Forclusion de la contestation des taux de cotisation – Affaire [6] c. CARSAT

Notez ce point juridique

Sur la recevabilité :

La société [6] a été déclarée irrecevable dans sa demande de contestation des taux de cotisation pour les années 2019 à 2022 en raison de la forclusion. Malgré ses arguments sur le fond, la Cour a rappelé l’importance du contrôle de la recevabilité avant l’examen du fond d’une affaire.

Sur le fond :

La Cour a examiné la contestation des taux de cotisation pour l’année 2023 par la société [6]. Malgré les arguments avancés par cette dernière, la Cour a confirmé la décision de la CARSAT et a rejeté la demande de la société [6] en raison de la forclusion sur les années précédentes.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

La Cour a décidé de laisser aux parties la charge de leurs propres frais irrépétibles. La société [6] a été déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile. En ce qui concerne les dépens, chaque partie devra supporter les siens, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRET

N°289

S.A.S. [6]

C/

CARSAT NORMANDIE

COUR D’APPEL D’AMIENS

TARIFICATION

ARRET DU 03 NOVEMBRE 2023

*************************************************************

N° RG 22/03398 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IQDD

DECISION DE LA CARSAT NORMANDIE EN DATE DU 05 mai 2022

PARTIES EN CAUSE :

DEMANDEUR

S.A.S. [6]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée et plaidant par Me Bruno FIESCHI de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

ET :

DÉFENDEUR

CARSAT NORMANDIE

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée et plaidant par Mme [X] [C] [F], munie d’un pouvoir

DÉBATS :

A l’audience publique du 08 septembre 2023, devant M. Philippe MELIN, président assisté de Mme Alexandra MIROSLAV et Monsieur Alain MARIAGE, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la première présidente de la cour d’appel d’Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.

M. [N] [P] a avisé les parties que l’arrêt sera prononcé le 03 novembre 2023 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Diane VIDECOQ-TYRAN

PRONONCÉ :

Le 03 novembre 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Philippe MELIN, président et Mme Audrey VANHUSE, greffier.

*

* *

DECISION

La société [6] et la société [5] ont des liens capitalistiques, appartiennent à un même groupe de sociétés et sont toutes deux présidées par la société [6].

M. [Y], salarié de la société [5] en qualité de conducteur a, le 20 juillet 2017, été victime d’un accident du travail, alors qu’il procédait au déchargement d’un véhicule de transport de marchandises. Cet accident a été déclaré pour le compte de la société [6] par un chef d’agence, qui a indiqué que le salarié était rattaché à un établissement dont il a donné le n° Siret et qui correspondait à un établissement de la société [6].

Par lettre du 30 mars 2020, la caisse primaire d’assurance maladie (ci-après la CPAM) a adressé à la société [6] une notification d’un taux d’IPP de 20% concernant M. [Y].

Par lettre du 26 juin 2020, la société [6] a fait un recours contre cette décision devant la commission médicale de recours amiable (ci-après la CMRA) de la CPAM, faisant valoir qu’elle n’était pas l’employeur de M. [Y].

Le 8 juillet 2020, le secrétariat de la CMRA a accusé réception de ce recours. Il a indiqué que la CMRA avait été saisie à tort et que le recours relevait de la compétence de la commission de recours amiable (ci-après la CRA). Il a précisé qu’il avait transmis le recours à l’autorité compétente.

Dans les suites de cette réclamation, la CPAM a, le 24 juillet 2020, adressé à la société [5] une notification du taux d’incapacité permanente partielle de 20 % relatif à l’accident de travail de M. [Y].

Les incidences financières de l’accident du travail de M. [Y] sont cependant demeurées inscrites par la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail de Normandie (ci-après la CARSAT ou la caisse) au compte employeur exercice 2020 de la société [6]. Elles ont été prises en compte dans le calcul du taux accidents du travail/maladies professionnelles (ci-après AT/MP) de cette société à effet au 1er janvier 2022.

Par courrier du 19 avril 2022, la société [6] a saisi la CARSAT d’un recours gracieux tendant à rectifier son compte employeur ainsi que les taux AT/MP précédemment notifiés ainsi que ceux à venir.

Par courrier en date du 5 mai 2022, la CARSAT a rejeté la demande de la société [6] au motif qu’elle était irrecevable pour avoir été présentée au-delà du délai de deux mois ouvert pour contester les taux AT/MP.

Par acte d’huissier de justice délivré le 28 juin 2022, la société [6] a fait assigner la CARSAT Normandie d’avoir à comparaître devant la cour d’appel d’Amiens à l’audience du 3 février 2023.

Lors de l’audience du 3 février 2023, l’affaire a été renvoyée à l’audience de plaidoiries du 8 septembre 2023.

Aux termes de son assignation et de ses dernières conclusions datées du 31 août 2023, soutenues oralement à l’audience, la société [6] sollicite :

– que son action soit déclarée recevable et bien fondée ;

– que la valeur du risque de son établissement, correspondant à l’exercice 2020, soit rectifiée en en retirant le coût moyen d’incapacité permanente de catégorie 3 afférent à l’accident du travail du 20 juillet 2017 de M. [Y] ;

– en conséquence, qu’il soit ordonné à la CARSAT de retirer de la valeur du risque de l’établissement, correspondant à l’exercice 2020, le coût moyen d’incapacité permanente de catégorie 3 afférent à l’accident du travail du 20 juillet 2017 de M. [Y] ;

– qu’il soit ordonné à la CARSAT d’écarter le coût moyen d’incapacité permanente de catégorie 3 afférent à l’accident du travail du 20 juillet 2017 de M. [Y] pour la fixation des taux AT/MP pour l’année 2023 et celles à venir ;

– qu’il soit constaté que la CARSAT a acquiescé à la demande ;

– en conséquence, qu’il soit ordonné à la CARSAT de procéder à un nouveau calcul du taux AT/MP appliqué au 1er janvier 2022 sur une valeur du risque rectifiée, ne prenant pas en considération le coût moyen d’incapacité permanente de catégorie 3 afférent à l’accident du travail du 20 juillet 2017 de M. [Y] ;

– qu’il soit ordonné à la CARSAT de calculer les taux AT/MP pour l’année 2023 et celles à venir sur une valeur du risque rectifiée ne prenant pas en considération le coût moyen d’incapacité permanente de catégorie 3 afférent à l’accident du travail du 20 juillet 2017 de M. [Y], notamment pour l’application des règles d’écrêtement énoncées à l’article D. 242-6-15 du code de la sécurité sociale ;

– que la CARSAT soit condamnée à lui payer une somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Au soutien de ses demandes, la société [6] affirme tout d’abord que son recours est recevable. Elle s’oppose sur ce point à l’argument de la CARSAT, selon lequel les demandes sont atteintes de forclusion, faute d’avoir été formulées dans le délai de deux mois à compter de la notification du taux AT/MP pour l’année 2022.

Elle invoque à cet égard un arrêt de la Cour de cassation en date du 7 avril 2022, par lequel celle-ci a jugé que « l’employeur est en droit de contester l’imputation des conséquences d’une maladie professionnelle à son compte employeur sans que puisse lui être opposée la forclusion de la contestation du dernier taux de cotisation qui lui a été notifié et sans qu’il ait à attendre la notification des taux à venir ». Elle en déduit qu’aucune forclusion ne peut lui être opposée. Elle estime que la CARSAT le reconnaît implicitement, puisqu’elle a finalement, au cours de l’instance judiciaire, procédé au retrait de son compte employeur du coût moyen d’incapacité permanente.

Elle estime par ailleurs qu’elle est recevable en ses demandes dès lors que l’imputation sur son compte employeur des incidences financières de l’accident du travail de M. [Y] résulte d’une erreur et dès lors qu’elle méconnaît l’autorité de la chose décidée résultant de la notification du taux d’incapacité permanente partielle qui a été adressée à la société [5], personne morale distincte de [6] et véritable employeur de M. [Y].

Sur le fond, elle rappelle que la CPAM a pris en compte sa réclamation et qu’elle a adressé à la société [5] une notification du taux d’incapacité permanente partielle de 20 % afférent à l’accident du travail de M. [Y]. Elle déplore cependant que cette rectification ne se soit pas accompagnée d’une rectification de son compte employeur pour l’exercice 2020, si bien que la CARSAT prend en compte, dans la valeur du risque de son établissement, un élément statistique erroné. En outre, la société demanderesse rappelle que son établissement a un effectif de 196 salariés et qu’il est soumis à une tarification individuelle, qui repose sur une évaluation des coûts induits par les risques professionnels générés par l’établissement lui-même. Elle rappelle que la tarification est supposée représenter l’évolution de la sinistralité en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Or, elle constate qu’en l’espèce, la CARSAT prend en compte un accident du travail ayant eu lieu auprès d’un employeur distinct.

La société [6] fait par ailleurs observer qu’après avoir initialement déclaré irrecevable son recours gracieux, la CARSAT a infléchi sa position en cours d’instance, en acquiesçant à sa demande et en procédant au retrait de son compte employeur 2020 du coût moyen d’incapacité permanente généré par l’accident de M. [Y]. Elle estime que cet acquiescement l’autorise à se prévaloir des dispositions de l’article D. 242-6-4 alinéa 4 du code de la sécurité sociale, qui prévoit qu’il est possible qu’une décision de justice ultérieure à la tarification puisse venir valablement modifier les bases de calcul d’une tarification précédemment notifiée. Elle en déduit que la CARSAT ne peut se prévaloir du caractère définitif de la notification du taux AT/MP pour l’année 2022.

Enfin, la société demanderesse s’oppose à l’allégation de la CARSAT selon laquelle sa contestation serait devenue sans objet sur les taux AT/MP 2023 et 2024. Elle considère que, quand bien même la caisse a révisé le taux AT/MP pour l’année 2023, elle ne démontre pas que cette rectification soit juste et satisfactoire. En effet, elle fait observer que le taux rectifié en 2023 et fixé à 4,85 % correspond en réalité au taux de l’année précédente, qui était de 6,07 %, écrêté de 20 % à la baisse. Or, elle rappelle que le taux de 6,07 % de l’année 2022 avait été calculé sur une valeur de risque erroné, puisqu’elle incluait les éléments relatifs à l’accident de M. [Y]. Dès lors, elle constate que si le compte employeur 2020 a été rectifié, cette rectification n’opère pas son plein effet juridique et n’est pas satisfaisante, puisque les effets d’une valeur du risque erronée subsistent encore. Partant, elle fait valoir que sa présente action n’est pas devenue sans objet s’agissant des taux AT/MP 2023 et 2024. Elle illustre sa position en indiquant que si la CARSAT avait procédé en prenant en considération pour l’année 2022 une valeur de risque rectifiée, le taux net qui lui aurait été applicable aurait été de 5,61 % en 2022, en conséquence de quoi le taux 2023 aurait été de 5,61 % écrêté de 20 %, soit 4,49 %.

Par conclusions visées par le greffe le 3 février 2023, le 1er septembre 2023 et le 6 septembre 2023, soutenues oralement à l’audience, la CARSAT demande :

– que la société [6] soit déclarée irrecevable à contester la prise en compte de l’accident du travail de M. [Y] dans les taux de cotisation des années 2019, 2020, 2021 et 2022 de son établissement ;

– que subsidiairement, son recours soit rejeté,

– qu’elle soit également déboutée de sa contestation du calcul des taux de cotisation des années 2023 et 2024.

Elle commence par rappeler que ce n’est pas de son fait que le sinistre de M. [Y] a été imputé à la société [6] mais bel et bien en raison du fait que la déclaration d’accident de travail comportait des erreurs et rattachait le salarié à un établissement de cette société.

Elle rappelle ensuite qu’aux termes des dispositions de l’article R. 143-12-2 alinéa 1er du code de la sécurité sociale applicables jusqu’au 31 décembre 2019 (en réalité l’article R. 142-13-2) et des dispositions de l’article R. 142-1-A III du même code, applicables depuis le 1er janvier 2020, le délai de recours gracieux ou contentieux de l’employeur est de deux mois à compter de la notification de la décision contestée ou, dans le cas où un recours gracieux a été exercé, à compter de la notification de la décision de la caisse sur ce recours gracieux. Elle rappelle qu’elle a inscrit un coût moyen d’incapacité temporaire de catégorie 6 sur le compte employeur 2017 de la société [6], ayant vocation à intégrer ses taux 2019, 2020 et 2021, et un coût moyen d’incapacité permanente de catégorie 3 sur le compte employeur 2020 de cette même société, ayant vocation à intégrer ses taux 2022, 2023 et 2024. Elle fait valoir que la société demanderesse s’est vu notifier pour la dernière fois, le 4 mai 2021, ses taux de cotisation pour les années 2019, 2020 et 2021, et le 6 janvier 2022, son taux de cotisation de l’année 2022. Or, elle observe que la société demanderesse a attendu le 5 mai 2022 pour la saisir d’un recours gracieux et elle en déduit que son action est atteinte de forclusion, dès lors qu’elle n’a pas agi dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision contestée. Elle en conclut que la société [6] n’est plus recevable à contester la prise en compte de l’accident de travail de M. [Y] dans ses taux de cotisation 2019, 2020, 2021 et 2022.

Elle s’oppose à l’interprétation que fait la société [6] de l’arrêt de la Cour de cassation en date du 7 avril 2022. Elle reproche à son adversaire de n’en faire qu’une citation sortie de son contexte rédactionnel. Elle explique qu’un arrêt de la Cour de cassation ne peut se comprendre que par rapport au moyen qui était soulevé devant cette juridiction. Elle rappelle que dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 avril 2022, la cour d’appel avait déclaré irrecevable une contestation de l’inscription au compte employeur 2017 des coûts d’une maladie professionnelle, au motif que la société se trouvait forclose à contester son taux de cotisation 2019. Elle rappelle également que l’une des branches du moyen soulevé consistait à mettre en évidence que la maladie professionnelle avait certes eu une incidence sur le taux de cotisation 2019 qui avait été notifié à l’employeur mais qu’elle avait également une incidence sur les taux des années 2020 et 2021, qui ne lui avaient encore pas été notifiés et qui n’avaient donc encore pas acquis un caractère définitif. Elle indique que c’est sur la base de ce moyen que la Cour de cassation a jugé que « l’employeur est en droit de contester l’imputation des conséquences d’une maladie professionnelle à son compte employeur sans que puisse lui être opposée la forclusion de la contestation du dernier taux de cotisation notifiée et sans qu’il ait à attendre la notification des taux à venir ». Elle explique que c’est à la lumière de l’arrêt de la cour d’appel et du moyen du pourvoi que l’arrêt de la Cour de cassation doit être compris et dans cette seule mesure. En revanche, elle insiste sur le fait qu’une autre branche du pourvoi consistait à soutenir que la contestation d’imputation d’une maladie professionnelle au compte employeur n’était pas soumise au délai de forclusion de deux mois et que ce moyen a été rejeté par la Cour de cassation sans motivation particulière, comme n’étant « manifestement pas de nature à entraîner la cassation ». Contrairement à la société [6], la CARSAT voit donc dans cet arrêt une confirmation de la thèse qu’elle soutient et une condamnation de la position de son adversaire.

La CARSAT indique par ailleurs qu’elle n’a jamais acquiescé à la demande tendant à ce que l’accident du travail litigieux soit retiré des taux de cotisation des années 2019, 2020, 2021 et 2022, ayant seulement consenti, au terme de cette décision notifiée le 23 janvier 2023, au retrait du sinistre du compte employeur, ainsi que des coûts moyens incapacité temporaire et/ou incapacité permanente correspondants « pour la tarification 2023 et futures ».

En outre, la caisse expose que si la contestation de la société [6] a été communiquée trop tardivement pour la fixation annuelle des taux de cotisation des années 2019, 2020, 2021 et 2022, elle a en revanche accepté de la prendre en compte pour le taux de cotisation de l’année 2023, qui n’était pas atteint par la forclusion, ainsi que pour la fixation ultérieure du taux de cotisation de l’année 2024. Elle précise que le 23 janvier 2023, elle en a informé la société [6], lui indiquant qu’elle retirait l’accident du travail de la tarification de son établissement à compter de l’année 2023. Elle ajoute qu’elle a parfaitement respecté les règles d’écrêtement, qui doivent être appliquées à partir du taux net de l’année N -1 effectivement applicable au cotisant. Elle estime qu’on ne peut donc lui reprocher d’avoir raisonné à partir du taux de cotisation 2022 applicable et définitif compte tenu de la forclusion, pour calculer le taux écrêté de l’année 2023, de même qu’on ne pourra lui reprocher de raisonner à partir du taux 2023 pour procéder au calcul du taux écrêté de l’année 2024. Par conséquent, elle considère que la contestation de la société demanderesse est mal fondée pour les taux des années 2023 et 2024.

Motifs de l’arrêt :

Sur la recevabilité :

L’article 122 du code de procédure civile énonce que « constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

La recevabilité est donc le caractère d’une demande en justice rendant possible son examen au fond par la juridiction saisie. Elle suppose un contrôle de l’existence du droit d’agir, qui doit avoir lieu préalablement à l’examen du fond.

En l’espèce, la société [6] prétend qu’aucune forclusion ne lui serait opposable, au motif qu’elle sollicite légitimement le retrait de son compte employeur d’un élément statistique erroné, que le maintien de cet élément statistique n’est pas cohérent avec le fait que l’accident de travail a finalement été imputé à la société [5] par la CPAM et qu’il serait juste de ne pas prendre en compte dans la constitution de la valeur du risque cet accident du travail qui ne lui est absolument pas imputable.

Cependant, en raisonnant de la sorte, la société [6] tend à escamoter le débat sur la recevabilité sous prétexte qu’elle a raison sur le fond. Or, un tel raisonnement ne saurait être admis, sous peine de réduire à néant la notion de défaut de droit d’agir, qui s’effacerait devant le fond lorsque le demandeur agit à bon droit et qui serait donc réservée aux cas où le demandeur agit à tort, ce qui aurait peu d’incidences pratiques puisque ses demandes seraient de toutes façons rejetées.

La société [6] invoque d’autre part un arrêt de la Cour de cassation en date du 7 avril 2022, dans lequel la haute juridiction a jugé que « l’employeur est en droit de contester l’imputation des conséquences d’une maladie professionnelle à son compte employeur sans que puisse lui être opposée la forclusion de la contestation du dernier taux de cotisation notifié et sans qu’il ait à attendre la notification des taux à venir ». Elle croit pouvoir en déduire qu’aucune forclusion ne lui est opposable.

Cependant, il résulte de l’arrêt en question que l’arrêt de la cour d’appel est confirmé en ce qu’il a dit que le taux de cotisation 2019 de l’établissement était devenu définitif, de sorte que toute contestation de ce taux était forclose, et qu’il est cassé en ce qu’il a dit que les contestations relatives aux années 2020 et 2021 étaient également irrecevables, alors que les taux 2020 et 2021 n’avaient pas encore été notifiés et qu’ils n’avaient pas acquis un quelconque caractère définitif. La formule employée par la Cour de cassation doit être comprise et interprétée dans son contexte. Elle ne signifie donc nullement qu’un employeur serait en droit d’élever des contestations sans que puisse lui être opposée aucune forclusion.

Au contraire, il apparaît que dans cette affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 avril 2022, une première branche du moyen tendait précisément à faire admettre qu’une action en retrait d’un compte employeur n’était pas soumise au délai de forclusion de deux mois à compter de la notification du taux de cotisation AT/MP et ce moyen a fait l’objet d’un rejet non spécialement motivé, dans la mesure où il n’était manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Ceci étant rappelé, il apparaît qu’en l’espèce, la [6] s’est vu notifier le 4 mai 2021 ses taux de cotisation 2019, 2020 et 2021.

De même, la société [6] a pris connaissance le 6 janvier 2022 de son taux de cotisation de l’année 2022.

Cependant, il apparaît que la société [6] n’a exercé son recours gracieux auprès de la CARSAT de Normandie pour contester son compte employeur 2020 que par courrier du 19 avril 2022 et que, suite au rejet de celui-ci, elle a engagé son recours contentieux par acte d’huissier en date du 28 juin 2022.

Force est ainsi d’admettre qu’elle a agi au-delà du délai de deux mois prévu par l’article R. 142-13-2 du code de la sécurité sociale, applicable jusqu’au 31 décembre 2019, et de l’article R. 142-1-A III du même code, applicable depuis le 1er janvier 2020, qui prévoient un délai de deux mois à compter de la date de notification pour intenter le recours gracieux, le recours préalable ou le recours contentieux.

Par ailleurs, la société [6] prétend que la CARSAT aurait acquiescé à ses demandes, c’est-à-dire, aux termes de l’article 408 du code de procédure civile, qu’elle aurait reconnu le bien-fondé des prétentions adverses. Se prévalant de cet acquiescement, elle invoque l’article D. 242-6-4 alinéa 4 du code de la sécurité sociale, qui prévoit qu’une décision de justice ultérieure à la tarification peut venir valablement modifier les bases de calcul d’une tarification précédemment notifiée.

Cependant, un simple examen du courrier du 23 janvier 2023 envoyé par la CARSAT à la société [6] montre que si la CARSAT a retiré le sinistre du compte employeur, ainsi que les coûts moyens incapacité temporaire et/ou incapacité permanente correspondants pour la tarification 2023 et les tarifications futures, elle n’a absolument pas mentionné les années 2019 à 2022. Il faut en déduire que pour ces années 2019 à 2022, elle maintenait sa position antérieure et qu’elle n’a pas acquiescé à toutes les demandes adverses.

Par ailleurs, il est constant qu’une décision d’une CARSAT de retirer une maladie professionnelle du compte employeur ne constitue pas une décision de justice ultérieure susceptible de rouvrir le délai de contestation de taux définitifs.

Cependant, on pourrait tout à fait considérer, ce qui a déjà été admis en jurisprudence, que la décision de la CARSAT de prendre en compte partiellement les remarques de la société [6] et de modifier les éléments de calcul du taux de cotisation, constitue une exception à la forclusion encourue ou, à tout le moins, une nouvelle décision ouvrant un nouveau délai de forclusion de deux mois. Il n’en reste pas moins que la possibilité d’intenter une nouvelle action ne concernerait que les éléments nouvellement modifiés et qu’elle n’aurait pas pour effet de rouvrir la possibilité de contester des taux devenus définitifs.

Il y a donc lieu de constater que la société [6] n’est plus recevable à contester les taux de cotisation qui lui ont été notifiés pour les années 2019 à 2022, pour cause de forclusion.

Seule est recevable la contestation portant sur les années 2023 et 2024.

Sur le fond :

Il s’évince de l’examen du dossier que la CARSAT a retiré le sinistre du compte employeur de la société [6], ainsi que les coûts moyens incapacité temporaire et/ou incapacité permanente correspondants pour la tarification 2023 et les tarifications ultérieures. La CARSAT a dès lors calculé le taux de cotisation 2023 en appliquant les règles d’écrêtement à la baisse par rapport au taux de cotisation qui avait été appliqué en 2022.

La société [6] estime quant à elle que ce calcul n’est pas satisfactoire puisque, quand bien même la CARSAT a procédé à la révision du taux de 2023, elle l’a calculé à partir du taux 2022, qui incluait le coût moyen d’incapacité permanente relatif à l’accident de travail de M. [Y], de sorte que ce dernier, bien qu’ayant été théoriquement retiré du compte employeur, continue néanmoins en pratique à être pris en compte et à produire des effets négatifs pour elle. Elle demande donc que le taux 2023 et, ultérieurement, le taux 2024, soient calculés comme si les coûts moyens afférents à l’accident du travail de M. [Y] n’avaient jamais été inscrits à son compte employeur.

Mais ce faisant, la société [6] cherche encore une fois à s’affranchir de la forclusion et à remettre en cause des éléments qu’elle n’a pas contestés dans les délais qui lui étaient impartis. Il n’y a donc pas lieu de la suivre dans son raisonnement.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Eu égard aux circonstances de l’espèce, il n’est pas inéquitable de laisser aux parties la charge de leur propres frais irrépétibles.

La société [6] sera déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

L’issue du litige commande de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Par ces motifs :

La cour, statuant par arrêt rendu par mise à disposition au greffe, contradictoire, en premier et dernier ressort :

– Déclare irrecevable pour forclusion le recours de la société [6] concernant les taux de cotisation 2019, 2020, 2021 et 2022 ;

– Donne acte à la CARSAT de ce qu’elle a recalculé le taux 2023 en retirant du compte employeur de l’établissement de la société [6] l’accident du travail de M. [Y], ainsi que les coûts moyens incapacité temporaire et/ou incapacité permanente correspondants ;

– Déboute la société [6] de son recours tendant à ce que les taux de cotisation 2023 et 2024 soient recalculés à partir d’un taux 2022 d’où le sinistre et ses conséquences auraient été retirés ;

– Déboute la société [6] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

– Dit que les parties garderont la charge de leurs propres dépens.

Le Greffier, Le Président,

 

 

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