M. [C] [B], affilié au régime de sécurité sociale agricole en tant que gérant non-associé et salarié d’une SCEA, a été redressé par la MSA d’Armorique pour travail dissimulé par dissimulation d’activité. Le redressement a été contesté par M. [B] devant la commission de recours amiable, puis devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Quimper. Le tribunal a rejeté le recours de M. [B] et l’a condamné au paiement des sommes réclamées. M. [B] a interjeté appel de ce jugement. La Cour d’appel de Rennes a annulé le contrôle et la mise en demeure de la MSA pour défaut de mention de la faculté de saisir le comité des abus de droit. La MSA a été condamnée à verser à M. [B] une indemnité de 1000 euros et aux dépens.
9ème Ch Sécurité Sociale ARRÊT N° N° RG 20/05844 – N° Portalis DBVL-V-B7E-RDVP M. [C] [B] C/ MSA D’ARMORIQUE Copie exécutoire délivrée le : à : Copie certifiée conforme délivrée le: à: RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D’APPEL DE RENNES ARRÊT DU 06 JUIN 2023 COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère GREFFIER : Mme Adeline TIREL lors des débats et lors du prononcé DÉBATS : A l’audience publique du 29 Mars 2023 ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 06 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR: Date de la décision attaquée : 09 Novembre 2020 Décision attaquée : Jugement Juridiction : TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de QUIMPER Références : 20/00144 **** APPELANT : Monsieur [C] [B] [Adresse 6] [Localité 2] représenté par Me Olivier BICHON de la SELARL ANTELIA CONSEILS, avocat au barreau de NANTES substitué par Me Stéphanie FLEURY-GAZET, avocat au barreau de NANTES INTIMÉE : MSA D’ARMORIQUE [Adresse 3] [Localité 1] représentée par Mme [Z] [R], en vertu d’un pouvoir spécial EXPOSÉ DU LITIGE M. [C] [B] est affilié au régime de sécurité sociale agricole au titre de ses activités : – de gérant non-associé et salarié de la SCEA [4] créée le 6 août 2010 et qui a pour objet social l’exploitation de biens agricoles ; – d’associé unique et président de la SAS [5], créée le 30 décembre 2015. Le 31 décembre 2015, la totalité des parts de la SCEA [4] a été cédée à la SAS [5]. A la suite d’un contrôle de l’application de la législation sociale agricole relative à la gérance de la SCEA [4], réalisé par la caisse de mutualité sociale agricole d’Armorique (la MSA) sur la période allant du 1er janvier 2015 au 29 juin 2017, M. [B], en qualité de gérant majoritaire de la société, s’est vu notifier un document de fin de contrôle du 16 novembre 2017 d’un montant total de 67 518 euros portant sur le chef de redressement de travail dissimulé par dissimulation d’activité. Les inspecteurs ont ainsi retenu que la création de la société [5] avait pour but d’éluder le paiement des cotisations sociales dues en qualité de non salarié agricole, montage pouvant constituer un abus de droit. Par lettre du 14 décembre 2017, M. [B] a formulé des observations à l’encontre de ce chef de redressement, notamment celle que la création de la holding n’avait pas pour objet d’éluder des revenus professionnels de l’assiette de ses cotisations sociales. En réponse, par lettre du 19 janvier 2018, les contrôleurs ont maintenu le redressement tel que notifié dans le document de fin de contrôle. La MSA a adressé une mise en demeure du 5 avril 2018 tendant au paiement des cotisations notifiées dans le document de fin de contrôle et des majorations de retard y afférentes, pour un montant de 72 142,90 euros. Contestant le bien-fondé du redressement, M. [B] a saisi, par lettre datée du 9 mai 2018, la commission de recours amiable de l’organisme. Après rejet de sa réclamation par décision implicite, il a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Quimper, le 7 août 2018. Par décision du 8 novembre 2018, la commission de recours amiable a confirmé le bien-fondé et le montant du redressement querellé. Par jugement du 9 novembre 2020, ce tribunal devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Quimper, a : – déclaré recevable mais non fondé le recours de M. [B] ; – débouté M. [B] de l’ensemble de ses demandes ; – condamné M. [B] au paiement des sommes réclamées au titre du redressement sur la mise en demeure du 5 mai 2018, soit une somme total de 72 142,90 euros ; – condamné M. [B] aux dépens. Par déclaration faite par communication électronique au greffe le 27 novembre 2020, M. [B] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 10 novembre 2020. Par ses écritures parvenues au greffe le 13 juin 2022 auxquelles s’est référé et qu’a développées son conseil à l’audience, M. [B] demande à la cour : – de réformer le jugement entrepris ; En conséquence : – de déclarer recevable et bien fondé M. [B] en l’ensemble des demandes, fins et conclusions ; – de constater que le redressement fondé sur le document de fin de contrôle en date du 16 novembre 2017 visant l’abus de droit est irrégulier, en ce qu’il ne délivre par l’information de la saisine du comité d’abus de droit et n’est pas contresigné par le directeur de la caisse de recouvrement ; – de constater en tout état de cause que la MSA ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un abus de droit ; – d’annuler en conséquence la mise en demeure d’avoir à payer la somme de 72 142,90 euros contre M. [B] ; – de prononcer le dégrèvement des cotisations mises à la charge de M. [B] sur ce fondement ; – d’annuler la décision de la commission de recours amiable en date du 8 novembre 2018 rejetant la demande de M. [B] ; – de condamner la MSA à payer à M. [B] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; – de condamner la MSA aux entiers dépens Par ses écritures parvenues au greffe 28 juin 2022 auxquelles s’est référée et qu’a développées sa représentante à l’audience, la MSA demande à la cour de : – confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ; – débouter M. [B] de l’ensemble de ses demandes, et notamment de sa demande de condamnation de la MSA au paiement d’une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées. MOTIFS DE LA DÉCISION Aux termes des dispositions de l’article L.725-25 du code rural et de la pêche maritime dans sa version applicable au cas d’espèce, ‘afin d’en restituer le véritable caractère, les caisses de mutualité sociale agricole sont en droit d’écarter, comme ne leur étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes aient un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’aient pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les contributions et cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle auxquelles le cotisant est tenu au titre de la législation sociale ou que le cotisant, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du premier alinéa, le litige est soumis, à la demande du cotisant, à l’avis du comité des abus de droit. Les caisses de mutualité sociale agricole peuvent également soumettre le litige à l’avis du comité. Si les caisses de mutualité sociale agricole ne se conforment pas à l’avis du comité, elles doivent apporter la preuve du bien-fondé de leur rectification. La procédure définie au présent article n’est pas applicable aux actes pour lesquels un cotisant a préalablement fait usage des dispositions de l’article L.725-24 en fournissant aux caisses de mutualité sociale agricole concernées tous éléments utiles pour apprécier la portée véritable de ces actes et que ces caisses n’ont pas répondu dans les délais requis. L’abus de droit entraîne l’application d’une pénalité égale à 20 % des cotisations et contributions dues.’ En vertu de l’article R.725-28 du code rural et de la pêche maritime, les dispositions des articles R.243-60-1 à R.243-60-3 du code de la sécurité sociale sont applicables dans le cadre de la mise en oeuvre des dispositions de l’article L.725-25 du même code. L’article R.243-60-3 du code de la sécurité sociale prévoit notamment que : I. – La décision de mettre en ‘uvre les dispositions prévues à l’article L. 243-7-2 est prise par le directeur de l’organisme chargé du recouvrement, qui contresigne à cet effet la lettre d’observations mentionnée au premier alinéa du III de l’article R. 243-59. Ce document mentionne la possibilité de saisir le comité des abus de droit et les délais impartis à la personne contrôlée pour ce faire. II. – Le cotisant dispose d’un délai de trente jours à compter de la réception du document mentionné au I pour demander au service mentionné à l’article R. 155-1 que le litige soit soumis à l’avis du comité des abus de droit. S’il formule dans ce délai des observations à ce document, il dispose à nouveau d’un délai de trente jours à compter de la réception de la réponse de l’organisme de recouvrement à ces observations. III. – Dans un délai de trente jours, le service mentionné à l’article R. 155-1 saisit le comité des demandes recevables et avertit l’organisme. IV. – L’organisme de recouvrement et le cotisant sont invités à produire leurs observations dans un délai de trente jours ; ils reçoivent communication des observations produites par l’autre partie. Le président du comité peut en outre recueillir auprès du cotisant et de l’organisme tout renseignement complémentaire utile à l’instruction du dossier. V. – Si le cotisant a formé, devant la commission de recours amiable prévue à l’article R. 142-1, une réclamation portant sur une décision de redressement prise dans le cadre de la même procédure que celle qui a donné lieu à la saisine du comité des abus de droit, la commission diffère son avis ou sa décision dans l’attente de l’avis du comité. VI. – Le président communique l’avis du comité au cotisant et à l’organisme de recouvrement. Celui-ci notifie sa décision au cotisant et, en cas de modification du redressement, lui adresse une mise en demeure rectificative, conformément à l’article L. 244-2, dans un délai de trente jours.’ Pour contester le redressement opéré par la MSA, M. [B] soutient qu’il ne lui a pas été notifié dans la lettre d’observations, la possibilité de saisir le comité des abus de droit et que le directeur n’a pas contre-signé ce document. La MSA réplique que le comité des abus de droit n’existe pas, que l’irrégularité ne porte pas grief et que les droits de la défense de M. [B] n’en ont pas été altérés. En application des textes sus rappelés, le directeur de l’organisme de recouvrement des cotisations sociales exerçant le contrôle doit co-signer la lettre d’observations, peu important que finalement la pénalité spécifique de 20 % n’ait pas été mise en oeuvre. Il s’agit d’une formalité substantielle dont le non-respect doit être sanctionné par la nullité du contrôle et de la procédure subséquente, dès lors que cette signature désigne l’autorité hiérarchique qui seule a qualité pour prendre la décision de procéder au redressement. Or la lettre litigieuse a été signée par [K] [T] et [P] [H], contrôleurs agréés et assermentés MSA, et non par le directeur de l’époque. A cet égard, la MSA justifie d’une délégation de signature au profit de M. [H] (pièce n°20) pour ‘signer au nom du directeur général, tous les documents nécessaires à la procédure de contrôle externe, et notamment l’avis de passage et le document de fin de contrôle.’ Le grief invoqué par M. [B] n’est donc pas justifié. Par ailleurs, lorsque l’organisme de sécurité sociale écarte un acte juridique dans les conditions édictées par l’article L. 243-7-2 du code de la sécurité sociale auquel renvoie l’article L.725-25 du code rural et de la pêche maritime, il se place nécessairement sur le terrain de l’abus de droit. Il importe peu à cet égard que la MSA n’ait pas appliqué la pénalité égale à 20 % prévue en cas d’abus de droit, dès lors que l’organisme de recouvrement, qui a écarté les actes litigieux en raison de leur caractère fictif, s’est expressément ou implicitement placé sur le terrain de l’abus de droit. Il en résulte qu’il doit se conformer à la procédure prévue par le texte précité et les articles R. 243-60-1 et R. 243-60-3 du code de la sécurité sociale et qu’à défaut de ce faire, les opérations de contrôle et celles, subséquentes, de recouvrement sont entachées de nullité. (Cass. Civ. 2, 16 février 2023). En l’espèce, il résulte de l’examen des pièces produites, et notamment de la lettre de fin de contrôle adressée le 16 novembre 2017 à M. [B], que l’organisme de contrôle, s’il ne s’est pas expressément placé dans le cadre des dispositions de l’article L.725-25 du code rural, a cependant considéré que ‘la création de la SAS [5] n’a eu pour but que d’éluder les charges sociales qui étaient normalement dues en (…) qualité de non-salarié agricole et que ces actes sont constitutifs d’un abus de droit ; que malgré un objet social multiple, l’activité de la SAS [5] se limite à sa participation à 100 % au capital de la SCEA [4] sans aucun autre acte de gestion ; qu’en absorbant la totalité du bénéfice de la SCEA [4], elle fait obstacle à l’appel de charges sociales sur le dit bénéfice ; que l’interposition d’une société écran (la SAS [5]) ne fait pas échec à la réalité du pouvoir exercé par le dirigeant lorsque l’intéressé détient à la fois la majorité du capital de la société écran (100 %) et de la société cible (la SAS détient 100 % de la SCEA) et qu’il accomplit en leur sein des fonctions dirigeantes. Il s’agit d’une situation caractérisée d’interposition de personne morale.(…)’. Elle ajoute que ‘lorsque le mécanisme de constitution d’une société n’a pour seul but que de faire échapper les revenus aux charges sociales, il ne peut être opposable à l’organisme chargé du recouvrement des dites charges sociales.’ C’est donc de manière claire et non ambiguë que la MSA a fait le choix d’opérer le redressement litigieux dans le cadre d’un abus de droit et dans cette hypothèse, elle devait respecter la procédure spécifique prévue dans ce cas particulier. La lettre de contrôle mentionne certes les dispositions de l’article R.724-9 du code rural et de la pêche maritime, qui accorde à la personne contrôlée un délai de 30 jours pour faire ses observations, mais en revanche, ne figure pas dans ce document de fin de contrôle la possibilité pour le cotisant de saisir le comité d’abus de droit dans un délai d’un mois. La MSA entend s’exonérer de cette formalité en prétendant que la désignation des membres du comité d’abus de droit n’a pas été renouvelée depuis 2015, sans d’ailleurs en rapporter la preuve. La MSA qui ne justifie pas avoir accompli les démarches nécessaires auprès de l’autorité compétente pour provoquer la constitution de ce comité, ne saurait se prévaloir de la circonstance qu’à l’époque du contrôle, les membres du comité des abus de droit n’avaient pas été nommés, quand bien même ce comité n’a qu’un rôle consultatif. Il lui appartenait dans l’hypothèse où les organes de la procédure spécifique du contrôle pour abus de droit n’étaient pas efficients de renoncer à recourir à cette notion, dès lors que les dispositions législatives précisément adoptées pour assurer la protection des droits du cotisant s’avéraient impossibles à observer et que ces garanties ne pouvaient être respectées. Par conséquent, en ne mettant pas en oeuvre la procédure spéciale prévue pour l’abus de droit et en n’informant pas le cotisant de ses droits, la MSA l’a privé de garanties de fond essentielles, le recours ultérieur au juge n’étant pas de nature à suppléer les carences de la MSA au titre des garanties offertes au justiciable dans le cadre de la procédure de contrôle. Ces manquements doivent être sanctionnés par l’annulation du contrôle et des actes subséquents. En conséquence, il y a lieu d’annuler les opérations de contrôle et la procédure subséquente pour défaut de mention dans la lettre d’observations de la faculté de saisir le comité des abus de droit. Sur les frais irrépétibles et les dépens Les dépens de la présente procédure seront laissés à la charge de la MSA qui succombe à l’instance et qui de ce fait ne peut prétendre à l’application des dispositions l’article 700 du code de procédure civile. Il n’apparaît pas équitable de laisser à la charge de M. [B] ses frais irrépétibles engagés tant en première instance qu’en cause d’appel. La MSA sera en conséquence condamnée à lui verser à ce titre la somme de 2 000 euros. PAR CES MOTIFS : La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, Infirme le jugement dans toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Prononce la nullité du contrôle et de la mise en demeure du 5 avril 2018 ; Déboute la MSA d’Armorique de l’intégralité de ses demandes ; Déboute M. [B] du surplus de ses demandes ; Condamne la MSA d’Armorique à verser à M. [B] une indemnité de 1000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ; Condamne la MSA d’Armorique aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018. LE GREFFIER LE PRÉSIDENT