la décision judiciaire concernant la recevabilité de l’appel, la demande de sursis à statuer, et les arguments sur le fond relatifs à la fictivité de la personne morale et la confusion des patrimoines.
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Marc VOLFINGER, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS
– Me Jean-Noël COURAUD de la SELAS DÉNOVO, avocat au barreau de PARIS
Mots clefs associés
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 26 MARS 2024
(n° / 2024, 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/14284 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIE3W
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 juillet 2023 – Tribunal de commerce de Bobigny – RG n° 2022L03184
APPELANTE
S.A.S. L’ORIENT SPA, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de BOBIGNY sous le numéro 894 945 781,
Dont le siège social est situé [Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée et assistée de Me Marc VOLFINGER, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 86,
INTIMÉ
Maître [M] [U], en qualité de mandataire liquidateur de la société LINA SUN, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de BOBIGNY sous le numéro 501 897 177, désignée à ces fonctions par jugement du tribunal de commerce de BOBIGNY du 24 mai 2022,
Née le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 6] (44)
De nationalité française
Dont l’étude est située [Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et assistée de Me Jean-Noël COURAUD de la SELAS DÉNOVO, avocat au barreau de PARIS, toque : K178,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 6 février 2024, en audience publique, devant la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
Madame Constance LACHEZE, conseillère,
Qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La société à responsabilité limitée Lina Sun créée le 11 janvier 2008 a pour objet l’exploitation d’un centre de bronzage. Elle a eu pour gérant M. [S] [Y] jusqu’au 13 juillet 2017, date à laquelle M. [D] [V] a été désigné en ses lieu et place. Elle exerçait dans un premier temps sous le nom commercial » Ultrasun Center « .
A la suite d’une cession de parts sociales intervenue le 16 décembre 2019, M. [V] est devenu associé de la société Lina Sun à concurrence de 24% du capital social. L’assemblée des associés qui s’est tenue le même jour a voté » la modification du nom commercial qui sera L’Orient SPA à la place de Ultrasun Center » selon le procès-verbal dressé à cette occasion.
Le 10 mars 2021 a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bobigny une société par actions simplifiée dénommée L’Orient Spa, constituée par M. [D] [V] et M. [B] [L] [A], dirigée par M. [V] et exerçant dans un domaine d’activité identique à celui de la société Lina Sun.
En raison de la mésentente entre les associés de la société Lina Sun, un administrateur provisoire a été désigné par ordonnance du 28 décembre 2021 et à l’occasion d’une assemblée extraordinaire du 2 mars 2022, M [V] a été révoqué de ses fonctions de gérant pour être remplacé par Mme [C] [O].
Sur déclaration de cessation des paiements et par jugement en date du 24 mai 2022, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société Lina Sun et désigné Me [M] [U] en qualité de mandataire liquidateur.
Par acte d’huissier du 10 novembre 2022, Me [M] [U] ès qualités a assigné la société L’Orient Spa aux fins d’obtenir du tribunal l’extension de la procédure de liquidation judiciaire de la société Lina Sun à la société L’Orient Spa.
Par jugement du 25 juillet 2023, le tribunal de commerce de Bobigny a :
– débouté la société L’Orient Spa de sa demande de sursis à statuer dans l’attente d’une décision pénale définitive en suite de la plainte déposée ;
– débouté la société L’Orient Spa de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– étendu la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la société Lina Sun à la S.A.S L’Orient Spa ;
– dit que leurs patrimoines seront confondus ;
– maintenu le juge commissaire, le mandataire liquidateur et le commissaire-priseur ;
– ordonné la publication et l’exécution provisoire du jugement ;
– dit que la publicité de ce jugement sera effectuée sans délai nonobstant toute voie de recours ;
– dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Par déclaration du 10 août 2023, la société L’Orient Spa a relevé appel de cette décision.
Par dernières conclusions (n°1) remises au greffe et notifiées par voie électronique le 31 octobre 2023, la société L’Orient Spa demande à la cour :
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a :
o débouté la société L’Orient Spa de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions;
o étendu la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la société Lina Sun à la société L’Orient Spa ;
o dit que la procédure se poursuivra avec confusion des patrimoines et formera un patrimoine commun ;
– statuant à nouveau, de dire n’y avoir lieu au prononcé d’une liquidation judiciaire à l’encontre de la société L’Orient Spa ;
– de dire ce que de droit sur les dépens.
Par dernières conclusions (n°1) remises au greffe et notifiées par voie électronique le 29 novembre 2023, Mme [M] [U] ès qualités demande à la cour :
– de déclarer la société L’Orient Spa tant irrecevable que mal fondée en son appel ;
– de confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
– de débouter la société L’Orient Spa de l’intégralité de ses demandes ;
– d’ordonner l’emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.
Par avis communiqué le 30 novembre 2023, le ministère public invite la cour à infirmer le jugement qui a prononcé l’extension de la liquidation judiciaire de la société Lina Sun à la société L’Orient Spa.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 16 janvier 2024.
SUR CE,
Sur la recevabilité de l’appel :
Me [U] ès qualités, qui demande à ce que l’appel soit déclaré irrecevable dans le dispositif de ses écritures, ne développe aucun moyen en ce sens, et alors qu’aucun moyen à cette fin n’est susceptible d’être relevé d’office, cette demande sera écartée et l’appel de la société L’Orient Spa sera déclaré recevable.
Sur la demande de sursis à statuer :
La société L’Orient Spa demande l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande de sursis à statuer dans l’attente d’une décision pénale définitive mais ne forme devant la cour aucune demande tendant au prononcé d’un tel sursis statuer de sorte que la cour ne peut que confirmer le jugement de ce chef.
Sur le fond :
L’article L. 621-2, alinéa 2, du code de commerce applicable à la liquidation judiciaire par renvoi du I. de l’article L.641-1 du même code dispose notamment que : » à la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale « .
Au soutien de son appel, la société L’Orient Spa critique le jugement en ce qu’elle estime que les premiers juges n’ont pas réellement recherché si les conditions dans lesquelles une extension peut être prononcée étaient remplies en cas de fictivité de la personne morale ou de confusion des patrimoines. Elle fait valoir en ce sens trois séries de moyens.
– Sur la motivation du jugement
La société L’Orient Spa, après avoir rappelé que le tribunal a fondé sa décision sur une » communauté d’intérêts « , une » unité d’entreprise » et une » interdépendance » entre les deux sociétés sans pour autant définir ces concepts, soutient que cette motivation s’apparente à une véritable absence de motivation et sollicite l’infirmation du jugement au regard du défaut de motivation au visa de l’article 455 du code de procédure civile.
Le ministère public considère qu’il s’agit d’une nullité pour vice de forme après avoir fait état de ses défenses au fond, rendant la demande de nullité irrecevable au regard de l’article 73 du code de procédure civile et relève également que le dispositif des conclusions ne mentionne pas expressément la demande de nullité du jugement pour défaut de motivation et en déduit que la cour ne peut faire droit à sa demande.
Sur ce,
Force est de constater que la société L’Orient Spa qui ne formule pas de demande d’annulation du jugement dans le dispositif de ses écritures ne tire pas les conséquences juridiques adéquates d’un supposé défaut de motivation affectant le jugement. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’examiner ce moyen.
– Sur la fictivité de la personne morale
La société L’Orient Spa soutient en premier lieu qu’elle n’est pas fictive, en ce que son activité d’exploitation d’un spa est différente de celle de la société Lina Sun qui exploite uniquement un centre de bronzage, que le liquidateur ne prouve pas que la création de la société L’Orient Spa a été faite au préjudice de la société Lina Sun, de ses actifs ou de ses créanciers, que le nom commercial a été agréé par les associés de la société Lina Sun lors d’une assemblée générale du 16 décembre 2019 dont le procès-verbal a été déposé au greffe le 14 septembre 2021, qu’outre la mention manuscrite de la présidence de l’assemblée générale par M. [V], le procès-verbal de l’assemblée, contrairement aux autres, n’est ni paraphé ni signé par lui, qu’exceptionnellement un pouvoir est donné à M. [Y], simple associé pour exécuter les formalités, que la société L’Orient Spa a été créée en mars 2021, soit antérieurement au dépôt au greffe du procès-verbal de cette assemblée des associés de la société Lina Sun de sorte que le nom » L’Orient Spa » bénéficie d’une antériorité au profit de la société L’Orient Spa et non pas au profit de la société Lina Sun, que la marque » L’Orient Spa » a été déposée à l’Institut National de Propriété Intellectuelle (I.N.P.I) par M. [L] [A], associé de la société L’Orient Spa, en date du 10 mars 2021, qu’à aucun moment dans les griefs entre les associés de la société Lina Sun, il n’est fait état de l’existence de la société L’Orient Spa et d’un éventuel préjudice causé par la création de cette dernière, qu’aucun élément ne permet d’établir que la société Lina Sun ait utilisé ce nom commercial avant la création de la société L’Orient Spa ou la date à laquelle ce nom aurait été adjoint à la société Lina Sun, que si les sièges sociaux des deux sociétés sont proches, elle rappelle que, sauf fraude ou préjudice, il n’est pas interdit à un dirigeant d’une société dont il est associé minoritaire de créer une société et de fixer son siège social à proximité de la première sauf existence d’une clause de non-concurrence, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, que les éléments apportés en première instance afin de prouver que les réseaux sociaux de la société Lina Sun ont été détournés au profit de la société L’Orient Spa sont extrêmement limités : le simple courrier adressé au procureur de la République par lequel la gérante de la société déposerait plainte au titre de détournement des réseaux de la société ainsi qu’une vidéo issue du réseau social Snapchat.
Au soutien de sa demande de confirmation du jugement, Me [U] ès qualités fait valoir que M. [V], ancien dirigeant de la société Lina Sun, a créé la société L’Orient Spa dont l’activité est identique à la première car elles ont le même numéro Activité Principale Exercée (A.P.E), que la société L’Orient Spa a repris à titre de dénomination sociale le nom commercial de la société Lina Sun, que le nom commercial de la société Lina Sun a été modifié au moment de l’entrée au capital de M. [V], que ce nom commercial a fait l’objet d’une résolution votée lors de l’assemblée générale exceptionnelle du 16 décembre 2019 et qu’il a été repris au titre de nouveau nom commercial dans les statuts de la société Lina Sun mis à jour après l’assemblée, que le siège social de la société L’Orient Spa se situe à proximité immédiate de la société Lina Sun, que la société L’Orient Spa a détourné les actifs incorporels de la société Lina Sun, en l’espèce les réseaux sociaux, et ce sous l’égide de son dirigeant et associé majoritaire M. [V] afin de capter frauduleusement sa clientèle.
Le ministère public rappelle la définition donnée par la chambre commerciale de la Cour de cassation selon laquelle est fictive une société créée à l’initiative de l’ancien dirigeant d’une société en liquidation judiciaire aux seules fins d’en reprendre frauduleusement l’activité et les actifs à son profit, qu’en l’espèce, M. [V], ancien dirigeant de la société Lina Sun, a créé une société dont l’activité, le lieu et la dénomination sociale sont identiques à la société Lina Sun ayant pour nom commercial L’Orient Spa, que M. [V] a seulement utilisé les réseaux sociaux de la société Lina Sun pour pouvoir promouvoir l’activité de la société L’Orient Spa, que la société Lina Sun est composée de nombreux associés et qu’elle ne peut être considérée comme une simple société d’apparence créée pour promouvoir l’activité de la société L’Orient Spa avec laquelle elle n’entretient d’ailleurs aucun lien contractuel, que la seconde société dénommée L’Orient Spa n’apparaît pas ainsi répondre aux critères de la jurisprudence au titre de la société fictive.
Sur ce,
La jurisprudence, qui caractérise la fictivité de la personne morale visée par la demande d’extension de la procédure collective au regard d’un faisceau d’indices, a notamment retenu la fictivité d’une société ayant modifié son objet social et repris la même activité que la société sous procédure collective la veille de la déclaration de cessation des paiements de cette dernière, ayant un siège social identique à la société sous procédure et dissimulant un » maître de l’affaire » commun avec la société sous procédure, la société étant fictive lorsque les associés ne sont que des prête-noms ou des comparses du véritable maître de l’affaire, celle-ci n’étant qu’une façade masquant les agissements de celui qui se dissimule derrière elle.
En l’espèce, il n’est pas discuté qu’une société à responsabilité limitée L’Orient Spa a été créée le 15 mai 2017 et radiée d’office le 6 mai 2019, que la société Lina Sun créée le
11 janvier 2008 a adopté le nom commercial L’Orient Spa en décembre 2019 et que la société par actions simplifiée visée par la demande d’extension L’Orient Spa a été créée le 10 mars 2021, dans les trois cas sur l’impulsion de M. [V].
En effet, la société sous procédure Lina Sun qui exerce l’activité de » centre de bronzage » selon son extrait Kbis, a modifié son nom commercial pour adopter celui de » L’Orient SPA » le 16 décembre 2019 à l’occasion d’une cession de parts sociales au profit M. [V] devenu associé à concurrence de 24% du capital social. Ainsi, en dépit du dépôt au greffe le 14 septembre 2021 de son procès-verbal d’assemblée générale du 16 décembre 2019, la société Lina Sun exerçait son activité sous le nom commercial de » L’Orient SPA » depuis plus de deux ans lors de la création de la société appelante L’Orient Spa, qui est une société par actions simplifiée constituée le 10 mars 2021 pour exercer l’activité de » centre de bronzage, spa, centre esthétique » à compter du 1er mars 2021.
Si ces deux sociétés relèvent du même domaine d’activité artisanale, ont un code APE similaire, exercent leur activité à [Localité 5] (93 300), ont des sièges sociaux et des établissements distants de 400 mètres l’un de l’autre, et avaient M. [V] comme dirigeant commun jusqu’en mars 2022, date de la révocation de ce dernier de son mandat au sein de la société Lina Sun, elles n’exerçaient pas de fait une activité strictement identique, puisque les pièces versées aux débats montrent que la société appelante L’Orient Spa exerçait également l’activité de spa.
En outre, et malgré l’amalgame que sont susceptibles de faire les tiers compte tenu de l’emploi du même nom, étant indifférente la qualification juridique de nom commercial ou de dénomination sociale, il n’est pas justifié d’une absence d’affectio societatis de MM. [V] et [L] [A] en vue d’exercer l’activité de spa, ni que M. [A] serait un prête-nom ou un homme de paille, alors que la société L’Orient Spa a ouvert un compte bancaire à son nom et que ses associés ont libéré le capital social en totalité.
Dans ces conditions, et bien que l’usage des réseaux sociaux par la société L’Orient Spa à des fins publicitaires soit susceptible d’attirer à elle la clientèle du centre de bronzage de la société Lina Sun, les conditions pour déclarer fictive la société appelante ne sont pas réunies.
Le moyen soulevé par la société L’Orient Spa doit donc être accueilli.
– Sur la confusion des patrimoines
La société L’Orient Spa soutient que le mandataire liquidateur ne rapporte pas la preuve de relations financières anormales entre les deux sociétés, ni un détournement d’actifs de sa part.
Me [U] ès qualités indique subsidiairement que l’article L. 641-1 alinéa 2 du code de commerce prévoit que la confusion des patrimoines entre plusieurs entités se caractérise par l’existence de relations financières anormales et que la jurisprudence considère qu’est notamment constitutif de relations financières anormales le transfert d’actifs incorporels d’une société vers une autre vidant cette dernière de sa substance sans contrepartie afin de la soustraire au gage de ses créanciers et que les actifs incorporels de la société Lina Sun ont été transférés à la société L’Orient Spa sans contrepartie et que cela caractérise l’existence de relations financières anormales.
Le ministère public considère qu’il n’existe aucune relation financière entre les deux sociétés et que l’utilisation des réseaux sociaux de la société Lina Sun par l’ancien dirigeant aux fins de promouvoir l’activité de sa société nouvellement créée lui semble insuffisante pour caractériser l’existence de flux anormaux entre les deux sociétés. Il en déduit que les conditions de l’article L. 621-2 du code de commerce n’apparaissent pas réunies pour prononcer une extension de la liquidation judiciaire de la société Lina Sun à la société L’Orient Spa.
Sur ce,
La confusion des patrimoines résulte de deux critères que sont l’imbrication des comptes et les relations financières anormales.
En l’espèce, aucune pièce comptable n’étant versée aux débats, le premier critère doit être écarté.
S’agissant des relations financières anormales, Me [U] ès qualités n’explique pas en quoi les actifs incorporels de la société Lina Sun auraient été transférés à la société L’Orient Spa, et n’apporte aucun élément de démonstration, le seul usage à titre de dénomination sociale du nom commercial de la société Lina Sun ou la prétendue utilisation de ses comptes Snapchat et Instagram n’étant pas suffisants pour caractériser des relations financières anormales.
Le moyen soulevé par la société L’Orient Spa doit donc également être accueilli.
Par conséquent, aucune des conditions alternatives du prononcé de l’extension de la procédure collective ne sont réunies, de sorte que le jugement dont appel doit être infirmé.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement, contradictoirement,
Déclare la société L’Orient Spa recevable en son appel ;
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Déboute M [U] ès qualités de sa demande d’extension à la société par actions simplifiée L’Orient Spa de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’égard de la société à responsabilité limitée Lina Sun ;
Ordonne l’emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT