Sur l’exécution du contrat de travail :
Le salarié a droit à la santé et au repos, conformément aux directives européennes et à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Tout accord de forfait en jours doit respecter les durées maximales de travail et les repos journaliers et hebdomadaires. L’employeur doit prouver qu’il a respecté les stipulations de l’accord collectif pour assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés en forfait jours. En l’absence de preuve, la convention de forfait en jours est privée d’effet.
Sur le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et des repos compensateurs :
En cas de litige sur les heures de travail effectuées, le salarié doit fournir des éléments précis pour réclamer des heures supplémentaires. Le juge évalue souverainement le montant des heures supplémentaires et fixe les créances salariales. En l’espèce, le salarié a fourni un décompte précis des heures supplémentaires, tandis que l’employeur n’a pas contre-argumenté de manière convaincante.
Sur la contrepartie obligatoire en repos :
Les heures supplémentaires au-delà du contingent annuel donnent droit à une contrepartie obligatoire en repos. En l’absence de cette contrepartie, le salarié a droit à une indemnité. En l’espèce, le salarié a effectué des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel sans bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos.
Sur l’indemnité pour travail dissimulé :
Pour prouver un travail dissimulé, il faut démontrer que l’employeur a intentionnellement dissimulé l’emploi salarié. En l’espèce, cette dissimulation n’est pas suffisamment démontrée, et la demande d’indemnité pour travail dissimulé est rejetée.
Sur les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :
L’employeur doit respecter les dispositions légales relatives au repos du salarié. En cas de non-respect, le salarié peut demander des dommages et intérêts. En l’espèce, la société a failli à son obligation de respecter le repos du salarié, causant un préjudice qui doit être réparé.
Sur la rupture du contrat de travail :
Le licenciement pour motif économique doit reposer sur des causes réelles et sérieuses. En l’espèce, les difficultés économiques et la réorganisation de l’entreprise invoquées ne sont pas suffisamment démontrées, rendant le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à une indemnité. En l’espèce, le salarié a droit à une indemnité en raison du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur le remboursement des indemnités de chômage :
L’employeur doit rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées au salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes accessoires :
Les condamnations porteront intérêts au taux légal, et la société est condamnée aux dépens et aux frais irrépétibles. Une somme est allouée au salarié au titre des frais exposés en première instance et en appel.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-2
ARRÊT AU FOND
DU 20 OCTOBRE 2023
N° 2023/294
Rôle N° RG 19/14807 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BE5EA
[L] [I]
C/
SASU ISS LOGISTIQUE & PRODUCTION
Copie exécutoire délivrée
le : 20 octobre 2023
à :
Me Diane ECCLI, avocat au barreau de TOULON
Me Coralie RENAUD, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARTIGUES en date du 26 Août 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F17/00036.
APPELANT
Monsieur [L] [I], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Diane ECCLI, avocat au barreau de TOULON
INTIMEE
SASU ISS LOGISTIQUE & PRODUCTION prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Coralie RENAUD, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 13 Septembre 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseillère a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre
Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante
Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Octobre 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Octobre 2023,
Signé par Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre et Mme Cyrielle GOUNAUD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCEDURE
La société ISS Logistique & Production est spécialisée dans les activités de logistique et de production déléguée, les opérations de contrôle qualité et la prise en charge des process administratifs, à destination des entreprises des secteurs industriel et tertiaire.
M. [L] [I] a été embauché par la société ISS Logistique & Production par contrat à durée indéterminée à compter du 2 décembre 2013 en qualité de coordinateur logistique, cadre, position II coefficient 100.
Par avenant du 1er mai 2014, il est devenu chef d’équipe, cadre, position II, coefficient 108.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
Au dernier état de la relation de travail, M. [I], affecté administrativement à l’unité de Production de [Localité 3], exerçait effectivement ses fonctions sur le site du client AIRBUS HELICOPTERS (EUROCOPTER) à [Localité 4], était soumis à une convention de forfait annuel de 218 jours et percevait une rémunération brute mensuelle de base de 3 000,00 euros bruts, outre un treizième mois.
Par lettre remise en main propre du 9 mars 2016, M. [I] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement pour motif économique prévu le 17 mars 2016.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 30 mars 2016, il a été licencié pour motif économique.
M. [I] a saisi, par requête réceptionnée au greffe le 12 janvier 2017, le conseil de prud’hommes de Martigues pour contester son licenciement et solliciter diverses sommes à caractère indemnitaire et salarial.
Par jugement du 26 août 2019 notifié le 27 août 2019, le conseil de prud’hommes de Martigues, section encadrement, a :
– dit et jugé que le licenciement pour motif économique de M. [L] [I] est parfaitement régulier et fondé,
– dit et jugé que la convention de forfait jours s’applique pleinement,
– dit et jugé M. [L] [I] mal fondé en ses demandes d’heures supplémentaires, de contrepartie obligatoire de repos et d’indemnité pour travail dissimulé,
– débouté en conséquence M. [L] [I] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– débouté la société ISS Logistique & Production de sa demande relative au paiement de la somme de 2 000,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [L] [I] aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration du 20 septembre 2019 notifiée par voie électronique, M. [I] a interjeté appel du jugement en précisant : ‘Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués’.
Par déclaration du 23 septembre 2019 notifiée par voie électronique, il a interjeté appel du jugement en renvoyant pour les chefs de jugement critiqués à un document joint à cette déclaration, lequel précise que l’appel porte sur l’ensemble des chefs du jugement, hormis le débouté de la demande formée par la société ISS Logistique & Production au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 4 septembre 2020, le magistrat de la mise en état a joint les deux procédures.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Dans ses dernières conclusions notifiées au greffe par voie électronique le 15 juin 2020, M. [L] [I], appelant, demande à la cour de :
– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Martigues du 26 août 2019 en ce qu’il a :
– dit et jugé que son licenciement pour motif économique est parfaitement régulier, et fondé,
– dit et jugé que la convention de forfait jours s’applique pleinement,
– l’a dit et jugé mal fondé en ses demandes d’heures supplémentaires, de contrepartie obligatoire de repos et d’indemnité pour travail dissimulé,
– l’a débouté de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– l’a condamné aux entiers dépens de l’instance,
– le confirmer en ce qu’il a débouté la société ISS Logistique & Production de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter en conséquence la société ISS Logistique & Production de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– dire et juger que son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– dire et juger que la convention forfait jour est sans effet le concernant, qu’il a réalisé des heures supplémentaires et aurait dû bénéficier d’une contrepartie en repos, que la société ISS Logistique & Production a commis des actes constitutifs de travail dissimulé et que l’employeur est responsable de l’exécution fautive du contrat de travail qui lui a causé un préjudice,
– condamner par conséquent la société ISS Logistique & Production au paiement des sommes suivantes :
– 35 000,00 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 5 000,00 euros nets à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,
– 18 278,74 euros bruts à titre de rappel d’heures supplémentaires impayées, la convention forfait jour étant non applicable,
– 1 827,87 euros au titre des congés payés afférents,
– 20 977,62 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, la convention forfait jour étant non applicable,
– 4 433,22 euros à titre de contrepartie obligatoire en repos, la convention forfait jour étant non applicable,
– 443,32 euros au titre des congés payés afférents,
– ordonner les intérêts de droit à compter de la demande,
– ordonner la capitalisation des intérêts,
– ordonner la remise par la société ISS Logistique & Production de l’attestation Pôle Emploi et des bulletins de salaire rectifiés sous astreinte de 200,00 euros par jour de retard et par document,
– fixer la moyenne des douze derniers mois de salaire à la somme de 3 496,27 euros bruts,
– condamner la société ISS Logistique & Production au droit de recouvrement ou d’encaissement en application de l’article 10 du décret du 12 décembre 1996,
– la condamner à payer la somme de 2 000,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile correspondant à la première instance et celle de 3 000,00 euros correspondant à l’appel,
– la condamner aux entiers dépens distraits au profit de Maître Diane ECCLI, Avocat, sur son affirmation de droit.
A l’appui de son recours, l’appelant fait valoir en substance que :
– le licenciement dont il a fait l’objet est dépourvu de cause réelle et sérieuse au regard de l’absence de motif économique réel et sérieux et du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement ;
– la société ne justifie pas avoir rencontré de difficultés économiques ayant exigé la suppression de son poste de travail ni en son sein ni à l’échelle du Groupe, l’appréciation du critère se faisant au niveau national ;
– elle n’établit pas avoir été contrainte de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise ;
– la seule perte d’un marché ne suffit pas à établir le motif économique d’un licenciement et celle-ci n’est pas démontrée ;
– le 4 juillet 2016, soit à la même période, l’inspection du travail de Haute Garonne a refusé le licenciement par la société d’un autre salarié considérant que le motif économique n’était pas justifié ;
– l’employeur a manqué à son obligation de reclassement ;
– il n’a pas respecté ses obligations conventionnelles résultant de l’accord national du 12 juin 1987 sur les problèmes généraux de l’emploi dans la métallurgie, qui étendent le périmètre de reclassement et contraignent à respecter, avant tout licenciement, une procédure destinée à favoriser ce reclassement à l’extérieur de l’entreprise ;
– il ne justifie pas avoir informé la commission territoriale de l’emploi ;
– il ne démontre pas l’absence de poste disponible ;
– la société n’a pas procédé à un suivi de sa charge d’activité de sorte que la convention de forfait en jours se trouve privée d’effets ;
– il a effectué de nombreuses heures au-delà de la durée hebdomadaire de 35 heures et au-delà du contingent ouvrant droit à des compensations en repos ;
– l’absence d’effet de la convention de forfait en jours doit entraîner le versement de l’indemnité pour travail dissimulé ;
– l’employeur a méconnu son droit au repos lui causant nécessairement un préjudice.
Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 16 mars 2020, la société ISS Logistique & Production demande à la cour, au visa de l’article 1134 du code civil, des articles L1233 et suivants du code du travail et de l’article 700 du code de procédure civile, de :
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
– dire et juger M. [I] irrecevable et en tout cas mal fondé en ses demandes;
– le débouter en conséquence de l’ensemble de ses demandes,
– le condamner à lui verser la somme de 3 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [I] aux entiers dépens d’appel, dont distraction au profit de Maître Joseph MAGNAN, membre de la SCP Paul & Joseph MAGNAN, Avocat, sous sa due affirmation de droit.
L’intimée réplique que :
– son activité et son organisation ayant été significativement affectées par la perte du marché auquel M. [I] était affecté, elle n’a eu d’autre choix que de procéder à une restructuration et proposer une solution de reclassement au salarié ;
– elle a loyalement mis en oeuvre les mesures d’accompagnement présentées aux instances représentatives du personnel à l’égard de M. [I] et parfaitement respecté son obligation de reclassement dans l’entreprise ainsi qu’au sein des différentes sociétés du groupe situées en France ;
– s’agissant de l’application de la convention de forfait en jours, elle a respecté les garanties conventionnelles destinées à assurer la santé et la sécurité des travailleurs soumis à un forfait comme le caractère raisonnable de leur amplitude et/ou leur charge de travail ;
– M. [I] ne rapporte pas la preuve d’avoir effectué des heures au-delà de 35 heures et au-delà du contingent annuel ;
– l’infraction de travail dissimulé n’est pas caractérisée en l’absence d’éléments matériel et intentionnel ;
– le salarié ne justifie ni une exécution déloyale du contrat de travail ni le préjudice qu’il aurait subi à ce titre.
Une ordonnance de clôture est intervenue le 17 avril 2023, renvoyant la cause et les parties à l’audience des plaidoiries du 17 mai suivant. L’affaire a été renvoyée au 13 septembre 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties et au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’exécution du contrat de travail :
Sur l’opposabilité de la convention de forfait en jours :
Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
Il résulte des articles 17, paragraphe 1, et 4 de la directive 1993/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, ainsi que des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, d’une convention ou d’un accord de branche dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires.
Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a respecté les stipulations de l’ accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours. A défaut, il en résulte un manquement de celui-ci à ses obligations légales et conventionnelles pour s’assurer, de façon effective et concrète, du temps de travail effectué par le salarié, de sorte que la convention de forfait en jours du salarié est privée d’ effet. Celui-ci est dès lors fondé à solliciter le paiement d’heures supplémentaires effectuées et non rémunérées.
Selon l’article 14 de l’accord du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail dans la métallurgie, le forfait en jours s’accompagne d’un contrôle du nombre de jours travaillés, afin de décompter le nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises ; que l’employeur est tenu d’établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail ; que ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l’employeur ; que le supérieur hiérarchique du salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours assure le suivi régulier de l’organisation du travail de l’intéressé et de sa charge de travail ; qu’en outre, le salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours bénéficie, chaque année, d’un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l’organisation et la charge de travail de l’intéressé et l’amplitude de ses journées d’activité ; que cette amplitude et cette charge de travail devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé.
L’article 4 de l’avenant du 1er mai 2014 au contrat de travail énonce que ‘le décompte du temps de travail de Monsieur [L] [I] se fera en jours, soit 218 jours annuels travaillés’. L’article 6 stipule que ‘les conditions de l’emploi de Monsieur [L] [I] sont définies par les textes législatifs et réglementaires en vigueur, par la Convention Collective Nationale des Ingénieurs et Cadres de la Métallurgie, (…)’.
Pour justifier du contrôle du nombre de jours travaillés, l’employeur verse aux débats des tableaux semestriels de présence portant le nom de M. [I], précisant les jours travaillés mais pas le nombre, qui ne sont signés ni par le salarié ni par son supérieur hiérarchique. Après comptabilisation des jours, ces tableaux fonts apparaître, ainsi que le relève le salarié, un nombre de jours annuels travaillés supérieur à 218 jours (229 en 2014 et 246 jours en 2015).
La société communique également deux comptes-rendus d’entretiens annuels ne faisant état d’aucun suivi de la charge de travail du salarié et de l’amplitude de ses journées.
L’intimée ne démontre pas au regard de ces éléments avoir satisfait aux stipulations de l’ accord collectif du 28 juillet 1998.
En conséquence, la convention de forfait en jours est privée d’effet. Le jugement déféré est infirmé en ce sens.
Sur le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et des repos compensateurs :
L’inopposabilité de la convention de forfait entraîne le décompte du temps de travail et des heures supplémentaires selon le droit commun du code du travail. Ainsi, la suspension des effets du forfait autorise le salarié à réclamer s’il y a lieu le paiement d’heures supplémentaires.
Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant (Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919).
M. [I] forme une demande de rappel d’heures supplémentaires pour la période comprise entre son embauche (2 décembre 2013) et le 23 décembre 2015. Au soutien de sa demande, il produit aux débats un décompte des heures de travail qu’il affirme avoir accomplies durant cette période.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
La société ISS Logistique & Production se contente de contester le décompte produit par le salarié sans apporter de pièces permettant de contrer les horaires déclarés par ce dernier.
En l’état des éléments dont la cour dispose, il sera alloué à M. [I] un rappel d’heures supplémentaires fixé à 18 278,74 euros bruts, outre 1 827,87 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement déféré est infirmé en ce sens.
Sur la contrepartie obligatoire en repos :
Selon les dispositions de l’article L. 3121-30 du code du travail, des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel. Les heures effectuées au delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos.
L’article 6.1 de l’accord national du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail dans la métallurgie prévoit que le contingent annuel d’ heures supplémentaires est fixé à 220 heures, par an et par salarié, en cas de décompte de la durée légale du travail sur la semaine.
M. [I] indique avoir effectué :
– 387 heures supplémentaires en 2014, soit 167 heures au-delà du contingent ;
– 288 heures supplémentaires en 2015, soit 68 heures au-delà du contingent.
L’employeur dément l’accomplissement d’heures supplémentaires au-delà du contingent annuel au cours des 26 mois de collaboration.
Au vu de ces éléments et des développements précédents relatifs aux heures supplémentaires, le salarié n’ayant pas bénéficié de la contrepartie obligatoire en repos, il convient de faire droit à ses demandes et de condamner l’employeur à lui payer 4 433,22 euros au titre de l’indemnité de contrepartie obligatoire en repos non pris sur les années 2014 et 2015, outre 443,32 euros au titre des congés payés afférents.
Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.
Sur l’indemnité pour travail dissimulé :
En application de l’article L.8221-5 du code du travail, le travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié exige la démonstration que l’employeur s’est soustrait intentionnellement à ses obligations relatives aux mentions du nombre d’heures de travail portées sur le bulletin de paie.
L’article L. 8223-1 dispose qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l’espèce, la réalité d’une volonté de l’employeur de dissimuler l’activité ou l’emploi de M. [I], au sens des articles L8221-1 et suivants du code du travail, n’est pas suffisamment démontrée et qui ne saurait être déduite de la seule invalidité du forfait en jours discutée qu’au cours de l’instance prud’homale et des rappels de salaire retenus. Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnité pour travail dissimulé.
Sur les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :
Les dispositions de l’article L.3171-4 du code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l’employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus tant par le droit de l’Union Européenne que par le droit interne, qui incombe à l’employeur.
M. [I] expose que la société ISS Logistique & Production n’a pas respecté pas les dispositions du code du travail relatives au repos et que les mauvaises conditions de travail ont eu des répercussions importantes sur sa vie privée et sa santé.
La société ISS Logistique & Production réplique avoir parfaitement respecté ses obligations et exécuté de bonne foi le contrat de travail du salarié. Elle invoque ensuite l’absence de manquement de l’employeur susceptible de causer nécessairement et par nature un préjudice au salarié qu’il appartiendrait au juge de réparer.
Au vu des développements précédents, la cour retient que la société ISS Logistique & Production a failli à son obligation de respecter le repos du salarié.
Le préjudice subi du fait de la privation du repos consiste pour le salarié en un trouble dans la vie personnelle et des risques pour sa santé et sa sécurité lequel sera réparé par l’allocation de la somme de 500,00 euros. Le jugement entrepris est infirmé sur ce point.
Sur la rupture du contrat de travail :
Sur le motif économique du licenciement :
Aux termes de l’article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable à l’espèce antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, constitue un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué pour un ou plusieurs motifs, non inhérents à la personne du salarié, qui repose sur une cause économique (notamment, des difficultés économiques ou des mutations technologiques, mais aussi, la réorganisation de l’entreprise, la cessation non fautive d’activité de l’entreprise), laquelle cause économique doit avoir une incidence sur l’emploi du salarié concerné (suppression ou transformation) ou sur son contrat de travail (emporter une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel de son contrat de travail).
La réorganisation de l’entreprise, motivée par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité ou celle du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient, ne peut constituer une cause économique de licenciement que si l’employeur démontre l’existence d’une menace sur cette compétitivité et l’impossibilité d’y pallier dans le cadre de l’organisation existante.
Si l’entreprise appartient à un groupe, les difficultés économiques ou la menace sur la compétitivité s’apprécient au niveau du secteur d’activité.
Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.
De la lecture de la lettre de licenciement, il ressort que deux causes autonomes sont invoquées à savoir des difficultés économiques et concomitamment la réorganisation de l’entreprise afin de sauvegarder sa compétitivité.
Tout d’abord, aucune pièce communiquée par l’employeur à hauteur d’appel ne permet de caractériser les difficultés économiques invoquées dans la lettre de licenciement. Cette cause économique autonome n’est d’ailleurs pas reprise par la société aux termes de ses dernières écritures.
Ensuite s’agissant de la nécessité de réorganiser l’entreprise, la lettre de licenciement expose : ‘la perte de certaines activités du contrat bouleverse l’équilibre entre le niveau des effectifs, d’une part, et le parc des marchés dont nous sommes titulaires. Cette rupture d’équilibre est susceptible de menacer la compétitivité de l’entreprise et implique une réorganisation destinée à harmoniser nos effectifs avec la nouvelle configuration des marchés’.
Il est observé que la perte invoquée d’un marché avec la société AIRBUS HELICOPTERS n’est pas rapportée. Selon les explications mêmes de l’intimée, la société AIRBUS HELICOPTERS lui aurait confié au mois de décembre 2013 (période d’embauche de M. [I]) une prestation dite ‘FPS’ (Fiches de Conditionnement et de Stockage) pour une durée de 2 ans devant prendre fin le 31 décembre 2015. Or, aucun élément au dossier ne permet d’établir que cette prestation avait vocation à être renouvelée et n’était pas simplement ponctuelle. L’intimée ne précise d’ailleurs pas la société qui aurait remporté ce contrat en décembre 2015.
La société évoque sinon la perte en décembre 2015 d’un autre contrat concernant une activité ‘WPD-Spares forecast & planning’ qui occupait un ingénieur (autre que M. [I]) remporté par un concurrent, la société ASSYSTEM.
Force est de constater que la société ISS Logistique & Production, au regard de sa taille et de ses effectifs (environ 1635 personnes fin 2015 selon l’extrait du site société.com produit par l’appelant) ne démontre aucunement dans le cas d’espèce l’existence d’une menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise ou du secteur d’activité et la nécessité de prendre des mesures d’anticipation afin de préserver notamment l’emploi. La lettre de licenciement n’évoque d’ailleurs qu’une menace de type hypothétique (‘Cette rupture d’équilibre est susceptible de menacer la compétitivité de l’entreprise’).
Le licenciement pour motif économique de M. [I] est de ce fait dépourvu de cause réelle et sérieuse, sans qu’il soit nécessaire de répondre au moyen relatif à l’obligation de reclassement.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Aux termes de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa version du 1er mai 2008 au 24 septembre 2017, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement prévue à l’article L.1234-9.
La moyenne des douze derniers mois de salaire est fixée à la somme de 3 496,27 euros bruts.
En considération de l’âge du salarié (34 ans), de son ancienneté (un peu plus de deux ans), de sa qualification, de sa rémunération, de son aptitude à retrouver du travail et des éléments produits (perception de l’allocation de retour à l’emploi jusqu’en mars 2018), le préjudice subi par M. [I] sera justement réparé par l’allocation d’une somme de 21 000,00 euros. Le jugement déféré est infirmé de ce chef.
Sur le remboursement des indemnités de chômage :
Il convient d’ordonner d’office, en application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, le remboursement par la société ISS Logistique & Production à Pôle emploi des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d’indemnités.
Sur les demandes accessoires :
En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales, soit le 19 janvier 2017 et, s’agissant des créances indemnitaires, à compter du présent arrêt.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil, par infirmation du jugement.
Il sera fait droit à la demande de transmission d’une attestation Pôle Emploi et d’un bulletin de salaire récapitulatif sans qu’il apparaisse nécessaire de l’assortir de l’astreinte sollicitée.
Il y a lieu d’infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles à l’exception du débouté de la la société ISS Logistique & Production au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il y a lieu de condamner la société ISS Logistique & Production, partie perdante, aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à M. [I] la somme de 2 800,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en cause d’appel.
Il n’y a pas lieu à application de l’article 699 du code de procédure civile dès lors que si la représentation est obligatoire en procédure d’appel de décisions prud’homales, le ministère d’avocat ne l’est pas puisque des défenseurs syndicaux peuvent assurer cette représentation.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement,
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnité pour travail dissimulé,
STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que la convention de forfait en jours est privée d’effet,
CONDAMNE la société ISS Logistique & Production à verser à M. [L] [I] les sommes de :
– 18 278,74 euros bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre 1 827,87 euros au titre des congés payés afférents,
– 4 433,22 euros au titre de l’indemnité de contrepartie obligatoire en repos non pris sur les années 2014 et 2015, outre 443,32 euros au titre des congés payés afférents,
– 500,00 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– 21 000,00 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
DIT que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter du 19 janvier 2017 et les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,
ORDONNE d’office le remboursement par la société ISS Logistique & Production à Pôle emploi du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de six mois d’indemnités,
FIXE le salaire moyen sur la base des douze derniers mois à la somme de 3 496,27 euros bruts,
DIT que la société ISS Logistique & Production devra transmettre à M. [L] [I] dans le délai d’un mois suivant la notification de la présente décision une attestation Pôle emploi conformes et un bulletin de salaire récapitulatif sans que l’astreinte soit nécessaire,
CONDAMNE la société ISS Logistique & Production aux dépens de première instance et d’appel,
CONDAMNE la société ISS Logistique & Production à verser à M. [L] [I] la somme de 2 800,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et procédure d’appel.
Le greffier Le président