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Affaire jugée : Demande de retrait des incidences financières de la maladie professionnelle

La cour a statué par arrêt contradictoire en premier et dernier ressort, déboutant la société [7] de sa demande de retrait des incidences financières de la maladie professionnelle de [I] [M].

Condamnation de la société aux dépens de l’instance

La société [7] a été condamnée aux dépens de l’instance dans cette affaire jugée.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

8 mars 2024
Cour d’appel d’Amiens
RG n° 22/02803

ARRET

N°84

S.A. [7]

C/

CARSAT PAYS DE LA LOIRE

COUR D’APPEL D’AMIENS

TARIFICATION

ARRET DU 08 MARS 2024

*************************************************************

N° RG 22/02803 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IO6H

PARTIES EN CAUSE :

DEMANDEUR

Société [7]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]

Ayant pour avocat Me Hélène Camier de la SELARL LX Amiens-Douai, avocat au barreau d’Amiens

Représentée par Me Olympe Turpin de la SELARL LX Amiens-Douai, avocat au barreau d’Amiens, substituant Me Aurélien Guyon de la SCP Guyon & David, avocat au barreau de Saint-Nazaire

ET :

DÉFENDEUR

CARSAT Pays de la Loire

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Mme [S] [E], munie d’un pouvoir

DÉBATS :

A l’audience publique du 12 janvier 2024, devant M. Philippe Mélin, président assisté de M. Christophe Giffard et M. Marc Droy, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la première présidente de la cour d’appel d’Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.

M. [K] [V] a avisé les parties que l’arrêt sera prononcé le 08 mars 2024 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Greffier lors des débats : Mme Audrey Vanhuse

PRONONCÉ :

Le 08 mars 2024, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Philippe Mélin, président et Mme Audrey Vanhuse, greffier.

*

* *

DECISION

Le 28 août 2015 la veuve de [I] [M], salarié de 1970 à 2009 en qualité de soudeur au sein d’une société à laquelle a succédé la société [7], a complété pour lui une déclaration de maladie professionnelle pour un cancer du poumon, pathologie prise en charge par la caisse primaire au titre du tableau n°30 bis des maladies professionnelles.

Les incidences financières de cette affection ont été imputées au compte employeur de la société [7].

Par courriers des 13 juillet 2017 et 4 juillet 2018 la société [9], aux droits de laquelle vient la société [7], a saisi la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification des accidents du travail ([8]) d’une demande d’inscription au compte spécial de la maladie professionnelle de [I] [M].

Par acte d’huissier de justice délivré le 5 juillet 2019, la société [7], contestant la décision de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail Pays de la Loire (la CARSAT) en date du 13 mai 2019, a fait assigner cette dernière devant la cour d’appel d’Amiens à l’audience du 4 octobre 2019 afin que soit retirée de son compte employeur la maladie professionnelle de son salarié [I] [M].

L’affaire a été enregistrée sous le numéro de répertoire général 19/06920 selon l’ordonnance de disjonction du 17 septembre 2019.

Par ordonnance du 1er août 2019, le président de la [8] a ordonné le dessaisissement de cette juridiction au profit de la présente cour et l’affaire a été enregistrée sous le numéro de répertoire général 19/06640.

Par ordonnance du 4 octobre 2019, la cour a ordonné la jonction des affaires 19/06920 et 19/06640 sous le seul numéro 19/06920.

L’affaire a fait l’objet d’un retrait du rôle par voie d’ordonnance en date du 8 novembre 2019.

Par courrier du 27 juillet 2021, la société [7] a sollicité la réinscription de l’affaire qui a été enregistrée sous le numéro de répertoire général 22/02803 et les parties ont été convoquées à l’audience du 6 janvier 2023 où l’affaire a fait l’objet d’un renvoi à celle du 6 octobre 2023 puis du 12 janvier 2024.

Par dernières conclusions communiquées au greffe le 9 janvier 2024, auxquelles elle s’est référée à l’audience, la société [7] demande à la cour de :

– juger qu’elle est recevable et bien fondée en ses demandes,

– annuler, et à défaut dire mal fondée et ne pouvant produire d’effet, les décisions de la CARSAT ayant fixé à 4,06% à effet du 1er janvier 2017, 4,97% à effet du 1er janvier 2018, 6,19% à effet du 1er janvier 2019 les taux des cotisations dues au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles applicables pour la section 01 de son établissement,

– ordonner à la CARSAT de recalculer ses taux de cotisation AT/MP applicables à effet du 1er janvier 2017, 2018 et 2019 après avoir retiré de son compte employeur les coûts afférents à la maladie professionnelle de [I] [M].

La société [7] fait de prime abord valoir que son recours est recevable.

Elle soutient ensuite qu’il appartient à la CARSAT, qui a inscrit le sinistre litigieux sur son compte employeur, de prouver l’exposition au risque du salarié et qu’elle ne peut se prévaloir de la décision de prise en charge de la caisse primaire, même non contestée, au titre d’une quelconque présomption d’exposition.

Elle argue que la CARSAT doit être soumise aux mêmes exigences que l’employeur s’agissant de la preuve de l’exposition au risque et que de simples références à l’arrêté du 7 juillet 2000 ou aux déclarations du salarié sont insuffisantes.

Elle relate l’historique de la société et de ses prédécesseurs et rappelle que le contrat de cession de fonds de commerce entre elle et la société [5] excluait notamment les passifs relatifs à une exposition à l’amiante des salariés antérieure à la cession.

S’agissant de [I] [M], elle indique qu’il n’a jamais été son salarié mais celui de la société [5] et que la CARSAT, qui ne produit que des éléments insuffisants, soit les déclarations de la veuve, une attestation d’un ancien collègue sans pièce d’identité ni certificat de travail ainsi qu’une mention à la liste ACAATA figurant dans l’arrêté du 7 juillet 2000, ne prouve pas l’exposition au risque.

Elle ajoute enfin que ni l’existence d’une clause d’exclusion du passif lié à l’amiante dans le traité de rachat du fonds de commerce de la société [5], ni la circonstance que la faute inexcusable de cette dernière ait pu être reconnue à l’égard d’autres salariés ne constitue une preuve de l’exposition au risque amiante de [I] [M].

Par conclusions communiquées au greffe le 15 décembre 2023, auxquelles elle s’est référée à l’audience, la CARSAT demande à la cour de :

– confirmer sa décision de maintenir sur le compte employeur de la société [7] les conséquences financières de la maladie professionnelle de [I] [M],

– débouter la société [7] de l’ensemble de ses demandes.

La CARSAT soutient que [I] [M] a bien était exposé au risque au sein de la société [4] devenue [7] du 21 septembre 1970 au 31 août 2009 en qualité de soudeur, soit l’intégralité de sa carrière.

Elle argue que sa veuve, ainsi qu’un ancien collègue, M. [P], ont confirmé qu’il manipulait de l’amiante.

Elle argue que la demanderesse, qui ne peut se prévaloir d’une clause d’exclusion du passif, a déjà vu reconnaitre sa faute inexcusable plusieurs fois à l’égard de salariés atteints de maladies professionnelles liées à l’amiante, amiante dont l’utilisation a été reconnue entre 1945 et 1996 par l’arrêté du 7 juillet 2000, lequel mentionne au titre des métiers à risque celui de soudeur.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux écritures des parties s’agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.

MOTIFS

Il résulte de l’article 1353 du code civil que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et, réciproquement, que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de l’obligation.

Selon l’article D. 242-6-1 du code de la sécurité sociale, le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles est déterminé par établissement et, selon l’article D. 242-6-4 du même code, l’ensemble des dépenses constituant la valeur du risque est pris en compte par les CARSAT dès que ces dépenses leur ont été communiquées par les caisses primaires, sans préjudice de l’application de décisions de justice ultérieures. Seules sont prises en compte dans la valeur du risque les dépenses liées aux accidents ou aux maladies dont le caractère professionnel a été reconnu.

L’employeur peut solliciter le retrait de son compte des dépenses afférentes à une maladie professionnelle lorsque la victime n’a pas été exposée au risque à son service. En cas de contestation devant la juridiction de la tarification, il appartient à la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail qui a inscrit les dépenses au compte de cet employeur, de rapporter la preuve que la victime a été exposée au risque chez celui-ci ou, dans le cas présent, chez son prédécesseur.

[I] [M] a été salarié en qualité de soudeur, de 1970 à 2009, de la société [7], reprise par la société [4] devenue [5] et reprise par la société demanderesse (anciennement [9]).

Pour justifier de ce qu’il aurait été exposé au risque amiante au sein des prédécesseurs de la société [7], la caisse produit le certificat de travail, les déclarations de la veuve de [I] [M], une attestation d’un ancien collègue M. [P], un arrêt de la cour d’appel de Rennes et mentionne dans ses écritures le dispositif ACAATA.

Au même titre que les déclarations du salarié, l’attestation de la veuve de [I] [M], qui a déclaré à l’agent enquêteur que son époux manipulait des bandes de protection en amiante lorsqu’il soudait, est un document purement déclaratif qui s’inscrit dans une démarche d’obtention de la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie du salarié et ne constitue, ni la preuve des conditions de travail réelles qu’il a pu rencontrer, ni celle de l’exposition au risque de sa pathologie.

Pareillement, la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [5], reprise par la demanderesse, dans la survenance d’autres maladies professionnelles liées à l’amiante concernant d’autres salariés, est sans incidence sur le présent litige et ne saurait constituer la preuve attendue.

Selon le certificat de travail produit par la caisse et établi par la société [9], [I] [M] a exercé chez les prédécesseurs de la demanderesse les activités de man’uvre, aide-professionnel et découpeur de 1970 à 1971 puis le métier de soudeur de 1971 à 2009.

Ces éléments ne sont pas contestés par la société [7] qui produit d’ailleurs une attestation de carrière émanant de son responsable administratif ressources humaines faisant état d’informations identiques.

S’il est vrai que l’inscription d’un établissement sur la liste ACAATA ne crée pas une présomption d’exposition à l’amiante d’une victime, cette inscription permet toutefois d’établir que l’entreprise concernée a, à une période donnée, utilisé de l’amiante dans son processus de production.

En effet, l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 dispose qu’une allocation de cessation anticipée d’activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l’amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l’amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu’ils cessent toute activité professionnelle, et qu’ils répondent à diverses conditions, dont celle du 1° du texte : « travailler ou avoir travaillé dans des établissement mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante ».

La liste des établissements pour la région Pays de la Loire pouvant ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante contient parmi les entreprises de construction et de réparation navales la société [7], pour la période de 1945 à 1996.

Il n’est pas contesté que [I] [M] a travaillé au sein de sociétés auxquelles a succédé la société des Chantiers de l’Atlantique de 1970 à 2009 et par conséquent, pendant une partie de la période de temps ayant justifié son inscription sur la liste ACAATA (26 ans).

L’arrêté du 7 juillet 2000 fixant la liste des établissements et des métiers de la construction et de la réparation navales susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante a établi en son article 1 et son annexe 1 la liste des métiers concernés, au rang desquels figure celui de soudeur, dont il n’est pas contesté par la demanderesse qu’il ait été exercé par [I] [M] chez ses prédécesseurs.

Ces éléments sont corroborés par le questionnaire témoin amiante complété par M. [P], lequel est signé et auquel est annexée sa pièce d’identité contrairement aux dires de la société.

Par ce document, M. [P] a attesté sur l’honneur avoir été témoin direct des travaux effectués avec [I] [M] lorsqu’ils étaient salariés de la société [7], et qui les ont exposés à l’inhalation de poussière d’amiante, notamment des travaux dans les locaux propulsifs des navires où se trouvaient les moteurs et les chaudières.

Ces éléments constituent un faisceau de présomptions graves, sérieuses et concordantes permettant d’établir l’exposition au risque amiante de [I] [M] lorsqu’il était soudeur au sein de sociétés auxquelles a succédé la société [7].

A titre surabondant, il sera relevé que, bien qu’elle ne puisse constituer une preuve de l’exposition au risque du salarié dans la présente instance, la clause d’exclusion du passif lié aux maladies de l’amiante, insérée dans le contrat de cession à la demande de la société [7], laisse toutefois présumer que cette dernière avait pleinement conscience de l’utilisation de l’amiante par ses prédécesseurs et, a fortiori, du risque d’inhalation de poussières d’amiante auxquels ont été soumis leurs salariés.

La preuve attendue étant rapportée par la caisse, il convient en conséquence de débouter la société [7] de la demande de retrait de son compte employeur de la maladie professionnelle de [I] [M].

Le recours est rejeté et la société [7] sera condamnée aux entiers dépens de l’instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe, en premier et dernier ressort,

Déboute la société [7] de sa demande de retrait de son compte employeur des incidences financières de la maladie professionnelle de [I] [M],

Condamne la société [7] aux dépens de l’instance.

Le greffier, Le président,

 

 

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