Sur la prescription :
Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Aucune prescription de l’action ne peut être retenue dès lors que les consorts [P] n’ont pu avoir connaissance des impositions mises à leur charge à raison des manquements supposés du notaire qu’à l’issue de la procédure contradictoire qu’ils ont engagée à l’encontre de l’Administration fiscale à la suite de la proposition de rectification établie le 29 novembre 2010.
Sur la responsabilité du notaire :
Le notaire, tenu d’un devoir de conseil absolu, doit veiller à l’efficacité des actes qu’il dresse ; il doit informer et éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets de l’acte auquel il prête son concours, notamment quant à ses incidences fiscales qu’il lui appartient de prévoir. À défaut, il engage sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382 devenu 1240 du code civil à la mesure du préjudice en relation de causalité avec la faute commise. Les compétences personnelles des parties ne le dispensent pas de son devoir de conseil ; la preuve du conseil ou de l’information donnée lui incombe et peut être rapportée par tous moyens.
Sur la réparation du préjudice :
Les consorts [P] sont bien fondés à réclamer une indemnisation intégrale des sommes qu’ils ont dû acquitter au titre de l’imposition des plus values de la cession. Ne constitue pas une perte de chance mais un préjudice entièrement consommé le préjudice subi par eux du fait du redressement fiscal supporté dès lors qu’ils ont été privés, par les fautes du notaire, de l’exonération fiscale prévue à l’article 151 septies II du code général des impôts à laquelle ils auraient eu droit si la vente était intervenue avant le 31 décembre 2008 pour en remplir toutes les conditions notamment de seuil de chiffre d’affaires, ce qui n’est pas discuté par les parties.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
09/03/2020
ARRÊT N°
N° RG 17/04599 – N° Portalis DBVI-V-B7B-L2WH
AA/CR
Décision déférée du 21 Juillet 2017 – Tribunal de Grande Instance de Toulouse – 16/00045
Mme PIERRE-BLANCHARD
[J] [V]
[X], [H], [E] [P]
[T], [S], [U] [P]
C/
[R] [C]
CONFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
1ere Chambre Section 1
***
ARRÊT DU NEUF MARS DEUX MILLE VINGT
***
APPELANTS
Madame [J] [V]
[Adresse 4]
[Localité 11]
Représentée par Me Isabelle FRANC-VALLUET de la SELARL HOPPEN, avocat au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Vincent BRAILLARD de la SCP PILATI BRAILLARD BAGOT, avocat au barreau de BESANCON
Monsieur [X], [H], [E] [P]
[Adresse 8]
[Localité 1] (ESTONIE)
Représenté par Me Isabelle FRANC-VALLUET de la SELARL HOPPEN, avocat au barreau de TOULOUSE
Représenté par Me Vincent BRAILLARD de la SCP PILATI BRAILLARD BAGOT, avocat au barreau de BESANCON
Madame [T], [S], [U] [P]
[Adresse 5]
[Localité 11]
Représentée par Me Isabelle FRANC-VALLUET de la SELARL HOPPEN, avocat au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Vincent BRAILLARD de la SCP PILATI BRAILLARD BAGOT, avocat au barreau de BESANCON
INTIME
Maître [R] [C]
[Adresse 3]
[Localité 10]
Représenté par Me Nicolas LARRAT de la SCP LARRAT, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Décembre 2019, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. BELIERES, président, et A. ARRIUDARRE, vice-président placé, chargés du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BELIERES, président
C. ROUGER, conseiller
A. ARRIUDARRE, vice-président placé
Greffier, lors des débats : C.PREVOT
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C. BELIERES, président, et par C. PREVOT, greffier de chambre.
Exposé des faits et de la procédure
Suivant acte authentique dressé par Me [C], notaire à [Localité 10], en date du 30 janvier 2009, M. et Mme [P] ont vendu au prix de 60 000 euros à la Sarl [Adresse 9], constituée avec leurs enfants, un ensemble de bâtiments et terrains à usage de centrale hydroélectrique qu’ils détenaient sur la commune de [Localité 7].
Cet acte prévoyait un transfert de propriété rétroactif au 15 novembre 2008, date d’entrée en jouissance par la Sarl [Adresse 9], laquelle était constituée selon statuts du même jour.
Par un second acte authentique également reçu le 30 janvier 2009 par Me [C], M. et Mme [P] ont cédé à la Sarl [Adresse 9] le fonds de commerce de centrale hydro-électrique exploité à [Localité 7], moyennant le prix de 740 000 euros.
Cet acte comportait la clause selon laquelle le transfert de propriété était fixé au jour de signature de l’acte (soit le 30 janvier 2009) avec jouissance rétroactivement au 15 novembre 2008, date de prise de possession réelle.
Les époux [P] faisaient l’objet d’une vérification de comptabilité du 20 juillet 2010 au 30 octobre 2010 portant sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009.
Aux termes d’un courrier daté du 29 novembre 2010, la Direction Générale des Finances Publiques de Midi-Pyrénées et du département de la Haute-Garonne proposait une rectification relative aux impositions des années 2008 et 2009 portant sur des montants respectifs de 14 178 euros (impôt, intérêts de retard et majoration de 40 % pour manquement délibéré) et 256 906 euros (impôt, prélèvement social, CSG, CRDS, intérêts de retard et majoration de 40 % pour manquement délibéré).
Selon l’administration fiscale, le transfert de propriété du fonds de commerce devait être fixé au 30 janvier 2009 de sorte que l’activité de producteur d’énergie aurait dû être rattachée pour la période courant du 15 novembre 2008 au 30 janvier 2009, non pas à la Sarl [Adresse 9] comme cela avait été le cas, mais aux époux [P].
L’administration fiscale considérait par ailleurs que la vente des immeubles fixant le transfert de propriété au 15 novembre 2008 était accessoire par rapport à la vente du fonds de commerce et que la clause de rétroactivité relative au transfert de propriété du fonds de commerce ne pouvait avoir d’effet qu’au titre de l’exercice durant duquel l’acte était passé mais ne pouvait affecter un exercice antérieur.
Elle considérait en conséquence que la plus-value réalisée au titre de la cession du fonds de commerce ne pouvait pas être imputée sur l’exercice clos au 31 décembre 2008 mais devait être retenue pour déterminer le bénéfice imposable au 31 décembre 2009, qu’elle ne pouvait être que partiellement exonérée en application de l’article 151 septies du CGI, et non totalement comme voulu par les parties à l’acte de vente, et se trouvait donc imposable à concurrence de 331 441 euros pour sa fraction à court terme et pour 108 700 euros pour sa fraction à long terme.
Selon courrier du 15 février 2011, les époux [P] contestaient, dans sa totalité, la rectification proposée en faisant valoir que la vente était parfaite dès la fin de l’année 2008 en raison d’un accord sur la chose vendue, le fonds de commerce et son prix.
Le 29 avril 2011, Me [C] établissait un acte précisant que c’était à tort et par suite d’une erreur matérielle qu’il avait été indiqué à l’acte de cession du fonds de commerce du 30 janvier 2009 que le transfert de propriété intervenait ‘à compter de ce même jour’ alors qu’en réalité, ce transfert de propriété était intervenu, tout comme le transfert de la jouissance, le 15 novembre 2008.
Les époux [P] effectuaient, le 18 septembre 2011, une réclamation contentieuse auprès du SIP de [Localité 11] SUD EST, laquelle était rejetée le 20 février 2012.
Selon jugement en date du 22 mai 2014, le tribunal administratif de Toulon rejetait la requête des époux [P]. Ces derniers interjetaient appel de la décision devant la Cour administrative d’appel de Marseille.
M. [P] est décédé le [Date décès 2] 2015.
Par arrêt en date du 23 février 2016, la Cour administrative d’appel de Marseille a décidé :
– qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête à concurrence des dégrèvements prononcés en cours d’instance pour un montant de 14 178 euros,
– que la base de l’imposition à l’impôt sur le revenu à laquelle M. et Mme [P] ont été assujettis au titre de l’année 2009 devait être réduite d’une somme de 2 115 euros,
– que Mme [P] et la succession de M. [P] devaient être déchargés des droits et pénalités correspondant à la réduction de la base d’imposition ci-dessus ainsi que des pénalités qui ont été infligées au foyer fiscal sur le fondement de l’article 1729 du CGI.
Dès le 18 décembre 2015, Mme [J] [P], M. [X] [P] et Mme [S] [P] venants aux droits de leur père, [L] [P], ont fait assigner Me [C] devant le tribunal de grande instance de Saint-Gaudens au visa de l’article 1382 du code civil, aux fins de voir dire que Me [C] a commis une faute en omettant de mentionner, dans son acte de transfert de propriété du fonds de commerce du 30 janvier 2009, que ledit transfert intervenait au 15 novembre 2008 et non au 30 janvier 2009 et que la volonté des parties, dont Me [C] était informé, était de formaliser un transfert de propriété rétroactivement au 15 novembre 2008, date de la prise de possession du fonds. Ils ont demandé réparation des préjudices qu’ils ont subis.
Par jugement contradictoire en date du 21 juillet 2017, le tribunal a :
– rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription et dit l’action des consorts [P] recevable,
– dit que Me [C] a engagé sa responsabilité civile professionnelle dans le cadre de la rédaction des actes authentiques du 30 janvier 2009,
– condamné Me [C] à payer à Mme [J] [V] veuve [P], M. [X] [P] et Mme [T] [P] la somme totale de 60 306 euros en réparation de leur préjudice,
– condamné Me [C] à payer à Mme [J] [V] veuve [P], M. [X] [P] et Mme [T] [P] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Me [C] aux entiers dépens.
Pour dire que l’action n’était pas prescrite, le tribunal a considéré que le point de départ se situait à la date de réalisation du dommage, soit celle de la notification du 20 décembre 2010 aux contribuables du montant exact des pénalités et impositions retenues par l’administration fiscale, l’action introduite le 18 décembre 2015 l’ayant été dans le délai de prescription.
Il a considéré que le notaire avait commis une faute consistant en une erreur rédactionnelle, non contestée, relative à la date de transfert de propriété du fonds de commerce et avait manqué à son obligation de conseil en n’attirant pas l’attention des époux [P] sur le principe fiscal d’annualité de l’impôt et les limites imposées par les règles fiscales par rapport à leur objectif d’imputer les résultats pour la période du 15/11/2008 au 31/12/2008 à la Sarl [Adresse 9].
Il a retenu que les impositions étaient dues pour 2008 nonobstant les fautes commises par le notaire, que le préjudice résultant de l’erreur rédactionnelle pour le seul mois de janvier 2009 ne consistait qu’en une longue procédure administrative qu’ils avaient dû mener mais ne demandaient aucune indemnisation à ce titre et qu’ils avaient bénéficié d’une décharge des pénalités de 40% prononcée pour manquement délibéré, il a en conséquence fixé le préjudice résultant d’une perte de chance qui avait commencé à courir à compter du moment où les époux [P] avaient soumis leur projet au notaire à 30%, sur une base d’imposition pour l’exercice 2009, hors dégrèvement des pénalités de 180 920 euros, soit 60 306 euros.
Les consorts [P] ont interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 6 septembre 2017.
Prétentions et moyens des parties
Dans leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 mai 2018, Mme [J] [V] veuve [P], M. [X] [P] et Mme [T] [P], appelants, demandent à la cour, au visa des articles 1382 et 2224 du code civil, de :
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a limité le quantum de leur préjudice à 60 306 euros dans le cadre d’une perte de chance,
Statuant à nouveau,
– fixer leur préjudice financier à la somme de 271 597 euros correspondant au montant du redressement notifié par la Direction Générale des Finances Publiques,
– dire que ce préjudice est indemnisable dans sa totalité,
– condamner Me [C] à leur payer la somme de 271 597 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice,
– condamner Me [C] à leur payer la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Me [C] aux entiers dépens de l’instance.
Ils font valoir que l’action n’est pas prescrite dans la mesure où le point de départ du délai de prescription est fixé à la date de la réalisation du dommage et non à celle de la commission de la faute, soit en l’espèce à la date du 20 décembre 2010 correspondant à la réception de la notification du redressement et non à la date d’envoi de cette notification, comme soutenu par le notaire, cette notification ayant été envoyée à une mauvaise adresse avant de leur être réexpédiée le 17 décembre.
Ils soutiennent que Me [C] a commis une erreur rédactionnelle constitutive d’une faute qu’il ne conteste pas même s’il soutient, à tort, qu’elle n’a eu aucune incidence en raison de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel.
Ils affirment que Me [C] a également manqué à son obligation de conseil en n’attirant pas leur attention sur les conséquences fiscales de la signature de l’acte de cession du fonds de commerce postérieurement au 31 décembre 2008 alors qu’il est tenu d’un devoir de conseil à leur égard et d’une obligation d’assurer l’efficacité de l’acte passé. Ils ajoutent qu’il ne peut se décharger de toute responsabilité en soutenant qu’en toute hypothèse, la vente n’aurait pu intervenir avant le 31 décembre 2008 par manque de temps alors qu’ils lui ont envoyé l’ensemble des documents nécessaires dès octobre 2008, qu’il leur a toujours affirmé qu’ils bénéficieraient de l’exonération fiscale par l’insertion d’une clause prévoyant un effet rétroactif à la cession, laquelle s’est révélée inefficace, et que ce n’est que par négligence et méconnaissance qu’il a reporté la date de signature à 2009.
Ils considèrent que leur préjudice s’élève à la somme de 271 597 euros qu’ils ont dû acquitter au titre d’une imposition sur les plus-values de cession, qu’il s’agit non pas d’une perte de chance mais d’un préjudice dont ils doivent être intégralement indemnisés dès lors que si Me [C] avait rédigé et fait régulariser l’acte à la bonne date, soit au cours de l’année 2008, ils auraient été intégralement exonérés du paiement de cette imposition, en application de l’article 151 septies du code général des impôts, en raison du montant de leur chiffre d’affaires inférieur à 250 000 euros et que l’acte prévoyait bien une telle exonération.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 février 2018, Me [C], intimé, demande à la cour, au visa des articles 1240 et 2224 du code civil, de :
Faisant droit à son appel incident,
– réformer dans son intégralité le jugement déféré,
– dire et juger prescrite l’action en responsabilité civile professionnelle dirigée contre lui et déclarer en conséquence irrecevables l’ensemble des demandes présentées par les consorts [V]-[P],
– les en débouter,
A titre subsidiaire, pour le cas où la fin de non-recevoir serait écartée,
– dire et juger que les manquements qui lui sont reprochés ne sont pas caractérisés et qu’ils n’ont pu, en tout état de cause, entraîner aucune conséquence dommageable de nature à ouvrir droit à réparation en raison du défaut de lien de causalité entre lesdits manquements et les préjudices invoqués par les consorts [V]-[P],
– en toute hypothèse, dire et juger que si une perte de chance devait être indemnisée au profit des consorts [V]-[P] elle ne saurait excéder 15% de la somme de 178 560 euros, soit 26 784 euros,
– débouter les consorts [V]-[P] de toutes leurs demandes,
– condamner les consorts [V]-[P] au paiement d’une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens d’appel et de première instance.
Il fait valoir que l’action est prescrite puisqu’en vertu des dispositions de l’article 2224 du code civil, les actions en responsabilité civile professionnelle dirigées contre les notaires se prescrivent dans un délai de 5 ans à compter du jour où les prétendues victimes ont eu connaissance ou auraient dû avoir connaissance des faits leur permettant de les exercer et que le point de départ de la prescription se situe au 13 octobre 2010, date d’une réunion de synthèse au cours de laquelle les consorts [V]-[P] ont eu connaissance des rehaussements et des pénalités qui allaient leur être appliqués.
Il soutient que même à considérer comme point de départ de la prescription le jour de la réception de la notification du redressement, il appartient aux consorts [V]-[P] de justifier qu’elle a eu lieu au plus tard le 18 décembre 2010, l’action ayant été introduite le 18 décembre 2015. Si ces derniers se prévalent d’un envoi à une mauvaise adresse pour écarter la notification qui leur a été adressée le 29 novembre 2010 et que rien ne permet d’établir que l’enveloppe affranchie le 14 décembre 2010 versée aux débats contenait bien ladite notification, celle-ci leur a été remise, en tout état de cause, le 16 décembre 2010 de sorte que leur action est prescrite.
Subsidiairement, il reconnaît avoir commis une erreur de plume affectant l’acte authentique de cession du fonds de commerce du 30 janvier 2009 mais souligne que celle-ci n’a eu aucune conséquence dommageable en l’état de l’arrêt prononcé par la cour administrative d’appel le 23 février 2016 et du redressement notifié pour d’autres causes. Il soutient les avoir informés de la nécessité de procéder à la cession avant la fin de l’année 2008 pour pouvoir bénéficier de l’exonération prévue par l’article 151 septies du code général des impôts et que cela se déduit de la clause de rétroactivité insérée à l’acte. Il précise que si les époux [P] l’ont consulté en octobre 2008 pour lui exposer leur projet, ils n’ont décidé d’engager le processus de vente qu’à compter du 28 novembre 2008 et que ce n’est qu’en raison de l’impossibilité, pour ces derniers, d’obtenir les documents nécessaires dans un très bref délai que l’insertion de la clause de rétroactivité litigieuse a été décidée. Il considère que saisi trop tardivement par les époux [P], la faute qui lui est reprochée est sans lien avec le préjudice qu’ils allèguent, qu’aucune perte de chance n’est davantage caractérisée en l’absence d’éléments démontrant que l’acte aurait pu être authentifié avant le 1er janvier 2009 et qu’à tout le moins, si un tel préjudice devait être retenu, il ne saurait excéder 15% de 178 560 euros, soit 26 784 euros.
MOTIFS :
Sur la prescription :
Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Aucune prescription de l’action ne peut être retenue dès lors que les consorts [P] n’ont pu avoir connaissance des impositions mises à leur charge à raison des manquements supposés du notaire qu’à l’issue de la procédure contradictoire qu’ils ont engagée à l’encontre de l’Administration fiscale à la suite de la proposition de rectification établie le 29 novembre 2010.
Cette ‘proposition’, telle qu’explicitement qualifiée, ne contient qu’un projet de modification de la base de calcul et/ou du montant de certaines impositions ainsi que les motifs la sous-tendant et ouvre au contribuable un délai de 30 jours pour accepter ou discuter les rectifications envisagées ainsi que la faculté de saisir la commission départementale puis le juge d’une contestation du redressement.
La notification du redressement ne fait aucunement la preuve que le contribuable doit nécessairement payer les sommes redressées puisque l’administration fiscale peut maintenir ou abandonner l’imposition ; ce n’est qu’au terme de la procédure contradictoire prévue par le livre des procédures fiscales que le principe de l’impôt sera établi de façon certaine et donnera lieu à l’émission d’un avis de recouvrement de l’impôt.
C’est donc à cette dernière date que le contribuable prend conscience de sa situation dommageable et que débute le délai de prescription de son action en responsabilité.
Son point de départ pour les époux [P] est celui de l’issue de la procédure judiciaire qu’ils ont introduite devant la juridiction administrative soit le 23 février 2016, date du prononcé de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille et à laquelle ils ont eu connaissance des impositions réellement mises à leur charge, constitutives d’un préjudice né, certain et actuel.
Leur action introduite antérieurement, dès le 18 décembre 2015, n’est donc pas prescrite.
Le jugement ayant rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription et déclaré recevable l’action des consorts [P] doit donc être confirmé par substitution de motifs.
Sur la responsabilité du notaire :
Le notaire, tenu d’un devoir de conseil absolu, doit veiller à l’efficacité des actes qu’il dresse ; il doit informer et éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets de l’acte auquel il prête son concours, notamment quant à ses incidences fiscales qu’il lui appartient de prévoir.
À défaut, il engage sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382 devenu 1240 du code civil à la mesure du préjudice en relation de causalité avec la faute commise.
Les compétences personnelles des parties ne le dispensent pas de son devoir de conseil ; la preuve du conseil ou de l’information donnée lui incombe et peut être rapportée par tous moyens.
L’existence d’une faute constituée par une erreur rédactionnelle n’est pas discutée par les parties. La clause insérée dans l’acte de vente du fonds de commerce en date du 30 janvier 2009 selon laquelle ‘le cessionnaire est propriétaire du fonds cédé à compter de ce jour et il en a la jouissance à compter rétroactivement du 15 novembre 2008, par la prise de possession réelle lesdits biens étant à cette date libres de toute location ou occupation’ a été rectifiée par acte du 29 avril 2011 par une clause ainsi libellée ‘les comparants précisent que c’est à tort et par erreur et par suite d’une ERREUR MATÉRIELLE s’il a été indiqué à l’acte ci-dessus que le transfert de propriété du fonds de commerce vendu intervenait ‘à compter de ce jour’, soit le 30 janvier 2009 (jour de l’acte) alors, qu’en réalité, ce transfert de propriété est intervenu tout comme le transfert de jouissance, le 15 novembre 2008,
Et que la VOLONTÉ DES PARTIES à l’acte était bien que le transfert de propriété du fonds de commerce vendu ait lieu rétroactivement au 15 novembre 2008, tout comme l’entrée en jouissance.’
Me [C] a également failli à son obligation de conseil et commis une faute en ne s’assurant pas de l’efficacité juridique de cette clause insérée à l’acte de vente du fonds de commerce qui prévoit une rétroactivité de l’entrée en jouissance et du transfert de propriété dans les actes de vente du fonds de commerce et de l’immeuble.
Le courrier adressé le 14 décembre 2008 par M. [P] au centre des impôts de [Localité 6] pour l’informer de la cession de son usine démontre qu’il avait connaissance de la nécessité de réaliser la vente du fonds de commerce avant le terme de l’année 2008 afin de pouvoir bénéficier d’une exonération fiscale sur les plus-values liées à cette cession.
Le manquement du notaire réside, non pas dans une absence d’information délivrée sur ce point aux époux [P], mais dans la délivrance d’un conseil inadapté consistant en la possibilité de faire rétroagir les effets de la vente et le transfert de propriété par la seule insertion d’une clause de rétroactivité dans les actes de vente au mépris des principes d’annualité de l’impôt et de l’interdiction de faire remonter les effets d’un contrat affectant les résultats d’un exercice comptable sur un exercice déjà clos.
L’insertion de cette seule clause, sans autre élément permettant de démontrer que la vente était parfaite, au sens de l’article 1583 du code civil, en raison d’un accord des parties sur le fonds de commerce objet de la vente et sur son prix dès la fin de l’année 2008 et que le transfert de propriété avait réellement eu lieu avant le 30 janvier 2009 n’était pas de nature à satisfaire l’objectif recherché par les époux [P] de pouvoir imputer les plus-values relatives à cette vente sur l’exercice comptable et fiscal de l’année 2008 afin de bénéficier d’une exonération intégrale des droits fiscaux y afférents.
Ce but est établi par les démarches qu’ils ont initiées dès octobre 2008 pour vendre le fonds de commerce, date rappelée par Me [C] dans ses correspondances des 22 août 2011 et 26 août 2014, mais également pour doter la Sarl [Adresse 9], créée le 15 novembre 2008, d’une personnalité juridique avant la fin de l’année 2008 et dont ils justifient par l’avis de constitution publié le 18 décembre 2008 et le dépôt des statuts au greffe du tribunal de commerce de Toulon le 19 décembre 2008.
S’il existait une volonté commune des parties de fixer le transfert de propriété au 15 novembre 2008, comme affirmé dans l’acte rectificatif du 29 avril 2011, celle-ci n’a pas été retenue par l’administration fiscale ni par le juge administratif qui ont considéré qu’aucun accord sur la chose et le prix de la vente n’avait été matérialisé avant le terme de l’année 2008. L’arrêt de la cour administrative d’appel indique ainsi que ‘l’article 27 des statuts de la Sarl [Adresse 9], enregistrés au service des impôts des entreprises de [Localité 11]-Est le 12 décembre 2008, mentionne un prix de cession du fonds de commerce s’établissant à 1 000 000 euros’ et que ‘ce prix étant différent de celui mentionné dans l’acte notarié du 30 janvier 2009, soit 740 000 euros, M. et Mme [P] ne sauraient soutenir qu’un accord sur la chose et le prix serait intervenu avant le 30 janvier 2009″. Le notaire, en charge de ce projet de vente, avait pourtant eu connaissance des statuts de la société prévoyant un prix d’achat différent de celui qui a été finalement décidé selon le courrier qui lui a été adressé le 9 décembre 2008 par les époux [P] mentionnant, en toute fin, ‘ci joint également notre projet de statuts, nous avons rendez-vous jeudi prochain à la chambre de commerce de [Localité 11] pour l’immatriculation’ et avait reçu Mme [P] en rendez-vous le 28 novembre 2008, date qu’il retient dans ses conclusions comme celle où la décision de vendre a été prise, et avait nécessairement abordé le prix de vente du fonds de commerce avec elle autant que le projet d’achat de la Sarl [Adresse 9] en cours de constitution.
Dès lors la seule insertion d’une clause prévoyant un transfert de propriété à une date antérieure à l’acte de vente n’était pas de nature à permettre d’établir la réalité objective de ce transfert et aux époux [P] d’obtenir une exonération totale des droits fiscaux relatifs aux plus-values de cette cession.
Les fautes de Me [C] sont caractérisées et sont directement à l’origine d’un préjudice subi par les consorts [P] consistant en un redressement fiscal pour taxation des plus-values générées par la cession du fonds de commerce qui ne pouvaient être rattachées qu’à l’exercice en cours lors de la réalisation de la vente, soit l’année 2009.
Ce notaire a, par là même, engagé sa responsabilité, étant tenu de toute faute préjudiciable commise par lui dans l’exercice de ses fonctions.
Sur la réparation du préjudice :
Les consorts [P] sont bien fondés à réclamer une indemnisation intégrale des sommes qu’ils ont dû acquitter au titre de l’imposition des plus values de la cession.
Ne constitue pas une perte de chance mais un préjudice entièrement consommé le préjudice subi par eux du fait du redressement fiscal supporté dès lors qu’ils ont été privés, par les fautes du notaire, de l’exonération fiscale prévue à l’article 151 septies II du code général des impôts à laquelle ils auraient eu droit si la vente était intervenue avant le 31 décembre 2008 pour en remplir toutes les conditions notamment de seuil de chiffre d’affaires, ce qui n’est pas discuté par les parties.
Contrairement à ce que soutient Me [C], rien n’établit qu’il était dans l’impossibilité d’instrumenter avant le 31 décembre 2008 en raison d’une saisine trop tardive des époux [P].
L’examen des pièces versées aux débats démontre que dès octobre 2008, il a été avisé du projet de vente du fonds de commerce par les époux [P], qu’il les a reçus en rendez-vous le 28 novembre 2008, que par courrier daté du 9 décembre 2008 ceux-ci lui ont fait parvenir les éléments chiffrés nécessaires à l’obtention de l’exonération fiscale susvisée pour préparer l’acte, les statuts de la Sarl en cours de constitution et l’information sur la date de rendez-vous pour l’immatriculation de la société dont ils ont déposé les statuts le 19 décembre 2008 aux fins d’immatriculation.
Le notaire a lui même communiqué, par courrier du 26 août 2014, les demandes de renseignements envoyées le 1er décembre 2008 à la commune de [Localité 7] ainsi qu’un récapitulatif des différentes diligences réalisées. Bien que cette lettre fasse état d’une demande expédiée le 1er décembre 2008 pour connaître l’existence, ou non, d’un droit de préemption urbain sur la vente du fonds de commerce et d’une réponse de la commune arrivée le 6 janvier 2009 dont l’original aurait été annexé à l’acte de vente du fonds de commerce, mais dont aucune copie n’a été versée aux débats par les parties, le notaire n’a fait parvenir aucune relance à la mairie afin d’obtenir une réponse rapide sur ce point alors qu’il avait reçu, dès le 4 décembre 2008, une réponse de cette dernière relative à la situation de l’immeuble à vendre et à un éventuel droit de préemption le concernant et ce, malgré l’urgence à instrumenter l’acte de vente du fonds de commerce avant la fin de l’année 2008. Me [C] se contente d’ailleurs de se retrancher derrière une impossibilité pour les consorts [P] ‘d’obtenir l’ensemble des pièces indispensables dans un délai aussi bref’ sans pour autant détailler les pièces manquantes pour établir l’acte de vente de fonds de commerce, dont rien n’imposait qu’il soit dressé le même jour que l’acte de vente de l’immeuble, et alors qu’il lui appartenait de recueillir certaines de ces pièces indispensables.
Au vu des pièces justificatives produites (proposition de rectification de novembre 2010, avis d’imposition d’août et septembre 2011, mise en demeure du 3 juin 2014), les consorts [P] ont été dispensés de l’intégralité des suppléments d’imposition pour l’année 2008 ainsi que des majorations de 40 % pour manquement délibéré pour l’année 2009.
Selon la proposition de rectification du 29 novembre 2010 les sommes dues s’établissaient à 256 906 euros à savoir 167 852 euros au titre de l’impôt, 3 672 euros au titre du prélèvement social, 8 856 euros au titre de la CSG, 540 euros au titre de la CRDS, 3 618 euros au titre des intérêts de retard et 72 368 euros au titre des majorations pour manquement délibéré (calculées sur l’impôt sur le revenu soit 67 141 euros, sur le prélèvement social soit 1 469 euros, sur la CSG soit 3 542 euros, sur la CRDS soit 216 euros).
En l’absence de production de tout autre document actualisé, ce document détaillé doit servir de base au chiffrage du préjudice.
La mise en demeure de payer du 3 juin 2014 ne peut servir de référence dès lors que le chiffre de l’impôt sur le revenu 2009 soit 238 350 euros au 31/07/2011 inclut déjà les pénalités de 40 % puisque ce chiffre, rajouté à la somme de 18 556 euros figurant au titre des prélèvements sociaux, donne bien un total de 256 906 euros.
La teneur de l’arrêt de la cour administrative d’appel de 2016 qui a écarté l’application des majorations de l’article 1729 du code général des impôts ramène l’imposition de 2009 à 184 538 euros (256 906 euros – 72 368 euros).
Me [C] sera condamné au paiement de cette somme à titre de dommages et intérêts.
Le jugement sera réformé sur la nature et le montant de l’indemnisation allouée.
Sur les demandes annexes :
Me [C], partie perdante, supportera la charge des dépens d’appel.
Les consorts [P] sont en droit de réclamer l’indemnisation des frais non compris dans les dépens qu’ils ont dû exposer à l’occasion de cette procédure. Me [C] sera donc tenu de leur payer la somme globale de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 alinéa 1er 1° du code de procédure civile en complément de la somme déjà allouée à ce titre par le premier juge sans qu’il ne puisse lui-même se prévaloir de ces dispositions à son profit.
Le jugement doit ainsi être confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement
hormis sur le montant alloué aux consorts [P] en réparation de leur préjudice,
Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,
Condamne Maître [R] [C] à verser à Mme [J] [V] veuve [P], M. [X] [P] et Mme [T] [P], pris ensemble, la somme de :
– 184 538 euros en réparation de leur préjudice,
– 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Le déboute de sa propre demande fondée sur ces dispositions,
Le condamne aux dépens d’appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
C. PREVOT C. BELIERES
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