Conformément aux articles L. 1333-1 à L. 1333-3 du code du travail, un salarié peut contester devant le juge prud’homal, dans les délais de prescription, toute mesure disciplinaire prise à son encontre, même s’il a accepté de se voir appliquer la sanction.
Le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés à l’intéressé sont de nature à justifier la sanction contestée.
Sauf si la sanction est un licenciement ou une rupture du contrat à durée déterminée pour faute grave, le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
En l’espèce, s’agissant des ‘actes d’insubordination’ et des ‘propos tenus portant atteinte à l’image de l’entreprise’, l’employeur ne fait état dans l’avertissement d’aucun fait précis et daté permettant à la salariée d’avoir une connaissance exacte des griefs soulevés à son encontre, d’y répondre utilement et de se prévaloir, au besoin, du délai de prescription de deux mois de l’article L. 1332-4 du code du travail.
La salariée devait pouvoir s’exprimer librement lors de l’entretien préalable et faire valoir son point de vue, sauf abus. A ce sujet, les propos que l’avertissement lui prête (‘ce n’est pas moi qui fout le bordel dans la Société ni même chez tes clients mais toi’) sont contestés par elle et ne transparaissent pas dans le compte rendu dressé par M. [H], conseiller du salarié, qui était présent (pièce n° 5 de l’appelante). Il en est de même des insultes (‘Pire, vous vous êtes montrée insultante envers ma personne’) qui auraient été proférées, à défaut de toute indication de date, au moment de l’entretien préalable.
Mme [P] reconnaît, dans ses conclusions d’appel, une absence le 8 août 2018 qu’elle justifie par le refus de l’employeur de lui verser son salaire. Cette absence n’est pas mentionnée dans le courrier contesté et ne pouvait, de toute façon, pas fonder l’avertissement, puisqu’elle est intervenue postérieurement à l’entretien préalable du 25 juillet 2018. Certes, un employeur n’est pas tenu d’organiser un tel entretien préalablement à un simple avertissement, mais, dès lors qu’il a choisi de convoquer le salarié à un entretien selon les modalités de l’article L. 1333-2 du code du travail, il est tenu d’en respecter tous les termes, quelle que soit la sanction finalement infligée.
En conséquence, l’avertissement étant injustifié, le jugement est confirmé, en ce qu’il a annulé cette sanction.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Arrêt n°23/00411
19 septembre 2023
————————
N° RG 21/01956 –
N° Portalis DBVS-V-B7F-FRZK
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Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Metz
13 juillet 2021
19/00043
—————————-
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
Dix neuf septembre deux mille vingt trois
APPELANTE :
Mme [O] [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Florence MARTIN, avocat au barreau de METZ
(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale numéro 2021/007648 du 04/10/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de METZ)
INTIMÉE :
S.A.S.U. SMF EXPRESS prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Cécile CABAILLOT, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 février 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Selon contrat à durée déterminée et à temps complet couvrant la période allant du 1er mars 2018 jusqu’au 1er septembre 2018, la société SMF express a embauché Mme [O] [P] en qualité de chauffeur-livreur, moyennant une rémunération de 1 457,52 euros brut, outre un panier repas de 13,06 euros et/ou un casse-croûte de 7,08 euros.
La convention collective nationale des transports routiers et activités annexes du transport a été applicable à la relation de travail.
Par courrier électronique du 4 juin 2018, Mme [P] a formulé divers griefs à l’encontre de son employeur et l’a informé de sa démission.
Mme [P] est finalement revenue sur sa décision.
Elle a été convoquée le 25 juillet 2018 à un entretien préalable à un licenciement, mais l’employeur n’a adressé, par courrier du 16 août 2018, qu’un avertissement.
Auparavant, Mme [P] a été absente le 8 août 2018, puis en arrêt de travail pour maladie à compter du 14 août 2018.
Le contrat de travail à durée déterminée n’a pas été renouvelé.
Estimant notamment avoir été victime de harcèlement moral, Mme [P] a saisi le 22 janvier 2019 la juridiction prud’homale du litige l’opposant à son employeur.
Par jugement contradictoire du 13 juillet 2021, la formation paritaire de la section commerce du conseil de prud’hommes de Metz a prononcé la nullité de l’avertissement du 16 août 2018, rejeté les autres demandes et condamné la société SMF express aux ‘frais et dépens d’instance et d’exécution’.
Le 30 juillet 2021, Mme [P] a interjeté appel par voie électronique.
Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 10 février 2022, Mme [P] requiert la cour d’infirmer le jugement sauf en ce qu’il a prononcé la nullité de l’avertissement du 16 août 2018 et condamné la société SMF express aux dépens, puis, la cour statuant à nouveau, de :
– prononcer la nullité de la décision de refus de renouvellement du contrat à durée déterminée ;
– condamner la société SMF express à lui payer les sommes suivantes augmentées des intérêts au taux légal à compter de la demande :
* 8 991 euros en raison de la nullité de la décision de refus de renouvellement du contrat à durée déterminée ;
* 8 991 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral du fait du harcèlement ;
* 10 000 euros à titre d’indemnité spécifique du fait du non-respect de l’employeur à l’obligation de sécurité de résultat ;
– condamner la société SMF express à verser à son avocat la somme de 4 000 euros correspondant aux honoraires qui lui auraient été facturés si elle n’avait pas été bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale, conformément à l’article 700 (2°) du code de procédure civile, en première instance et en appel.
A l’appui de son appel, elle expose s’agissant de l’avertissement du 16 août 2018 :
– qu’elle n’a été absente que le 8 août 2018, parce que M. [J] refusait de lui verser son salaire;
– que cette absence du 8 août 2018, étant postérieure à l’entretien préalable du 25 juillet 2018, ne pouvait pas servir à motiver l’avertissement ;
– que la sanction se fonde sur des griefs non évoqués lors de l’entretien préalable et ‘manifestement inventés de toutes pièces’.
Elle affirme au sujet du harcèlement moral :
– qu’elle a eu une liaison avec M. [J] au début de l’année 2018 et que celui-ci lui a alors proposé un contrat de travail en tant que chauffeur-livreur au sein de sa société;
– qu’elle a fait l’objet de harcèlement moral de la part de M. [J], ce qu’elle a dénoncé auprès de l’inspection du travail et dans une plainte ;
– qu’elle a subi des pratiques génératrices d’humiliation ou de perte de confiance en elle;
– que son employeur lui adressait des SMS à caractère déplacé et la dénigrait auprès de ses collègues de travail, voulant manifestement son départ en raison de la fin de leur relation ;
– que l’avertissement injustifié a été délivré seulement après son arrêt maladie.
Elle souligne qu’elle a souhaité démissionner à la suite d’un SMS de M. [J] avant de se raviser par peur de se retrouver sans ressources.
Elle ajoute :
– que l’employeur a entrepris une campagne de dénigrement la concernant auprès de ses collègues et des clients ;
– qu’il a enjoint aux autres salariés de ne plus communiquer avec elle ;
– que ses tournées étaient plus importantes que celles de l’employeur lui-même ;
– qu’elle a subi des pratiques punitives et a notamment reçu en retard ses fiches de paie, ainsi que son salaire, ce qui a eu des répercussions financières ;
– que l’employeur a intensifié sa charge de travail ;
– qu’elle a dû effectuer des heures supplémentaires en travaillant au-delà des horaires prévus ;
– que l’employeur lui a fait courir des risques pour sa sécurité et sa santé qui s’est nettement dégradée ;
– qu’elle a été en arrêt de travail au cours de l’année 2019 et a obtenu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé du 1er décembre 2018 au 30 novembre 2028 ;
– qu’elle est désormais totalement inapte au métier de livreur.
Elle soutient :
– qu’au harcèlement moral a succédé un refus de renouvellement de son contrat à durée déterminée, alors qu’elle procurait toute satisfaction à son employeur avant leur rupture et sa dénonciation de la situation de harcèlement moral ;
– que l’employeur a procédé à son remplacement immédiat ;
– qu’elle s’est retrouvée sans emploi après avoir subi un harcèlement moral durant six mois, ce qui lui a apporté une mauvaise réputation dans son domaine d’activité, à savoir la livraison de colis, et lui a occasionné un état anxio-dépressif ;
– qu’elle souffre toujours de son bras.
Elle précise concernant l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur :
– qu’elle n’a jamais fait l’objet d’une visite médicale préalable ;
– que son état de santé s’est dégradé en raison de la surcharge de travail imposée par l’employeur;
– qu’elle n’a pas pu soigner sa tendinite à temps ;
– qu’elle conservera des séquelles de la discopathie dégénérative dont elle est atteinte depuis qu’elle a travaillé pour le compte de M. [J], en portant seule le contenu de sa camionnette qui pouvait atteindre 800 kilos lors d’une tournée ;
– qu’elle souffrait de névralgie cervico-brachiale ;
– que M. [J] s’est opposé à ce que ses collègues l’aident pour porter des charges lourdes ;
– qu’elle ne s’est pas mise en arrêt de travail immédiatement, car elle croyait en une amélioration, ce qui n’a pas été le cas ;
– qu’elle a été en arrêt de travail pendant treize mois ;
– que son état de santé a été reconnu comme une affection longue durée par la sécurité sociale ;
– qu’elle souffre toujours de son bras et n’est plus en capacité d’exercer son métier.
Dans ses conclusions déposées par voie électronique le 30 novembre 2021, la société SMF express sollicite :
– le rejet des demandes de Mme [P] ;
– la confirmation du jugement, sauf en ce qu’il a prononcé la nullité de l’avertissement, rejeté sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens d’instance et d’exécution ;
– la condamnation de Mme [P] à lui payer sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 1 500 euros pour la première instance et la somme de 2 500 euros.
Elle réplique que Mme [P] a totalement modifié son comportement au printemps 2018, ce qui a conduit le gérant à formuler régulièrement à celle-ci des remarques sur son travail.
Elle soutient s’agissant de l’avertissement :
– que ce n’est qu’à l’occasion de conclusions récapitulatives du 13 mai 2020 devant le conseil de prud’hommes que Mme [P] a sollicité l’annulation de l’avertissement ;
– que la demande en ce sens devra être considérée comme nouvelle et dépourvue de lien suffisant avec les prétentions initiales relatives au harcèlement moral ;
– que Mme [P] n’a pas été informée de l’avertissement car elle n’a pas retiré le recommandé de notification ;
– que, si Mme [P] voulait obtenir l’annulation de l’avertissement, il lui appartenait de saisir à nouveau le conseil de prud’hommes, et ce en raison de l’abrogation du principe d’unicité de l’instance ;
– que Mme [P] a été absente le 8 août 2018, ce que la société Ciblex a dénoncé ;
– que le fait que cette absence se soit produite postérieurement à l’entretien préalable est sans incidence, puisque la notification d’une telle sanction n’est pas soumise à entretien préalable ;
– que l’avertissement a fait état des agissements insultants de Mme [P] à l’égard de M. [J] qui a d’ailleurs déposé une main courante.
Elle expose au sujet du harcèlement moral :
– que Mme [P] ne procède à aucune démonstration de faits pouvant être qualifiés de discriminants et ne fait que se prétendre victime de harcèlement moral ;
– que plusieurs pièces ne sont pas visées dans les dernières conclusions de la partie adverse, de sorte que la cour ne pourra que les écarter des débats pour non-respect du formalisme de l’article 954 du code de procédure civile ;
– que l’exercice normal de son pouvoir disciplinaire par l’employeur ne peut pas être constitutif d’un harcèlement moral ;
– qu’il ressort du pouvoir de direction de l’employeur de prendre une sanction de plus faible importance après avoir entendu le salarié ;
– que la contestation de l’avertissement n’est intervenue qu’une année après sa notification ;
– que Mme [P] n’a pas accepté la rupture de sa relation amoureuse avec M. [J] ;
– que la salariée a commis un véritable harcèlement téléphonique conduisant M. [J] à déposer une main courante ;
– que les faits dénoncés par la salariée relèvent en réalité de la sphère privée ;
– que Mme [P] a écrit à la société Ciblex, société cliente, pour se plaindre de ses conditions de travail, ce qui traduit une intention de nuire ;
– que Mme [P] a même demandé au conseiller du salarié qui l’a assistée de mentir dans le compte rendu d’entretien préalable ;
– que les attestations qu’elle verse aux débats montrent que M. [J] n’a jamais tenu de propos déplacés et n’a jamais adopté de gestes inappropriés à l’égard de son personnel ;
– qu’une cliente, la société Ciblex, s’est plainte, depuis le mois de juillet 2018, du travail de Mme [P] ;
– que Mme [P] avait une tournée d’importance similaire à celle de ses collègues ;
– qu’elle mettait bien à la disposition des salariés le matériel permettant d’aider au port de charges ;
– que Mme [P] n’a jamais réclamé le paiement d’heures supplémentaires durant la relation de travail et s’avère totalement défaillante dans l’administration de la preuve d’une ‘hyperactivité’ ;
– que l’examen médical produit ne fait aucun lien entre la pathologie et l’activité salariée de Mme [P] ;
– que le travail de l’intéressée ne lui donnait pas satisfaction et que la société a été destinataire de nombreux courriers de doléances relatifs au travail de Mme [P] qui a également été à l’origine d’un accident de la circulation, de sorte que l’absence de renouvellement du contrat à durée déterminée est sans lien avec le prétendu harcèlement moral.
S’agissant de l’obligation de sécurité, elle affirme :
– que, depuis le 1er janvier 2017, la visite médicale d’embauche a été supprimée ;
– que Mme [P] doit établir la preuve de la surcharge d’activité, ainsi que du lien entre celle-ci et la tendinite au bras ;
– que le lien entre la discopathie dégénérative, la prétendue surcharge de travail et l’absence de visite d’information et de prévention s’avère pour le moins hasardeux ;
– que Mme [P] n’apporte aucune preuve de son préjudice.
Dans son ordonnance du 7 septembre 2022, la magistrate chargée de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction.
MOTIVATION
A titre liminaire, il y a lieu de constater que, dans la partie ‘discussion’ de ses dernières conclusions, la société SMF express estime que :
– que les pièces n° 34 à 41, 43, 46, 47, 49 à 60, 62, 63, 65 et 68 de la partie adverse doivent être écartées des débats ;
– que la demande d’annulation de l’avertissement doit être déclarée irrecevable pour violation des articles R. 1453-5 du code du travail et 70 du code de procédure civile ;
– que la contestation de l’avertissement est intervenue plus d’une année après sa notification.
Elle ne présente toutefois, dans son dispositif, aucune demande avant-dire-droit ou fin de non-recevoir.
La présente juridiction n’est pas saisie sur ces points, conformément à l’article 954 du code de procédure civile qui dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Sur l’avertissement du 16 août 2018
Par courrier du 16 août 2018, la société SMF express a adressé, à la suite de l’entretien préalable du 25 juillet 2018, à Mme [P] un avertissement dans les termes suivants :
‘ (…) Durant l’entretien, il vous a été reproché les faits suivants :
* Des actes d’insubordination :
Nous avons eu à déplorer un certain nombre de retard lors de votre prise de poste de travail ou même à des absences injustifiées. Interrogée sur ce point, vous avez reconnu les faits reprochés et avez tenté de les justifier par le fait que je vous ‘rabaissais’ devant vos collègues de travail. Non seulement, cela est totalement étranger, mais surtout cette explication ne saurait aucunement justifier votre attitude.
* Sur les propos tenus portant atteinte à l’image de l’entreprise :
Nous avons eu connaissances des propos que vous colportiez à mon égard que ce soit auprès des salariés de la Société ou même de clients potentiels. Lors de l’entretien préalable, vous avez nié les faits alors même que nous disposons des preuves permettant d’en justifier.
Votre réaction lors de l’entretien préalable témoigne bien de votre état d’esprit qui ne saurait être tolérable ; d’ailleurs vous vous êtes permis de dire à cette occasion :
‘ce n’est pas moi qui fout le bordel dans la Société ni même chez tes clients mais toi’.
Pire, vous vous êtes montrée insultante envers ma personne.
Ainsi, en vous comportant de la sorte, vos agissements ont emporté des répercussions sur d’une part l’image de l’entreprise et d’autre part sur l’exercice de mon pouvoir disciplinaire et donc sur le fonctionnement de l’entreprise.
En conséquence, nous ne pouvons plus accepter un tel comportement qui est parfaitement inadmissible. (…)’
Conformément aux articles L. 1333-1 à L. 1333-3 du code du travail, un salarié peut contester devant le juge prud’homal, dans les délais de prescription, toute mesure disciplinaire prise à son encontre, même s’il a accepté de se voir appliquer la sanction.
Le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés à l’intéressé sont de nature à justifier la sanction contestée.
Sauf si la sanction est un licenciement ou une rupture du contrat à durée déterminée pour faute grave, le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
En l’espèce, s’agissant des ‘actes d’insubordination’ et des ‘propos tenus portant atteinte à l’image de l’entreprise’, l’employeur ne fait état dans l’avertissement d’aucun fait précis et daté permettant à la salariée d’avoir une connaissance exacte des griefs soulevés à son encontre, d’y répondre utilement et de se prévaloir, au besoin, du délai de prescription de deux mois de l’article L. 1332-4 du code du travail.
La salariée devait pouvoir s’exprimer librement lors de l’entretien préalable et faire valoir son point de vue, sauf abus. A ce sujet, les propos que l’avertissement lui prête (‘ce n’est pas moi qui fout le bordel dans la Société ni même chez tes clients mais toi’) sont contestés par elle et ne transparaissent pas dans le compte rendu dressé par M. [H], conseiller du salarié, qui était présent (pièce n° 5 de l’appelante). Il en est de même des insultes (‘Pire, vous vous êtes montrée insultante envers ma personne’) qui auraient été proférées, à défaut de toute indication de date, au moment de l’entretien préalable.
Mme [P] reconnaît, dans ses conclusions d’appel, une absence le 8 août 2018 qu’elle justifie par le refus de l’employeur de lui verser son salaire. Cette absence n’est pas mentionnée dans le courrier contesté et ne pouvait, de toute façon, pas fonder l’avertissement, puisqu’elle est intervenue postérieurement à l’entretien préalable du 25 juillet 2018. Certes, un employeur n’est pas tenu d’organiser un tel entretien préalablement à un simple avertissement, mais, dès lors qu’il a choisi de convoquer le salarié à un entretien selon les modalités de l’article L. 1333-2 du code du travail, il est tenu d’en respecter tous les termes, quelle que soit la sanction finalement infligée.
En conséquence, l’avertissement étant injustifié, le jugement est confirmé, en ce qu’il a annulé cette sanction.
Sur le harcèlement moral
L’article L. 1152-1 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
S’agissant de la preuve du harcèlement, l’article L. 1154-1 du même code précise que lorsque survient un litige relatif notamment à l’application de l’article L. 1152-1, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, puis, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, Mme [P] verse aux débats de nombreuses pièces, notamment des échanges de SMS, de nature purement privée, en ce qu’elles concernent l’existence de sa relation amoureuse avec le dirigeant de la société, M. [J], puis la séparation entre eux.
Mme [P] présente néanmoins les éléments de fait suivants en lien avec son travail:
– l’avertissement du 16 août 2018 qui était injustifié (voir ci-dessus) et postérieur à son arrêt de travail pour maladie à compter du 14 août 2018 ;
– des SMS de M. [J] (pièce n° 14) l’appelant à plusieurs reprises ‘mamie’ ;
– un échange de messages entre le conseiller du salarié et elle (pièce n° 6) faisant ressortir que M. [J] l’aurait traitée de ‘moche’ lors de l’entretien préalable ;
– un échange de SMS (pièce n° 17), dans lequel elle reproche à M. [J] de l’avoir dénigrée auprès de la société Ciblex, et un autre échange de SMS entre deux salariés de cette société (pièce n° 20), l’un d’eux écrivant ‘elle l’a interdit de site, parce qu’elle (comprendre Mme [P]) a stopper plusieurs fois sa tournée. Et seb en avait marre à force’ ;
– une attestation de M. [F] (pièce n° 19) qui indique notamment que M. [J] a entrepris une ‘pseudo guerilla’ à l’encontre de Mme [P] et que le propre remplaçant de M. [F] lui a confié que ‘Monsieur [J] lui avait interdit de parler à ma collègue en prétextant que celle-ci était une fouteuse de merde’ (sic) ;
– des tournées plus importantes que celles de son employeur, étant ajouté que celui-ci avait interdit à ses collègues de travail de l’aider à charger ;
– l’entretien de sa camionnette effectué par elle-même ;
– son salaire et ses fiches de paie remis en retard ;
– sa charge de travail qui n’a fait que s’intensifier, l’obligeant à travailler six jours sur sept, au-delà des horaires prévus et à effectuer des heures supplémentaires ;
– des risques pour sa sécurité et sa santé, de sorte qu’au mois d’août 2018, elle a adressé à son employeur des photographies de son bras atteint d’une tendinite en raison du poids des colis à porter.
Elle présente aussi :
– son message électronique de démission du 4 juin 2018 au motif que ‘votre attitude ambiguë envers vos employées de sexe féminin et votre persistance à vouloir me dénigrer auprès de mes collègues, m’empêche d’évoluer sereinement au sein de votre entreprise’, étant rappelé que Mme [P] est revenue ensuite sur sa décision ;
– les courriers des 19 juillet 2018 et 26 août 2018 adressés à l’inspection du travail, la lettre de dépôt de plainte du 28 septembre 2018 directement envoyée au procureur de la République et l’audition du 18 décembre 2018, dans lesquels elle dénonce notamment des faits de harcèlement moral commis par son employeur ;
– des éléments médicaux, à savoir un certificat du 31 août 2018 de son médecin traitant qui évoque ‘un état dépressif réactionnel à des difficultés dans son milieu professionnel’ (pièce n° 31), un certificat du 30 novembre 2018 (pièce n° 32), des éléments de son dossier médical (pièce n° 33), ses avis d’arrêt de travail et un rapport d’expertise médicale du 12 avril 2019 (pièce n° 62) ;
– une notification du 3 septembre 2019 de la MDPH (pièce n° 69) qui lui attribue une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé du 1er décembre 2018 au 30 novembre 2028.
Ces éléments de fait, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.
La société SMF express souligne que les faits dénoncés relèvent de la sphère privée et, en effet, les SMS dans lesquels M. [J] désigne Mme [P] comme ‘mamie’ ont été rédigés à l’occasion d’un échange de messages entre deux personnes ayant ou ayant eu une relation amoureuse, de sorte qu’ils ne concernent pas la relation de travail entre la société SMF express et l’appelante.
Il ne ressort pas clairement de l’échange de SMS entre M. [H] (pièce n° 6) et l’appelante que M. [J] a traité Mme [P] de ‘moche’ lors de l’entretien préalable du 25 juillet 2018, le représentant de la salariée indiquant seulement dans son SMS ‘Oui bien réagi mais j’espère que vous ne lui envoyer pas de messages car il peut son servire contre vous même si il vous traite de moche mdr ce qui n es pas le cas’. (sic). Le terme n’apparaît d’ailleurs pas dans le compte rendu établi par M. [H].
S’agissant de l’attitude hostile de la société Ciblex et de son équipe vis-à-vis de Mme [P], l’employeur considère, à juste titre, qu’il ne peut pas lui en être fait grief au regard des pièces qu’il produit (pièces n° 14 à 16), à savoir un message électronique du 3 juillet 2018 ainsi que deux courriers des 10 et 14 août 2018 émanant de cette société pour se plaindre d’un ‘chauffeur’ dont il n’est pas contesté qu’il s’agit de Mme [P] (voir pages 16 à 18 des conclusions de l’appelante).
L’attestation de M. [M] [F] (pièce n° 19 de l’appelante) ne répond pas au formalisme de l’article 202 du code de procédure civile (pas de mention sur un éventuel lien avec les parties, pas de mention qu’elle a été établie en vue de sa production en justice et que son auteur a eu connaissance qu’une fausse déclaration de sa part l’expose à des sanctions pénales et pas de mention de sa date de rédaction), étant observé que dans ses conclusions, la société SMF express se prévaut du fait que le conseil de prud’hommes a relevé que les conditions de l’article 202 du code de procédure civile n’étaient pas remplies.
Cette attestation ne saurait emporter la conviction de la cour, dans la mesure où elle est isolée pour une partie des faits qu’elle rapporte et où elle ne précise pas la date exacte des faits relatés. Au demeurant, la portée des constatations de M. [F] sur la relation de travail doit être relativisée par le contexte de séparation particulièrement conflictuelle entre M. [J] et l’appelante.
Concernant l’affirmation de l’employeur selon laquelle Mme [P] avait une tournée d’importance similaire à celle de ses collègues, il y a lieu de constater que les photographies de bordereaux, de cartons dans un hangar, de SMS émanant de l’appelante ou de son bras atteint d’une tendinite n’établissent pas que la salariée devaient porter des charges plus lourdes que ses collègues et/ou que ceux-ci refusaient de l’aider (ses pièces n° 24 à 26 et 30).
Mme [P] produit aussi à ce sujet :
– un SMS (pièce n° 64) de fin mai ou début juin 2018 de M. [J] qui écrit à Mme [P] : ‘Ca je dis pas le contraire que niveau poids t celle qui porte le plus’ ;
– une attestation de M. [U] (pièce n° 60) qui indique que ‘De plus, lorsqu’il était au dépot avec mes collègues lors du chargement des colis dans les camions, personne n’a aider [O] pour porter des colis jusque son camion, mes collègues et Monsieur [J] [S] étaient en train de parler et de rigoler entre eux’ ;
– une seconde attestation de M. [F] (pièce n° 61) qui relate que ‘ (…) madame [P] n’avait pas une tournée de livraison facile du au poids des colis. J’ai pu moi-même constaté le poids des colis qui étaient lourds lorsque je pouvais l’aider à charger son véhicule de livraison. En comparaison, je chargeais entre 200 et 300 kilos de marchandises sur ma tournée de livraison alors que Madame [P] ne livrait pas en dessous de 600 kilos! (…)’
Outre le caractère imprécis des informations contenues dans ces trois extraits, puisque ni la date des faits ni leur éventuelle répétition n’y sont précisées, l’employeur verse aux débats deux témoignages d’autres collègues de Mme [P] qui comportent des indications contraires, soit :
– une attestation de Mme [W], chauffeur-livreur, (pièce ° 11 de l’intimée) qui mentionne que M. [J] ne faisait aucune différence entre ses employés, hommes ou femmes, ‘tant au niveau charge de travail que conduite à notre égard’ ;
– une attestation de M. [M] [A] (pièce n° 17), chauffeur, qui mentionne que M. [J] ne lui a jamais demandé de ne pas aider ses collègues.
Au demeurant, les termes dans lesquels la salariée se plaignait auprès du dirigeant de l’entreprise du manque de coopération de ses collègues (pièce n° 22 de l’appelante) traduisent une attitude véhémente de la part de Mme [P] peu efficace pour susciter l’entraide attendue, mais en revanche de nature à dégrader l’ambiance de travail :
– SMS du 9 août 2018 : ‘Vous avez géré à 3 pour charger 2 colis. Tu void que j’ai pas besoin d’ouvrir la bouche pour vous ridiculiser. Vous le faites très bien tout seuls’ ;
– SMS du 10 août 2018 : ‘Mec, vous êtes 4 blaireux pour charger un camion. Y en a pas un qui m’aide alors que j’ai largement plus de poids’ ;
– SMS du 18 août 2018 : ‘4 pour charger un camion et à moi toute seule, j’arrive encore a partir avant vous avec largement plus de poids et le bras en attèle. Comme quoi, on est sali que par la merde’.
Il n’est pas établi que Mme [P] devait elle-même entretenir sa camionnette de service, le fait que celle-ci soit en mauvais état étant de nature à démontrer une carence d’entretien de la part de l’employeur ou du loueur, mais non que la salariée devait s’en charger elle-même. Dans un échange de SMS (pièce n° 39 de l’appelante), à la suite de divers problèmes mécaniques signalés par la salariée, M. [J] répond d’ailleurs qu’il prendra contact avec le loueur ou qu’il appellera le garagiste ou qu’il prêtera une autre camionnette à la salariée dans l’attente de la réparation.
Mme [P] ne précise pas quels bulletins de paie et salaire lui ont été donnés en retard, ce qui ne permet pas à la cour d’apprécier le caractère répété de cet agissement, à le supposer établi.
Dans son attestation (pièce n° 35 de l’appelante), M. [U] mentionne que, lors de la remise des fiches de paie, M. [J] les distribuait à tous les employés en mains propres, sauf à Mme [P]. M. [F] confirme, dans son attestation, que M. [J] ‘s’arrangeait pour nous remettre nos fiches de salaire quand elle n’était pas là ‘omettant’ de nous remettre la sienne qu’elle était obligée de mendier’.
M. [U] précise néanmoins que la fiche de paie de Mme [J] lui était transmise pour qu’il la lui donne, étant aussi observé que les bulletins de salaire produits par les deux parties ne font ressortir aucun retard dans l’établissement des chèques afférents.
S’agissant de l’intensification de la charge de travail de l’intéressée et des heures supplémentaires accomplies en conséquence, l’employeur souligne à juste titre qu’aucune demande de paiement d’heures supplémentaires restées impayées n’est présentée. Aucun relevé des heures de travail n’est versé aux débats. Les pièces produites par les parties, notamment celles visées par Mme [P] à ce sujet, ne permettent pas de conclure à une ‘hyperactivité’, aucun fait concret avéré ne venant illustrer une dégradation des conditions de travail, ne serait-ce qu’en termes de tournées.
Pour justifier de la dégradation de sa santé résultant de l »hyperactivité’, Mme [P] produit (pièce n° 30) un SMS dans lequel elle évoque, photographies à l’appui, une tendinite qu’elle ne pouvait pas soigner, car son employeur manquait, selon elle, de chauffeurs, la salariée annotant manuscritement sur la pièce que le message avait été envoyé le 8 août 2018. La société SMF express réplique que ces photographies du bras produites dans le cadre d’un échange de SMS ne valent pas preuve.
Il y a lieu de constater que, jusqu’au 8 août 2018, Mme [P] n’avait émis auprès de son employeur aucune plainte pour une pathologie résultant d’une ‘hyperactivité’ et qu’elle n’est plus revenue dans l’entreprise à compter du 14 août 2018, de sorte que ce message isolé ne caractérise aucun défaut de diligences de l’employeur.
Ainsi, au regard de ces éléments objectifs, la cour acquiert la conviction que Mme [P] n’a pas été victime de faits répétés constitutifs d’un harcèlement moral, le jugement étant confirmé sur ce point.
Il s’ensuit que la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral est rejetée.
Sur le renouvellement du contrat
Il ressort de l’article L. 1152-2 du code du travail qu’aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l’objet des mesures mentionnées à l’article L. 1121-2 du code du travail.
Cet article vise, entre autres, le renouvellement de contrat.
En l’espèce, le harcèlement moral n’a pas été retenu.
Il n’existait aucune obligation pour la société de renouveler le contrat, à condition que ce soit pour un motif indépendant de tout harcèlement et de toute discrimination. Sur ce point, comme l’a souligné le conseil de prud’hommes, l’intimée verse aux débats des éléments démontrant qu’un de ses clients, la société Ciblex, ne souhaitait plus voir Mme [P] travailler dans leur dépôt, à la suite de divers manquements.
En conséquence, Mme [P] est déboutée de sa demande de nullité de la décision de refus de renouvellement du contrat à durée déterminée, ainsi que de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
Sur le manquement à l’obligation de sécurité
Il résulte de l’article L. 4121-1 du code du travail que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
L’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité en justifiant avoir pris les mesures générales de prévention nécessaires et suffisantes, telles que prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Le salarié peut engager une action en paiement de dommages-intérêts contre l’employeur pour obtenir réparation du préjudice qu’il a subi du fait d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
En l’espèce, au soutien de ses affirmations selon lesquelles elle a souffert d’une tendinite et d’une névralgie cervico-brachiale, qu’elle souffre toujours du bras et qu’elle conservera des séquelles de la discopathie dégénérative dont elle est atteinte depuis qu’elle a travaillé pour le compte de la société SMF express, Mme [P] produit notamment les éléments médicaux suivants :
– un compte rendu de scanner rachidien cervical du 14 septembre 2018 qui conclut à une ‘Discopathie C3/C4 avec inversion de courbure’ ;
– le compte rendu d’un IRM du 13 novembre 2018 qui mentionne une ‘Discopathie dégénérative débutante de C3-C4 à C5-C6, sans hernie discale focale ni rétrécissement canalaire significatif »;
– une prescription du même jour pour des séances de kinésithérapie ;
– un certificat médical du 30 novembre 2018 de son médecin généraliste précisant qu’elle ‘présente une pathologie cervicale ‘chronique’ évoluant depuis plusieurs mois invalidante’ (pièce n° 32) ;
– des avis des 1er novembre 2018, 30 novembre 2018 et 14 décembre 2018 de-prolongation d’arrêt de travail pour ‘névralgie cervico-(illisible) droites’ ;
– un IRM du 14 janvier 2019 de l’épaule droite constatant une ‘Discrète atteinte dégénérative acromio-claviculaire’ ;
– un rapport d’examen médical du 12 avril 2019 établi par le docteur [K] [Y], expert près la cour d’appel de Metz, qui relate que Mme [P] s’est trouvée en arrêt de travail depuis le 14 août 2018 en raison de cervicobrachialgies droites et constate à l’examen clinique au niveau du rachis, des courbures physiologiques cervicales et dorso-lombaires, une sensibilité modérée à la pression de la charnière C7-T1 et des trapézalgies droites au palpé-roulé sans contracture, ainsi qu’au niveau de la ceinture scapulaire et des membres supérieurs une sensibilité modérée à la pression de l’acromio-claviculaire droite, une légère limitation des amplitudes de mobilité de l’épaule droite en abduction-antépulsion, sans limitation des rotations et une force de serrage légèrement déficitaire à droite.
Ces éléments médicaux n’évoquent pas explicitement de lien entre les pathologies décrites et le travail, le rapport d’examen médical du 12 avril 2019 précité mentionnant seulement (page 2) que ‘Depuis juillet 2018, Mme N. s’est plainte de l’apparition de douleurs diffuses du membre supérieur droit avec sensation ‘d’enraidissement’ des 3ème et 4ème doigts droits et algies ascendantes favorisées par les efforts professionnels (manipulation de près de 1000 kg de colis par jour)’.
Au delà de l’absence dans les pièces versées aux débats de toute déclaration par Mme [P] d’accident du travail ou de démarche de reconnaissance de maladie professionnelle, le lien entre les symptômes médicalement constatés et le travail de Mme [P] au sein de la société SMF express est certain, au vu :
– des conclusions du rapport d’examen médical du 12 avril 2019 qui mentionnent l’apparition des premiers symptômes de la pathologie au mois de juillet 2018 et une date de première constatation médicale au 14 août 2018 ;
– des photographies du bras (pièce n° 30) que la salariée a adressées dès le 8 août 2018 à son employeur pour se plaindre d’une tendinite avec la mention ‘C’est déjà remonté jusqu’à l’épaule, ça fait un mal de chien’ ;
– de la succession ininterrompue d’arrêts de travail à compter du 14 août 2018, alors que le contrat de travail n’était pas encore arrivé à son terme.
Le préjudice subi par Mme [P] est important, à la lecture du rapport d’expertise médicale du 12 avril 2019 qui conclut à :
– une incapacité temporaire totale de travail justifiée du 14 août 2018 au 14 janvier 2019;
– une incapacité partielle à compter du 15 janvier 2019, ‘l’état clinique étant compatible avec une activité professionnelle éventuellement à temps partiel et en poste adapté’ ;
– une consolidation non acquise au 12 avril 2019, mais qui devait être obtenue dans un délai de trois mois à compter de cette date ;
– une incapacité permanente partielle professionnelle, à titre provisionnel, dans une fourchette de 8 à 15%.
Au demeurant, le 3 septembre 2019, la MDPH de Moselle a reconnu Mme [P] en tant que travailleuse handicapée pour une période allant du 1er décembre 2018 au 30 novembre 2028.
La société SMF express ne rapporte aucune preuve de mesures de protection et de prévention, notamment au regard de la nature de son activité et de l’article R. 4541-9 du code du travail qui prévoit que les femmes ne sont pas autorisées à porter des charges supérieures à 25 kilogrammes ou à transporter des charges à l’aide d’une brouette supérieures à 40 kilogrammes, brouette comprise.
En conséquence, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité étant établi, la société SMF express est condamnée à payer à Mme [P] la somme de 6 000 euros de dommages-intérêts, le jugement étant infirmé sur ce point.
Cette somme est assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le jugement est infirmé en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile.
En raison des circonstances de l’espèce, il y a lieu, dans les conditions prévues par l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridique, devenu l’article 700 (2°) du code de procédure civile, d’allouer à Me Florence Martin, avocate de Mme [P] qui bénéficie de l’aide juridictionnelle totale, la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu’en cause d’appel et que Mme [P] aurait exposés si elle n’avait pas été bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, à charge pour l’avocate si elle recouvre tout ou partie de cette somme de renoncer à percevoir tout ou partie de la part contributive de l’Etat dans les conditions de ce texte.
La société SMF express est déboutée de ses demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée aux dépens d’appel, comme elle l’a été à ceux de première instance.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement, sauf en ce qu’il a rejeté la demande présentée par Mme [O] [P] de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité et en ce qu’il n’a pas fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la SASU SMF express à payer à Mme [O] [P], à titre de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité, la somme de 6 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Rejette les demandes présentées par la SASU SMF express sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SASU SMF express à verser à Maître Florence Martin, avocate de Mme [O] [P], la somme de 2 500 euros en application et dans les conditions de l’article 700 (2°) du code de procédure civile ;
Condamne la SASU SMF express aux dépens d’appel.
La Greffière La Présidente