M. N… J… a été condamné pour travail dissimulé, rétribution inexistante ou insuffisante d’une personne vulnérable ou dépendante et prêt illicite de main d’oeuvre. Il avait conclu un contrat de travail à temps partiel avec M. U… O… en 1990, mais les conditions de travail de ce dernier ont été signalées à la justice en 2016. M. J… a été condamné à une amende de 50 000 euros, dont 40 000 euros avec sursis, ainsi qu’à trois ans d’inéligibilité. Il a fait appel de cette décision, mais la Cour de cassation a confirmé sa culpabilité pour les faits reprochés.
Affaire jugée : N° J 19-80.768 F-D
M. N… J… a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Bourges, chambre correctionnelle, en date du 13 décembre 2018, qui l’a condamné pour travail dissimulé, rétribution inexistante ou insuffisante d’une personne vulnérable ou dépendante et prêt illicite de main d’oeuvre. Il a été condamné à une amende, à de l’inéligibilité et des intérêts civils.Faits et procédure
Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. J… a conclu en 1990 un contrat de travail à temps partiel avec M. U… O… pour un poste de gardien de propriété. Suite à un signalement de la DIRECCTE, le procureur de la République l’a cité à comparaître pour travail dissimulé.Examen des moyens
Les moyens soulevés concernent la violation de divers articles de loi et de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils critiquent la décision de la cour d’appel sur les chefs d’accusation retenus contre M. J….Réponse de la Cour
La Cour de cassation a rejeté les moyens soulevés, confirmant ainsi la culpabilité de M. J… pour travail dissimulé et prêt illicite de main d’oeuvre. Les éléments constitutifs des infractions ont été retenus sans violer la règle ne bis in idem.N° J 19-80.768 F-D N° 180 CK 10 MARS 2020 REJET M. SOULARD président, R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________ ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 10 MARS 2020 M. N… J… a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Bourges, chambre correctionnelle, en date du 13 décembre 2018, qui pour travail dissimulé, rétribution inexistante ou insuffisante d’une personne vulnérable ou dépendante et prêt illicite de main d’oeuvre, l’a condamné à 50 000 euros d’amende dont 40 000 euros avec sursis, trois ans d’inéligibilité et a prononcé sur les intérêts civils. Des mémoires ont été produits, en demande et en défense. Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. N… J…, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. U… O…, partie civile et les conclusions de Mme Le Dimna, avocat général, après débats en l’audience publique du 21 janvier 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre, Mme Le Dimna, avocat général, et M. Bétron, greffier de chambre, la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt. Faits et procédure 1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit. 2. M. J… a conclu en 1990 avec M. U… O… un contrat de travail à temps partiel à hauteur de quatre-vingt quatre heures par mois pour un poste de gardien de propriété. 3. Rendu destinataire, le 17 octobre 2016, d’un signalement de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de Bourgogne, concernant les conditions de travail de M. O…, le procureur de la République a fait citer M. J… à l’audience du tribunal correctionnel pour y répondre des chefs susvisés. 4. Le tribunal correctionnel a renvoyé le prévenu des fins de la poursuite du chef de prêt illicite de main d’oeuvre mais l’a déclaré coupable d’exécution d’un travail dissimulé et de rétribution inexistante ou insuffisante du travail d’une personne vulnérable ou dépendante et l’a condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis, assorti de la peine d’inéligibilité pour une durée de trois ans et a prononcé sur les intérêts civils. 5. Le prévenu, le ministère public et la partie civile ont relevé appel du jugement. Examen des moyens Sur les premier, troisième et quatrième moyens Enoncé des moyens 6. Le premier moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 8221-1, L. 8221-5, L. 8224-2, L. 8224-3 du code du travail, 121-3 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale. 7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. N… J… coupable d’exécution d’un travail dissimulé commis à l’encontre d’une personne vulnérable pour avoir mentionné, sur les bulletins de paie de M. U… O…, un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué, l’a condamné à une peine de 50 000 euros d’amende dont 40 000 euros assortis du sursis, ainsi qu’à la peine complémentaire de privation pour trois ans de son droit d’éligibilité et a prononcé sur les intérêts civils alors : « 1°/ qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ; que la caractérisation de cette infraction suppose que soit rapportée la preuve que les heures dissimulées correspondent à du temps de travail effectif, réalisé pour le compte de l’employeur poursuivi ; qu’en se bornant à relever que M. N… J… était l’employeur de M. U… O…, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée (cf. p. 33 et s. des conclusions d’appel du prévenu), si celui-ci avait effectivement été le bénéficiaire des heures prétendument réalisées au-delà des 84 heures visées par le contrat de travail, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ; 2°/ que le respect de la présomption d’innocence fait peser la charge de la preuve de l’accusation sur la partie poursuivante ; qu’en déclarant M. N… J… coupable de travail dissimulé pour la période de la prévention allant du 23 août 2013 au 23 août 2016, en se fondant exclusivement sur les déclarations de la partie civile et quelques témoignages attestant de la participation de M. U… O… à diverses tâches représentant un volume horaire supérieur à celui prévu par son contrat de travail, sans que ces déclarations n’aient été corroborées par un élément extérieur objectif, tel qu’une estimation précise des heures prétendument dissimulées, prouvant que le prévenu aurait, pour toute la durée de la prévention, mentionné sur le bulletin de salaire un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli par M. U… O…, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ; 3°/ que le délit de travail dissimulé est une infraction intentionnelle ; qu’en se bornant, pour déclarer coupable M. N… J… du délit de travail dissimulé, à relever que M. U… O… aurait assuré de multiples tâches d’exécution pour une durée excédant les 84 heures mensuelles qu’il était censé effectuer, sans caractériser l’élément intentionnel, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés. » 8. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 8241-1, L. 8243-1 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale. 9. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. N… J… coupable du délit de prêt illicite de main d’oeuvre dans un but lucratif exclusif commis à l’égard d’une personne dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, l’a condamné à une peine de 50 000 euros d’amende dont 40 000 euros assortis du sursis, ainsi qu’à la peine complémentaire de privation pour trois ans de son droit d’éligibilité et a prononcé sur les intérêts civils ; alors « qu’est licite une opération de prêt de main d’oeuvre ne poursuivant pas de but lucratif ; qu’il en va ainsi, aux termes du dernier alinéa de l’article L. 8241-1 du code du travail lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition ; qu’en subordonnant l’application de ces dispositions à l’exigence d’un formalisme comptable, la cour d’appel a posé une condition que la loi ne prévoit pas, en méconnaissance des textes susvisés. » 10. Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 8221-1, L. 8221-5, L. 8224-2, L. 8224-3, L. 8241-1, L. 8243-1 du code du travail, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, de la règle ne bis in idem, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale. 11. Le moyen critique l’arrêt attaqué « en ce qu’il a déclaré M. N… J… coupable de l’ensemble des infractions visées par la prévention, l’a condamné à une peine de 50 000 euros d’amende dont 40 000 euros assortis du sursis, ainsi qu’à la peine complémentaire de privation pour trois ans de son droit d’éligibilité et a prononcé sur les intérêts civils alors : « 1°/ que des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à plusieurs déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ; qu’en retenant que le fait que M. U… O… aurait assumé de multiples tâches d’exécution telles que nettoyer locaux et engins, tondre et faner, participer au drainage, porter la nourriture aux animaux et aller les chercher dans leur pâture, aider au vêlage, et que son temps de travail aurait excédé les 84 heures mensuelles qu’il était censé effectuer constituait tout à la fois le délit de travail dissimulé et de prêt illicite de main d’oeuvre, la cour d’appel a méconnu la règle ne bis in idem et les dispositions susvisées ; 2°/ qu’en tout état de cause, l’insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à son absence ; que la cour d’appel ne pouvait, sans se contredire, déclarer M. N… J… coupable du délit de prêt illicite de main d’oeuvre en raison de la facturation des heures que faisait M. U… O… à la ferme (SCEA […]) et coupable du délit de travail dissimulé pour les mêmes heures de travail. » Réponse de la Cour 12. Les moyens sont réunis. 13. Pour prononcer la culpabilité du prévenu des chefs de travail dissimulé et prêt illicite de main d’oeuvre, l’arrêt attaqué énonce, notamment, que M. O…, travailleur handicapé, est déclaré depuis le 1er janvier 2007 auprès de la mutualité sociale agricole de Bourgogne en tant que salarié agricole dans le cadre d’un emploi de quatre-vingt quatre heures mensuelles payées au tarif du SMIC bien que son recrutement remonte aux années 1990, le prévenu n’étant pas en mesure de fournir une copie de son contrat de travail. 14. Les juges relèvent qu’il résulte des copies de bulletins de salaire versés au dossier, correspondant à la période du 1er janvier 2003 au 1er novembre 2007, que ceux-ci sont successivement à l’en-tête de « J… L… T… », puis « J… L… H… », puis « Ets […] », puis « X… J… H… », puis de nouveau « J… L… H… », et font état de la même durée de travail de quatre-vingt quatre heures mensuelles, de sorte qu’ils en déduisent que le prévenu est bien l’employeur de M. O…. Ils précisent que les témoignages concordent pour dire que les journées de travail de la partie civile étaient d’une durée très supérieure à cinq heures, six jours sur sept, M. J… tout en affirmant que M. O… avait été « rétribué à la hauteur de ses bricolages » ayant concédé qu’il s’acquittait de certaines tâches, y compris au profit de la commune de Saint-Gratien-Savigny dont il est le maire. Ils soulignent que le prévenu conteste moins le nombre d’heures de présence de la partie civile que la réalité ou la consistance du travail effectué, retenant en outre que, selon M. J…, tout a été imbriqué à son départ en retraite en 2004, à savoir la SCEA gérée par son fils D…, dans laquelle il a des parts, son épouse qui tient les chambres d’hôte, sa fille C… qui a un élevage de chevaux et lui qui, tout en étant en retraite, est le gérant de la SARL […] qui effectue des réparations agricoles et automobiles. Ils établissent, en dernier lieu, que l’absence de poursuite contre le fils de M. J… qui, selon la défense du prévenu, aurait pu être fondée sur le fait que celui-là puisse apparaître comme un employeur non déclaré de M. O…, est sans effet sur la responsabilité du prévenu du chef de travail dissimulé. 15. Les juges énoncent, par ailleurs, que le prévenu, en faisant travailler M. O… pour le compte de la SCEA […], était doublement bénéficiaire des prestations de son salarié, d’une part en tant qu’associé de la SCEA, d’autre part en ce que cette mise à disposition de la SCEA de son employé lui était rémunérée. Ils ajoutent que M. D… J…, reconnaissant dans le cadre de l’enquête que la partie civile avait travaillé pour la SCEA […] dont il est le gérant, a spontanément déclaré que son père lui facturait au mois, de manière forfaitaire, les heures que faisait M. O… à la ferme. Ils soulignent qu’il a révélé aux enquêteurs l’existence d’une facturation, et des factures manuscrites ont ainsi été saisies à son domicile qui comportent une ligne « supplément» correspondant à la facturation forfaitaire des heures que M. O… effectuait pour la SCEA […]. Ils relèvent que cette facturation par les « Ets […] » des heures de travail de la partie civile doit être analysée comme la matérialisation d’un prêt de main d’oeuvre pratiqué pour son profit par le prévenu, ce dernier rentabilisant de la sorte un emploi prétendument compassionnel de M. O…. Ils concluent qu’en l’absence de tout formalisme comptable, les dispositions du dernier alinéa de l’article L. 8241-1 du code du travail ne sauraient trouver à s’appliquer en l’espèce. 16. En l’état de ces motifs répondant aux chefs péremptoires des conclusions visées à l’audience, d’où il résulte qu’en faisant travailler la partie civile résidant sur sa propriété au delà de ce qu’il déclarait effectivement aux organismes sociaux, selon un mode ne répondant pas aux exigences formelles prescrites par les articles L. 8241-1, dernier alinéa et L. 8241-2 du code du travail, le prévenu, en dissimulant la facturation à la société gérée par son fils d’une partie des heures effectuées, en vue d’occulter le caractère lucratif de l’opération, a commis les délits de travail dissimulé par minoration du nombre d’heures de travail réellement accomplies et prêt illicite de main d’oeuvre, que la cour d’appel a retenus sans violer la règle ne bis in idem, dès lors que les éléments constitutifs de ces infractions n’ont pas procédé, de manière indissociable, d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable. 17. Ainsi, les moyens ne sauraient être accueillis.