De la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail
Il convient à titre préliminaire de rappeler que lorsqu’une demande en résiliation judiciaire est formulée par un salarié ayant été l’objet par la suite d’un licenciement, il appartient au juge prud’homal de se prononcer sur la résiliation judiciaire, et de n’examiner la question du licenciement que dans l’hypothèse où la précédente demande ne serait pas accueillie, étant précisé que s’il est fait droit à la résiliation judiciaire celle-ci doit produire effet à la date du licenciement.
De la demande en remise des documents de rupture sous astreinte
S’il convient d’ordonner à l’employeur de remettre à la salariée une attestation pôle emploi, un certificat de travail et un solde de tout compte rectifiés compte tenu des dispositions du présent arrêt, pour autant il n’est pas nécessaire de recourir au mécanisme de l’astreinte pour garantir une telle remise.
De l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
L’équité commande de condamner l’employeur à payer à la salariée la somme de 1500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et d’infirmer le jugement entrepris sur ce point.
Des dépens
L’employeur qui succombe au principal doit être condamné aux dépens.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
26 mai 2023
Cour d’appel de Douai
RG n° 21/02061
ARRÊT DU
26 Mai 2023
N° 742/23
N° RG 21/02061 – N° Portalis DBVT-V-B7F-UAFI
AM/CL
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DUNKERQUE
en date du
23 Novembre 2021
(RG F 20/00251 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 26 Mai 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
Mme [J] [W]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me David BROUWER, avocat au barreau de DUNKERQUE substitué par Me Nicolas HAUDIQUET, avocat au barreau de DUNKERQUE
INTIMÉE :
M. [S] [R]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Hélène BEHELLE, avocat au barreau de DUNKERQUE
DÉBATS : à l’audience publique du 14 Mars 2023
Tenue par Alain MOUYSSET
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Cindy LEPERRE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie LE BRAS
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Mai 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 21 février 2023
FAITS ET PROCEDURE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel Mme [J] [W] a été embauchée le 16 octobre 2003 par M. [X] exploitant un fonds de tabac presse en qualité de femme de service.
Aux termes de deux cession de fonds de commerce, dont la dernière au profit de l’EIRL [S] [R], le contrat de travail de la salariée a été transféré au profit de cette dernière société le 18 avril 2019, un avenant ayant été établi à ce titre, étant précisé que depuis le 1er juillet 2013 la durée de travail a été fixée sur la base d’un temps complet.
À compter du 19 mars 2020 la salariée a été placée en arrêt de travail lequel sera prolongé jusqu’au 11 mai 2020, étant précisé qu’à compter du 1er mai 2020 la salariée s’est vu prescrire pour son fils atteint de pathologies cardiaques un certificat d’isolement.
Le 15 mai 2020 la salariée accompagnée notamment de son fils a rencontré dans la rue son employeur.
À la suite de cette rencontre la salariée a déposé plainte à l’encontre de ce dernier au motif de menaces et d’une agression verbale commise par ce dernier à son encontre, laquelle a été l’objet d’un classement sans suite en raison d’une infraction insuffisamment caractérisée.
Le 21 septembre 2020 la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Dunkerque d’une demande principale en résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Par jugement en date du 23 novembre 2021 cette juridiction a rejeté la demande de résiliation judiciaire ainsi que l’ensemble des demandes de la salariée en la condamnant au paiement de la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Le 18 mars 2022 la salariée, qui n’a jamais repris le travail, a été licenciée pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement.
Entre-temps le 15 décembre 2021 la salariée a interjeté appel du jugement du conseil de prud’hommes de Dunkerque.
Vu les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées le 27 janvier 2022 par la salariée.
Vu les conclusions déposées le 25 mars 2022 par l’employeur.
Vu la clôture de la procédure au 21 février 2023.
SUR CE
Il convient à titre préliminaire de rappeler que lorsqu’une demande en résiliation judiciaire est formulée par un salarié ayant été l’objet par la suite d’un licenciement, il appartient au juge prud’homal de se prononcer sur la résiliation judiciaire, et de n’examiner la question du licenciement que dans l’hypothèse où la précédente demande ne serait pas accueillie, étant précisé que s’il est fait droit à la résiliation judiciaire celle-ci doit produire effet à la date du licenciement.
De la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail
La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisferait point à son engagement.
Il appartient au salarié qui sollicite une telle résiliation de rapporter la preuve de manquements graves de l’employeur à ses obligations rendant impossible le maintien des relations contractuelles.
Il convient tout d’abord de rappeler que les attestations émanant de salariés comme celles de proches d’une partie ne sont pas du fait d’un tel lien privées de toute force probante, de sorte que les parties ne peuvent pas s’en prévaloir pour leur dénier une telle force.
Il a lieu seulement de faire montre de circonspection dans l’examen de ces attestations et de leur octroyer une force suffisamment probante si elles sont corroborées par des éléments objectifs.
Or en l’espèce, la salariée peut se prévaloir d’un témoignage émanant d’un tiers, M. [Z], qui n’a pas pu entendre les propos tenus par M. [R], l’employeur, mais a constaté l’énervement de ce dernier se traduisant par des cris et des gestes incompatibles avec la version de l’employeur, mais aussi de celle donnée par l’apprenti de l’entreprise qui accompagnait son propriétaire, lors de son audition par les services de police.
Il importe de souligner à ce titre que ladite audition a été précédée et suivie d’un témoignage établi en faveur de l’employeur et conforme à sa version des faits, alors même que par devant la police l’apprenti âgé de 19 ans a répondu sans ambiguïté aux questions des policiers en indiquant que l’employeur ne criait pas mais qu’il était en colère, en disant de la salariée » qu’elle se foutait de lui, qu’il l’a croyé mourante, à l’agonie, pendant quelle avait son cul dans le canapé, ses collègues faisait son boulot qu’ils étaient fatigués à faire quarante heures par semaine « .
Ce témoin a également déclaré aux policiers que son » patron » avait dit à la salariée qu’elle pouvait faire une dépression et aller à pôle emploi, mentionnant en revanche ne pas avoir entendu que ce dernier avait l’intention de lui envoyer un huissier et qu’il aurait dû la dénoncer.
Il a enfin précisé qu’il pensait que la salariée en avait marre de son travail.
Il ressort de ces éléments que cet apprenti a nécessairement menti soit lors de l’audition pardes policiers, soit en témoignant en faveur de l’employeur.
Ce témoin, qui explique son changement de version par des menaces de la part de la salariée avant son audition par les services de police, a néanmoins été invité à relire ses déclarations, n’a pas confirmé l’intégralité de la version de la salariée, et a été entendu par des policiers informés de la teneur de sa première attestation, qui est jointe à la procédure.
Il ressort de ces derniers éléments que les policiers ont nécessairement pris soin de vérifier la sincérité des propos d’un témoin, lequel a été en capacité d’affirmer ne pas avoir entendu certains propos et de qualifier ceux de l’employeur plus comme l’expression d’une colère que comme de véritables cris.
Par ailleurs des déclarations par devant des policiers présentent des garanties supplémentaires quant à leur véracité par rapport à une attestation pouvant être dictée par le souhait de ne pas déplaire à un employeur.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que la version de la salariée est corroborée par des éléments présentant un degré d’objectivité alors que les témoignages, dont l’employeur se prévaut, n’en sont pas suffisamment pourvus, étant précisé que le classement sans suite ne constitue pas une décision de justice et ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une faute civile
Si le mécontentement de l’employeur, du fait de la présence de la salariée avec son fils dans la rue alors même que ces derniers devaient se protéger pour limiter les risques encourus particulièrement par ce dernier, apparait légitime au regard non seulement de cette présence le 15 mai 2020 mais aussi d’éléments permettant de retenir un comportement n’étant pas isolé, pour autant ledit mécontentement ne pouvait pas s’exprimer par le biais de la violence verbale et les menaces proférées par l’employeur.
Un tel comportement ne peut être admis dans le cadre d’une relation professionnelle, et constitue un manquement grave aux obligations de l’employeur justifiant une résiliation judiciaire du contrat compte tenu de l’impossibilité de maintenir celui-ci même pendant la durée limitée du préavis, au regard non seulement du risque d’une réitération de ce comportement, mais aussi d’une volonté commune de ne pas poursuivre la relation de travail.
Si la salariée a droit à une indemnité de préavis d’un montant de 3156 euros outre les congés payés afférents à hauteur de 315 euros, en revanche elle doit être déboutée de sa demande en indemnité de licenciement dans la mesure où dans le cadre de la rupture du contrat de travail elle a déjà bénéficié d’une telle indemnité d’un montant d’ailleurs légèrement supérieur à celui qu’elle revendique.
Au regard de l’ancienneté de la salariée dans l’entreprise, de sa capacité à bénéficier très rapidement d’une pension de retraite, des circonstances de la rupture, il y a lieu de limiter à la somme de 9000 euros le montant des dommages et intérêts devant être alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il importe de rappeler à ce titre que la résiliation judiciaire produit des effets d’un tel licenciement à la date à laquelle celui pour inaptitude a été prononcé.
De la demande en remise des documents de rupture sous astreinte
S’il convient d’ordonner à l’employeur de remettre à la salariée une attestation pôle emploi, un certificat de travail et un solde de tout compte rectifiés compte tenu des dispositions du présent arrêt, pour autant il n’est pas nécessaire de recourir au mécanisme de l’astreinte pour garantir une telle remise.
De l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
L’équité commande de condamner l’employeur à payer à la salariée la somme de 1500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et d’infirmer le jugement entrepris sur ce point .
Des dépens
L’employeur qui succombe au principal doit être condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté Mme [J] [W] de sa demande en indemnité de licenciement,
Statuant à nouveau, et ajoutant au jugement entrepris,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail unissant M. [S] [R] et Mme [J] [W],
Dit que la résiliation judiciaire doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du 18 mars 2022,
Condamne M. [S] [R] à payer à Mme [J] [W] les sommes suivantes:
-3156 euros à titre d’indemnité de préavis outre la somme de 315 euros pour les congés payés afférents
-9000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
-1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile
Ordonne à M. [S] [R] de transmettre à Mme [J] [W] au solde de tout compte, un certificat de travail et une attestation pôle emploi rectifiés conformément aux dispositions du présent arrêt,
Condamne M. [S] [R] aux dépens.
LE GREFFIER
Cindy LEPERRE
LE PRESIDENT
Marie LE BRAS