Opération frauduleuse : absence de faute de la banque

Notez ce point juridique

1. Il est important de rappeler que la banque a une obligation de mise en garde en matière de crédit ou de cautionnement disproportionné par rapport aux capacités financières de l’emprunteur ou de la caution non avertis. Cependant, la banque n’a pas à porter une appréciation sur les risques que comporte l’opération. Il est donc essentiel pour les clients de bien évaluer l’opportunité et la régularité des opérations qu’ils s’apprêtent à réaliser.

2. La banque est tenue à un devoir de vigilance impliquant de déceler les anomalies matérielles apparentes des opérations bancaires. Il est donc recommandé aux établissements de crédit de vérifier que le client est bien l’auteur des virements et que les montants ne sont pas erronés. Cette vigilance permet de prévenir les fraudes et les erreurs potentielles.

3. En cas de litige avec une banque, il est important de rassembler toutes les preuves et documents nécessaires pour étayer sa demande. Dans le cas présent, les échanges de courriers électroniques internes ont joué un rôle crucial dans la décision du tribunal. Il est donc conseillé de conserver toute correspondance écrite ou électronique qui pourrait être utile pour défendre ses droits en cas de litige.


Mme [P], cliente de la société CIC Nord Ouest, a effectué quatre virements pour un total de 106 100 euros au profit de différentes sociétés après avoir été démarchée par la plateforme en ligne B4Trade pour des investissements dans les options binaires et le Forex. Elle a porté plainte pour escroquerie et a assigné la société CIC Nord Ouest en justice pour obtenir des dommages et intérêts. Mme [P] affirme que la banque aurait dû être vigilante et l’alerter sur le caractère anormal des opérations. La société CIC Nord Ouest se défend en affirmant que les virements étaient en cohérence avec les souhaits de Mme [P] et qu’elle avait été informée des risques. L’affaire est en attente de jugement après une audience en décembre 2023.

Sur les demandes principales de Mme [P]

Conformément à l’article 1147 du code civil, la banque n’avait pas d’obligation de mise en garde envers Mme [P] concernant les virements effectués vers des banques de l’Union européenne. Les échanges internes de la banque montrent que des mises en garde ont été faites à la cliente, qui était consciente des risques liés à ses placements. Aucune faute de la banque n’a été retenue et les demandes de Mme [P] ont été rejetées.

Sur les demandes accessoires

Mme [P] étant la partie perdante, elle a été condamnée aux dépens. En vertu de l’article 700 du code de procédure civile, aucune condamnation au titre des frais irrépétibles n’a été retenue, compte tenu des situations économiques respectives des parties.

– Mme [X] [P] : 0 € (déboutée de ses demandes contre la société CIC Nord Ouest)
– Société CIC Nord Ouest : 0 € (déboutée des demandes réciproques avec Mme [X] [P])
– Mme [X] [P] : Condamnée aux dépens (montant non spécifié)


Réglementation applicable

– Article 1231-1 du code civil
– Article 1104 du code civil
– Article 700 du code de procédure civile
– Article 455 du code de procédure civile

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Me Franck REGNAULT
– Me Martine VANDENBUSSCHE

Mots clefs associés

– Article 1147 du code civil
– Dommages et intérêts
– Obligation de la banque d’exécuter les ordres de paiement
– Devoir de vigilance de la banque
– Virements vers des banques de l’Union européenne
– Courriers électroniques internes de la banque
Assurance-vie de Mme [P]
– Rendements promis de 18%
– Plateforme B4Trade
– Liste noire de l’Autorité des marchés financiers
– Dépens
– Article 700 du code de procédure civile
– Frais irrépétibles

– Article 1147 du code civil : article du code civil français qui régit les dommages et intérêts en cas de non-respect d’une obligation contractuelle
– Dommages et intérêts : réparation financière versée à la victime d’un préjudice pour compenser le dommage subi
– Obligation de la banque d’exécuter les ordres de paiement : devoir pour une banque de réaliser les opérations de paiement demandées par son client dans les délais et conditions convenus
– Devoir de vigilance de la banque : obligation pour une banque de surveiller les opérations de ses clients afin de détecter d’éventuelles opérations frauduleuses ou illicites
– Virements vers des banques de l’Union européenne : transferts d’argent effectués vers des comptes bancaires situés dans des pays membres de l’Union européenne
– Courriers électroniques internes de la banque : correspondance électronique échangée au sein de la banque entre ses employés
– Assurance-vie de Mme [P] : contrat d’assurance-vie souscrit par Mme [P] pour bénéficier de garanties financières en cas de décès ou de survie
– Rendements promis de 18% : taux de rendement annoncé par un produit financier ou un investissement, promettant un gain de 18% sur la somme investie
– Plateforme B4Trade : plateforme en ligne permettant de réaliser des transactions financières et des investissements
– Liste noire de l’Autorité des marchés financiers : liste recensant les acteurs du marché financier présentant un risque pour les investisseurs ou ne respectant pas la réglementation en vigueur
– Dépens : frais engagés lors d’une procédure judiciaire, tels que les honoraires d’avocat, les frais de justice, etc.
– Article 700 du code de procédure civile : article du code de procédure civile français permettant au juge de condamner la partie perdante à verser une somme à l’autre partie pour ses frais de justice
– Frais irrépétibles : frais engagés par une partie lors d’un procès et non remboursables par l’autre partie, tels que les frais de déplacement, de restauration, etc.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 02
N° RG 21/04954 – N° Portalis DBZS-W-B7F-VOKH

JUGEMENT DU 13 FEVRIER 2024

DEMANDERESSE :

Mme [X] [P] veuve [H]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Franck REGNAULT, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDERESSE :

S.A. CIC NORD OUEST, immatriculée au RCS de LILLE sous le N°455502096, prise en la personne de son représentant légal.
[Adresse 2]
[Localité 3]/FRANCE
représentée par Me Martine VANDENBUSSCHE, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Anne-Sophie SIEVERS, Juge, statuant en qualité de Juge Unique, en application de l’article R 212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire,

GREFFIER

Dominique BALAVOINE, Greffier

DÉBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 13 Octobre 2023 ;

A l’audience publique du 12 Décembre 2023, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 13 Février 2024.

JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 13 Février 2024, et signé par Anne-Sophie SIEVERS, Président, assistée de Dominique BALAVOINE, Greffier.

EXPOSE DU LITIGE

Entre le 3 août 2016 et le 27 septembre 2016, Mme [X] [P], veuve de M. [H] et cliente de la société CIC Nord Ouest, a effectué quatre virements pour un total de 106 100 euros au profit de différentes sociétés. Elle a ensuite porté plainte pour escroquerie en date du 12 avril 2017, expliquant avoir été démarchée téléphoniquement par la plateforme en ligne B4Trade qui lui proposait d’effectuer des investissements dans les options binaires et le Forex et avoir ouvert un compte de trading en ligne.

Par acte d’huissier signifié le 26 juillet 2021, Mme [P] a assigné la société CIC Nord Ouest devant le tribunal judiciaire de Lille.

Par conclusions récapitulatives notifiées le 31 mai 2023 par RPVA, Mme [P] demande au tribunal, au visa des articles 1231-1 et 1104 du code civil, de :

-condamner le CIC au paiement de dommages et intérêts d’un montant de 84 100 euros au bénéfice de Madame [X] [P] en réparation de son préjudice financier ;
-débouter le CIC de ses demandes ;
-débouter le CIC de sa demande au titre de l’article 700 ou la fixer à une plus juste proportion ;
-débouter le CIC à 2 900 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à tous les dépens de la présente instance.

A l’appui de ses demandes, elle soulève notamment les moyens suivants :

-Le parquet de Paris, l’AMF et l’ACPR ont sensibilisé les établissements bancaires à ce type d’escroquerie si bien que la société CIC Nord Ouest était nécessairement informée du mode opératoire utilisé.
-La société CIC Nord Ouest était contractuellement tenue à un devoir de vigilance faisant exception au principe de non-immixtion et il lui appartenait donc de vérifier si les ordres de paiement donnés par Mme [P] n’étaient pas entachés d’anomalies apparentes, telles qu’en l’espèce le nombre, la fréquence et le montant des virements ainsi que les pays destinataires, étant précisé qu’auparavant jamais Mme [P] n’avait fait de virement en direction de la Pologne ou la Hongrie. La banque aurait dû attirer son attention sur le caractère anormal des opérations en cours, ou lui faire signer une décharge de responsabilité, étant précisé que la société CIC Nord Ouest reconnaît que les virements sont atypiques.
-Les courriers électroniques internes de la banque ne citent jamais Mme [P] et datent d’avril 2016, plusieurs mois avant les virements litigieux. Aucune mise en garde n’est donc démontrée.
-Son préjudice consiste en une perte de chance de ne pas réaliser les virements litigieux, qu’elle évalue à 79 %, soit 84 00 euros.

Par conclusions récapitulatives notifiées le 8 mars 2023 par RPVA, la société CIC Nord Ouest demande au tribunal de :

-déclarer recevable et bien fondé le CIC Nord Ouest en toutes ses demandes,
-y faire droit ;
En conséquence,
-débouter Mme [X] [P] de l’ensemble de ses demandes,
-condamner Mme [X] [P] à payer au CIC Nord Ouest la somme de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
-condamner Mme [X] [P] aux entiers frais et dépens de l’instance.

Au soutien de ses demandes, la société CIC Nord Ouest se prévaut notamment des moyens suivants :

-Les virements litigieux n’avaient rien d’anormal dès lors qu’ils étaient en cohérence avec la volonté dont Mme [P] avait fait part à la banque de trouver des investissements en ligne extrêmement rentables. En revanche, Mme [P] n’avait pas déclaré ses liens avec la plateforme B4Trade, dont elle aurait pu elle-même vérifier qu’elle se trouvait sur la liste noire de l’Autorité des marchés financiers.
-Les échanges internes de la banque démontrent que Mme [P] a été avertie des risques présentés par ce type d’investissement, mais la cliente a préféré des rendements très rentables avec prise de risque.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux conclusions récapitulatives des parties pour un exposé complet des moyens.

L’ordonnance de clôture a été fixée au 13 octobre 2023. Après débats à l’audience du 12 décembre 2023, l’affaire a été mise en délibéré au 13 février 2024.

MOTIFS

I. Sur les demandes principales de Mme [P]

Conformément à l’article 1147 du code civil dans sa version applicable au litige, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

La banque est tenue, à l’égard de son client, d’exécuter les ordres de paiement de son client sans s’immiscer dans ses affaires. Ainsi, si la banque a une obligation de mise en garde en matière de crédit ou de cautionnement disproportionné par rapport aux capacités financières de l’emprunteur ou de la caution non avertis, elle n’a pas à porter une appréciation sur les risques que comporte l’opération. Il appartient par conséquent au client d’apprécier l’opportunité et la régularité de l’opération qu’il s’apprête à réaliser. A cet égard, le fait que certains établissements bancaires fassent le choix de faire signer des documents de mise en garde avant d’autoriser certaines opérations n’est qu’une possibilité et en aucun cas une obligation.

Par ailleurs, vis-à-vis de son client, la banque est tenue à un devoir de vigilance impliquant de déceler les anomalies matérielles apparentes des opérations bancaires. Dans cette perspective, l’établissement de crédit doit notamment vérifier que son client est bien l’auteur des virements et que le montant n’est pas erroné.

Le tribunal observe que les virements ont été faits vers des banques domiciliées dans des pays membres de l’Union européenne et qu’ils n’ont jamais placé le compte de Mme [P] en situation débitrice, correspondant à un rachat d’assurance vie.

En outre, il ressort des courriers électroniques internes de la banque, réexpédiés le 10 mai 2021, avant l’assignation, avec la mention « [P] / [H] », que Mme [Z], conseillère clientèle à [Localité 5], lieu de résidence de Mme [P], a demandé conseil à un collègue suite au fait que « Mme [H] » (nom d’épouse de Mme [P]) a voulu effectuer un retrait de 75 000 euros de son assurance-vie qu’elle avait chez la société CIC Nord Ouest, pour accroître ses rendements qu’elle jugeait insuffisants et qu’elle s’intéressait aux places boursières américaines.

Ces échanges du 14 avril 2016 établissent également que la conseillère était dubitative quant aux rendements promis de 18 %, qu’un premier virement de 2 000 euros avait été fait et que la conseillère avait contacté la cliente pour la mettre en garde “quant à la part de risque”, mais que Mme [P], étant déçue du rendement du dernier FCP investi dans son assurance-vie qui avait pris fin en mars 2016, privilégiait des rendements élevés, même avec une part de risque. Les correspondants convenaient en outre de lui donner un rendez-vous le 21 avril 2016 pour tenter de l’orienter vers une gestion conseillée ou une gestion sur mesure.

Il est par ailleurs justifié que Mme [P] avait bien une assurance-vie depuis 2008 et que son fonds commun de placement (FCP) a pris fin le 17 mars 2006, ce qui confirme encore que les échanges litigieux mentionnent la situation de la demanderesse, étant précisé que si Mme [P] ne mentionne pas le virement de 2000 euros dans ses conclusions, son dépôt de plainte fait bien référence à un « dépôt initial de 2 000 euros » par paiement de 500 euros par carte bancaire et virement de 1 500 euros au profit de la société NAB4 SP , courant mars 2016.

Par conséquent, compte tenu de la volonté affichée de Mme [P] de s’orienter vers des rendements plus intéressants que ceux de son assurance-vie en ayant conscience des risques inhérents à ce type de placements, les différents virements au profit de banques domiciliées dans les pays membres de l’Union européenne, dans la limite de cette assurance-vie, s’inscrivaient dans une logique de rentabilité accrue avec acceptation des risques, si bien que la banque n’avait pas d’obligation de mise en garde à l’encontre de sa cliente.

Si la plateforme B4Trade est effectivement sur la liste noire de l’Autorité des marchés financiers, les ordres de virement ne permettaient pas à la banque d’avoir connaissance des liens entre Mme [P] et cette plateforme.

Au demeurant, les courriers électroniques en interne permettent de conclure qu’une information sur les risques a été donnée à Mme [P] à deux reprises dès le dépôt de 2 000 euros au profit de la société NAB4 SP en mars 2016.

Par conséquent, aucune faute de la banque ne sera retenue et Mme [P] sera déboutée de ses demandes à son encontre.

II. Sur les demandes accessoires

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Mme [P], qui succombe à l’instance, sera condamnée aux dépens.

L’article 700 du code de procédure civile dispose que dans toutes les instances le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

Il n’apparaît pas inéquitable, compte tenu des situations respectives des parties, de rejeter les demandes réciproques au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats en audience publique par jugement contradictoire mis à disposition au greffe et en premier ressort :

DEBOUTE Mme [X] [P] de ses demandes à l’encontre de la société CIC Nord Ouest,

CONDAMNE Mme [X] [P] aux dépens,

DEBOUTE Mme [X] [P] et la société CIC Nord Ouest de leurs demandes réciproques au titre des frais irrépétibles.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

Dominique BALAVOINEAnne-Sophie SIEVERS

 

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