Sur la demande principale en réparation pour rupture abusive du contrat saisonnier
Selon l’article L 1242-2 3° du code du travail, un contrat saisonnier peut être conclu pour une tâche précise et temporaire, avec des tâches répétées chaque année selon une périodicité fixe liée aux saisons. Le contrat de travail à durée déterminée saisonnier ne prend fin qu’avec la réalisation de son objet, c’est-à-dire à la fin de la saison. Dans cette affaire, la société CEMOI CONFISEUR a mis fin au contrat de travail de Madame [V] avant la fin de la saison liée à la fabrication de chocolats pour Pâques.
Motifs de la décision
La société CEMOI CONFISEUR a prouvé que la saison de fabrication des chocolats de Pâques était achevée à la date de la fin du contrat de Madame [V]. Par conséquent, la rupture du contrat n’était pas abusive, et le jugement qui l’a déboutée de sa contestation a été confirmé.
Sur la demande d’indemnisation de l’employeur pour procédure abusive
L’employeur a demandé une indemnisation pour une procédure abusive, mais cette demande a été rejetée car il n’a pas prouvé que l’action de Madame [V] était dilatoire ou abusive au point de justifier une amende civile.
Sur les demandes accessoires
Les demandes de première instance et d’appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile ont été rejetées. Madame [V] a été condamnée aux dépens de première instance et d’appel, conformément aux règles de l’aide juridictionnelle.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 21/05511 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NW6S
[V]
C/
S.A.S.U. CEMOI CONFISEUR
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de SAINT-ETIENNE
du 10 Juin 2021
RG : F 19/00214
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 08 NOVEMBRE 2023
APPELANTE :
[O] [V]
née le 01 Février 1984 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Jean-yves DIMIER de la SELARL JEAN-YVES DIMIER, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/022338 du 22/07/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de LYON)
INTIMÉE :
S.A.S.U. CEMOI CONFISEUR
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Benjamin DESAINT de la SELAS FACTORHY AVOCATS, substitué par Me Eva CONSTANTINI, avocats au barreau de PARIS
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 08 Septembre 2023
Présidée par Nabila BOUCHENTOUF, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Fernand CHAPPRON, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Etienne RIGAL, président
– Vincent CASTELLI, conseiller
– Nabila BOUCHENTOUF, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 08 Novembre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Etienne RIGAL, Président et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Madame [O] [V] (ci-après, la salariée) a été embauchée par la société CÉMOI CONFISEUR (ci-après, la société), en qualité d’opérateur de production à compter du 9 janvier 2019, à temps plein et en contrepartie d’une rémunération mensuelle de 1.521 € bruts.
Ledit contrat de travail à caractère saisonnier était conclu pour une durée déterminée et avait pour objet ‘la fabrication spécifique de produits pour Pâques 2019″.
S’agissant de la durée du contrat, l’article 5 prévoyait que le terme était imprécis, que sa durée minimale était de 4 semaines et que si les travaux relatifs à la saison se prolongeaient au-delà de cette durée minimale, le contrat se poursuivrait automatiquement jusqu’à l’achèvement desdits travaux qui constituerait alors son terme.
Le 30 janvier 2019, la salariée a été placée en arrêt de travail jusqu’au 12 février 2019.
L’employeur a mis un terme au contrat de travail de la salariée, le 8 février 2019.
Le 7 juin 2019, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Étienne aux fins de dire et juger abusive la rupture de son contrat de travail à durée déterminée et condamner la société à lui verser la somme de 3.673,89 € au titre des rappels de salaire, outre congés payés afférents ainsi que la somme de 3.000 € nets de dommages et intérêts pour préjudice moral, outre une somme de 2.400 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle sollicitait également la remise de documents sociaux rectifiés.
Par jugement du 10 juin 2021, le conseil a’:
– dit et jugé que la rupture du contrat de travail de la salariée n’était pas abusive,
– débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la société, prise en la personne de son représentant légal, de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire,
– laissé les entiers dépens de l’instance à la charge de la salariée qui seront recouvrés en application des règles en matière d’aide juridictionnelle.
La salariée a relevé appel du jugement le 28 juin 2021.
Dans ses conclusions notifiées le 26 décembre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la salariée demande à la cour de’:
– infirmer le jugement du 10 juin 2021 rendu par le conseil de prud’hommes de Saint-Étienne, en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
– juger abusive la rupture de son contrat de travail à durée déterminée,
– condamner en conséquence, la société à lui payer les sommes suivantes, outre intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter du ‘jugement à intervenir’ pour les créances indemnitaires :
3.673,89 € bruts à titre de rappel de salaires,
367,39 € bruts au titre des congés payés afférents,
3.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.
– enjoindre à la société de lui remettre une attestation destinée à Pôle emploi, un bulletin de salaire du mois de février 2019 et un certificat de travail conformes au jugement à intervenir.
– condamner la société à lui payer la somme de 2.400 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure.
La salariée fait valoir en substance que’:
– la rupture de son contrat de travail est abusive, la société l’ayant rompu de manière anticipée alors que les travaux de préparation de chocolats pour Pâques n’avaient pas pris fin’; que son contrat aurait dû en réalité, se poursuivre jusqu’au 21 avril 2019, date des fêtes de Pâques et que la société ne rapporte pas la preuve que la préparation desdits chocolats s’étaient terminée définitivement le 8 février 2019′; qu’en réalité, la société a mis fin à son contrat de travail car elle se trouvait en arrêt maladie pendant la saison de Pâques.
Dans ses conclusions notifiées le 26 juin 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la société demande à la cour de’:
A titre principal :
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Saint-Étienne en ce qu’il a débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes et laissé les dépens à sa charge’;
– débouter la salariée de l’intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire :
– réduire le montant des dommages-intérêts sollicités par la salariée à la somme de un euro symbolique compte tenu de l’absence de preuve d’un quelconque préjudice ;
A titre reconventionnel, et en tout état de cause :
– condamner la salariée aux entiers dépens de l’instance,
– condamner la salariée au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la salariée au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile.
La société fait valoir que’:
– la rupture du contrat de travail de la salariée n’est pas abusive puisque d’une part, elle est intervenue à l’issue de la durée minimale de 4 semaines stipulée dans son contrat et, d’autre part, sa mission de fabrication des produits spécifiques de Pâques était terminée, son contrat était arrivé de ce fait à son terme, indépendamment de son arrêt maladie et à l’instar des autres contrats saisonniers,
– sa mission était achevée au 8 février 2019 dans la mesure où la salariée intervenait au premier stade de productions des produits de Pâques, soit nécessairement en amont des fêtes de Pâques, les produits devant ensuite être emballés, expédiés puis vendus ; que par ailleurs, la salariée n’apporte pas la preuve que sa mission se serait poursuivie postérieurement à la fin de son contrat de travail,
– à titre subsidiaire, la salariée ne rapporte pas la preuve de son préjudice moral, ni de la faute de la société, et sa demande de rappel de salaire jusqu’au 21 avril est infondée puisqu’elle n’a participé qu’à la production des chocolats qui s’est achevée au jour de la rupture de son contrat de travail,
– à titre reconventionnel, malgré une relation de travail antérieure au contrat saisonnier du 08 janvier 2019, la salariée a engagé des poursuites manifestement abusives contre la société et a persisté en l’attrayant devant la cour d’appel.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 juin 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande principale en reparation pour rupture abusive du contrat saisonnier
L’article L 1242-2 3° du code du travail prévoit qu’un ‘contrat à durée déterminée peut être conclu pour une tâche précise et temporaire dans le cas d’un emploi à caractère saisonnier dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectif. »
L’article L.1242-7 alinéa 1er du code du travail édicte que le contrat de travail à durée déterminée comporte un terme fixé avec précision dès sa conclusion. L’article L.1242-7 alinéa 2, 3°du même code énonce cependant que, toutefois, le contrat peut ne pas comporter de terme précis en cas d’emplois à caractère saisonnier définis au 3° de l’article L. 1242-2 ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
Il est de principe que le contrat à durée déterminée saisonnier conclu sans terme précis ne prend fin qu’avec la réalisation de son objet, c’est à dire lorsque la saison est terminée, et que l’employeur ne peut donc y mettre fin à l’expiration de la période minimale, alors que la saison n’est pas encore achevée.
Il est constant que la société CEMOI CONFISEUR a pour activité la fabrication de confiseries et de chocolats. La régularité formelle de ce contrat saisonnier à durée déterminée n’est pas contestée et il n’est pas contesté du reste, que l’employeur a recours à des contrats saisonniers, ‘pour l’accomplissement de tâches non durables appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs’, ces périodes correspondant à certaines festivités (chocolats de Pâques ou de Noël).
En l’espèce, selon contrat de travail saisonnier à durée déterminée à terme imprécis du 9 janvier 2019, Madame [V] a été recrutée par la SASU CEMOI CONFISEURS en qualité d’opérateur de production pour une durée minimale de 4 semaines, en raison de la saison liée à la ‘fabrication spécifique de produits pour Pâques 2019″.
L’employeur a mis fin à ce contrat à durée déterminée le 8 février 2019, soit à l’issue du terme minimal.
Madame [V] soutient que cette rupture conventionnelle par la société CEMOI CONFISEUR est anticipée et abusive, puisqu’il n’est pas démontré que la date de fin de contrat correspondrait à la fin de saison et qu’en réalité, son contrat devait se poursuivre jusqu’à Pâques, soit jusqu’au 21 avril 2019.
Il est constant que la fin de la saison ne correspond pas nécessairement à la durée minimale du contrat, et il y a lieu de rechercher si la saison s’est poursuivie après cette date.
En cas de litige sur la fin de saison, dont le terme est imprécis, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la durée effective de la saison et de la date de son achèvement.
Sur ce point, la société CEMOI CONFISEUR produit un tableau de traçabilité de production de confiseries sur la période du 8 janvier au 7 février 2019 duquel il ressortirait que la quantité de production de chocolats relativement soutenue la semaine du 8 janvier, a connu une forte augmentation entre les 15 janvier et 7 février 2019 avant de décroître dès le 7 février 2019. il n’est toutefois, pas démontré au terme de tableaux comparatifs sur les autres périodes de l’année, notamment après le 7 février 2019, qu’il existerait véritablement sur la seule période d’activité de Madame [V], une augmentation significative propre à ce laps de temps.
En revanche, il est versé aux débats par l’employeur, un listing des différents salariés (au nombre de 31) recrutés en qualités d’opérateurs production, caristes, conducteur de machines et contrôleurs qualité, entre le 12 novembre 2018 et le 14 janvier 2019, dans le cadre de contrats saisonniers, liés à la production de ‘Pâques 2019″, ce listing faisant apparaître une date de fin de contrat unique au 8 février 2019 à l’instar de la fin de contrat de Madame [V].
Au demeurant, et comme l’ont rappelé à juste titre les premiers juges, il doit également être tenu compte des nécessaires conditionnement et transport des chocolats en vue de leur distribution effective pour la période de Pâques, et partant, il doit se déduire que la seule fabrication des chocolats de Pâques doit intervenir plusieurs mois à l’avance.
Au regard de ces éléments qui ne sont pas contredits par l’appelante, il doit être retenu que la saison de fabrication des chocolats de Pâques était achevée à la date du 8 février 2019, indépendamment de l’arrêt maladie de Madame [V].
En conséquence, Madame [V] ne peut prétendre que la société CEMOI CONFISEUR a mis fin à son contrat de travail à durée déterminée avant la réalisation de son objet.
Le jugement déféré, qui l’a débouté de sa contestation de ce chef, sera par conséquent, confirmé.
Sur la demande d’indemnisation de l’employeur pour procédure abusive
L’article 32-1 du Code de procédure civile dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10.000 ~, sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.
L’application du premier de ces textes relève de la seule décision du juge du fond et n’a pas à être sollicité par une partie.
Dans la mesure où l’employeur sollicite l’indemnisation de l’action abusive sur le seul fondement de l’article 32-1 précité, sa demande doit être rejetée.
Au surplus, il ne prouve pas que l’action a dégénéré en abus susceptible d’entraîner l’indemnisation d’un préjudice.
Sur les demandes accessoires
L’équité commande de rejeter les demandes de première instance et d’appel formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Madame [V] sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux règles de l’aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant contradictoirement, et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la SASU CEMOI CONFISEUR de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Déboute la SASU CEMOI CONFISEUR de sa demande fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamne [O] [V] aux entiers dépens.
le greffier Le président