Contexte de l’affaire
Par acte sous seing privé du 17 mars 2015, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie a consenti à la société ASL-Automobiles Services un prêt de 150 000 euros pour l’acquisition d’un fonds de commerce de garage automobile. Ce prêt était garanti par les cautions solidaires de MM. [F] et [R] [E].
Procédure judiciaire
Suite à une procédure de redressement judiciaire, la société ASL a été liquidée. La banque a actualisé sa créance et a demandé le remboursement des cautions. MM. [F] et [R] [E] ont contesté leurs engagements de caution, alléguant une contrainte dans leur consentement.
Nullité des engagements de caution
Les cautions ont invoqué la nullité de leurs engagements pour contrainte, mais la banque a démontré que les engagements ont été signés librement. Aucune preuve de contrainte n’a été apportée par les cautions.
Disproportion des cautionnements
La banque a démontré que les cautionnements étaient proportionnés aux biens et revenus des cautions. M. [R] [E] a été débouté de sa demande de décharge de son engagement de caution. En revanche, le cautionnement de M. [F] [E] a été jugé disproportionné.
Responsabilité de la banque
M. [R] [E] a tenté d’engager la responsabilité de la banque pour manquement à ses obligations précontractuelles, mais n’a pas réussi à prouver ses allégations. La banque n’avait pas de devoir de mise en garde envers une caution avertie.
Obligation d’information annuelle
M. [R] [E] a prétendu que la banque n’avait pas respecté son obligation d’information annuelle envers les cautions. La banque a produit des preuves d’envoi des informations annuelles, mais la déchéance des intérêts n’a pas été prononcée.
Dépens et frais irrépétibles
M. [R] [E] supportera les dépens, mais la banque ne pourra pas obtenir de somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Une somme de 3 500 euros sera allouée à la banque pour les frais irrépétibles.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
17 janvier 2024
Cour d’appel de Paris
RG n° 22/12037
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 6
ARRET DU 17 JANVIER 2024
(n° , 12 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/12037 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBKV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Mai 2022 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MEAUX – RG n° 19/04355
APPELANTE
Caisse CREDIT AGRICOLE BRIE PICARDIE [Localité 7]
[Adresse 5]
[Localité 7]
N° SIRET : 487 625 436
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés es-qualité audit siège
Représentée par Me François MEURIN de la SELEURL TOURAUT AVOCATS, avocat au barreau de MEAUX, avocat plaidant
INTIMÉS
Monsieur [F] [E]
né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Monsieur [R] [E]
né le [Date naissance 3] 1971 à [Localité 11]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentés par Me Jean-Charles NEGREVERGNE de la SELAS NEGREVERGNE-FONTAINE-DESENLIS, avocat au barreau de MEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M. Marc BAILLY, Président de chambre
MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère
MME Laurence CHAINTRON, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marc BAILLY, Président de chambre et par Mélanie THOMAS, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 27 juin 2022, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie a interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Meaux rendu le 3 mai 2022 dans l’instance l’opposant à MM. [F] [E] et [R] [E], et dont le dispositif est ainsi rédigé :
‘Déboute la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie de toutes ses demandes ;
Condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie aux dépens ainsi qu’à payer à [F] et [R] [E] une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Déboute les parties de toutes autres demandes.’
***
À l’issue de la procédure d’appel clôturée le 17 octobre 2023 les prétentions des parties s’exposent de la manière suivante.
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 5 janvier 2023, l’appelant
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
‘Vu les articles 1103, 1104 et 2288 du Code Civil,
Réformer le jugement déféré en ce qu’il a débouté le CREDIT AGRICOLE de ses demandes et l’a condamné à payer 3 000 € à [F] et [R] [E] sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Statuant à nouveau,
Condamner solidairement Messieurs [F] et [R] [E] à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE pour les causes sus-énoncées, la somme de 119 764,64 € outre intérêts au taux contractuel de 1,9 % sur le capital compris dans cette somme, soit 115 906,48 € à compter du 29 juillet 2019, date de l’arrêté du compte ;
Subsidiairement, pour le cas où serait appliquée la sanction prévue par l’article L. 313-22 du Code Monétaire et Financier, condamner solidairement Messieurs [F] et [R] [E] à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE la somme de 117 404,91 € outre intérêts légaux à compter des mises en demeure du 29 juillet 2019.
Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté [R] et [F] [E] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, et rejeter leur appel incident sur ce point.
Ordonner la capitalisation des intérêts dans les termes de l’article 1343-2 du Code Civil ;
Condamner solidairement Messieurs [F] et [R] [E], à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL BRIE PICARDIE la somme de 3 500 € par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner solidairement Messieurs [F] et [R] [E], en tous les dépens de
première instance et d’appel.’
Au dispositif de leurs dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 24 octobre 2023 et contenant appel incident, les intimés
présentent, en ces termes, leurs demandes :
‘Il est demandé à la Cour
D’infirmer le jugement en ce qu’il a jugé qu’il n’existait pas de contrainte,
Statuant à nouveau
JUGER nul l’engagement de caution de Monsieur [R] [E] et de Monsieur [F] [E] ;
En conséquence,
DEBOUTER purement et simplement le CREDIT AGRICOLE de l’intégralité de leurs
demandes ;
A titre subsidiaire,
Infirmer le jugement en ce qu’il a débouté [R] et [F] [E] de leur demande de
manquement à l’obligation d’information qui incombe à la banque
JUGER que le CREDIT AGRICOLE a manqué à son obligation d’informations à l’égard
de Monsieur [R] [E] et de Monsieur [F] [E] ;
En conséquence,
Décharger Monsieur [R] [E] et de Monsieur [F] [E] de leur engagement de caution
Juger que la banque a manqué à ses obligations d’information à l’égard du débiteur principal la société ASL AUTOMOBILE de nature à causer un préjudice aux cautions
En conséquence,
CONDAMNER le CREDIT AGRICOLE à payer à Monsieur [R] [E] et Monsieur
[F] [E] la somme de 120 000 € à titre de dommages et intérêts ;
ORDONNER la compensation de la dette ;
A titre infiniment subsidiaire,
Confirmer que l’engagement de caution de Monsieur [R] [E] et Monsieur [F] [E] est disproportionné à l’égard de leur patrimoine et de leurs revenus ;
En conséquence,
DECLARER inopposable les engagements de caution établis par Monsieur [R] [E] et Monsieur [F] [E] ;
DEBOUTER le CREDIT AGRICOLE de l’intégralité de ses prétentions ;
A titre infiniment subsidiaire,
JUGER que le CREDIT AGRICOLE n’a pas satisfait aux obligations prévues par le Code monétaire et financier particulièrement dans son obligation d’informations ;
En conséquence,
PRONONCER à l’encontre du CREDIT AGRICOLE la déchéance du droit aux intérêts
contractuels, des frais ;
CONDAMNER le CREDIT AGRICOLE à établir un nouveau décompte ;
En tout état de cause,
CONDAMNER le CREDIT AGRICOLE à payer à Monsieur [R] [E] et Monsieur
[F] [E] ensemble à la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code
de procédure civile en cause d’appel ainsi qu’aux entiers dépens.’
Par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
Par acte sous seing privé du 17 mars 2015, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie a consenti à la société à responsabilité limitée ASL-Automobiles Services [Localité 8] ayant pour gérant M. [F] [E], un prêt d’une durée de 84 mois, d’un montant de 150 000 euros, au taux d’intérêt fixe de 1,90 %, destiné à financer l’acquisition d’un fonds de commerce de garage automobile à [Localité 8]. Ce prêt était garanti par les cautions solidaires de MM. [F] et [R] [E] [outre une assurance décès invalidité sur leurs têtes à hauteur de 100 % du montant du prêt et le nantissement du fonds de commerce], cautionnements inclus dans l’acte de prêt.
Selon jugement rendu le 26 septembre 2016, le tribunal de commerce de Meaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire en faveur de la société ASL. Par courrier recommandé avec demande d’accusé de réception, en date du 30 septembte 2016, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire, la Selarl Garnier Guillouet. La créance sera admise à titre privilégié à hauteur de la somme de 123 230,14 euros, conformément à la déclaration de créance, selon ordonnance du juge commissaire rendue le 10 janvier 2018. Par jugement du 11 mars 2019, le plan de redressement par continuation a été résolu, et la liquidation judiciaire de la société ASL a été prononcée. Par suite, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie a actualisé sa créance entre les mains du liquidateur judiciaire, celle-ci s’élevant au 2 avril 2019 à la somme de 118 919,96 euros dont 115 906,48 euros en capital.
Par courrier du 29 juillet 2019, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie a mis en demeure MM. [F] et [R] [E] de lui régler la somme de 119 764,64 euros (115 906,48 euros de capital – 1 858,16 euros d’intérêts – 2 000 euros d’ ‘indemnités’). À défaut de réglement, par exploit du 23 novembre 2019 la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie a fait assigner MM. [F] et [R] [E] devant le tribunal judiciaire de Meaux.
Sur la demande en nullité des engagements de caution
À la demande en paiement de la banque, MM. [E] ont opposé la nullité de leurs engagements pour avoir été donnés sous la contrainte, et leurs consentements n’ayant pas été libres et éclairés. Cela se déduirait, selon eux, des faits suivants dont il importe de considérer la chronologie. Initialement, l’acquisition du fonds de commerce devait être financée par la société Crédit Mutuel, qui s’est finalement retirée. MM. [E] étant déterminés à cette acquisition, la société a émis un chèque de 150 000 euros sur son compte courant ouvert dans les livres de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie, créant ainsi un très important découvert sur le compte. Un mois après la cession du fonds de commerce, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie leur a imposé de souscrire le prêt litigieux et a exigé de MM. [E] de se porter caution, à défaut de quoi la société serait placée en interdiction bancaire.
Estimant cette présentation des faits parfaitement fantaisiste, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie expose que : la société ASL était sa cliente depuis le mois novembre 2014 ; elle a commencé à exploiter le fonds de commerce en location-gérance, avant de solliciter la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie en mars 2015 pour en faire l’acquisition ; le prêt a été signé par la société ASL et les cautions, MM. [E], le 17 mars 2015 ; le 18 mars, un chèque de banque de 150 000 euros a été débité du compte, l’acte de cession du fonds de commerce devant être signé le lendemain ; la réalisation du prêt est intervenue le 26 mars 2015, avec une date de valeur ‘remontée’ au 17 mars soit la veille de l’émission du chèque de banque. Le déroulement de l’opération était parfaitement normal et il n’en ressort aucune contrainte, MM. [E] ont librement signé le prêt et les engagements de caution, ont reçu le chèque de banque qu’ils ont remis le lendemain à leur vendeur, et la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie a débloqué les fonds comme prévu.
Sur ce
MM. [E] n’établissent par aucune pièce ni autre élément ni argumentation pertinente, la réalité de la chronologie atypique qui aurait été, selon eux, celle des événements de l’opération de prêt consenti à la société ASL par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie.
À l’inverse, cette dernière justifie du sérieux de sa présentation des faits en versant aux débats les pièces suivantes :
‘ pièce n°12 : la convention d’ouverture de compte courant datée du 17 décembre 2014 signée de M. [F] [E], en sa qualité de gérant de la société ASL Automobiles Services [Localité 8],
‘ pièce n°13 : l’acte de cession de fonds de commerce en date du 19 mars 2015, faisant suite à une promesse de vente du 27 novembre 2014, et dont il ressort notamment que le fonds de commerce est exploité par le cessionnaire en location gérance depuis cette date, et que la vente est consentie au prix de 150 000 euros s’appliquant à hauteur de 80 000 euros aux éléments incorporels de clientèle, achalandage, droit au bail, et de 70 000 euros aux éléments corporels,
‘ pièce n°14 : la demande de financement acceptée par la banque le 13 mars 2015, faisant état d’une opération d’un coût global de 230 000 euros dont 150 000 euros pour le fonds de commerce et 80 000 euros d’autres frais (stock, besoin en fonds de roulement, droit d’enregistrement) autrement financés (compte courant associés de 20 000 euros, capital social de 10 000 euros, apport de 50 000 euros),
‘ pièces n°15 et 16 : le relevé de compte de la société laissant apparaître que le prêt a été réalisé le 26 mars 2015 avec une date de valeur au 17 mars 2015, et l’ordre de déblocage des fonds daté du 26 mars 2015.
Le tribunal a donc exactement considéré que MM. [E] ne font aucune démonstration d’une quelconque contrainte viciant leur consentement.
Le jugement déféré est confirmé de ce chef.
Sur la disproportion
En droit (selon les dispositions de l’article L. 341-4 devenu L. 332-1 du code de la consommation) un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était lors de sa conclusion manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution au moment où celle-ci est appelée ne lui permette de faire face à son obligation.
La proportionnalité du cautionnement s’appréciera donc au jour de la signature de l’engagement de caution, soit en l’espèce au 17 mars 2015, date à laquelle M. [F] [E] d’une part, et M. [R] [E] d’autre part, se sont engagés, dans les mêmes conditions, en garantie du prêt de 150 000 euros destiné à financer l’acquisition d’un fonds de commerce de garage automobile, prêt consenti le même jour par la banque Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie à la société ASL. Ce cautionnement a été donné par MM. [E] dans la limite de la somme de 195 000 euros, chacun, couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard, et pour la durée de 108 mois.
La charge de la preuve de la disproportion manifeste alléguée incombe alors à la caution, et non pas à la banque. À cet égard, essentiellement, il est à noter que ni M. [R] [E], ni M. [F] [E], ne produisent la moindre pièce de nature à éclairer la cour sur leur situation financière à la date de signature de leur engagement de caution, et donc propre à démontrer, le cas échéant, l’état de disproportion qu’ils invoquent.
Il est à noter aussi que pour retenir la disproportion de l’engagement de caution, le tribunal se réfère, pour apprécier l’endettement lié à la signature du cautionnement litigieux, à la mensualité de l’emprunt garanti, écrivant : ‘Les revenus disponibles des cautions excédaient les taux d’endettement habituellement admis’, alors que pour se livrer à l’appréciation de la proportionnalité, il s’agit de mettre en comparaison le montant du cautionnement, soit en l’espèce 195 000 euros, et l’ensemble des biens et revenus de la caution considération étant prise de ses charges et de son endettement.
1- Sur le cautionnement de M. [R] [E]
À toutes fins, la banque produit en pièce 27 un document intitulé ‘Fiche de renseignements patrimoine – Du déclarant personne physique se portant caution’ rempli, daté et signé par M. [R] [E], le 10 mars 2015.
Il ressort de ce document que :
‘ M. [R] [E] est marié, sous le régime de communauté légale, père de trois enfants dont deux sont encore à sa charge,
‘ il exerce depuis août 2010 les fonctions de gérant de la société holding [E] Frères, activité dont il retire 36 000 euros de revenus annuels, tandis que son épouse, directrice des ressources humaines de la société Parking Aéroportuaire Roissy Discount depuis novembre 2009, perçoit des revenus de 12 000 euros par an,
‘ il est propriétaire, avec son épouse, d’une maison située à [Localité 10], d’une valeur de 320 000 euros, libre de toute charge d’emprunt,
‘ il rembourse un prêt à la consommation, en cours jusqu’en mars 2017, et qui représente une charge annuelle de 1 560 euros,
‘ il est engagé au titre d’un cautionnement consenti au profit de ‘CA’ ayant pour objet un prêt ‘Travaux PRD’ dont le capital restant dû est de 9 648 euros, à échéance finale au 10 juillet 2016, représentant 5 484 euros de charges annuelles.
Il est de principe que la banque est en droit de se fier aux éléments ainsi recueillis sans être tenue de faire de vérifications complémentaires dès lors que la fiche de renseignements patrimoniale ne révèle en soi aucune anomalie ou incohérence.
En l’espèce, le tribunal a relevé une anomalie tenant à l’absence de mention de charges.
Surtout, constitue une anomalie la présentation que M. [R] [E] fait de son endettement au titre du cautionnement antérieur, imperfection qui n’aurait pas dû échapper à la banque, professionnel du crédit : l’indication du restant dû au titre du prêt garanti et du montant de ce qu’est censé rembourser annuellement le débiteur principal, n’est d’aucune utilité pour déterminer si le cautionnement envisagé est ou non proportionné aux capacités financières de la caution.
Aussi, il résulte des lettres d’information à caution produites par la banque, que M. [R] [E] lorsqu’il s’est porté caution le 17 mars 2015, était déjà engagé au profit de la même banque, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie, en vertu d’un cautionnement de 41 600 euros donné au titre d’un prêt d’un montant de 32 000 euros et d’une durée de 60 mois accordé par cette dernière à la société à responsabilité limitée Parking Roissy Discount en juillet 2011. Ce cautionnement, consenti au profit de la même banque et antérieurement au cautionnement litigieux, doit être pris en considération à hauteur de 41 600 euros, de sorte qu’au 17 mars 2015 l’endettement de M. [R] [E] au seul titre de ses engagements de caution s’élevait à 236 600 euros.
Néanmoins, la valeur du patrimoine immobilier de M. [R] [E] – 320 000 euros – suffit à elle seule à éluder toute disproportion de son engagement de caution du 17 mars 2015, à la date de sa signature, par rapport à ses bien et revenus, et compte tenu de son endettement et de ses charges.
Par conséquent le jugement déféré est infirmé en ce que M. [R] [E] a été déchargé de son engagement de caution pour cause de disproportion manifeste.
2- Sur le cautionnement de M. [F] [E]
A- La banque produit, en pièce 28, un document intitulé un document intitulé ‘Fiche de renseignements patrimoine – Du déclarant personne physique se portant caution’ rempli, daté et signé par M. [F] [E], le 9 mars 2015.
Il ressort de ce document que :
‘ M. [F] [E].est marié, sous le régime de la séparation des biens, et père de trois enfants, encore à sa charge,
‘ il exerce depuis août 2014 les fonctions de gérant de la société [E] Frères, activité dont il retire 36 000 euros de revenus annuels, tandis que son épouse, esthéticienne, perçoit des revenus de 6 000 euros par an,
‘ il est propriétaire, avec son épouse, d’une maison située à [Localité 10], d’une valeur estimée de 260 000 euros, financée parle moyen d’un prêt sur lequel il reste à rembourser 197 090 euros et représente une charge annuelle de remboursement de 13 104 euros,
‘ il n’est déclaré ni autre crédit en cours, ni charges de quelque nature que ce soit, ni engagement de caution antérieur.
Tel que rappelé supra, il est de principe que la banque est en droit de se fier aux éléments ainsi recueillis sans être tenue de faire de vérifications complémentaires dès lors que la fiche de renseignements patrimoniale ne révèle en soi aucune anomalie ou incohérence.
Comme en ce qui concerne M. [R] [E], le tribunal a relevé une anomalie tenant à l’absence de mention de toutes charges.
Aussi, de la même manière, il résulte des lettres d’information à caution produites par la banque, que M. [F] [E] lorsqu’il s’est porté caution le 17 mars 2015, était déjà engagé au profit de la même banque, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie, en vertu d’un cautionnement de 41 600 euros donné au titre d’un prêt d’un montant de 32 000 euros et d’une durée de 60 mois accordé par cette dernière à la société à responsabilité limitée Parking Roissy Discount en juillet 2011. Ce cautionnement, consenti au profit de la même banque et antérieurement au cautionnement litigieux, doit être pris en considération à hauteur de 41 600 euros, de sorte qu’au 17 mars 2015, l’endettement de M. [F] [E] au seul titre de ses engagements de caution s’élevait à 236 600 euros.
En revanche, il ne peut être pris en compte le cautionnement dont M. [F] [E] fait état dans ses écritures, exposant qu’il s’est porté caution, de la société ‘Lactalis’, à hauteur d’un montant de ’50 000 euros’, au profit du ‘Crédit Mutuel’, M. [F] [E] n’en précisant pas la date et n’en rapportant pas la preuve, s’abstenant de produire la moindre pièce s’y rapportant.
Ainsi pour faire face à son engagement pris le 17 mars 2015 M. [F] [E] disposait uniquement d’un patrimoine immobilier d’une valeur nette de 63 000 euros (260 000 ‘ 197 000) et de revenus de 36 000 euros dont il convient de déduire, pour le moins, la moité des mensualités du prêt, soit 6 505 euros.
La disproportion est caractérisée et manifeste, et la banque ne peut valablement, pour soutenir le contraire, avancer, pour seul argument, que la maison a été vraisemblablement surévaluée, au vu de la photograhie de juillet 2019 disponible sur Google Street View.
B- Néanmoins, l’article L. 341-4 du code de la consommation, in fine, exclut de décharger la caution dans la mesure où son patrimoine au moment où elle est appelée lui permet de faire face à ses obligations.
L’assignation étant en date du 23 novembre 2019, c’est à ce jour qu’il convient de se placer pour se livrer à cette appréciation, et c’est alors au prêteur qu’il revient de faire la démonstration de ce que la caution était en capacité de s’acquitter de la somme réclamée à cette date ‘ la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie demandait alors au tribunal de condamner M. [F] [E] en sa qualité de caution solidaire de la société ASL à lui payer la somme de 119 764,64 euros à majorer des intérêts au taux de 1,9 % sur le capital compris dans cette somme, soit 115 906,48 euros à compter du 29 juillet 2019 date de l’arrêté de compte.
La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie rappelle que sa créance est inférieure à 120 000 euros alors que selon sa pièce 33, la maison sise [Adresse 2] à [Localité 10] était d’une valeur de 295 000 euros, prix auquel elle a été revendue ‘courant 2020’ (le 13 novembre 2020) étant à préciser que le prêt ayant servi au financement de l’acquisition du bien a été amorti de 13 103 euros par an sur 5 ans, soit 65 515 euros, depuis le cautionnement.
Le document produit n’est guère probant, en ce qu’il fait état d’une situation postérieure d’un an à la date de l’assignation délivrée à M. [F] [E].
Néanmoins, l’observation faite par l’appelant quant à la valeur nette du bien immobilier augmentant avec l’amortissement du prêt est pertinente, d’autant que M. [F] [E], totalement taisant sur l’argumentation de la banque, ne soutient pas que les prix de l’immobilier auraient drastiquement chuté sur la période considérée.
Au 17 mars 2015 ce patrimoine immobilier était d’une valeur nette de 63 000 euros. Le prêt a été amorti pendant 56 mois, à raison de 1 092 euros par mois (13 104 euros /12) entre cette date et celle de l’appel en paiement, soit au total, à hauteur d’un montant de 61 152 euros. Ainsi, la valeur nette de la maison de M. [F] [E] était au 23 novembre 2019, de 124 152 euros.
Cependant, il résulte de la déclaration de patrimoine remplie par M. [F] [E] lors de la signature de son engagement de caution,
– qu’il est marié sous le régime de la séparation de biens, et non sous le régime légal,
– qu’il est propriétaire du bien en pleine propriété, avec son épouse,
il s’ensuit donc que M. [F] [E] est nécessairement propriétaire indivis du bien considéré, et en toute hypothèse, qu’il n’est pas titulaire de droits immobiliers sur ce bien pour sa valeur entière de 124 152 euros.
Dans ces conditions, il n’est pas permis de considérer que la banque rapporte la preuve suffisante de ce que M. [F] [E] étaiten capacité de payer la somme de 119 764,64 euros qui lui a été réclamée lorsqu’il a été appelé en sa qualité de caution.
Ainsi, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie ne peut se prévaloir du cautionnement signé à son profit par M. [F] [E] le 17 mars 2015.
Sur la responsabilité de la banque pour manquement à ses obligations précontractuelles – à l’égard de M. [R] [E]
M. [R] [E] estime que la banque a engagé sa responsabilité pour avoir manqué à son ‘obligation d’information’ ou de ‘mise en garde’ ou ‘de conseil’: il expose que l’entreprise n’était pas viable, la preuve en étant que le redressement judiciaire a été prononcé 15 mois après le début de l’exploitation, qu’une autre banque avait refusé le prêt, que les pièces financières attestent dans le même sens, qu’il aurait fallu un financement de 230 000 euros et que son insuffisance a causé la cessation des paiements.
La banque répond qu’elle n’a pas de devoir de mise en garde à l’égard d’une caution avertie, ce qu’est indiscutablement M. [R] [E] qui a de multiples mandats dans de nombreuses sociétés.
Si l’engagement est proportionné au patrimoine de la caution alors la banque n’est pas tenue de la mettre en garde. D’autre part, en l’espèce le prêt était adapté aux capacités financières de la société ASL : son remboursement était à jour à l’ouverture de la procédure collective, et M. [R] [E] ne démontre pas en quoi l’exploitation n’était pas viable. En tout état de cause, il y a lieu de faire application de l’article L. 650-1 du code de commerce, dont les conditions ne sont ici pas remplies. Par ailleurs, M. [R] [E] a été condamné pour faillite personnelle, ainsi son argumentation selon laquelle le crédit tel qu’accordé par la banque serait à l’origine directe de la liquidation judiciaire est sévèrement mise à mal.
Sur ce
En premier lieu il sera rappelé que la banque prêteur de fonds n’est tenue d’aucune obligation de conseil en dehors de toute prévision contractuelle, et le tribunal ne peut donc qu’être contredit en ce qu’il énonce le contraire. En revanche c’est à bon droit que le premier juge a écarté l’application de la réforme sur le droit des sûretés en raison de la date, antérieure, des cautionnements, les cautions dééfendant que cette réforme a rendu dépassée la distinction entre caution avertie et caution non avertie le devoir de mise en garde envers toutes les cautions personnes physiques.
Ainsi, la banque est tenue d’un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie, lorsqu’au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadéquation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur.
Par ailleurs, si de principe, même en présence d’un engagement proportionné il peut être retenu un devoir de mise en garde à la charge de la banque vis à vis de la caution, lorsqu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti lequel résulte de l’inadéquation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur, en l’espèce cela n’est pas démontré par M. [R] [E].
En effet, tout d’abord, le fonds de commerce était exploité en location-gérance depuis le mois de novembre 2014, et il s’est écoulé plus de 18 mois entre le prêt cautionné (du 17 mars 2015) et l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire (le 26 septembre 2016), qui n’a été convertie en liquidation judiciaire que le 11 mars 2019, soit 4 ans après l’octroi du prêt et du cautionnement querellés. M. [R] [E] ne peut sérieusement soutenir que la société était dans une situation irrémédiablement compromise lorsqu’a été octroyé le prêt qu’il conteste aujourd’hui, alors que ce crédit accordé pour le financement de son acquisition a permis l’exploitation du fonds de commerce pendant quatre années. Pour cette même raison, M. [R] [E] ne peut non plus sérieusement soutenir l’insuffisance de ce crédit tel qu’accordé par la banque pour prétendre que cette insuffisance serait à l’origine directe de la cessation des paiements et partant, de la liquidation judiciaire.
Par ailleurs, la banque justifie des éléments favorables qui lui ont été communiqués à l’occasion de la demande de prêt.
Enfin, comme souligné avec pertinence par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie, M. [R] [E] a été condamné pour faillite personnelle, en sorte que son argumentation selon laquelle le crédit tel qu’accordé par la banque serait à l’origine directe de la liquidation judiciaire se trouve singulièrement fragilisée.
À défaut de toute démonstration d’un quelconque risque d’endettement excessif de la caution M. [R] [E], à un titre ou à un autre, il n’y a pas lieu de se prononcer sur le caractère averti ou non de la caution.
M. [R] [E] ne peut qu’être débouté de sa demande au titre d’un manquement de la banque à ses obligations précontractuelles.
Sur l’obligation d’information annuelle – à l’égard de M. [R] [E]
M. [R] [E] prétend que la banque n’a pas respecté ses obligations tenant à la délivrance de l’information annuelle qui est due à la caution.
L’article L. 313-22 du code monétaire et financier dispose que :’Les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l’engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. Le défaut d’accomplissement de la formalité prévue à l’alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l’établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l’établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.’
Si aucune forme n’est exigée de la banque pour l’envoi de ces informations, il lui incombe toutefois de prouver qu’elle a satisfait à son obligation d’information annuelle, dont on rappellera qu’elle pèse sur l’établissement bancaire jusqu’à l’extinction de la dette.
En l’espèce, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie produit les lettres envoyées à M. [R] [E] – en pièce 11, celles des 6 février 2019, 6 mars 2018, 10 mars 2017, 10 mars 2016, et en pièce 30, celle du 17 février 2020.
Si en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour de cassation, la seule production de la copie d’une lettre simple ne suffit pas à rapporter la preuve de son envoi, pour autant, M. [R] [E] n’affirme absolument pas ne pas les avoir reçues, et ce fait constant est de nature à confirmer qu’elles ont bien été envoyées.
Il n’y a donc lieu de prononcer aucune déchéance sur cette période.
Celle-ci ne s’appliquera qu’à partir du 1er avril 2021, l’obligation d’information annuelle pesant sur la banque jusqu’à l’extinction de la dette, ce dont la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie ne justifie pas.
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Sur les dépens et les frais irrépétibles
M. [R] [E], qui échoue en ses prétentions, supportera la charge des dépens, et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. En revanche pour des raisons tenant à l’équité il y a lieu de faire droit à la demande de l’appelant formulée à son égard sur ce même fondement, pour la somme réclamée de 3 500 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l’appel,
CONFIRME le jugement déféré en ses dispositions concernant M. [F] [E], et l’infirme en ses dispositions concernant M. [R] [E] ;
Et statuant à nouveau :
CONDAMNE M. [R] [E] à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie, dans la limite de la somme de 195 000 euros correspondant au maximum de son engagement de caution, la somme de 119 764,64 euros outre intérêts au taux contractuel de 1,9 % sur le capital compris dans cette somme, soit 115 906,48 euros à compter du 29 juillet 2019, date de l’arrêté du compte, et au taux légal à compter du 1er avril 2021 ;
CONDAMNE M. [R] [E] à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Brie Picardie la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE M. [R] [E] et M. [F] [E] de leur demande formulée en commun sur ce même fondement ;
CONDAMNE M. [R] [E] aux entiers dépens d’appel.
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LE GREFFIER LE PRÉSIDENT