Sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité. Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. La faute inexcusable ne se présume pas et il incombe au salarié de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l’employeur dont il se prévaut.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il y a lieu de statuer sur les dépens conformément à l’article 696 du code de procédure civile. M. [C], partie perdante, sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
15 décembre 2020
Cour d’appel de Lyon
RG n°
19/05682
AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 19/05682 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MRET
SA ALLIADE
C/
CPAM DU RHÔNE
[C]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Tribunal de Grande Instance de LYON
du 21 Mai 2019
RG : 17/00482
COUR D’APPEL DE LYON
Protection sociale
ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2020
APPELANTE :
SA ALLIADE
[Adresse 3]
[Adresse 4]
représentée par Me Fabien ROUMEAS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Christopher REINHARD, avocat au barreau de LYON
INTIMES :
CPAM DU RHÔNE
Service des affaires juridiques
[Localité 6]
représenté par M. [I] (Membre de l’entrep.) en vertu d’un pouvoir général
[U] [C]
né le [Date naissance 1] 1973
chez Madame [H] – [Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Géraldine HUET de la SELARL SOREL-HUET-LAMBERT MICOUD, avocat au barreau de LYON
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/036473 du 03/12/2019 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de LYON)
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 20 Octobre 2020
Présidée par Bénédicte LECHARNY, Conseiller, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
– Joëlle DOAT, présidente
– Laurence BERTHIER, conseiller
– Bénédicte LECHARNY, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 15 Décembre 2020 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [U] [C], salarié de la société Alliade Habitat (l’employeur) en qualité de régisseur d’immeuble, a été victime d’un accident du travail le 26 mars 2014.
Par déclaration du même jour, l’employeur a déclaré l’accident du travail dans les termes suivants : « M. [C] manipulait l’autolaveuse lorsqu’il est tombé et a perdu connaissance. Un locataire de la résidence a prévenu les pompiers. Il n’avait plus de sensibilité ni de mobilité de sa jambe gauche et de son bras droit. – Siège des lésions : dos/jambe gauche/bras droit- Nature des lésions : douleur/paralysie ».
Le certificat médical initial joint à la déclaration d’accident fait mention des constatations suivantes : « traumatisme lombaire avec lombalgie sans anomalies aux imageries ».
L’accident a été pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône (la caisse) au titre de la législation professionnelle et les lésions relatives à cet accident ont été déclarées consolidées à la date du 25 mars 2015, avec attribution d’un taux d’incapacité permanente partielle de 8%.
Souhaitant voir reconnaître la faute inexcusable de l’employeur à l’origine de l’accident dont il a été victime, M. [C] a saisi la caisse puis, en l’absence de conciliation, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon par requête du 3 mars 2017.
Par jugement du 21 mai 2019, le pôle social du tribunal de grande instance de Lyon a :
– dit que l’employeur a commis une faute inexcusable responsable de l’accident du travail dont M. [C] a été victime le 26 mars 2014
– dit que le capital de 3 486,62 euros dont M. [C] est bénéficiaire sera fixé au taux maximal égal, soit au double
– alloué à M. [C] une provision de 3 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice
– dit que la caisse devra faire l’avance de l’indemnité provisionnelle à charge pour elle de recouvrer la somme auprès de l’employeur
– avant-dire droit sur l’indemnisation, ordonné une expertise médicale aux frais avancés de la caisse
– condamné l’employeur aux dépens exposés à compter du 1er janvier 2019.
Le jugement lui ayant été notifié le 4 juillet 2019, l’employeur en a interjeté appel le 1er août 2019.
Dans ses écritures développées oralement à l’audience du 20 septembre 2020, il poursuit la réformation du jugement entrepris dans toutes ses dispositions et demande à la cour de débouter M. [C] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable et de l’ensemble de ses autres demandes.
A l’appui de ses prétentions, l’employeur fait valoir, à titre principal, que les circonstances de l’accident sont indéterminées, tant ce qui concerne la configuration des lieux de l’accident qu’en ce qui concerne le basculement et la chute allégués de l’autolaveuse sur le salarié. Il ajoute qu’en tout état de cause, aucun élément ne permet de retenir une faute inexcusable de l’employeur, celui-ci ayant fourni à M. [C] à matériel conforme et le faisant évoluer dans un environnement sécurisé, lequel n’avait jamais attiré l’attention du salarié, du CHSCT, de la caisse ou de la médecine du travail.
M. [C] poursuit la confirmation du jugement déféré, sauf en ce qui concerne l’indemnité provisionnelle à valoir sur la réparation de ses préjudices qu’il demande à la cour de porter à la somme de 5000 euros.
Il soutient qu’alors qu’il soulevait la machine autolaveuse en raison d’une marche-obstacle à l’entrée de la salle de rangement, il a été victime d’un blocage du dos et d’une chute et a reçu la laveuse sur lui. Il fait valoir que les circonstances de l’accident sont parfaitement déterminées et que la preuve d’une faute inexcusable de l’employeur est rapportée par l’attestation du médecin du travail qui confirme l’existence d’une marche en 2011, l’absence d’évaluation par l’employeur des risques liés à la manipulation d’un tel engin par un salarié isolé et l’absence de preuve de la réalisation de travaux depuis la visite du médecin du travail et d’un membre du CHSCT en 2011.
La caisse s’en remet à la sagesse de la cour sur le quantum des préjudices et lui demande de dire et juger qu’en application de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, elle fera l’avance des sommes allouées à la victime et ce, uniquement dans la limite des préjudices énumérés à cet article, et qu’elle procédera au recouvrement desdites sommes auprès de l’employeur, y compris les frais d’expertise dont elle a fait l’avance.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est référé pour le surplus aux écritures déposées par les parties à l’appui de leurs explications orales devant la cour.
MOTIFS DE LA DÉCISION
* Sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité.
Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié (la conscience étant appréciée par rapport à un employeur normalement diligent) et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié. Il suffit qu’elle soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru à la survenance du dommage. De même, la faute de la victime n’a pas pour effet d’exonérer l’employeur de la responsabilité qu’il encourt en raison de sa faute inexcusable.
La faute inexcusable ne se présume pas et il incombe au salarié, sauf présomptions non applicables en l’espèce, de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l’employeur dont il se prévaut.
La preuve de la faute inexcusable de l’employeur ne peut résulter des seules affirmations de la victime, quelle que soit sa bonne foi, mais doit s’induire d’éléments objectifs.
En l’espèce, s’agissant des circonstances de l’accident, M. [C] soutient qu’alors qu’il soulevait la machine autolaveuse en raison d’une marche-obstacle à l’entrée de la salle de rangement, il a été victime d’un blocage du dos et d’une chute et a reçu la laveuse sur lui.
À l’appui de ses déclarations, il verse aux débats deux attestations de M. [F], gardien d’immeuble, qui déclare, dans une première attestation que « M. [C] a été victime d’un accident du travail à son poste [‘], la machine autolaveuse étant tombée sur lui après qu’il ait dû la porter comme tous les jours », et dans une seconde attestation que « l’accident a eu lieu à cause de la marche haute du dépôt qui faisait 15 cm et du poids excessif de la machine de nettoyage ».
La cour observe que le témoin, qui se contente d’indiquer avoir «été présent le jour de l’accident de travail de M. [C] », n’atteste pas y avoir assisté ni même avoir découvert la victime dans un temps suivant immédiatement celui-ci et qu’il ne fait aucune description de la scène de l’accident telle qu’il en aurait lui-même eu connaissance, de sorte que l’explication qu’il donne des causes de cet accident ne saurait être prise en considération.
Mme [Z], gestionnaire habitat au sein de la société Alliade habitat, a référé à son employeur de l’accident ainsi qu’il suit : «ce matin vers 6h30, [M. [C]] en manipulant son autolaveuse est tombé. Il aurait perdu connaissance 2 à 3 minutes. Un locataire a contacté les pompiers vers 6h35. Je me suis rendue sur place à 6h55 et je l’ai trouvé couché au sol. Les ambulanciers sont arrivés vers 7h10, au vu de son état ont contacté le SAMU qui est arrivé vers 7h30 ».
Il ressort de cette déclaration, dont les termes sont pas contestés par le salarié, qu’à l’arrivée de Mme [Z], le salarié était allongé au sol et que l’autolaveuse n’était pas sur lui. Or, l’appelant n’indique pas qu’un tiers aurait déplacé l’autolaveuse ni qu’il se serait lui-même dégagé de l’engin, ce qui apparaît du reste peu probable au regard du poids de l’appareil (entre 126 et 152 kg selon les pièces versées aux débats), de l’état de la victime, tel qu’il ressort du dossier d’intervention du SAMU 69 et du compte rendu de la gestionnaire habitat qui indique que M. [C] « n’avait plus de sensibilité ni de mobilité de sa jambe gauche, et plus de sensibilité et ni de mobilité de son bras droit. Il avait très mal sur tout le dos. Le médecin lui a pratiqué les premiers soins sur place (perfusion de morphine pour calmer la douleur) ».
Il résulte de ce qui précède que s’il n’est pas contesté que l’accident a eu lieu alors que M. [C] manipulait l’autolaveuse, les circonstances exactes de cet accident demeurent inconnues, dès lors qu’il ne peut être déduit des attestations produites et des constatations faites dans les minutes suivant l’accident la confirmation, d’une part, du basculement de l’auto laveuse sur le salarié, d’autre part, à supposer ce basculement établi, de ce qu’il trouverait sa cause dans l’obligation dans laquelle M. [C] se serait trouvé de soulever l’autolaveuse pour lui faire passer un obstacle.
M. [C] n’apportant aucun autre élément permettant de confirmer sa version de l’accident, la faute inexcusable de l’employeur ne peut être retenue en l’espèce.
Aussi convient-il d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
* Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il y a lieu de statuer sur les dépens conformément à l’article 696 du code de procédure civile, l’article R. 144-10 du code de la sécurité sociale prévoyant la gratuité en la matière ayant été abrogé à compter du 1er janvier 2019 par le décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale.
M. [C], partie perdante, sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS ;
La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Déboute M. [U] [C] de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur,
Le déboute de l’ensemble de ses autres demandes,
Y ajoutant,
Le condamne aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRESIDENTE
Malika CHINOUNE Joëlle DOAT