Nullité du testament olographe confirmée

Notez ce point juridique

Un testament olographe peut être annulé pour insanité d’esprit. Celle-ci se définit comme toute affection mentale qui prive celui qui en est atteint de tout discernement et de toute aptitude à jouir d’un consentement libre et éclairé. La preuve de l’insanité d’esprit du testateur incombe à celui qui agit en annulation du testament.


L’affaire concerne un litige autour de la modification des bénéficiaires de contrats d’assurance-vie souscrits par Mme [V] [X], décédée en 2018, au profit de M. [W] [C]. Des plaintes ont été déposées pour abus de faiblesse et falsification de chèques. Suite à un jugement du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc en 2023, les modifications des clauses bénéficiaires ont été annulées, et des dommages-intérêts ont été accordés aux ayants droit de Mme [V] [X]. Parallèlement, un testament olographe de Mme [V] [X] a été déclaré nul par le tribunal judiciaire. Mme [L] [P] a fait appel de ce jugement, tandis que M. [W] [C] a également interjeté appel. Les parties demandent des réformes du jugement initial et des condamnations financières.

Recevabilité de l’action de Mme [L] [P]

Mme [L] [P] a justifié de sa qualité d’héritière et de son intérêt à agir pour poursuivre la nullité du testament de Mme [V] [X]. La cour a confirmé sa recevabilité en tant que demanderesse dans cette affaire.

Demande de nullité du testament

Mme [L] [P] a fondé sa demande sur plusieurs articles du code civil, notamment en invoquant l’insanité d’esprit de Mme [X] au moment de la rédaction du testament et l’existence d’un abus de faiblesse constitutif d’un dol de la part de M. [C]. La cour a confirmé l’annulation du testament litigieux pour dol.

Frais irrépétibles et dépens

M. [C] a été condamné aux dépens et à verser des sommes à Mme [L] [P] au titre des frais irrépétibles. La cour a confirmé cette décision en appel, déboutant M. [C] de sa demande au titre des frais irrépétibles.

– M. [W] [C] est condamné aux dépens d’appel
– M. [W] [C] est débouté sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– M. [W] [C] est condamné à payer à Mme [L] [P] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel


Réglementation applicable

– Code civil

Article 31 du Code de procédure civile
Article 730 du Code civil
Article 730-1 du Code civil
Article 464 du Code civil
Article 901 du Code civil
Article 1130 du Code civil
Article 1137 du Code civil
Article 700 du Code de procédure civile

– Article 31 du Code de procédure civile:
« L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

– Article 730 du Code civil:
« La qualité d’héritier s’établit par tous moyens. Elle peut résulter d’un acte de notoriété dressé par un notaire à la demande des ayants droit. »

– Article 730-1 du Code civil:
« L’acte de notoriété doit mentionner l’existence de libéralités à cause de mort pouvant avoir une incidence sur la dévolution successorale. »

– Article 464 du Code civil:
« Les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés. »

– Article 901 du Code civil:
« Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence. »

– Article 1130 du Code civil:
« L’erreur, le dol ou la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné. »

– Article 1137 du Code civil:
« Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. »

– Article 700 du Code de procédure civile:
« Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, l’une des parties, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. »

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET
– Me Axel DE VILLARTAY de la SCP VIA AVOCATS

Mots clefs associés

– Appel
– Jugement
– Pièces
– Recevabilité
– Action
– Nullité
– Testament
– Code civil
– Héritière
– Qualité
– Intérêt
– Libéralités
– Acte de notoriété
– Généalogie
– Insanité d’esprit
– Vulnérabilité
– Abus de faiblesse
– Dol
– Manœuvres frauduleuses
– Consentement
– Mesure de protection
– Curatelle
– Tutelle
– Dépens
– Frais irrépétibles
– Article 700 du Code de procédure civile

– Appel: Recours formé par une partie mécontente d’une décision judiciaire afin de la faire réexaminer par une juridiction supérieure
– Jugement: Décision rendue par un juge ou un tribunal à l’issue d’un procès
– Pièces: Documents présentés comme preuves lors d’une procédure judiciaire
– Recevabilité: Conditions requises pour qu’une demande ou une action soit admise par un tribunal
– Action: Droit d’agir en justice pour faire valoir ses droits ou réclamer réparation d’un préjudice
– Nullité: Annulation d’un acte juridique en raison d’un vice de forme ou de fond
– Testament: Acte juridique par lequel une personne dispose de ses biens pour après son décès
– Code civil: Recueil de lois régissant les relations entre les individus en France
– Héritière: Personne qui reçoit des biens d’une personne décédée en vertu d’une disposition testamentaire ou de la loi
– Qualité: Capacité juridique d’une personne à agir en justice
– Intérêt: Avantage ou bénéfice que l’on peut tirer d’une situation ou d’une action
– Libéralités: Dons ou avantages consentis de manière gratuite par une personne à une autre
– Acte de notoriété: Acte établi par un notaire pour prouver la qualité d’héritier d’une personne décédée
– Généalogie: Étude des liens de parenté entre les individus d’une même famille
– Insanité d’esprit: Trouble mental rendant une personne incapable de discernement
– Vulnérabilité: État de fragilité d’une personne la rendant susceptible d’être influencée ou exploitée
– Abus de faiblesse: Exploitation de la vulnérabilité d’une personne pour obtenir un avantage indu
– Dol: Tromperie ou mensonge intentionnellement commis pour induire en erreur une personne
– Manœuvres frauduleuses: Actions déloyales ou malhonnêtes visant à obtenir un avantage illégitime
– Consentement: Accord libre et éclairé d’une personne pour réaliser un acte juridique
– Mesure de protection: Dispositif mis en place pour protéger les personnes vulnérables ou incapables de gérer leurs affaires
– Curatelle: Mesure de protection judiciaire destinée à assister une personne dans la gestion de ses biens
– Tutelle: Mesure de protection judiciaire destinée à représenter une personne incapable dans tous les actes de la vie civile
– Dépens: Frais engagés lors d’une procédure judiciaire et qui peuvent être mis à la charge de la partie perdante
– Frais irrépétibles: Frais engagés par une partie lors d’un procès et qui ne peuvent pas être remboursés par l’autre partie
– Article 700 du Code de procédure civile: Disposition légale permettant au juge d’allouer une somme d’argent à une partie pour compenser ses frais de justice.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

1ère Chambre

ARRÊT N°106

N° RG 21/03591

N° Portalis DBVL-V-B7F-RXJL

M. [W] [C]

C/

Mme [L] [P]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 MARS 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 19 décembre 2023 tenue en double rapporteur sans opposition des parties, par M. Philippe BRICOGNE, président de chambre, et Mme Caroline BRISSIAUD, conseillère entendue en son rapport

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 26 mars 2024 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 20 février 2024 à l’issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [W] [C]

né le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 4] (22)

[Adresse 9]

[Localité 4]

Représenté par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

Madame [L] [P]

née le [Date naissance 2] 1935 à [Localité 15] (22)

[Adresse 8]

[Localité 4]

Représentée par Me Axel DE VILLARTAY de la SCP VIA AVOCATS, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [L] [P] est la cousine de Mme [V] [X], née [G] le [Date naissance 3] 1929 à [Localité 14] et décédée à [Localité 12] (22) le [Date décès 7] 2018.

Mme [V] [X] ne laisse aucun héritier en ligne directe.

Après le décès de son mari en 2007, celle-ci a décidé de s’installer définitivement à [Localité 4], à proximité de Mme [A] [P] épouse [H], sa nièce au second degré, fille de Mme [L] [P].

Mme [V] [X] a été placée sous mesure de curatelle renforcée par jugement du 31 mai 2016, convertie en mesure de tutelle par jugement du 27 février 2018.

Courant juin 2017, l’Udaf 22 exerçant la mesure de protection, a pris connaissance d’une modification de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie souscrit par Mme [V] [X] auprès de la compagnie [11], au béné’ce de M. [W] [C].

Par ordonnance du 20 septembre 2017, le juge des tutelles de Saint-Brieuc, a autorisé l’Udaf 22 à modifier la clause du contrat d’assurance vie GMO n°969 359560, dont M. [W] [C] était désigné comme étant le bénéficiaire, pour la remplacer par la clause classique : ‘mon conjoint, à défaut mes enfants nés ou à naître, par parts égales entre eux, vivants ou représentés, à défaut mes héritiers légaux selon les règles de la dévolution successorale’.

Un second contrat d’assurance-vie avait été souscrit par Mme [V] [X] le 19 janvier 2010 (GMO n° 977 77046.9), dont Mme [Y] [C] est devenue bénéficiaire le 15 janvier 2016 par changement de la clause d’attribution. L’Udaf 22 n’a cependant pas sollicité la modification de cette clause auprès du juge des tutelles.

Après le décès de Mme [V] [X] survenu le [Date décès 7] 2018 à [Localité 12] (22), la famille a découvert qu’elle avait rédigé un testament olographe daté du 22 janvier 2016, déposé en l’étude d’un notaire, désignant M. [C] comme légataire universel.

L’Udaf 22 a par ailleurs déposé plainte es-qualité le 7 juin 2018 à l’encontre de M. [W] [C], suite à l’émission de 14 chèques au pro’t de M. et Mme [C], alors que Mme [V] [X] n’avait plus le droit d’émettre des chèques.

Mme [A] [H] et Mme [D] [K], issue d’une première union du mari de Mme [V] [X], ont déposé plainte à l’encontre de M. et Mme [C] après avoir pris connaissance de la modification des bénéficiaires des contrats d’assurance-vie.

Par jugement définitif du tribunal correctionnel de Saint-Brieuc du 26 septembre 2019, M. [W] [C] a été déclaré coupable de contrefaçon, falsi’cation et usage de chèques falsifiés au préjudice de Mme [V] [X]. M. [W] [C] a également été déclaré coupable d’avoir abusé frauduleusement de la situation de faiblesse de Mme [V] [X] ‘en lui faisant modifier les bénéficiaires des deux assurances-vie à son profit et en ayant rédigé au nom de Mme [V] [X] des courriers manuscrits destinés au juge des tutelles pour faire annuler notamment la décision de placement sous curatelle.’

Suivant assignation du 29 avril 219, Mme [A] [H] a saisi le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc d’une demande visant à obtenir à titre principal, la nullité des deux clauses de désignation des bénéficiaires des contrats d’assurance-vie, aux motifs que les modifications sont intervenues alors que Mme [V] [X] était sous l’emprise de M. et Mme [C] et qu’elle se trouvait en état de faiblesse (procédure enrôlée au répertoire général sous le n° 19/816).

Mme [A] [P] épouse [H] étant décédée en cours d’instance, le 11 février 2020, ses ayants droit sont intervenus volontairement à l’instance.

Par jugement du 11 avril 2023, le tribunal judiciaire de saint-Brieuc a notamment déclaré nulles les modifications des clauses bénéficiaires au profit de Mme [Y] [C] et de M. [W] [C] des contrats d’assurance-vie GMO n° 977770469 souscrit le 19 janvier 2010 et GMO n° 969359560 souscrit le 27 novembre 1997 , a rétabli les clauses dans leur ancienne rédaction et a condamné in solidum M. [W] [C], Mme [Y] [H] épouse [C], l’Udaf 22 et la [11] à verser aux consorts [H] es qualité d’ayants-droit de Mme [A] [P] épouse [H] la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts.

L’Udaf 22 a interjeté appel de ce jugement.

Parallèlement, suivant acte d’huissier du 30 avril 2019, Mme [L] [P] a fait également attraire M. [W] [C] devant le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc, aux fins de solliciter notamment la nullité du testament olographe du 22 janvier 2016, pour insanité d’esprit et sur le fondement du dol. (RG n° 19/815).

Par jugement en date du 17 mai 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc a :

– dit que les pièces n°50 à 53 de Mme [L] [P] sont versées aux débats sans révocation de l’ordonnance de clôture,

– déclaré nul et de nul effet le testament olographe établi par Mme [V] [X] le 22 janvier 2016,

– dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire de la présente décision,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

– condamné M. [W] [C] à verser à Mme [L] [P] la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ccondamné M. [W] [C] aux dépens.

Par déclaration en date du 14 juin 2021, M. [W] [C] a interjeté appel de tous les chefs de ce jugement.

* * * * *

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions transmises et notifiées le 27 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens et prétentions, M. [W] [C] demande à la cour de :

– réformer le jugement rendu le 17 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc en ce qu’il a :

* dit que les pièces n°50 à 53 de Mme [L] [P] sont versées aux débats, sans révocation de l’ordonnance de clôture,

* déclaré nul et de nul effet le testament olographe établi par Mme [V] [X] le 22 janvier 2016,

* dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire de la présente décision, * débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

* condamné M. [W] [C] à verser à Mme [L] [P] la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamné M. [W] [C] aux dépens.

Statuant à nouveau,

A titre principal,

– dire et juger Mme [L] [P] irrecevable en son action faute de qualité à agir,

A titre subsidiaire,

– débouter Mme [L] [P] de toutes ses demandes, fins et prétentions formées à l’encontre de M. [W] [C], 10 En toute hypothèse,

– condamner Mme [L] [P] à payer à M. [W] [C] la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [L] [P] aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel qui seront recouvrés par la SCP Jean-Davis Chaudet conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions transmises et notifiées le 15 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens et prétentions, Mme [L] [P] demande à la cour de :

– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc du 17 mai 2021 en toutes ses dispositions,

– condamner M. [C] à payer à Mme [P] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,

– condamner M. [C] aux entiers dépens,

– débouter de M. [C] de toutes ses demandes plus amples ou contraire.

*****

MOTIVATION DE LA COUR

A titre liminaire, M. [C] a interjeté appel du jugement en ce qu’il a admis aux débats les pièces n° 50 à 53 de Mme [P], sans révocation de l’ordonnance de clôture.

Si, dans le dispositif de ses dernières conclusions, il sollicite l’infirmation du jugement de ce chef, la cour n’est cependant saisie d’aucune demande tendant au rejet des pièces litigieuses.

Il s’en suit que ces pièces sont définitivement acquises aux débats. Il n’y a donc pas lieu de statuer de ce chef.

1°/ Sur la recevabilité de l’action de Mme [L] [P]

M. [E] [C] soutient que Mme [L] [P], qui ne produit aucun acte de notoriété établissant sa qualité d’héritière, n’est pas recevable à poursuivre la nullité du testament de Mme [V] [X] sur le fondement de l’article 901 du Code civil.

En vertu de l’article 31 du Code de procédure civile, ‘L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.’

Il est par ailleurs admis que la nullité des libéralités visée à l’article 901 du code civil est une nullité relative, qui ne peut être demandée que par les successeurs universels légaux ou testamentaires du de cujus (Civ. 1ère , 4 novembre 2010, n°09-68.276).

Enfin, il résulte des articles 730 et 730-1 du code civil que la qualité d’héritier s’établit par tous moyens. Elle peut résulter d’un acte de notoriété dressé par un notaire à la demande des ayants droit.

En l’espèce, Mme [P] produit son acte de naissance, celui de son père [N] [G], né à [Localité 15] le [Date naissance 6] 1900, celui de Mme [V] [X] née [G] le [Date naissance 3] 1929, et de sa mère, née [J] [G] à [Localité 15] le [Date naissance 5] 1898.

[N] et [J] [G] étaient frère et s’ur pour être tous deux nés de l’union entre M. [R] [G] et Mme [O] [B].

Il est donc justifié du lien de parenté entre Mme [L] [P] et sa cousine [F], Mme [V] [X] née [G].

En outre, il ressort du tableau généalogique adressé par le cabinet de généalogie [Z] à Maître [S] le 12 février 2021 que la dévolution s’opère :

‘Dans la ligne maternelle au profit de ses six cousines au 4 ème degré. (‘) Il est ici précisé que la défunte n’a pas de filiation paternelle établie.’

Les investigations du généalogiste mandaté par le notaire chargé de la succession ont mis en évidence l’identité des héritiers légaux, parmi lesquels figure Mme [L] [P].

Par ailleurs, M. [C] est mal fondé à dénier à Mme [P] sa qualité d’héritière en l’absence d’acte de notoriété, dès lors que l’article 730-1 du Code civil dispose que l’acte de notoriété doit mentionner l’existence de libéralités à cause de mort pouvant avoir une incidence sur la dévolution successorale.

Il est certain qu’en présence d’un testament dont la validité est contestée en justice, aucun notaire n’accepterait de dresser un acte de notoriété.

Il y a donc lieu de considérer que Mme [L] [P] justifie de sa qualité d’héritière et donc de sa qualité et de son intérêt à agir.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déclarée recevable en son action.

2°/ Sur la demande de nullité du testament

Mme [L] [P] fonde sa demande sur les articles 464, 901, 1130 et 1137 du code civil.

Il résulte des dispositions de l’article 464 du code civil que ‘Les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés.

Ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s’il est justifié d’un préjudice subi par la personne protégée.

Par dérogation à l’article 2252, l’action doit être introduite dans les cinq ans de la date du jugement d’ouverture de la mesure .’

L’article 901 du même code dispose que ‘Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence.’

L’article 1130 du code civil énonce que ‘L’erreur, le dol ou la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.’

L’article 1137 du code civil précise que ‘Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des man’uvres ou des mensonges.’

En l’espèce, le testament olographe, daté du 22 janvier 2016 est rédigé en ces termes :

‘[Localité 4], le 22/01-2016

Ceci est mon testament

Je soussigné [X] [V], né le [Date naissance 3] 1929 à [Localité 14] et demeurant au [Adresse 10] Ai fait mon testament ainsi qu’il vaut en cas de décès, je confirme mes ‘. D’assurance vie et institue pour mes légataires !

En ce qui concerne ma maison d’habitation et puis mes meubles la garnissant à M. [W] [C] demeurant à [Adresse 13] à [Localité 4].

En ce qui concerne mes comptes bancaires, retraite et autre bien meuble à M. [W] [C] demeurant à [Adresse 13] à [Localité 4].

Les frais et droits relatif à ses legues seront supportés par les légataires à concurrence de leurs droits.

Je révoque toutes dispositions antérieures de mes dernières volontés antérieures à le ‘ fait et écrit antérieurement de ma main

A [Localité 4], le 22 janvier 2016

Signature’

Sur l’absence d’insanité d’esprit

L’insanité d’esprit se définit comme toute affection mentale qui prive celui qui en est atteint de tout discernement et de toute aptitude à jouir d’un consentement libre et éclairé.

La preuve de l’insanité d’esprit du testateur incombe à celui qui agit en annulation du testament.

En l’espèce, le testament litigieux a été rédigé de la main de Mme [V] [X] et signé par celle-ci. Il est daté du 22 janvier 2016, ce qui correspond effectivement à la période dite ‘suspecte’, précédant l’ouverture de la mesure de protection.

Mme [X] qui vivait seule était alors âgée de 86 ans. Elle est décédée le [Date décès 7] 2018.

Les parties ne produisent aucune pièce médicale contemporaine de la rédaction du testament.

Le jugement du 31 mai 2016 instituant la mesure de curatelle renforcée au bénéfice de Mme [V] [X] s’appuie sur le certificat médical du Docteur [T], daté du 27 novembre 2015, constatant :

une altération modérée des fonctions cognitives

des troubles de la mémoire immédiate

une certaine logorrhée

des capacités d’analyse et de jugement un peu émoussées.

La décision du juge des tutelles est motivée par les constatations médicales précitées, révélant l’existence d’une ‘altération des facultés même si celle-ci est pour l’instant modérée’, par l’audition de Mme [X] en date du 18 mai 2016 ayant permis de ‘constater un certain nombre de lacune et de difficulté’ainsi que par la ‘vulnérabilité soulignée tant par le requérant que par le médecin expert.’

Par ailleurs, M. [C] produit un compte-rendu de consultation externe du Docteur [I], neurologue au centre hospitalier de [Localité 16] en date du 7 mars 2016, faisant état ‘de troubles cognitifs légers’, d’une ‘atteinte au premier plan concernant la mémoire’ et de signes évocateurs d’une ‘pathologie neurodégénérative toute débutante, sans retentissement évident, chez une patiente âgée (‘).’

Au vu des éléments médicaux soumis à l’appréciation de la cour, il y a lieu de considérer que l’insanité d’esprit de Mme [X] au moment de la rédaction du testament litigieux n’est pas caractérisée.

Sur l’existence d’un abus de faiblesse constitutif d’un dol

Si l’insanité d’esprit ne ressort pas suffisamment des pièces médicales produites, il est en revanche établi que Mme [X] présentait un état de vulnérabilité avéré, ayant d’ailleurs conduit le juge des tutelles à ordonner successivement une mesure de sauvegarde de justice (par ordonnance du 9 mars 2016) puis une mesure de curatelle renforcée (par jugement du 31 mai 2016),laquelle a par la suite été convertie en mesure de tutelle (par jugement du 27 février 2018).

Cet état de vulnérabilité et l’influence de M. [C] auprès de Mme [X] ont été relevés par :

La famille de Mme [X], notamment M. et Mme [H], fille et gendre de Mme [L] [P],

Le docteur [T], médecin expert, ayant décrit un ‘état de vulnérabilité’ ainsi que des ‘rapprochements intéressés’,

Le juge des tutelles, dont le jugement de mise sous curatelle renforcée est notamment motivé par cet état de vulnérabilité,

L’Ehpad dans lequel Mme [X] résidait, décrivant cette dernière comme ‘vulnérable et influençable’ selon les notes de situation de l’Udaf 22 transmises au juge des tutelles,

Mme [M] [U], mandataire à la protection des majeurs à l’Udaf 22, laquelle confirme lors de son audition par les services de gendarmerie dans le cadre de l’enquête ouverte pour abus de faiblesse, que ‘Mme [X] était sous influence de M. [C], de plus la mesure ayant déjà été lancée, Mme [X] présentait quelques signes d’incohérence.’

Par ailleurs, par jugement rendu le 26 septembre 2019, le tribunal correctionnel de Saint Brieuc a déclaré M. [W] [C] coupable des faits de falsification, contrefaçon et usage de seize chèques falsifiés ou contrefaits, au préjudice de Mme [X], faits commis du 6 décembre 2016 au [Date décès 7] 2018.

Sur cette même période de prévention, M. [C] a également été déclaré coupable d’avoir ‘abusé frauduleusement de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse de Mme [V] [X] (‘) en l’espèce en lui faisant modifier les bénéficiaires de deux assurances-vie à son pro’t et en ayant rédigé au nom de Mme [V] [X] des courriers manuscrits destinés au juge des tutelles pour faire annuler notamment la décision de placement sous curatelle.’

Il est observé que M. [C] n’a pas fait appel de ce jugement, nonobstant sa condamnation à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis assorti de l’interdiction d’exercer des fonctions de tuteur ou de curateur.

Comme en première instance, M. [C] fait observer de manière totalement inopérante que la période de prévention pour laquelle il a été condamné est postérieure à la date du testament dont la nullité est poursuivie.

Il est exact que M. [C] a été déclaré coupable d’abus de faiblesse à l’encontre de Mme [X] pour la période comprise entre le 6 décembre 2016 et le [Date décès 7] 2018, alors que le testament est daté du 22 janvier 2016.

Toutefois, comme l’a justement relevé le tribunal, la prévention détaillée mentionne explicitement la modification des clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie comme l’un des éléments matériels constitutifs de l’abus de faiblesse. Or, les clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie ont été modifiées le 15 janvier 2016, au profit de M. et Mme [C].

Il doit donc être retenu, à l’instar du tribunal, qu’en dépit de l’erreur affectant la période de prévention, les man’uvres de M. [C] en vue de profiter de la dégradation des facultés mentales et de l’état de vulnérabilité de Mme [X] ont débuté dès le 15 janvier 2016.

Dès lors que les modifications des clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie ont permis de caractériser l’existence d’un abus de faiblesse, il est évident que le testament litigieux rédigé seulement sept jours plus tard, se rattache à ce comportement délictueux,qui suppose pour être caractérisé la réunion d’un élément matériel mais aussi d’un élément intentionnel.

C’est donc tout aussi vainement, que M. [C] conteste l’existence de man’uvres frauduleuses ayant vicié le consentement de Mme [X] pour la déterminer à lui consentir des libéralités, alors qu’il est établi que celui-ci avait parfaitement connaissance de l’affaiblissement constant et progressif des facultés intellectuelles de Mme [X], âgée de 86 ans et qu’il a ainsi sciemment profité de son état de vulnérabilité médicalement constaté, pour lui faire modifier les clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie à son profit et lui faire rédiger un testament l’instituant comme légataire universel, et ce avant la mise en place imminente d’une mesure de protection.

De fait, M. [C] était devenu omniprésent dans la vie de Mme [X] puisque celui-ci l’accompagnait à ses rendez-vous médicaux, lui faisait ses courses et lui préparait ses repas, ainsi qu’il ressort du compte-rendu de consultation externe du Docteur [I], neurologue au centre hospitalier de [Localité 16] en date du 7 mars 2016. Il ne pouvait donc ignorer qu’une procédure de mise sous protection avait été initiée par les époux [H] et qu’à cette fin, un certificat médical avait été établi le 27 novembre 2015 par le docteur [T] faisant état d’une altération des facultés intellectuelles de cette dernière et préconisant une mesure de protection.

De même, c’est avec une parfaite mauvaise foi que M. [C] a établi et utilisé des chèques qu’il avait préalablement fait signer à Mme [X] (comme il l’indique dans son audition à la gendarmerie), alors même que celle-ci n’avait plus le droit d’émettre des chèques compte tenu de la mesure de protection ordonnée. M. [C] connaissait parfaitement cette interdiction qui lui avait été rappelée par le juge des tutelles, ainsi que le démontrent les courriers du magistrat retrouvés lors de la perquisition effectuée à son domicile.

Par sa présence constante et son discours, M. [C] est parvenu à isoler Mme [X] de son entourage habituel et à provoquer chez elle un sentiment de rejet vis-à-vis des membres de sa famille, au point de refuser de les voir et de les exhéréder.

Tel est le cas de Mme [A] [P] épouse [H] avec laquelle Mme [X] entretenait pourtant de bonnes relations puisqu’elle avait décidé de s’installer auprès d’elle après le décès de son mari et de l’instituer bénéficiaire des deux contrats d’assurances-vie.

A cet égard, Mme [U], salariée de l’Udaf 22 en charge de la mesure de protection, a expliqué dans le cadre de la procédure pénale que ‘au début, c’était Mme [H] qui s’occupait de Mme [X]’ et ‘dès que M. [C] est apparu dans sa vie, Mme [X] a évincé cette dernière.’

Les explications de M. [C] pour justifier de cette éviction totale et soudaine de Mme [A] [H] ne sauraient convaincre la cour, ce d’autant que ce phénomène de rejet s’est reproduit avec Mme [L] [P] (sa cousine) et avec Mme [D] [K] (la fille de son défunt époux). Il n’est d’ailleurs avancé aucune raison objective susceptible d’expliquer l’éviction de cette dernière de la clause bénéficiaire d’un des contrats d’assurance-vie, modifié au profit exclusif de Mme [C].

En outre, l’absence totale de collaboration voire l’obstruction de M. [C] à l’égard de la mesure de protection (refus de restituer les carnets de chèques, les documents personnels de celle-ci ainsi que les clés de son domicile, émissions de chèques, dénigrement permanent des services de l’Udaf 22, courriers rédigés de sa main au nom de Mme [X] pour demander la mainlevée de la mesure ) ne fait que confirmer la volonté de M. [C] de conserver la main mise sur Mme [X] et son patrimoine, en empêchant toute immixtion extérieure susceptible de réduire son influence sur le consentement de celle-ci.

Au total, la cour considère que ces faits sont constitutifs d’un ensemble de man’uvres frauduleuses ayant eu un caractère déterminant dans la réalisation du testament litigieux au profit de M. [C].

L’annulation du testament établi par Mme [V] [X] le 22 janvier 2016 sur le fondement du dol est par conséquent pleinement justifiée. Le jugement sera confirmé de ce chef.

2°/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement ne pourra qu’être confirmé en ce qu’il a condamné M. [W] [C] aux dépens ainsi qu’à payer à Mme [L] [P] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Succombant en appel, M. [W] [C] sera condamné aux dépens d’appel et débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Il n’est pas inéquitable de le condamner sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile à payer à Mme [L] [P] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 17 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc,

Y ajoutant :

Condamne M. [W] [C] aux dépens d’appel,

Déboute M. [W] [C] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [W] [C] à payer à Mme [L] [P] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 

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