Cession de marque en période suspecte : la responsabilité du dirigeant

Notez ce point juridique

La cession de marque du 25 septembre 2017 au profit de la société Secret Planet est intervenue en pleine période suspecte et que le prix de 60.000 euros n’a pas été versé à la société Mahala, une compensation avec les sommes dues ayant été opérée ce qui constitue en outre un paiement préférentiel. L’existence d’une faute de gestion n’est pas subordonnée à l’exercice préalable d’une action en nullité de la période suspecte.

Le prix n’a pas été versé ; les contrats en cours n’ont pas fait l’objet de cessions et la comptabilité de la société Secret Planet porte mention d’une compensation avec les sommes dues par la société Mahala à cette dernière.

Il apparaît donc, ainsi qu’affirmé par le liquidateur judiciaire, que la cession est intervenue au cours de la période suspecte et a vidé la société Mahala de ses actifs permettant son exploitation (marque, site internet et clientèle), que l’un des créanciers a ainsi été remboursé de manière préférentielle. Il n’importe pas à ce sujet que le ministère public n’ait pas saisi le tribunal correctionnel à raison d’infractions pénales ni que le liquidateur n’ait pas agi en nullité de la vente, ce qui ne contrevient pas aux faits révélés par le dossier ; l’existence d’une faute de gestion n’est en effet pas subordonnée à une action en nullité d’un acte accompli au cours de la période suspecte.

Cette cession est en outre manifestement intervenue dans l’intérêt personnel de la dirigeante qui a bénéficié pour sa part d’une embauche par la société bénéficiaire du paiement, permettant de fait la poursuite de l’activité de la société Mahala.

Les fautes susvisées sont donc établies.

Sur l’insuffisance d’actif

Selon l’article L 651-2 du code de commerce, le tribunal peut décider que le montant de l’insuffisance d’actif sera supporté par les dirigeants en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance. En l’espèce, l’insuffisance d’actif de la société Mahala est établie à 103.145,76 euros, sans contestation de Mme [P].

Sur le retard dans la déclaration de la cessation des paiements

Mme [P] conteste le retard dans la déclaration de la cessation des paiements, mais la Selarl MJ Synergie et le ministère public retiennent que ce retard constitue une faute de gestion caractérisée. La date de cessation des paiements retenue est le 14 mai 2016, et le jugement est confirmé en ce qu’il a retenu cette faute de gestion.

Sur les actes contraires à l’intérêt de la société Mahala

Mme [P] soutient que les actes qu’elle a posés étaient dans l’intérêt de la société, mais la Selarl MJ Synergie et le ministère public retiennent que ces actes étaient contraires à l’intérêt social de la société. Les fautes de gestion sont établies, notamment en ce qui concerne les prélèvements effectués et la cession de marque.

Sur la comptabilité incomplète

Mme [P] n’a pas remis une comptabilité complète au liquidateur, ce qui constitue une faute de gestion. Elle ne peut se retrancher derrière des modalités de transmission de pièces définies avec son comptable.

Sur la contribution des fautes de gestion à l’insuffisance d’actif

Les fautes de gestion commises par Mme [P] ont contribué à l’insuffisance d’actif de la société Mahala. Sans ces fautes, l’insuffisance d’actif aurait été moindre, établissant ainsi un lien de causalité.

Sur les sanctions applicables

Le jugement est confirmé sur la condamnation de Mme [P] au titre de l’insuffisance d’actif et de la faillite personnelle. Les sanctions sont justifiées par la gravité des fautes commises.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Mme [P] est condamnée aux dépens d’appel et à verser la somme de 2.000 euros à son adversaire au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

1. Respectez les délais légaux pour déclarer l’état de cessation des paiements de votre entreprise afin d’éviter toute responsabilité en cas d’insuffisance d’actif.

2. Assurez-vous de tenir une comptabilité complète et de transmettre tous les éléments nécessaires au mandataire judiciaire pour éviter toute faute de gestion liée à une comptabilité incomplète.

3. Évitez de faire des actes contraires à l’intérêt de votre société, tels que des prélèvements personnels sur les comptes de l’entreprise ou des cessions d’actifs au profit d’une autre société dans laquelle vous êtes intéressé directement ou indirectement, pour éviter toute sanction de faillite personnelle.

Réglementation applicable

– Article L 651-2 du code de commerce
– Article L 631-4 du code de commerce
– Article L 653-4 du code de commerce
– Article L 653-5 du code de commerce
– Article L 653-8 du code de commerce
– Article 700 du code de procédure civile

Avocats

– Me Florent DELPOUX
– Me Jacques AGUIRAUD
– Me FLANDROIS
– Laurence Christophle

Mots clefs

– Insuffisance d’actif
– Faute de gestion
Liquidation judiciaire
– Responsabilité des dirigeants
– Faute caractérisée
– Retard dans la déclaration de l’état de cessation des paiements
– Faute autonome
– Date de cessation des paiements
– Faute de gestion caractérisée
– Actes contraires à l’intérêt de la société
– Faillite personnelle
– Usage des biens de la société
– Cession de marque
– Comptabilité incomplète
– Contribution des fautes de gestion à l’insuffisance d’actif
– Sanctions applicables
– Dépens
– Article 700 du code de procédure civile

Définitions juridiques

L’insuffisance d’actif est une situation où les actifs d’une entreprise ne sont pas suffisants pour couvrir ses dettes, ce qui peut entraîner une liquidation judiciaire. La faute de gestion est une responsabilité des dirigeants qui peuvent être tenus responsables en cas de faute caractérisée, notamment en cas de retard dans la déclaration de l’état de cessation des paiements. Cette faute peut être autonome ou liée à des actes contraires à l’intérêt de la société, tels que l’usage des biens de la société ou la cession de marque. La faillite personnelle peut être prononcée en cas de comptabilité incomplète ou de contribution des fautes de gestion à l’insuffisance d’actif. Les sanctions applicables peuvent inclure des dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

 

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 21/06267 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NY6I

Décision du Tribunal de Commerce de Lyon au fond du 13 juillet 2021

RG : 2019f02707

[P]

C/

SELARL MJ SYNERGIE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 12 Janvier 2023

APPELANTE :

Mme [R] [P]

née le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 6]

[Adresse 5]

[Localité 3] / France

Représentée et plaidant par Me Florent DELPOUX, avocat au barreau de LYON, toque : 1900

INTIMEE :

SELARL MJ SYNERGIE Mandataires Judiciaires, prise en la personne de Maître [X] [V] ès qualité de Liquidateur Judiciaire de la société MAHALA

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475 et plaidant par Me FLANDROIS, avocat au barreau de LYON

En la présence du Ministère Public pris en la personne de Laurence Christophle, substitute générale

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 10 Novembre 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 17 Novembre 2022

Date de mise à disposition : 12 Janvier 2023

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Patricia GONZALEZ, présidente

– Marianne LA-MESTA, conseillère

– Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

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EXPOSÉ DU LITIGE

Par jugement du 14 novembre 2017, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé la liquidation judiciaire de la Sarl Mahala (agence de voyage) gérée par Mme [R] [P] et fixé la date de cessation des paiements au 14 mai 2016. La Selarl MJ Synergie, mandataire judiciaire, représentée par Maître [V], a été désigné liquidateur judiciaire.

Par acte du 30 juillet 2019, la Selarl MJ Synergie ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mahala a assigné Mme [P] devant le tribunal de commerce de Lyon aux fins de la voir condamnée à payer la somme de 114.073,98 euros au titre de l’insuffisance d’actif et de voir prononcer à son encontre une sanction commerciale.

Par jugement contradictoire du 13 juillet 2021, le tribunal de commerce de Lyon a :

– dit que Mme [P] était gérante de droit de la societé Mahala depuis sa création,

– dit que l’insuffisance d’actif de la société Mahala s’élève à 103.145,76 euros,

– jugé que Mme [P] a commis des fautes de gestion, à savoir I’absence de déclaration de l’état de cessation des paiements de la société Mahala ainsi que l’usage des biens de la société Mahala dans un intérêt contraire à celui de la société Mahala,

– jugé que lesdites fautes ne constituent pas des cas de simples négligences,

– débouté Mme [P] de ses demandes de voir juger que les fautes qui lui sont opposées sont postérieures au jugement d’ouverture ou qu’elle n’aurait commis aucune faute grave,

– jugé que les fautes de gestion opposées à Mme [P] sont à l’origine de l’insuffisance d’actif constatée,

– condamné Mme [P] à payer à la Selarl MJ Synergie représentée par Me [V] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mahala la somme de 103.145,76 euros au titre de l’insuffisance d’actif,

– jugé que Mme [P] a fait usage des biens de la société Mahala dans un intérêt contraire à cette dernière, a dissimulé les actifs de la société Mahala ou les a transmis sans contrepartie, n’a pas été en mesure de remettre une comptabilité complète, couvrant l’ensemble de la période d’activité de la société Mahala antérieurement au jugement de liquidation judiciaire

– prononcé à l’encontre de Mme [P] une mesure de faillite personnelle de 5 ans,

– débouté Mme [P] de toutes ses autres demandes, fins et prétentions,

– ordonné l’exécution provisoire,

– condamné Mme [P] à payer à la Selarl MJ Synergie ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mahala la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [P] aux dépens de instance.

Mme [P] a interjeté appel par acte du 27 juillet 2021.

* * *

Par conclusions du 11 octobre 2021 fondées sur les articles L.641-9, L.651-2 et L.653-8 du code de commerce, Mme [P] demande à la cour de :

– juger qu’elle n’a commis aucune faute grave présentant les caractéristiques d’un comportement frauduleux de nature à justifier une condamnation pour comblement de l’insuffisance d’actif,

– juger qu’elle n’a commis aucune faute susceptible de justifier que soit ordonnée une faillite personnelle à son encontre,

par conséquent,

– infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

– condamner la Selarl MJ Synergie ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mahala à lui payer la somme de 3.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– et aux entiers dépens de première instance et d’appel.

* * *

Par conclusions du 4 novembre 2021 fondées sur les articles L.651-2 et L.653-8 du code de commerce, la Selarl MJ Synergie ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mahala demande à la cour de :

– la dire recevable et fondée en ses conclusions,

y faisant droit,

– confirmer Ie jugement déféré en intégralité,

– débouter en conséquence Mme [P] de l’intégralité de ses demandes,

à défaut,

– constater que Mme [P] a été dirigeante de droit de la société Mahala,

– dire Mme [P] mal fondée en son appel et en ses conclusions en toutes fins qu’elIes comportent, l’en debouter,

– constater que l’insuffisance d’actif de la société Mahala s’élève à la somme de 103.145,76 euros,

– juger que Mme [P] a commis des fautes de gestion, à savoir l’absence de déclaration de l’état de cessation des paiements de Ia société Mahala, l’usage des biens de la société Mahala dans un intérêt contraire à ceux de la société Mahala (prélèvement d’argent, transmission du fonds de commerce ou des marques de Ia société sans contrepartie, un paiement préférentiel),

– juger que lesdites fautes ne constituent pas des cas de simple négligence,

– débouter Mme [P] de ses demandes de voir juger que les fautes qui lui sont opposées sont postérieures au jugement d’ouverture ou qu’elle n’aurait commis aucune faute grave ou aucun comportement frauduleux,

– juger que les fautes de gestions opposées sont à l’origine de l’insuffisance d’actif constatée,

– condamner en conséquence Mme [P] à lui payer la somme de 103.145,76 euros au titre de l’insuffisance d’actif,

– juger que Mme [P] a fait usage des biens de Ia société Mahala dans un intérét contraire à cette dernière, a dissimulé les actifs de Ia société Mahala ou les a transmis sans contrepartie, n’a pas tenu une comptabilité complète couvrant l’ensemble de la période d’activité de la société Mahala antérieurement au jugement de liquidation judiciaire,

– condamner en conséquence Mme [P] à une mesure de faillite personnelle,

à défaut,

– juger que l’absence de déclaration de l’état de cessation des paiements par Mme [P], et ce sciemment, justifie que soit prononcée à son encontre une mesure d’interdiction de gérer,

– prononcer en conséquence une mesure d’interdiction de gérer à l’encontre de Mme [P],

en toute hypothèse,

– débouter Mme [P] de l’intégralité de ses demandes dont celles de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens dirigées à son encontre, demandes qui se heurtent aux dispositions de l’article L.641-13 du code de commerce,

– condamner Mme [P] à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Par observations communiquées contradictoirement aux parties le 16 septembre 2022, le ministère public s’est dit favorable à la confirmation du jugement déféré en raison du défaut de déclaration de l’état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours et l’usage des biens de la société contraire à son intérêt.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 novembre 2022, les débats étant fixés au 17 novembre 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’insuffisance d’actif

Selon l’article L 651-2 du code de commerce, « Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée. Lorsque la liquidation judiciaire concerne une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou, le cas échéant, par le code civil applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et non assujettie à l’impôt sur les sociétés dans les conditions prévues au 1 bis de l’article 206 du code général des impôts, le tribunal apprécie l’existence d’une faute de gestion au regard de la qualité de bénévole du dirigeant.

Il n’est pas contesté en cause d’appel que Mme [P] était gérante de droit de la société Mahala de sorte que s’il est établi qu’elle a commis des fautes de gestion ne pouvant être qualifiées de simples négligences, elle peut être tenue à tout ou partie de l’insuffisance s’actif si ces fautes ont contribué, ne serait ce que pour partie, à cette insuffisance.

Selon le mandataire, le passif s’élève à la somme de 115.128,35 euros (pièce 31 liste des créances nées avant le jugement d’ouverture) dont 114.810,45 euros à titre chirographaire. L’état des créances a été déposé le 24 mai 2018 avec publication au BODACC le 8 juin 2018. Cet état est définitif.

Aucun actif n’a pu être réalisé dans le cadre de la liquidation judiciaire (p5 procès-verbal du commissaire priseur. « Ensemble des biens présents dans les locaux en location ou crédit bail »).

Une unique somme de 11.982,69 euros a été recouvrée (chèques de banque non déposés avant la liquidation judiciaire).

Mme [P] ne conteste pas cette insuffisance d’actif en cause d’appel. Il n’est donc pas utile de reprendre toute l’argumentation du liquidateur judiciaire sur l’absence de contestation des créances dans le délai légal.

Il en découle une insuffisance d’actif établie de 103.145,76 euros.

Sur le retard dans la déclaration de l’état de cessation des paiements

Mme [P] fait valoir :

– qu’aux termes de l’article L.651-2 du code de commerce, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée,

– qu’il résulte de l’arrêt de la chambre commerciale de la cour de cassation du 3 février 2021 que l’éventuelle connaissance qu’a le dirigeant des difficultés de l’entreprise qu’il dirige n’exclut pas que le retard dans la déclaration de la cessation des paiements puisse résulter d’une simple négligence,

– qu’il résulte également de la jurisprudence que la date de cessation des paiements fixée provisoirement par le jugement d’ouverture ne lie pas le juge de la sanction (Cass. com. 30 janvier 2007),

– qu’il résulte des éléments comptables que l’activité de la société Mahala n’était déficitaire ni au 14 mai 2016 (date de cessation des paiements fixée par le tribunal) ni à la date du jugement de liquidation (14 novembre 2017) et qu’il est donc faux d’affirmer qu’elle a maintenu une activité déficitaire pendant plusieurs mois,

– qu’elle ne conteste pas avoir rencontré quelques difficultés de trésorerie passagère ayant donné lieu à un protocole d’accord transactionnel rendu exécutoire par jugement du 31 mars 2016,

– que le tribunal ne pouvait se contenter de constater un prétendu retard dans la déclaration de cessation des paiements pour juger ce retard constitutif d’une faute de gestion, un tel grief pouvant, selon les circonstances, être qualifié de simple négligence d’après la jurisprudence précitée.

La Selarl MJ Synergie ès-qualités expose :

– que le passif de la société Mahala est définitif et que l’insuffisance d’actif (de 103.145,76 euros) ne peut plus faire l’objet d’une contestation quelconque,

– que la jurisprudence précise que l’absence ou le retard à déclarer l’état de cessation des paiements constitue une faute de gestion, sans qu’il y ait à considérer les motifs qui ont conduit à différer ladite déclaration,

– que dans le cadre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif, les juridictions sont liées par la date de cessation des paiements figurant dans le jugement d’ouverture (revirement de jurisprudence opéré par Cass. com. 4 novembre 2014, puis 5 mai 2015, 18 janvier 2017, 4 juillet 2018),

– que cette faute de gestion ne requiert aucun élément intentionnel, il s’agit d’une faute autonome constituée par le seul retard à déclarer l’état de cessation des paiements, que le retard à déclarer l’état de cessation des paiements sur plusieurs mois ne peut être assimilé à une simple négligence (Cass. com. 5 février 2020, 8 avril 2021), qu’en l’espèce la date de cessation des paiements retenue par le tribunal de la procédure est le 14 mai 2016 et que Mme [P] n’ayant pas procédé à la déclaration de cessation des paiements, cette situation a perduré pendant 18 mois,

– que le jugement d’ouverture (14 novembre 2017) n’est intervenu que sur assignation d’un créancier,

– que Mme [P] ne peut pas contester la date de cessation des paiements, le tribunal saisi d’une action en responsabilité étant lié par la date fixée dans le jugement d’ouverture,

– que l’absence d’exploitation déficitaire est indifférente, l’absence ou le retard à déclarer la cessation des paiements étant une faute de gestion indépendante,

– que l’arrêt du 3 février 2021 invoqué par Mme [P] n’a pas la portée qu’elle lui attribue, la cour de cassation ayant simplement refusé de limiter la simple négligence au cas où le dirigeant aurait pu ignorer l’état de cessation des paiements et qu’au vu des pièces versées aux débats, Mme [P] ne peut prétendre à l’absence de difficultés connues,

– que l’état des créances est à 90 % constitué de créances nées postérieurement au 14 mai 2016 et qu’en conséquence, l’absence de déclaration de l’état de cessation des paiements est à l’origine de la quasi totalité de l’insuffisance d’actif constatée,

– que l’absence de déclaration de cessation des paiements est donc en l’espèce une faute de gestion caractérisée qui ne peut être qualifiée de simple négligence.

Le ministère public retient que la déclaration de l’état de cessation des paiements n’a pas été effectuée dans le délai de 45 jours.

Selon l’article L 631-4 du code de commerce, « L’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements s’il n’a pas, dans ce délai, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation ».

Il est rappelé que l’absence ou le retard à déclarer un état de cessation des paiements constitue une faute de gestion et l’omission de déclaration s’apprécie par rapport à la date de cessation des paiements qui a été finalement retenue (jugement d’ouverture ou décision postérieure).

La date de cessation des paiements retenue est le 14 mai 2016 (jugement du 14 novembre 2017) et cette date est définitive ; Mme [P] ne peut donc plus la contester dans le cadre de la présente instance en se prévalant d’une jurisprudence de la Cour de cassation devenue depuis obsolète ou d’une décision malheureuse de son ancien conseil inopérante et la présente cour est liée par cette date qui a été fixée.

Il résulte de ce report de 18 mois que l’état de cessation des paiements a perduré sur cette période, seule l’action d’un créancier ayant permis l’ouverture de la procédure et l’appréciation du bien fondé de la créance de ce dernier au regard d’un moratoire est sans effet sur la faute de gestion en cause.

Mme [P] fait ensuite valoir une situation comptable favorable et l’absence d’exploitation déficitaire. Ceci ne contredit cependant pas la réalité de l’état de cessation des paiements ni l’existence d’une faute dans l’absence de déclaration. L’état de cessation des paiements s’apprécie en effet indépendamment des pièces comptables qui peuvent être présentées.

Il résulte par ailleurs des productions que si Mme [P] avait obtenu un échéancier du Crédit mutuel, elle ne pouvait ignorer son non respect et la perte de ses concours financiers de même qu’elle ne pouvait ignorer l’état du compte bancaire et l’existence de diverses dettes alors qu’elle avait tenté d’obtenir des décalages de paiement auprès des créanciers, qu’elle avait en outre obtenu un versement de la société Secret Planet dont le dirigeant était également son associé et ainsi fait supporter ses charges de fonctionnement (et notamment règlement de prestations pour les clients) par un tiers en générant ainsi d’autres dettes, que divers clients s’étaient plaints de prestations non assurées, que l’état des créances révèle que presque la totalité des créances sont nées postérieurement à la date de cessation des paiements de sorte que l’absence de déclaration est à l’origine de la plus grande partie de l’insuffisance d’actif, que Mme [P] par la poursuite de son activité et son absence de déclaration a ainsi généré l’important passif constaté.

Mme [P] ne pouvait qu’être consciente de cet état de fait et de sa durée, distincte d’une difficulté passagère, et l’absence de déclaration de cessation des paiements sur une période aussi longue ne peut donc relever d’une simple négligence.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu’il a retenu cette faute de gestion.

Sur les actes contraires à l’intérêt de la société Mahala

Mme [P] soutient :

– qu’il ressort de ses pièces qu’elle a parfaitement justifié de ce que la somme de 22.482 euros retirée en liquide du compte de la société Mahala a bien été employée dans l’intérêt de la société,

– que s’agissant de la cession de marque constatée par contrat du 25 septembre 2017, elle a fait l’objet d’une plainte du liquidateur à laquelle il n’a pas été donné suite et le liquidateur n’a par ailleurs pas demandé la nullité de cette vente,

– que s’agissant de la comptabilité incomplète, elle avait pour habitude de transmettre les éléments comptables de la société à son comptable à l’issue de chaque trimestre, qu’ainsi à la date du 14 novembre 2017 elle ne lui avait pas encore transmis les éléments relatifs à la comptabilité du dernier trimestre 2017, que ceci explique que le liquidateur n’a pu avoir immédiatement communication des éléments comptables relatifs à la période du 1er octobre au 14 novembre 2017,

– que le défaut de communication de comptabilité ne saurait constituer une faute de nature à justifier le prononcé d’une interdiction de gérer.

La Selarl MJ Synergie ès-qualités expose :

– que le fait pour un dirigeant de faire supporter à une société des dépenses qui lui sont personnelles et sans lien avec l’activité de la société ou des dépenses contraires à l’intérêt social constitue une faute de gestion,

– que constituent également des fautes de gestion les paiements préférentiels intervenus en période suspecte,

– que contrairement à ce qu’elle affirme, les pièces produites par Mme [P] ne permettent pas de justifier de la régularité des prélèvements qu’elle a effectués sur les comptes bancaires de la société Mahala pour la somme totale de 22.480 euros,

– que la cession de marque du 25 septembre 2017 au profit de la société Secret Planet est intervenue en pleine période suspecte et que le prix de 60.000 euros n’a pas été versé à la société Mahala, une compensation avec les sommes dues ayant été opérée ce qui constitue en outre un paiement préférentiel,

– que l’existence d’une faute de gestion n’est pas subordonnée à l’exercice préalable d’une action en nullité de la période suspecte.

Le ministère public retient que l’usage des biens de la société est contraire à son intérêt.

Selon l’article L 653-4 du code de commerce, « le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d’une personne morale, contre lequel a été relevé l’un des faits ci-après :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.

Selon l’article L 653-5 du même code, « Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l’un des faits ci-après :

…..

4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;

….

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables… »

Selon l’article L 653-8 du code de commerce, « Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

L’interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l’encontre de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n’aura pas remis au mandataire judiciaire, à l’administrateur ou au liquidateur les renseignements qu’il est tenu de lui communiquer en application de l’article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d’ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l’obligation d’information prévue par le second alinéa de l’article L. 622-22.

Elle peut également être prononcée à l’encontre de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation ».

Il résulte des productions et notamment de la lecture des relevés des comptes ouverts auprès de la banque CIC (p14 intimée) que la somme de 22.482 euros a été retirée par Mme [P] des comptes bancaires de la société, en liquide, entre janvier 2016 et juillet 2017 ; que ces retraits ont augmenté dans leurs montants au fur et à mesure de la dégradation de la situation financière de la société.

Il appartient à l’appelante de justifier de la régularité des prélèvements effectués, étant souligné que les prélèvements en liquide n’assurent pas la traçabilité de l’affectation des fonds.

Or, Mme [P] ne procède que par affirmation lorsqu’elle prétend que tous les retraits réglaient des dépenses dans l’intérêt de la société. Son argumentation selon laquelle les prélèvements auraient alimentés une carte prépayée rechargeable « visa transcash » permettant de régler des prestations pour le compte des clients alors que les plafonds des cartes bancaires de la société étaient atteints ne permet pas de justifier la totalité des prélèvements en cause (par exemple il est justifié de factures réglées à hauteur de 9.572 euros mais le compte a bénéficié de virements internet pour 2.870 euros) alors que, comme justement souligné par l’intimée, les relevés « transcash » ne sont pas explicités et ne correspondent pas aux retraits et qu’il n’est pas justifié des « petites dépenses habituelles » de la société qui sont alléguées.

Ces prélèvements effectués dès lors dans l’intérêt personnel de la dirigeante ont privé la société de trésorerie et sont des actes contraires à son intérêt social.

Il apparaît ensuite des productions que la société disposait d’un site internet qui n’a pas été révélé au mandataire par la dirigeante mais postérieurement par un créancier. Ce site restait actif après la liquidation judiciaire et renvoyait vers une société Secret Planet. Il n’a été toutefois justifié d’aucune cession de fonds de commerce au bénéfice de cette dernière société alors qu’il est constant que la société Secret Planet a ensuite embauché Mme [P].

Cette dernière société a également bénéficié d’une cession de marque intervenue au cours de la période suspecte ; Mme [P] a ainsi cédé la marque Mahala ; le contrat de cession de marque et de site internet est versé aux débats (p15) et prévoyait un prix de 60.000 euros (contrat du 25 septembre 2017).

Le prix n’a pas été versé ; les contrats en cours n’ont pas fait l’objet de cessions et la comptabilité de la société Secret Planet porte mention d’une compensation avec les sommes dues par la société Mahala à cette dernière.

Il apparaît donc, ainsi qu’affirmé par le liquidateur judiciaire, que la cession est intervenue au cours de la période suspecte et a vidé la société Mahala de ses actifs permettant son exploitation (marque, site internet et clientèle), que l’un des créanciers a ainsi été remboursé de manière préférentielle. Il n’importe pas à ce sujet que le ministère public n’ait pas saisi le tribunal correctionnel à raison d’infractions pénales ni que le liquidateur n’ait pas agi en nullité de la vente, ce qui ne contrevient pas aux faits révélés par le dossier ; l’existence d’une faute de gestion n’est en effet pas subordonnée à une action en nullité d’un acte accompli au cours de la période suspecte.

Cette cession est en outre manifestement intervenue dans l’intérêt personnel de la dirigeante qui a bénéficié pour sa part d’une embauche par la société bénéficiaire du paiement, permettant de fait la poursuite de l’activité de la société Mahala.

Les fautes susvisées sont donc établies.

Sur la comptabilité incomplète

Il est constant que Mme [P], qui est la responsabilité de la tenue de la comptabilité, n’a pas remis une comptabilité complète au liquidateur et elle ne peut se retrancher derrières des modalités de transmission de pièces définies avec son comptable, devant être en mesure de donner tous les éléments nécessaires au mandataire judiciaire.

Il y a donc absence de tenue d’une comptabilité complète et non défaut de communication de comptabilité comme affirmé à tort par l’appelante.

Sur la contribution des fautes de gestion à l’insuffisance d’actif

La cour rappelle que le dirigeant peut être condamné au titre de l’insuffisance d’actif même si la faute de gestion établie n’est à l’origine que d’une partie du passif.

Il a été établi ci-dessus que Mme [P], par les fautes commises, avait sciemment privé la société de ses actifs de même qu’elle l’avait privée de trésorerie, que par ailleurs l’essentiel du passif déclaré relevait de l’absence de déclaration de cessation des paiements.

Il est donc indéniable que sans ces fautes, l’insuffisance d’actifs aurait été bien moindre de sorte que le lien de causalité est établi.

Sur les sanctions applicables

S’agissant de l’insuffisance d’actifs, Mme [P] ne donne aucun élément sur sa situation financière et patrimoniale, ne discutant pas concrètement les sommes mises à la charge mais seulement les fautes de gestion.

En conséquence, le jugement est confirmé sur la condamnation mise à sa charge au titre de l’insuffisance d’actifs qui apparaît justifiée par les éléments de la cause.

S’agissant de la faillite personnelle, la gravité des fautes commises et qui ont vidé totalement la société Mahala de ses actifs et ont profité à Mme [P] à titre personnel justifie la sanction qui a été prononcée en première instance à ce titre et le jugement est également confirmé de ce chef.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Les condamnations prononcées à ce titre en première instance sont confirmées.

Mme [P] a la charge des dépens d’appel et versera à son adversaire la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré.

Y ajoutant,

Condamne Mme [R] [P] à verser à la Selarl MJ Synergie mandataires judiciaires ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Mahala la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne Mme [R] [P] aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 

 

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