Opposabilité des CGV de transport de marchandises

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REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 22/00380 – N° Portalis DBV2-V-B7G-I7ZP

COUR D’APPEL DE ROUEN

CH. CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

2020j00047

Tribunal de commerce du Havre du 17 décembre 2021

APPELANTE :

S.A.S. LOCATION D’ESPACES TEMPORAIRES NEGOCES ARCHIVAGE

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN, et assistée par Me Florent VIGNY de la SELARL CAUSIDICOR, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMEE :

Société SEAFRIGO TRANSPORTS SARL – venant aux droits de la société ETB TRANSPORTS

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT-CHRISTIAN HENRY, avocat au barreau de ROUEN, et par Me Cyril BOURAYNE de la SELARL BOURAYNE & PREISSL, avocat au barreau de PARIS substitués par Me Farida AGHARBI, avocat au barreau de PARIS, plaidant

COMPOSITION DE LA COUR  :

Lors des débats et du délibéré :

Mme FOUCHER-GROS, présidente

M. URBANO, conseiller

Mme MENARD-GOGIBU, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme RIFFAULT, greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 25 avril 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 7 septembre 2023 puis prorogée à ce jour.

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 14 septembre 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame FOUCHER-GROS, présidente et par Mme RIFFAULT, greffière

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivage (LETNA), appartenant au groupe Chatel relève du secteur d’activité de l’entreposage et du stockage. Elle a comme client la société Isigny Sainte Mère.

La société ETB Transports (ETB), aux droits de laquelle vient la société Seafrigo Transports exerce l’activité de transporteur routier de marchandises pour le compte d’autrui et opérateur de commissionnement.

La société Isigny Sainte Mère a expédié à destination de Hong Kong onze conteneurs contenant du lait infantile en poudre. Le destinataire les ayant refusés pour défaut d’étiquetage, ils ont été retournés en France.

Le 15 mai 2019, la société LETNA a chargé la société ETB du transport de sept de ces onze conteneurs au départ du terminal du Havre à destination de son site de [Localité 1] le Royal, pour un montant global de 18.684 €. Les quatre autres ont été pris en charge par une filiale du groupe Chatel.

Avant livraison au destinataire, les conteneurs devaient être présentés au Poste d’Inspection Frontalier (PIF) pour contrôle vétérinaire et accomplissement des formalités douanières. Le 17 mai 2019, dix conteneurs ont été présentés, mais le onzième, immatriculé TLLU 569 2377, a été livré directement au destinataire par erreur du chauffeur de la société ETB.

Le 20 mai 2019, les marchandises concernées ont dû être replacées dans leur conteneur d’origine pour être présentées au PIF le 21 mai 2019.

Sur les dix conteneurs présentés le 17 mai 2019, le PIF en a retenu trois pour inspection. Ces conteneurs ont été libérés le 7 juin 2019, puis le contenu du onzième conteneur a été libéré le 5 juillet 2019.

La société ETB a émis 3 factures correspondant aux libérations successives pour les sommes respectives de 13.392 € TTC, 4.872 € TTC et 420€ TTC.

Le 26 juillet 2019, la société LETNA a évalué à la somme de 26.418 € le coût du préjudice qu’elle a subi par suite de l’erreur de livraison du conteneur immatriculé TLLU 569 23 77.

Par LRAR du 4 février 2020, la société ETB a mis en demeure la société LETNA de lui payer le montant global des factures émises.

Par acte du 14 mai 2020, la société ETB a assigné la société LETNA devant le tribunal de commerce du Havre aux fins d’obtenir le paiement de ses 3 factures. Le même jour, la société LETNA a réglé la facture d’un montant de 13 392 € TTC.

Par acte du 15 mai 2020, la société LETNA a assigné la société ETB aux fins de la voir condamnée au paiement de la somme de 26.418 € en réparation de son préjudice.

Par jugement en date du 17 décembre 2021, le tribunal de commerce du Havre a :

– joint les instances enrôlées sous les N° 2020J00052 et RG2020J00047,

– reçu la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages – LETNA – en ses demandes, les a déclarées mal fondées,

– reçu la société Seafrigo Transports en ses demandes, venant aux droits de la société ETB Transports, les a déclarées bien fondées,

– condamné la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages – LETNA – à payer à la société Seafrigo Transports, venant aux droits de la société ETB Transports, la somme de 5 292 euros TTC augmentée des intérêts aux taux BCE majoré de 10 points, à compter de l’échéance de chaque facture impayée,

– ordonné la capitalisation des intérêts par année entière à compter de l’exploit introductif d’instance,

– condamné la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages – LETNA – à payer à la société Seafrigo Transports, venant aux droits de la société ETB Transports, la somme de 1 500 euros au titre des frais de recouvrement des factures impayées,

– condamné la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages – LETNA – aux entiers dépens, ceux visés à l’article 701 du code de procédure civile étant liquidés à la somme de 84,04 euros et à payer à la société Seafrigo Transports, venant aux droits de la société ETB Transports, la somme de 1 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit qu’à défaut de règlement spontané des condamnations ordonnées, dans l’hypothèse où l’exécution forcée devait être réalisée par l’intermédiaire d’un huissier, le montant des sommes retenues par l’huissier en application du décret n° 2007-774 du 10 mai 2007, portant modification du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1986, sur le tarif des huissiers devront être supportés par le débiteur.

La société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages ‘ LETNA ‘ a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 1er février 2022.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 avril 2023.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 23 septembre 2022 auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages ‘ LETNA ‘ qui demande à la cour de :

– recevoir la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages – LETNA, en son appel et la dire bien fondée,

– infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce du Havre le 17 décembre 2021 en ce qu’il a :

– condamné la Société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages à payer à la société Seafrigo Transports  venant aux droits de la Société ETB Transports :

* la somme de 5 292 euros TTC augmentée des intérêts au taux BCE majoré de 10 points à compter de l’échéance de chaque facture impayée,

* la somme de 1 500 euros au titre des frais de recouvrement des factures impayées,

* la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la Société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages aux dépens,

– débouté la Société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages en ses demandes

Et, statuant à nouveau,

– prononcer l’inopposabilité ou à défaut la nullité de la clause limitative de responsabilité opposée par Seafrigo Transports,

– condamner Seafrigo Transports venant aux droits d’ETB Transports à payer à LETNA la somme de 26 418 euros à titre principal,

– condamner Seafrigo Transports venant aux droits d’ETB Transports à restituer à LETNA la somme versée au titre de l’exécution provisoire soit la somme de

9 364,76 euros,

– débouter Seafrigo Transports venant aux droits d’ETB Transports de toutes ses demandes à l’encontre la Société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages,

– condamner Seafrigo Transports venant aux droits d’ETB Transports à payer à LETNA la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à l’intégralité des dépens de première instance et d’appel,

– juger que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de l’assignation et que les intérêts seront capitalisés annuellement en application de l’article 1343-2 du code civil,

– prendre acte du règlement à Seafrigo Transports venant aux droits d’ETB Transports de la somme de 13 392 euros TTC et débouter Seafrigo Transports venant aux droits d’ETB Transports du surplus de ses demandes.

Vu les conclusions du 9 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Seafrigo Transports qui demande à la cour de :

– confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce du Havre le 17 décembre 2021 dans les instances jointes enregistrées sous les numéros 2020J00052 et 2020J00047, en toutes ses dispositions,

– subsidiairement, limiter toute condamnation de la société Seafrigo Transports à la somme de 474 euros TTC,

– condamner la société Location Espaces Temporaires Négoces Archivages à payer à la société Seafrigo Transports, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en instance d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens d’appel,

– dire qu’à défaut de règlement spontané des condamnations ordonnées, dans l’hypothèse où l’exécution forcée devait être réalisée par l’intermédiaire d’un huissier, le montant des sommes retenues par l’huissier en application du décret n°2007-774 du 10 mai 2007, portant modification du décret n° 96/1080 du 12 décembre 1986, sur le tarif des huissiers devront être supportés par le débiteur.

MOTIVATION DE LA DECISION 

Sur l’application des conditions générales du contrat :

Moyens des parties :

La société LETNA soutient que les conditions générales du contrat dont se prévaut la société Seafrigo Transport ne lui ont pas été notifiées, de sorte qu’elles ne lui sont pas opposables.

La société Seafrigo Transport soutient que ces conditions sont opposables à la société LETNA pour être réputées acceptées dès la confirmation de la commande.

Réponse de la cour :

Il résulte des dispositions de l’article 1119 du code civil que les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées.

La société Seafrigo Transport produit ses factures qui comportent au verso ses conditions générales de vente. Les lettres de voiture produites en pièces 4 et 6 par la société Seafrigo Transport mentionnent que « les opérations qui sont confiées au transporteur sont soumises aux conditions prévues par le contrat type concernant le transport à défaut de convention écrite entre les parties »

La société Seafrigo ne produit aucun document préalable à la commande ou même de commande comportant une référence à ses conditions générales de ventes.

Dès lors, et bien que les factures comprennent la mention selon laquelle « Les présentes conditions générales sont réputées acceptées par le client dès que celui-ci confirme sa commande », la société Seafrigo ne justifie pas que ses conditions générales de vente ont été portées à la connaissance de la société LETNA. Par voie de conséquence, elles lui sont inopposables.

Sur l’application des dispositions légales :

Aux termes de l’article L1432-2 du code des transports : « Tout contrat de transport public de marchandises précise :

1° La nature et l’objet du transport

2° Les modalités d’exécution du service tant en ce qui concerne le transport proprement dit que les conditions d’enlèvement et de livraison des objets transportés ;

3° Les obligations respectives de l’expéditeur, du commissionnaire, du transporteur et du destinataire ;

4° Le prix du transport ainsi que celui des prestations accessoires prévues. »

Aux termes de l’article L 1432-4 du même code : « A défaut de convention écrite et sans préjudice de dispositions législatives régissant les contrats, les rapports entre les parties sont, de plein droit, ceux fixés par les contrats-types prévus à la section 3. »

Aux termes de l’article D3222-1 de ce code : «Le contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquelles il n’existe pas de contrat type spécifique, établi en application de l’article L.1432-4, figure en annexe II à la présente partie. » 

Le contrat entre les parties résulte du seul courriel du 15 mai 2019 adressé à « conteneur [Localité 5] » (la société CNMT) avec copie pour information à la société ETB et rédigé en ces termes :

« ci joints le DSO + recap ci dessous

merci prévoir la sortie TDF vendredi 17/05 aux horaires ci-dessous

+ présentation au PIF pour visite vétérinaire + selon heure de libération du lot car aucun tc ne devra sortir du terminal si 1 est bloqué nous verrons ensemble ce qui peut être livré et quand a LETNA 14 [Localité 4] » Suit la liste des immatriculations de sept conteneurs dont celui immatriculé TLLU 569 23 77.

A défaut de précision sur les points 2° à 4° de l’article L1432-2 précité, le contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n’existe pas de contrat type spécifique, dans sa version en vigueur du 1er mai 2017, au 1er septembre 2021, s’applique de plein droit. Toutefois, lorsque le contrat type est silencieux sur certains points, le droit commun a vocation à s’appliquer.

Sur la demande de la société Seafrigo Transport :

Moyens des parties :

La société Seafrigo Transport soutient qu’elle a pleinement réalisé les opérations de transport qui lui ont été confiée, à l’exception d’un incident portant sur une opération facturée 395 € HT (474 € TTC) ayant généré un simple retard de livraison. La société LETNA ne pouvait retenir une somme de 4 410 € HT (5 292 € TTC) en violation du contrat type qui interdit la compensation unilatérale du montant des dommages allégués sur le prix des prestations dues. Elle a déduit le montant de 474 € TTC qui correspond au transport ayant généré un incident. Il lui reste dû le solde de 4 818 €TTC (5292 € TTC ‘ 474 € TTC) .

La société LETNA répond que la société Seafrigo Transport qui reconnaît une erreur ne peut demander de paiement.

Réponse de la cour :

Aux termes de l’article 19 du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquelles il n’existe pas de contrat type spécifique, intitulé « Modalités de paiement » « 19.1. Le paiement du prix du transport, ainsi que celui des prestations annexes, est exigible à l’enlèvement (port payé) ou à la livraison (port dû) sur présentation de la facture ou d’un document en tenant lieu et, en tout état de cause, au lieu d’émission de la facture, laquelle doit être réglée dans un délai qui ne peut excéder trente jours à compter de la date de son émission.

19.2. La compensation unilatérale du montant des dommages allégués sur le prix du transport est interdite.

19.3. Tout retard dans le paiement entraîne de plein droit, le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture, l’exigibilité d’intérêts de retard d’un montant équivalent à cinq fois le taux d’intérêt légal, ainsi que d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement d’un montant minimum de 40 euros suivant l’article D. 441-5 du code de commerce, et ce, sans préjudice de la réparation éventuelle, dans les conditions du droit commun, de tout autre dommage résultant directement de ce retard.

19.4. La date d’exigibilité du paiement, le taux d’intérêt des pénalités de retard, ainsi que le montant de l’indemnité forfaitaire de compensation des frais de recouvrement doivent obligatoirement figurer sur la facture.

(‘.)»

Pour le paiement de sa prestation, la société ETB a émis trois factures :

– Une facture du 31 mai 2019 d’un montant de 13 392 € qui a été payée le 14 mai 2020.

– Une facture ETBL33545 du 18 juin 2019 d’un montant de 4 872 € TTC restée impayée.

– Une facture ETBL 34672 du 24 juillet 2019 d’un montant de 420 € TTC restée impayée.

La somme de ces deux factures est de 5 292 € TTC. Ces factures mentionnent « En cas de retard de paiement seront appliquées une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement 40 euros par factures impayées, et une pénalité égale au dernier taux de refinancement de la BCF, majoré de 10 point, calculé au prorata temporis sur les sommes restant dues, conformément aux articles L441-6 et D441-5 du code de commerce. »

Il résulte des dispositions précitées que la société LETNA ne peut compenser unilatéralement le montant du préjudice qu’elle allègue et le prix du transport.

La société Seafrigo Transport, bien qu’elle demande que le jugement soit confirmé, expose dans ses écritures qu’il lui reste dû une créance de 4 818 € TTC.

Ainsi, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages à payer à la société Seafrigo Transports la somme de 5 292 euros TTC augmentée des intérêts aux taux BCE majoré de 10 points, à compter de l’échéance de chaque facture impayée.

La société LETNA sera condamnée au paiement d’une somme de 4 818 € TTC augmentée des intérêts aux taux BCE majoré de 10 points, à compter de l’échéance de chaque facture impayée, outre capitalisation de ces intérêts.

Sur les frais de recouvrement :

Il résulte des dispositions de l’article L441-10 du code de commerce, qui reprend les dispositions codifiées antérieurement à l’article L441-6 que Tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l’égard du créancier, d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par décret. Lorsque les frais de recouvrement exposés sont supérieurs au montant de cette indemnité forfaitaire, le créancier peut demander une indemnisation complémentaire, sur justification.

Au soutien de sa demande la société Seafrigo Transports produit des factures de frais et honoraires d’avocats. La société Sefrigo Transports a assigné la société LETNA en paiement, par acte du 14 mai 2020. Les frais et honoraires d’avocats payés pour une période postérieure à cette date entrent dans les frais irrépétibles prévus à l’article 700 du code de procédure civile et non dans l’indemnité de recouvrement

La seule facture du 28 février 2020 d’un montant de 805,85 € est demandée au titre d’une période entièrement antérieure à l’acte introductif d’instance. Elle correspond à une lettre de mise en demeure du 4 février 2020. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages à payer à la société Seafrigo Transports la somme de 1 500 euros au titre des frais de recouvrement des factures impayées

La société LETNA sera condamnée au paiement d’une somme de 805,85 €.

Sur la responsabilité de la société ETB :

Moyens des parties :

La société LETNA soutient que :

* si la cour estime qu’il y a inexécution du contrat dans les conditions convenues, la responsabilité du transporteur relève du droit commun et le voiturier ne pourra pas invoquer les plafonds d’indemnisation du contrat type.

* le préjudice qu’elle subit est constitué par les frais qui n’auraient pas existés si Seafrigo Transport avait régulièrement exécuté le contrat de transport en présentant le conteneur litigieux au point PIF. 

La société Seafrigo Transport soutient que :

* la marchandise n’a souffert d’aucune perte ou avarie ;

* le contrat est régi par le contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n’existe pas de contrat type spécifique qui s’applique de plein droit ;

* la seule conséquence directe de l’incident de transport est un retard de livraison ;

* le contrat type ne prévoit pas l’indemnisation du préjudice immatériel.

* les onze conteneurs ne forment pas un lot unique, de sorte qu’il n’était pas prévisible pour ETB que l’ensemble des conteneurs seraient bloqués du fait d’un conteneur ayant fait l’objet d’un lot distinct, ainsi les frais de prise en charge au titre des onze conteneurs doivent être assumés par la société LETNA .

Réponse de la cour :

Sur le fait générateur du dommage :

Aux termes de l’article 2 de l’arrêté du 5 mai 2000 fixant les modalités des contrôles vétérinaires à l’importation des produits en provenance des pays tiers , en vigueur jusqu’au 19 février 2020: « Pour l’application du présent arrêté, on entend par :

a) Produits : les produits d’origine animale ainsi que les produits végétaux visés à l’annexe de l’arrêté du 6 juin 1994 susvisé ;

b) Contrôle documentaire : la vérification des certificats ou documents vétérinaires ou autres documents d’accompagnement d’un lot ;

c) Contrôle d’identité : la vérification par inspection visuelle de la concordance entre les certificats ou documents vétérinaires ou autres documents prévus par la législation vétérinaire et le produit ;

d) Contrôle physique : un contrôle du produit lui-même, pouvant comporter des contrôles d’emballage et de température ainsi qu’un prélèvement d’échantillons et un examen en laboratoire ;

e) Intéressé au chargement : toute personne physique ou morale qui, conformément aux dispositions du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil susvisé, détient la responsabilité dans le déroulement des différentes situations visées par ledit règlement et dans lesquelles le lot peut se trouver, ainsi que le représentant visé à l’article 5 dudit règlement et qui assume cette responsabilité en ce qui concerne la suite réservée aux contrôles prévus par le présent arrêté ;

f) Lot : une quantité de produits de même nature et couverte par les mêmes certificats ou documents vétérinaires, ou autres documents prévus par la législation vétérinaire, acheminée par le même moyen de transport et provenant du même pays tiers ou de la même partie de pays tiers ; (…) »

Aux termes de l’article 3 du même arrêté : «Tout lot en provenance des pays tiers est soumis lors de son introduction sur le territoire métropolitain ou dans les départements d’outre-mer aux contrôles vétérinaires prévus par le présent arrêté dans un poste d’inspection frontalier » 

Aux termes de l’article 26 de cet arrêté : « (…)6. Les frais afférents à la réexpédition du lot, à sa destruction ou à l’utilisation des produits à d’autres usages sont à la charge de l’intéressé au chargement ou de son représentant. »

La compagnie d’assurance de la société LETNA a fait procéder à une expertise par le cabinet Raulin. Les opérations d’expertise ont été effectuées en présence du représentant de la société ETB et de ceux du groupe Chatel ( société LETNA). Ont également été convoqués par l’expert, la société CNMT, et la société Seafrigo.

Il ressort de l’historique fait par l’expert et des pièces jointes au rapport d’expertise que :

Le 15 mai 2019, la société LETNA a adressé son courriel à « conteneur [Localité 5] » (la société CNMT) avec copie pour information à la société ETB.

Le 17 mai 2019, vers 10 heures, la société CNMT a prévenu les responsables du groupe Chatel que dix conteneurs sont toujours en attente au point PIF, dans l’attente de l’arrivée du conteneur TLLU 569 2377 afin de pouvoir effectuer ensemble les formalités douanières.

Le même jour, en milieu de matinée, lors d’un contact avec des représentants du Groupe Chatel avec les réceptionnaires de la société LETNA, il est apparu que le conteneur manquant avait été directement conduit à l’entrepôt LETNA de [Localité 4].

Les services vétérinaires ayant appris que le onzième conteneur était parvenu à l’entrepôt du destinataire et que toutes les palettes qu’il contenait avaient été dépotées en entrepôt, ont ordonné à la société CMNT que les dix conteneurs déjà contrôlés soient rapatriés au terminal. La lettre des services vétérinaires est rédigée ainsi ; « Je vous informe que le lot ci-dessous désigné ne remplit pas les conditions sanitaires requises pour être admis sur le territoire de l’Union Européenne (‘.) » Suit la liste des immatriculations de onze conteneurs dont les sept énoncés dans le courriel du 15 mai 2019 .« Observations : Le contrôle des 11 conteneurs liés sur 4 dossiers ne pouvant être terminés, les 10 conteneurs déjà contrôlés au poste frontalier doivent retourner sur le terminal (…) »

Le 20 mai 2019, la société ETB Transport a confirmé à la société LETNA que le chauffeur avait « omis de faire le stop sanitaire comme prévu » pour un conteneur. Dans la journée, un vétérinaire de la direction départementale de services vétérinaires s’est déplacé sur le Site où le chargement du conteneur TLLU 569 237/7 avait été dépoté. Les palettes ont été rempotées en présence du vétérinaire et le conteneur a ensuite été plombé, acheminé au point PIF. La direction des services vétérinaires a donné l’instruction au Groupe Chatel de rapatrier le conteneur sur le Terminal de France en attente d’une nouvelle décision.

Par lettre du 21 mai 2019, la société LETNA a demandé aux services vétérinaires d’accepter de libérer les onze conteneurs bloqués au terminal.

Les services du PIF du Havre ont répondu par courriel du 29 mai 2019 : « (‘.) nous vous laissons l’opportunité de régulariser la situation pour la marchandise consignée sur le terminal.

La première étape sera de prendre rendez-vous avec notre service pour un passage au PIF des trois conteneurs contenant du lot n°56188. Ces trois conteneurs sont TLLU 56937/7, NYKU 082486/9 et KKFU 805311/3, du certificat sanitaire FR 1419000531 CA.

Suite à ce passage, nous vous autoriserons à dépoter les trois conteneurs afin que le lot n°56188 soit dégroupé du reste de la marchandise. L’entièreté du lot 56188 sera placé sous consigne vétérinaire car il fera l’objet d’un contrôle approfondi bloquant en attente des résultats.

Vous pourrez, suite à ce dégroupage, prévoir un passage au PIF pour le reste des conteneurs encore sur le terminal afin de finaliser la procédure de canalisation pour le reste de la marchandise. Cependant la marchandise dépotée et dégroupée des conteneurs NYKU 082486/9 et KKFU 805311/3 n’appartenant pas au lot 56188, devra être rempotée et passée au PIF le même jour pour que l’entièreté des marchandises conformes soient canalisées ensemble.

Pour la marchandise rempotée, vous veillerez à nous transmettre, avant la visite, les scellés apposés au départ de l’entrepôt.

Concernant la marchandise du lot 56188, elle sera prélevée en entrepôt pour analyse lorsque nos effectifs le permettront. »

Le 7 juin 2019, les dix conteneurs en attente sur le terminal de France sont passés au point PIF avant d’être acheminés jusqu’à l’entrepôt de la société LETNA de [Localité 4].

La procédure, s’est achevée le 5 juillet 2019 avec l’acheminement des 16 palettes de lait du lot n°56188 jusqu’au point PIF puis jusqu’à l’entrepôt de la société LETNA de [Localité 4].

Il ressort de ces faits que le fait générateur du dommage est une inexécution du contrat par le transporteur auquel il avait été précisé qu’avant toute livraison, tous les conteneurs devaient être présentés au PIF pour contrôle «+ présentation au PIF pour visite vétérinaire + selon heure de libération du lot car aucun tc ne devra sortir du terminal si 1 est bloqué nous verrons ensemble ce qui peut être livré et quand ».

Sur le dommage :

Il résulte des dispositions de l’article 1217 du code civil que la partie envers laquelle le contrat n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement peut demander réparation des conséquences de l’inexécution.

Le dommage invoqué est celui résultant d’une non présentation d’un conteneur au contrôle sanitaire. Contrairement à ce que soutient la société Seafrigo Transport le préjudice pour la société LETNA ne résulte pas d’un retard à la livraison mais d’une défaillance du transporteur dans l’exécution de son obligation, la conséquence n’en étant ni une perte ni une avarie de la marchandise. Si le contrat type prévoit l’indemnisation du donneur d’ordre en cas de perte ou d’avarie et en cas de retard à la livraison, il ne définit pas la défaillance du transporteur qui a omis de se conformer à une disposition réglementaire, qui plus est expressément prévue dans le contrat. Il en résulte que le régime de responsabilité applicable est celui des articles 1217 et suivants du code civil.

Sur la prévisibilité du dommage :

Aux termes de l’article 1331-4 du code civil : « Dans le cas même où l’inexécution du contrat résulte d’une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution. »

Il ressort de la notification de consigne du 17 mai 2018 des services vétérinaires que « le lot ci-dessous désigné » comprend onze conteneurs. Mais dans son courriel du 29 mai 2019, le conteneur TLLU 569377 fait partie du lot n°56188 qui comprend trois conteneurs, soit celui immatriculé TLLU 569377 et ceux immatriculés NYKU 082486/9 et KKFU 805311/3, du certificat sanitaire FR 1419000531 CA. Les deux conteneurs NYKU 082486/9 et KKFU 805311/3 ne sont pas au nombre des sept conteneurs confiés à la société ETB par le courriel du 15 mai 2018.

Il ressort des différents courriels et notifications des services vétérinaires que ces derniers composent les lots de façon discrétionnaire. Mais en tout état de cause d’une part, dans son ordre de commande, la société LETNA avait précisé qu’aucun conteneur ne devait sortir du terminal si l’un était bloqué, et d’autre part la société ETB, professionnelle du transport de marchandises connaissait à ce titre la définition du lot résultant de l’article 3 de l’arrêté du 5 mai 2000 de sorte que les répartitions en lots par les services vétérinaires et les conséquences entraînées par le défaut de contrôle de l’un des éléments du lot lui étaient prévisibles. Sont également prévisibles pour un professionnel du transport, les mouvements de grève des dockers et agent de maintenance qui ont pour effet d’augmenter la durée de l’entrepôt, et le temps nécessaire aux services vétérinaires pour effectuer les prélèvements qu’elle n’a pu faire en temps utile, par suite de la défaillance du transporteur.

Sur l’indemnisation du préjudice :

L’article 23 du contrat type intitulé « Dommages autres qu’à la marchandise transportée » ne prévoit que l’indemnisation des dommages matériels occasionnés aux biens de l’expéditeur ou du destinataire. Mais dès lors que la responsabilité de la société ETB aux droits de laquelle vient la société Seafrigo Transport, est recherchée sur le fondement du droit commun, la société LETNA doit être indemnisée de l’intégralité de son préjudice.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a déclaré la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages ‘ LETNA mal fondée en ses demandes.

Il résulte de ce qui a été exposé plus haut que sont une suite immédiate et directe de l’inexécution :

– les frais supplémentaires d’entreposage et de traction des onze conteneurs. Ces frais sont justifiés à hauteur de 3 600,11 € HT par les cinq factures SD’LOG figurant en annexe du rapport d’expertise.

– les frais de détention à hauteur de 5 275 € HT justifiés par la production d’une facture ONE du 13 juin 2019.

– le coût des visites du deuxième contrôle sanitaire et analyses justifiées par les factures Trans Inter n°45 192384, 45 192727, 45 192639. En revanche, les formalités douanières à hauteur de 320 € étaient en tout état de cause à la charge de la société LETNA. Après retrait de cette somme, le préjudice de la société LETNA au titre de ces frais est de 1 140,60 € HT.

– les frais de stationnement justifiés par les trois factures Trans Inter n°45 192518, 45 192544, 45 192550 pour un montant total de 11 310 €.

– les heures supplémentaires effectuées par l’agent de transit pour gérer la situation de crise. Il est produit le bulletin de paie de cet agent pour le mois de juin . Il y figure 17 heures supplémentaire à 24,15 €. La société LETNA demande à être indemnisée à hauteur de 15 heures, il sera fait droit à sa demande de 362,25 €.

– les frais facturés par la société ETB et correspondant aux coûts de passages supplémentaires au PIF. Ces frais correspondent aux deux factures ETBL33545 et ETBL 34672 impayées, d’un montant TTC de 5 292 euros TTC. Dès lors que la société LETNA n’a été condamnée sur ces factures, qu’au paiement de la somme de 4 818 € TTC son préjudice est de ce montant.

TOTAL : 26 505,36 €. La société LETNA ayant limité sa demande à la somme de 26 418 €, il y sera fait droit et la société Seafrigo Transports sera condamnée à ce

paiement.

Il résulte des dispositions de l’article 1231-7 du code civil qu’en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement.

En cas de confirmation pure et simple par le juge d’appel d’une décision allouant une indemnité en réparation d’un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l’indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel. Le juge d’appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa.

Les intérêts de retard sur la somme de 26 418 € courront à compter de l’acte introductif d’instance du 15 mai 2020. Ces intérêts seront capitalisés dès qu’ils seront dus pour une année entière à compter du 15 mai 2020.

Sur la demande de restitution des sommes versées du fait de l’exécution provisoire de la décision entreprise :

La société LETNA demande que soit ordonnée la restitution des sommes qu’elle a versées en vertu du jugement assorti de l’exécution provisoire, avec les intérêts au taux légal à compter de l’assignation. Cependant le présent arrêt, en les points qu’il infirme, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement et  les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur cette demande.

PAR CES MOTIFS 

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a :

– déclarées mal fondées les demandes de la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages ‘ LETNA ‘ en ses demandes ;

– déclarées bien fondées toutes les demande de la société Seafrigo Transports, venant aux droits de la société ETB Transports ;

– condamné la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages- LETNA – à payer à la société Seafrigo Transports, venant aux droits de la société ETB Transports, la somme de 5 292 euros TTC augmentée des intérêts aux taux BCE majoré de 10 points, à compter de l’échéance de chaque facture impayée,

– condamné la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages- LETNA – à payer à la société Seafrigo Transports, venant aux droits de la société ETB Transports, la somme de 1 500 euros au titre des frais de recouvrement des factures impayées ;

– condamné la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages – LETNA – aux entiers dépens, ceux visés à l’article 701 du code de procédure civile étant liquidés à la somme de 84,04 euros et à payer à la société Seafrigo Transports, venant aux droits de la société ETB Transports,

Statuant à nouveau :

Condamne la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages- LETNA – à payer à la société Seafrigo Transports, venant aux droits de la société ETB Transports, la somme de 4 818 euros TTC augmentée des intérêts aux taux BCE majoré de 10 points, à compter de l’échéance de chaque facture impayée,

Condamne la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages- LETNA – à payer à la société Seafrigo Transports, venant aux droits de la société ETB Transports, la somme de 805,85 euros au titre des frais de recouvrement des factures impayées ;

Condamne la société Seafrigo Transports, venant aux droits de la société ETB Transports à payer à la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages la somme de 26 418 euros de dommages intérêts outre intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2020  et capitalisation de ces intérêts dès qu’ils seront dus pour une année entière à compter du 15 mai 2020 ;

Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions ;

Y ajoutant ;

Dit n’y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l’exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour ;

Dit que les dépens de première instance et d’appel seront partagés par moitiés entre les parties ;

Condamne la société Seafrigo Transports, à payer à la société Location d’Espaces Temporaires Négoces Archivages la somme de 2 000 € au titre de ses frais irrépétibles en cause d’appel.

La greffière, La présidente,

 

 

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