Démission du salarié
Dans cette affaire, une salariée, Mme H, a démissionné de son poste de vendeuse chez Sunglass Hut France en mai 2020.
Conditions de la prise d’acte
Plus de 7 mois après sa démission, elle a demandé que celle-ci soit requalifiée en prise d’acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur, invoquant des faits de harcèlement moral.
Preuve du harcèlement
Cependant, elle n’a pas fourni d’éléments concrets prouvant ce harcèlement.
Le tribunal a donc confirmé la démission de Mme H comme étant claire et non équivoque, et a rejeté sa demande. Mme H a été condamnée à payer des frais de justice à Sunglass Hut France.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TP/DD
Numéro 23/3999
COUR D’APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 30/11/2023
Dossier : N° RG 22/00114 – N°Portalis DBVV-V-B7G-ICZY
Nature affaire :
Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail
Affaire :
[C] [H]
C/
S.A.S.U. SUNGLASS HUT FRANCE
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 30 Novembre 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
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APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 14 Septembre 2023, devant :
Madame PACTEAU, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame LAUBIE, greffière.
Madame PACTEAU, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame CAUTRES, Présidente
Madame SORONDO, Conseiller
Madame PACTEAU,Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
Madame [C] [H]
née le 22 Août 1985 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2022/2100 du 03/06/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PAU)
Représentée par Maître CAZALET de la SCP MENDIBOURE-CAZALET-GUILLOT, avocat au barreau de BAYONNE
INTIMÉE :
S.A.S.U. SUNGLASS HUT FRANCE
Représentée par son représentant légal
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Maître GAL de la SELAS BRL AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
sur appel de la décision
en date du 21 DECEMBRE 2021
rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BAYONNE
RG numéro : F 21/00008
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [C] [H] a été embauchée à compter du 19 novembre 2018 par la Société Sunglass Hut France, en qualité de Sales associate ou conseillère de ventes, selon contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale de l’optique et lunetterie de détail.
Elle exerçait ses fonctions au sein du « corner » situé aux Galeries Lafayette de Biarritz.
Le 8 mai 2020, elle a démissionné de son poste.
Le 23 décembre 2020, elle a saisi la juridiction prud’homale au fond d’une demande de requalification de sa démission en prise d’acte.
Par jugement du 21 décembre 2021, le conseil de prud’hommes de Bayonne a :
Dit que la démission de Mme [C] [H] est claire, non équivoque et librement consentie,
Constaté que l’absence de toute situation de harcèlement moral à l’encontre de Mme [C] [H],
Débouté Mme [C] [H] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
Condamné Mme [C] [H] à payer à la société Sunglass Hut France la somme de 250 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 13 janvier 2022, Mme [C] [H] a interjeté appel du jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Dans ses conclusions adressées au greffe par voie électronique le 7 avril 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, Mme [C] [H] demande à la cour de :
– Déclarer l’appel interjeté par Mme [C] [H] recevable et bien fondé
Y faisant droit
– Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau
– Requalifier la démission de Mme [H] en date du 8 mai 2020 en démission équivoque, et partant, en prise d’acte de la rupture de son contrat de travail,
– Requalifier cette prise d’acte en licenciement nul à raison du harcèlement moral subi et subsidiairement, en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Y faisant droit
– Condamner la SASU Sunglass Hut France à verser à Mme [H] les
sommes suivantes :
*529,12 euros à titre d’indemnité légale de licenciement
*1411 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis (un mois)
*141,10 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis
*8500 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul et subsidiairement, à titre d’indemnité adéquate et de réparation appropriée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
*6000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour harcèlement moral
– Condamner la SASU Sunglass Hut France à régler à Mme [H] la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
– Dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance avec capitalisation
– Condamner la SASU Sunglass Hut France aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Dans ses conclusions adressées au greffe par voie électronique le 5 juillet 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, la société Sunglass Hut France demande à la cour de :
Confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
Dit que la démission de Mme [C] [H] est claire, non équivoque et librement consentie ;
Constaté l’absence de toute situation de harcèlement moral à l’encontre de Mme [C] [H] ;
Débouté Mme [C] [H] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
Condamné Mme [C] [H] à payer à la Société Sunglass Hut France la somme de 250 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens
A titre reconventionnel, Condamner Mme [H] au paiement de la somme de 3.000 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 14 août 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La démission est l’acte par lequel le salarié fait connaître à son employeur sa décision de mettre fin au contrat de travail. Elle doit résulter d’une volonté claire et non équivoque de la part du salarié, et être librement consentie.
Il est constant que lorsque le salarié, sans invoquer de vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission, qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission.
Dans ces conditions, il appartient au salarié de démontrer que sa démission constituait en réalité une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur.
En l’espèce, Mme [H] a adressé, par mail, le 8 mai 2020, un courrier manuscrit intitulé « démission », dans lequel elle écrit :
« Je soussignée [C] [H] ai l’honneur de vous présenter ma démission du poste de vendeuse au service Sunglass Hut Biarritz à compter de la date d’aujourd’hui (8 mai 2020).
J’ai bien noté que les termes de mon contrat de travail (ou convention collective ou accord d’entreprise) prévoit un préavis. Cependant, après une demande de dérogation auprès de ma responsable sud (Mme [P] [W]), celle-ci l’a validée à ce jour (8 mai 2020).
Je vous demanderai de bien vouloir me transmettre un reçu pour solde de tout compte ainsi qu’un certificat de travail. »
Suivant requête reçue au greffe du conseil de prud’hommes de Bayonne le 23 décembre 2020, Mme [H] demande que sa démission soit requalifiée en prise d’acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur, ayant les effets d’un licenciement nul en raison des faits de harcèlement moral dont elle se dit victime et qui l’ont conduite à prendre l’initiative de la rupture de la relation de travail.
La société Sunglass Hut France lui oppose le fait qu’elle a exprimé de manière claire et non équivoque sa volonté de démissionner et la tardiveté de la remise en cause de cette démission.
Il ressort en effet des éléments du dossier que, dès le 7 mai 2020, Mme [H] avait sollicité Mme [W] par sms pour obtenir son adresse mail et lui évoquant sa démission et en précisant qu’elle lui ferait parvenir « ceci » le lendemain. Elle concluait l’échange par : « merci pour tout ».
Le lendemain, elle adressait par mail, à Mme [W], la lettre dont la teneur est reprise ci-dessus en l’accompagnant des mots suivants : « Bonjour [M] comme convenu voici ma démission, je vais la transférer au siège demain. Merci pour cette expérience chez sunglasshut. Cordialement, [C]. »
Elle avait d’ailleurs obtenu une dispense d’effectuer son préavis, ce qui lui a permis d’occuper un nouvel emploi en contrat à durée déterminée à compter du 11 mai 2020 et jusqu’au 30 septembre 2020. Il convient de préciser que son contrat fixait comme lieu de travail une boutique mais également un établissement secondaire situé aux Galeries Lafayette, tout comme son emploi précédent auprès de Sunglass hut France, de sorte qu’elle aurait été amenée à y croiser les personnes aux côtés desquelles elle travaillait alors.
Pour autant, plus de 7 mois après la rupture de la relation de travail, Mme [H] vient en discuter l’origine, exposant qu’elle a été amenée à prendre cette décision en raison du harcèlement moral qu’elle subissait de la part de sa supérieure hiérarchique.
Il convient d’ailleurs de préciser qu’elle a saisi la juridiction prud’homale selon la procédure classique, en demandant la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et non directement devant le bureau de jugement comme le permet l’article L.1451-1 du code du travail en cas de prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié.
En application de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
En vertu de l’article L.1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions ci-dessus, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Il incombe alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Concernant le harcèlement moral invoqué, Mme [H] dit en avoir été victime de la part de sa supérieure hiérarchique, Mme [W], ainsi que de collègues.
Il importe de relever qu’elle ne fait référence à aucun agissement précis et répété imputable à ces personnes et que, comme vu ci-avant, elle a remercié Mme [W] pour son expérience chez Sunglass.
Elle produit six attestations de collègues dont deux seulement font état de propos
insultants et dénigrants entendus au sujet de Mme [H], sans nommer précisément leur auteur, ni dater les faits. Les témoignages produits sont imprécis quant aux agissements susceptibles de constituer un harcèlement moral, d’ailleurs non définis par Mme [H] elle-même, ainsi que sur leur date et sur leur(s) auteur(s).
Mme [H] ne produit ainsi aucun élément laissant supposer l’existence d’un harcèlement de sorte que celui-ci ne sera pas retenu.
Dès lors, il y a lieu de considérer que la démission de Mme [H], qui n’a alors émis aucune réserve ni n’a formulé un quelconque grief à l’encontre de son employeur, est intervenue de manière claire et non équivoque, ce que corrobore la tardiveté de la saisine de la juridiction prud’homale pour imputer à son ancien employeur l’origine de cette décision, sept mois après son départ de la société.
En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses dispositions.
Mme [H], qui succombe en son appel, devra en supporter les entiers dépens.
Elle sera en outre condamnée à payer à la société Sunglass Hut France une indemnité de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Bayonne en date du 21 décembre 2021 ;
Y ajoutant :
CONDAMNE Mme [C] [H] aux entiers dépens d’appel ;
CONDAMNE Mme [C] [H] à payer à la société Sunglass Hut France la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,