Manque de compréhension de la stratégie commerciale : licenciement pour insuffisance professionnelle

Notez ce point juridique

L’affaire concerne un licenciement pour insuffisance professionnelle d’une salariée par une société. La salariée conteste les motifs de son licenciement, affirmant avoir mis en œuvre la nouvelle stratégie commerciale de l’entreprise avec succès et avoir accompagné son équipe malgré les difficultés rencontrées. La cour constate que les griefs invoqués par l’employeur ne sont pas suffisamment étayés pour justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse. Par conséquent, le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse. En ce qui concerne les conséquences indemnitaires, la salariée se voit accorder des dommages et intérêts pour avoir subi une dépression et des difficultés financières après son licenciement. Le montant des dommages et intérêts accordé par les premiers juges est confirmé par la cour.

Les problématiques de cette affaire

1. Effet dévolutif de la déclaration d’appel : La question de savoir si la déclaration d’appel a opéré un effet dévolutif en l’absence de précision sur les chefs de jugement critiqués et si la régularisation dans le délai d’appel était nécessaire.
2. Conformité de la déclaration d’appel aux exigences légales : La conformité de la déclaration d’appel initiale et de la déclaration d’appel régularisée aux dispositions des articles 901 et 910-4 du code de procédure civile.
3. Application rétroactive des textes réglementaires : L’applicabilité rétroactive du décret n°2022-245 du 25 février 2022 et de l’arrêté du 25 février 2022 aux instances en cours et l’impact de ces textes sur la validité des déclarations d’appel antérieures.

Les Avocats de référence dans cette affaire

Bravo à Me Gwenaelle VAUTRIN de la SELARL VAUTRIN AVOCATS et à Me Agnès LOIRÉ pour leur plaidoirie dans cette affaire.

Les Parties impliquées dans cette affaire

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

11 janvier 2023
Cour d’appel d’Amiens
RG n° 21/05290

ARRET

S.A.S. RS COMPONENTS

C/

[T]

copie exécutoire

le 11/01/2023

à

Me VAUTRIN

Me LOIRÉ

EG/IL/BG

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

ARRET DU 11 JANVIER 2023

*************************************************************

N° RG 21/05290 – N° Portalis DBV4-V-B7F-IION

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 28 OCTOBRE 2021 (référence dossier N° RG 19/00293)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S. RS COMPONENTS

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée et concluant par Me Gwenaelle VAUTRIN de la SELARL VAUTRIN AVOCATS, avocat au barreau de COMPIEGNE

ET :

INTIMEE

Madame [Y] [T]

née le 11 Juillet 1974

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

concluant par Me Agnès LOIRÉ, avocat au barreau de BEAUVAIS

DEBATS :

A l’audience publique du 16 novembre 2022, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l’affaire a été appelée.

Mme Eva GIUDICELLI indique que l’arrêt sera prononcé le 11 janvier 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 11 janvier 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [T] a été embauchée par la société RS components (la société ou l’employeur) à compter du 14 juin 2011 par contrat à durée indéterminée, en qualité de gestionnaire d’affaires.

Au dernier état de la relation contractuelle, elle occupait le poste de responsable des ventes internes de la région Est.

Son contrat est régi par la convention collective du commerce de gros (matériel électrique).

La société comptait un effectif de 447 salariés au jour du licenciement.

Le 7 janvier 2019, la salarié a été convoquée par la société RS components à un entretien préalable fixé au 16 janvier 2019.

Par courrier du 24 janvier 2019, elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle.

Contestant la légitimité de son licenciement, Mme [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Beauvais le 23 décembre 2019.

Par jugement du 28 octobre 2021, le conseil a :

– dit et jugé que les demandes de Mme [T] étaient recevables et partiellement fondées :

– dit et jugé que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse ;

– condamné la société RS components à verser à Mme [T] les sommes suivantes :

– 27 339 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société RS components aux entiers dépens ;

– débouté les parties des autres demandes.

La société RS components a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 9 novembre 2021 enregistrée sous le n° RG 21/5290, puis par déclaration du 1er février 2022 enregistrée sous le n° RG 22/00431.

Par décision du conseiller de la mise en état du 8 février 2022, la jonction des deux procédures a été ordonnée.

Par conclusions remises le 27 octobre 2022, la société RS components demande à la cour de :

– constater que la déclaration d’appel du 9 novembre 2021 contient les chefs de jugement expressément critiqués ;

– dire et juger que l’effet dévolutif a bien opéré ;

– dire et juger recevable la déclaration d’appel du 9 novembre 2021 enregistrée sous le numéro RG 21/05290 ;

En conséquence,

– la dire et la juger fondée en son appel ;

– débouter Mme [T] de sa demande d’irrecevabilité de la déclaration d’appel ;

En tout état de cause,

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Beauvais en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’a condamnée à verser à Mme [T] la somme de 27 339 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre 1 500 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi que les entiers dépens ;

– confirmer le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

– dire et juger que le licenciement pour insuffisance professionnelle de Mme [T] repose sur une cause réelle et sérieuse ;

– dire et juger le licenciement de Mme [T] dénué de toutes circonstances vexatoires ;

– débouter Mme [T] de toutes ses demandes, fins et conclusions relatives à la rupture du contrat de travail ;

Subsidiairement, si la cour devait confirmer la décision du conseil de prud’hommes de Beauvais et dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– tenir compte des indemnités déjà perçues par Mme [T] lors de la rupture de son contrat de travail, conformément aux dispositions de l’article L1235- 3 du code du travail, et de ramener le montant des dommages et intérêts alloués à de plus justes proportions en ne retenant que l’indemnité minimale prévue par le barème fixé par l’article L1235-3 du code du travail ;

Dans tous les cas,

– condamner Mme [T] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Mme [T] aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 27 avril 2022, Mme [T] demande à la cour de :

A titre principal,

– constater l’absence d’effet dévolutif attaché à la déclaration d’appel du 9 novembre 2021 ;

– constater l’irrecevabilité de la déclaration d’appel du 4 février 2022 ;

– dire en conséquence n’y avoir lieu à statuer sur les dispositions du jugement entrepris, dont aucune n’a été déférée à la cour ;

A titre subsidiaire,

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 octobre 2021 par le conseil de prud’hommes de Beauvais, excepté en ce qui concerne la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral vexatoire ;

Statuant à nouveau sur ce point,

– dire que son licenciement est intervenu dans des conditions vexatoires, et ce faisant,

– condamner la société RS components à lui payer la somme suivante :

– 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral lié aux conditions vexatoires de la rupture ;

– débouter la société RS components de ses demandes ;

– condamner la société RS components à lui payer la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS

1/ Sur l’effet dévolutif de la déclaration d’appel

Mme [T] soutient que la déclaration d’appel du 9 novembre 2021 n’a pu opérer effet dévolutif en l’absence de précision sur les chefs de jugement critiqués, la pièce jointe étant sans portée à ce sujet, et de régularisation dans le mois du délai d’appel.

La société répond qu’en régularisant sa déclaration d’appel du 9 novembre 2021 dans le délai de 3 mois pour conclure, à la suite de l’arrêt rendu le 13 janvier 2022 par la 2ème chambre civile de la Cour de cassation, elle a satisfait aux exigences de l’article 901 du code de procédure civile.

Elle ajoute que l’arrêté du 25 février 2022 modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel, applicable aux instances en cours, a validé sa déclaration d’appel initiale qui visait une annexe reprenant les chefs de jugement critiqués, ce que le conseiller de la mise en état a confirmé en ordonnant la jonction des deux procédures.

En application des dispositions des articles 901 et 910-4 du code de procédure civile, la déclaration d’appel, qui vise la réformation de la décision de première instance sans préciser les chefs de jugement expressément critiqués, peut être régularisée dans les 3 mois impartis à l’appelant pour conclure.

Par ailleurs, le décret n°2022-245 du 25 février 2022 modifiant l’article 901 du code de procédure civile et l’arrêté du 25 février 2022 modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d’appel sont immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d’appel qui ont été formées antérieurement à l’entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires pour autant qu’elles n’ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent, qui n’a pas fait l’objet d’un déféré dans le délai requis, ou par l’arrêt d’une cour d’appel statuant sur déféré.

Il en résulte qu’une déclaration d’appel, à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués constitue l’acte d’appel conforme aux exigences de l’article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, même en l’absence d’empêchement technique.

En l’espèce, la société ayant formé une nouvelle déclaration d’appel, reprenant les chefs de jugement critiqués, le 1er février 2022 alors que son délai pour conclure expirait le 9 février 2022, et la déclaration d’appel initiale tendant à la réformation du jugement en visant une annexe comportant ces mêmes chefs de jugement, le moyen soulevé par Mme [T] est inopérant.

La salariée ayant plus de deux ans d’ancienneté et l’entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application d’office des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, et d’ordonner à l’employeur de rembourser à l’antenne Pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressée depuis son licenciement dans la limite de six mois de prestations.

4/ Sur les circonstances vexatoires du licenciement

Mme [T] expose que les circonstances de son départ ont été brutales et dégradantes, l’employeur l’ayant sommée de quitter son poste en laissant ses outils de travail et sans pouvoir saluer son équipe dès sa convocation à l’entretien préalable alors qu’elle ne savait pas encore ce qui lui était reproché, puis lui ayant dénié la possibilité d’accéder à son bureau pour récupérer ses effets personnels à l’issue du préavis dont il l’avait dispensée d’exécution.

La société réplique que la mise en disponibilité rémunérée de la salariée n’est pas constitutive d’une faute, que les modalités de restitution de ses effets personnels lui ont été préalablement précisées dans des termes courtois, qu’aucun texte n’impose à l’employeur de permettre au salarié l’accès à son ancien bureau, et que l’attestation de Mme [I], collègue actuelle de Mme [T], est sujette à caution.

Le salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse peut prétendre à des dommages-intérêts distincts de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de comportement fautif de l’employeur dans les circonstances de la rupture. Ainsi, la caractérisation d’un préjudice distinct causé par ce comportement autorise le cumul des indemnisations.

En l’espèce, par courrier du 7 janvier 2019 remis en main propre, l’employeur a convoqué Mme [T] à un entretien préalable à un éventuel licenciement en l’informant qu’elle était placée en période de mise en disponibilité rémunérée le temps de la procédure.

Il n’est pas contesté qu’elle a dès cette date dû remettre son ordinateur portable professionnel et que du fait de son licenciement le 24 janvier 2019 avec dispense d’exécution du préavis, elle n’a pu récupérer ses effets personnels que le 6 mai 2019 à l’accueil de la société.

Mme [T] justifie avoir déploré auprès de la responsable des ressources humaines le manque d’humanité et de considération de cette façon de procéder.

En écartant la salariée de son poste de travail en dehors de tout cadre juridique explicite, la mise en disponibilité forcée même rémunérée ne pouvant relever que d’une mise à pied conservatoire, pour la licencier sans motif disciplinaire, l’employeur a créé des circonstances de licenciement vexatoires ayant causé un préjudice moral à Mme [T] qu’il convient de réparer en lui allouant 1 500 euros de dommages et intérêts.

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

5/ Sur les demandes accessoires

La société succombant totalement, il convient de confirmer le jugement entrepris sur les frais irrépétibles et dépens de première instance, et de mettre à sa charge les dépens de la procédure d’appel.

L’équité commande de la condamner à verser à Mme [T] la somme de 1 000 euros pour les frais engagés en appel en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et de rejeter sa propre demande.

 

 

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