Licenciement pour inaptitude du salarié : affaire Brake France

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Les problématiques de cette affaire

1. Licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement
2. Violation du statut protecteur du salarié
3. Harcèlement moral

Les Avocats de référence dans cette affaire

Bravo à Me Patrick JOLIBERT de la SELAS MORVILLIERS SENTENAC & ASSOCIES et à Me Sahra CHERITI de la SCP AGUERA AVOCATS pour avoir plaidé cette affaire avec succès.

Les Parties impliquées dans cette affaire

Les sociétés représentées par leurs avocats dans cet arrêt sont :

1. S.A.S. SYSCO FRANCE, représentée par Me Sahra CHERITI de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON (plaidant) et par Me Bernard DE LAMY, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 janvier 2023
Cour d’appel de Toulouse
RG n° 21/02124

13/01/2023

ARRÊT N°2023/23

N° RG 21/02124 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OE2F

AB/AR

Décision déférée du 08 Avril 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE ( F 19/00937)

BARAT H.

[I] [J]

C/

S.A.S. SYSCO FRANCE

Infirmation partielle

Grosse délivrée

le 13 1 23

à Me Patrick JOLIBERT

Me Bernard DE LAMY

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU TREIZE JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANT

Monsieur [I] [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Patrick JOLIBERT de la SELAS MORVILLIERS SENTENAC & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

S.A.S. SYSCO FRANCE

venant aux droits de la SOCIETE BRAKE FRANCE SERVICE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège [Adresse 1]

Représentée par Me Sahra CHERITI de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON ‘(plaidant) et par Me Bernard DE LAMY, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant A.Pierre-Blanchard et F.Croisille-Cabrol, conseillères chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. Brisset, présidente

A. Pierre-Blanchard, conseillère

F. Croisille-Cabrol, conseillère

Greffier, lors des débats : A. Ravéane

ARRET :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par C. Brisset, présidente, et par A. Ravéane, greffière de chambre

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [I] [J] a été embauché suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps plein du 1er décembre 1998 par la société Brake France en qualité de conseiller de clientèle, niveau IV, échelon 1.

La société Brake France Service, aux droits de laquelle vient la SAS Sysco France, commercialise des produits frais et surgelés.

La convention collective nationale du commerce de gros du 23 juin 1970 est applicable.

En dernier lieu de la relation de travail, et depuis le mois d’octobre 2013, M. [J] exerçait un emploi de chef de secteur restauration commerciale.

En juillet 2014, M. [J] a été destinataire d’observations de son employeur qui considérait ses résultats comme étant insuffisants. M. [J] a alors bénéficié d’un accompagnement sous la forme d’un ‘plan de progrès’ pendant 6 mois.

Le 15 octobre 2014, M. [J] a été élu délégué du personnel.

Par courrier du 22 décembre 2014, la société Brake France Service a suggéré à M. [J] une rupture conventionnelle de son contrat de travail, que ce dernier a refusée par courrier du 8 janvier 2015.

M. [J] a fait l’objet de plusieurs arrêts de travail entre le 5 janvier 2015 et le 26 juin 2015, à la suite desquels il a été déclaré apte à la reprise de son poste par le médecin du travail le 2 juillet 2015.

Le 2 juillet 2015, la société Brake France a remis en main propre au salarié une convocation à un entretien préalable en vue d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, fixé au 10 juillet 2015. Elle a consulté les membres du comité d’établissement le 22 juillet 2015 sur le licenciement projeté avant de formuler une demande d’autorisation de licenciement auprès de l’inspecteur du travail, qu’elle a finalement retirée le 24 septembre 2015.

M. [J] a repris le travail le 5 octobre 2015, et a de nouveau été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 13 octobre 2015.

Par requête en date du 16 novembre 2015, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.

M. [J] a été déclaré inapte par le médecin du travail à l’issue de deux visites médicales qui se sont déroulées les 18 janvier et 1er février 2016.

Le 7 mars 2016, la société Brake France a convoqué M. [J] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour le 16 mars 2016 et a convoqué le comité d’établissement, le 17 mars 2016, à une réunion fixée au 25 mars 2016 pour solliciter son avis sur ce projet de licenciement.

La société Brake France a ensuite formulé une demande d’autorisation de licenciement à l’inspecteur du travail le 18 mars 2016, qui a été refusée en raison d’une irrégularité de forme.

A compter du 19 septembre 2016, la société Brake France a repris toute la procédure de licenciement et l’inspecteur du travail a, par décision du 20 février 2017, autorisé le licenciement de M. [J].

Par courrier du 8 mars 2017, la société Brake France a licencié le salarié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

Le 11 avril 2017, M. [J] a formé à l’encontre de la décision rendue le 20 février 2017 par l’inspecteur du travail un recours hiérarchique par-devant le Ministre du travail ; une décision implicite de rejet a été rendue le 19 août 2017.

M. [J] a ensuite saisi le tribunal administratif de Toulouse, lequel a, par jugement définitif du 24 janvier 2019, rejeté la requête de M. [J], confirmant ainsi son licenciement pour inaptitude d’origine non professionnelle.

Le 17 juin 2019, M. [J] a réintroduit l’instance prud’homale en maintenant sa demande de résiliation judiciaire qui avait fait l’objet d’une saisine le 16 novembre 2015, et en formulant de nouvelles demandes.

Par jugement du 8 avril 2021, le conseil de prud’hommes de Toulouse a :

– déclaré irrecevable la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [I] [J] et les demandes qui en sont la conséquence,

– déclaré irrecevable la demande portant sur la violation du statut protecteur de M. [J],

– dit que M. [J] n’établit pas de faits faisant présumer un harcèlement moral à son encontre,

– débouté en conséquence M. [J] de ses demandes de requalification de la rupture en licenciement nul, de requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que les demandes financières qui en résultent, à savoir, l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payes y afférents, l’indemnité légale de licenciement et les dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et abusif,

– constaté l’absence de manquements à l’encontre de M. [J] au titre de l’obligation de sécurité,

– débouté M. [J] de la demande qu’il formule à ce titre,

– constaté l’absence de manquements à l’encontre de M. [J] au titre de l’obligation de loyauté,

– débouté M. [J] de la demande qu’il formule à ce titre,

– dit que M. [J] ne démontre pas de l’existence d’heures supplémentaires non rémunérées,

– débouté en conséquence M. [J] de cette demande et par suite, celle ayant trait au paiement d’une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

– débouté M. [J] du surplus de ses demandes,

– débouté la SAS SYSCO France de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [J] aux entiers dépens de l’instance.

M. [J] a relevé appel de ce jugement le 7 mai 2021, dans des conditions de forme et de délai non discutées, en énonçant dans sa déclaration d’appel les chefs critiqués.

MOTIFS :

Sur la demande de résiliation judiciaire et la violation du statut protecteur :

Lorsqu’un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat de travail, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée, et c’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur, le licenciement étant, si la résiliation judiciaire est considérée comme fondée, non avenu.

Cependant, dans le cas particulier d’un salarié protégé dont le licenciement a été notifié à la suite d’une autorisation administrative accordée à l’employeur, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire formée par ce salarié même si sa saisine était antérieure à la rupture.

Dans le cas où une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l’administration du travail de vérifier que l’inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement ; il ne lui appartient pas en revanche, dans l’exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d’un harcèlement moral dont l’effet, selon les dispositions combinées des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 du code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail ; ce faisant, l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations, y compris le harcèlement moral.

Ainsi en l’espèce, la demande de M. [J] tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail est irrecevable en vertu du principe de séparation des pouvoirs ainsi que l’ont retenu les premiers juges ; en revanche M. [J] est recevable à solliciter l’indemnisation de ses préjudices liés à la perte de son emploi, au manquement à l’obligation de sécurité, à l’obligation d’exécution loyale du contrat, à la discrimination et au harcèlement moral qu’il invoque.

Par ailleurs, il est constant qu’un salarié protégé, licencié pour inaptitude après autorisation de l’inspecteur du travail, ne peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur, la rupture ainsi autorisée faisant obstacle à une telle demande en application du principe de séparation des pouvoirs.

La demande en paiement de la somme de 65 448 € nets formulée par M. [J] pour violation du statut protecteur est donc irrecevable, ainsi que l’a jugé à bon droit le conseil de prud’hommes.

Sur les manquements de l’employeur durant l’exécution du contrat de travail et leur conséquences sur la rupture :

M. [J] soutient avoir été victime de harcèlement moral et de discrimination, et fonde sa demande de résiliation judiciaire sur ces manquements ; il a été vu que la demande de résiliation judiciaire était irrecevable ; toutefois M. [J] formule des demandes de dommages-intérêts qu’il appartient à la cour d’examiner : d’une part, une demande indemnitaire pour exécution déloyale du contrat (incluant le harcèlement moral et la discrimination) et manquement à l’obligation de sécurité, et d’autre part, une demande indemnitaire pour perte d’emploi, car M. [J] estime que ces manquements sont à l’origine de l’inaptitude.

Il est précisé que devant cette cour, M. [J] ne sollicite plus que le licenciement soit déclaré nul ou sans cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes de l’article L 1152-2, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L’article L 1152-3 dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de ces textes est nulle.

En application de l’article L 1154-1, il appartient au salarié qui se prétend victime d’agissements répétés de harcèlement moral d’établir des faits permettant de présumer l’existence d’un tel harcèlement (version antérieure à la loi du 8 août 2016) ou de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un tel harcèlement (version issue de la loi du 8 août 2016). Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Par application de l’article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l’article 1er de la loi du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L.3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Et l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 définit comme suit les différentes formes de discrimination :

– constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre, ne l’est, ne l’a été, ou ne l’aura été, dans une situation comparable,

– constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique, neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires ou appropriés,

– la discrimination inclut tout agissement lié à l’un des motifs précités et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

L’article L 1134 – 1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 .

Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination .

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, M. [J] se plaint à la fois d’un harcèlement moral, d’une discrimination, d’une exécution déloyale du contrat et d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, qu’il illustre par les faits suivants :

-dès l’annonce de sa candidature aux élections de délégués du personnel, au cours du mois de juillet 2014, il s’est vu reprocher des insuffisances par l’employeur, alors qu’il donnait satisfaction auparavant,

-l’employeur a insisté en novembre 2014 pour qu’il accepte une rupture conventionnelle, ce qui constitue des pressions,

-il a alors été placé en arrêt maladie, l’employeur continuant à lui reprocher des insuffisances le 15 janvier 2015, et à son retour le 2 juillet 2015 l’employeur a refusé qu’il reprenne son poste, en lui remettant une convocation à entretien préalable et en lui notifiant une dispense d’activité rémunérée,

-il a ensuite été mis à l’écart et a subi un changement de ses conditions de travail sans son accord alors qu’il est salarié protégé : il a fini par pouvoir reprendre son poste le 5 octobre 2015, mais pas sur ses fonctions ni sur son secteur habituel ([Localité 7] au lieu de [Localité 10] Est, secteur nouveau donc peu rentable), et sans instruction particulière ni formation sur les nouveaux produits, ni aucun outil (notamment ordinateur portable), donc il a été de nouveau en arrêt à compter du 12 octobre 2015, et s’en est plaint par courrier du 21 octobre 2015. La mise à l’écart s’est poursuivie puisqu’il a été déclaré inapte le 1er février 2016 et est resté en dispense d’activité rémunérée jusqu’à son licenciement du 8 mars 2017.

La cour estime que ces faits, établis totalement pour certains et partiellement pour d’autres, pris dans leur ensemble, laissent supposer et font présumer un harcèlement moral et une discrimination syndicale à l’égard de M. [J] ; il appartient donc à l’employeur de démontrer que ces faits sont justifiés par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination et tout harcèlement moral.

S’agissant en premier lieu de l’insuffisance professionnelle, que M. [J] reproche à l’employeur d’avoir brutalement invoquée après qu’il ait fait acte de candidature aux élections professionnelles, il ressort des pièces produites que le salarié donnait certes satisfaction dans son poste initial de conseiller clientèle, mais qu’il a été nommé à sa demande comme chef de secteur ‘restauration commerciale’ en novembre 2013, et à compter de cette date il n’a pas été capable de répondre pleinement aux exigences du poste.

En effet, le compte-rendu du 15 juillet 2014 fait état de l’insuffisance des résultats cumulés sur les ‘Petits Indépendants’ (-11% en volume, -7% en chiffre d’affaires, 20 nouveaux clients sur le premier semestre pour un objectif fixé à 30), d’une insuffisance d’activité (déficit de 3 visites et de 2 commandes par jour), et de l’absence de respect du planning de visites (respecté seulement à 70% sur le mois de juin).

M. [J] ne conteste pas les chiffres avancés par l’employeur dans ce compte-rendu, qu’il a d’ailleurs signé avec la mention ‘lu et approuvé’.

Au regard des difficultés rencontrées par M. [J], un plan d’aide a été mis en place pour 6 mois, dont la teneur est détaillée dans le compte-rendu précité, et donc accepté par le salarié.

Or il a été constaté par l’employeur l’absence d’amélioration significative sur les mois de juillet et août, lors de l’entretien du 2 septembre 2014 dont le compte-rendu est également produit aux débats (insuffisance des résultats cumulés sur les ‘Petits Indépendants’ : -13% en volume, -7,7% en chiffre d’affaires, 2 nouveaux clients pour un objectif fixé à 5).

Un nouveau ‘plan de progrès’ était fixé au salarié à compter de cette date.

M. [J] reproche à l’employeur une concomitance entre ces reproches d’insuffisances et sa candidature aux élections professionnelles pour en déduire un lien avec son mandat, or il n’est pas justifié d’une connaissance par l’employeur, en juillet 2014, du fait que M. [J] allait se présenter : le protocole pré-électoral à compter duquel les salariés ont fait acte de candidature n’a été signé que le 11 septembre 2014, et M. [J] ne produit aucun élément sur une éventuelle connaissance de sa candidature par l’employeur, par un moyen informel ou officieux, avant cette date.

La cour estime donc qu’il n’y a aucun lien entre les insuffisances reprochées à M. [J] et sa candidature aux élections organisées le 15 octobre 2014, et que les reproches d’insuffisance professionnelle sont objectivés par des éléments étrangers à tout harcèlement moral.

S’agissant de la rupture conventionnelle proposée par l’employeur au salarié le 6 novembre 2014, il est exact que la société Sysco France a relancé M. [J] pour obtenir sa réponse sur cette proposition le 22 décembre 2014, pour autant il ne saurait s’agir de ‘pressions’ à défaut d’autres éléments que cette simple relance, l’employeur étant légitime à obtenir de son salarié une réponse, quelle qu’elle soit, deux mois après sa proposition. M. [J] a refusé cette rupture conventionnelle le 5 janvier 2015, comme il était en droit de le faire, mais il ne saurait en tirer un motif de harcèlement ni de discrimination.

S’agissant de la mise à l’écart invoquée par M. [J], et de la modification de ses conditions de travail, il est effectivement établi par les pièces produites qu’à son retour d’arrêt maladie le 2 juillet 2015, M. [J] n’a pas pu reprendre son poste, car l’employeur lui a remis une convocation à entretien préalable et lui a notifié une dispense d’activité rémunérée.

Le salarié est resté dans l’incertitude de son sort au cours d’une première procédure de licenciement avortée puisque la société Sysco France a retiré sa demande d’autorisation de licenciement présentée à l’inspection du travail, le 24 septembre 2015.

La société Sysco France fait valoir que c’est dans le contexte des pourparlers sur la rupture conventionnelle ayant échoué qu’une dispense d’activité rémunérée a été convenue entre les parties, et que cette dispense d’activité n’a été remise en cause par M. [J] que le 15 septembre 2015, or nulle pièce ne permet de déceler un quelconque accord de M. [J] pour rester en dispense d’activité dans le cadre de pourparlers, et bien au contraire ses courriers des 15 et 24 septembre 2015 manifestent son désaccord sur la situation et son souhait de reprendre son poste au plus vite.

Cette reprise est intervenue de manière effective le lundi 5 octobre 2015 ; il ressort des courriers échangés entre les parties les 12 et 21 octobre et le 12 novembre 2015 que le secteur de M. [J] a été modifié sans son accord et sans motif, alors que le salarié précisait à l’employeur que cela avait une incidence directe sur sa rémunération variable ; en effet il a été demandé à M. [J] de ne prospecter que sur la ville de [Localité 7] intra muros alors qu’il n’est pas discuté par l’employeur que son secteur habituel était [Localité 10] Nord Est et Est, incluant notamment les communes de [Localité 9], [Localité 4], [Localité 5], [Localité 6], [Localité 8].

La société Sysco France explique qu’au regard des insuffisances constatées, le salarié a été placé sur un autre secteur en binôme avec un collègue, ce dont elle ne justifie pourtant nullement.

Par ailleurs M. [J] n’a obtenu un ordinateur portable que le vendredi 9 octobre 2015, ainsi qu’il l’écrivait le 21 octobre 2015 aux membres du CHSCT qu’il a alertés sur les conditions de sa reprise.

M. [J] a ensuite été placé en arrêt maladie à compter du lundi 12 octobre 2015.

La cour rappelle que M. [J] était salarié protégé et que, nonobstant les stipulations de son contrat de travail sur la possibilité pour l’employeur de modifier son secteur de prospection, la société Sysco France ne pouvait modifier les conditions de travail de M. [J] sans son accord en dehors de toute procédure disciplinaire ; or celui-ci a tout d’abord été placé en dispense d’activité durant trois mois, puis écarté de son secteur habituel et affecté sans ordinateur lors de sa reprise sur un secteur très réduit et nouveau, à faible potentiel commercial immédiat, ce qui avait des conséquences importantes sur sa rémunération variable dans la mesure où l’avenant du 25 octobre 2013 prévoyait une prime bimestrielle sur objectif de chiffre d’affaires, une commission mensuelle sur le chiffre d’affaires au client, une commission bimestrielle sur la croissance de la marge nette commerciale, et une prime bimestrielle relative aux délais de paiement des clients.

Au regard des pièces produites, il n’est pas permis de faire un lien entre ces événements et le mandat de représentant du personnel de M. [J], pas plus qu’avec sa situation de santé, de sorte que la cour ne retient pas l’existence d’une discrimination.

Par ailleurs, ce contexte ne permet pas davantage d’objectiver l’existence d’agissements constitutifs de harcèlement moral, et il apparaît qu’en réalité, au vu des insuffisances professionnelles constatées, l’employeur envisageait tout d’abord un licenciement pour insuffisance professionnelle, puis une rupture conventionnelle, lorsque l’état de santé de son salarié s’est dégradé et a conduit la société Sysco France à le licencier pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Toutefois ces atermoiements ont conduit l’employeur à adopter à l’égard de son salarié protégé un comportement que la cour qualifie de déloyal, en lui imposant une modification de ses conditions de travail importante telle que décrite précédemment.

Les faits caractérisant cette déloyauté dans l’exécution du contrat de travail sont également constitutifs d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, au regard de la dégradation de l’état de santé de son salarié à la suite des modifications imposées, et de l’absence de mesure concrète prise par l’employeur pour y remédier, les simples réponses apportées aux courriers de M. [J] étant manifestement insuffisantes sur ce point.

M. [J] a en effet été déclaré inapte à son poste et à tout poste, à raison des différents arrêts maladie subis, le médecin du travail mentionnant dans l’avis d’inaptitude que tout reclassement est impossible dans l’entreprise et le groupe, ‘même avec aménagements ou formation car risque d’aggravation de l’état de santé du salarié’.

Ainsi la cour estime qu’il résulte des pièces médicales produites un lien direct entre l’inaptitude de M. [J] et le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Il en résulte que M. [J] est fondé à obtenir l’indemnisation :

-de son préjudice moral résultant de l’exécution déloyale du contrat et du manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité, qu’il convient de réparer par l’allocation de la somme de 6 000 €,

-du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi, lequel sera indemnisé par l’octroi des indemnités de rupture suivantes :

-5 624 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis

-562 € bruts au titre des congés payés y afférents,

-9 749 € à titre d’indemnité légale de licenciement,

ainsi que par des dommages-intérêts fixés à 40 000 €, cette somme prenant en considération les 18 ans d’ancienneté du salarié, sa rémunération moyenne de 2 812€ bruts et son âge (49 ans) lors de la rupture, ainsi que sa situation personnelle après le licenciement puisque celui-ci s’est inscrit à Pôle emploi, puis a changé de métier pour exercer une activité de taxi.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

S’agissant des sommes ‘nettes’ réclamées par le salarié, la cour n’a pas le pouvoir de déroger aux dispositions relatives au paiement de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale instituées à l’article L 136-2 II 5° du code de la sécurité sociale en sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 12 juin 2018 et à l’article 14 de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996.

Sur la convention de forfait :

Il est constant que M. [J] était soumis depuis l’avenant du 19 janvier 2004 à une convention de forfait annuel en heures, ledit avenant se référant expressément à l’accord d’entreprise du1 décembre 2003 sur l’aménagement et la réduction du temps de travail pour fixer une durée du travail de 1670 h par an avec 10 jours de RTT.

En l’espèce, la cour constate que l’employeur n’a pas respecté ses obligations dans l’application de la convention de forfait : il n’a pas mis en place de système de suivi de la durée du travail, assuré par le responsable de service ou par une pointeuse, comme le prévoient pourtant les dispositions des articles 4.2.2 et 4.3.1 de l’accord d’entreprise, ni aucune mesure destinée à contrôler le respect des durées maximales de travail, des temps de repos quotidien et hebdomadaire obligatoires, et ce peu important que le salarié soit itinérant et bénéficie d’une certaine autonomie dans ses fonctions.

Le fait que le salarié n’ait formulé aucune revendication antérieurement, est tout aussi inopérant contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges.

Dans ces conditions, la convention de forfait est inopposable à M. [J] et celui-ci est fondé à revendiquer l’application à son profit du droit commun du temps de travail.

Sur les heures supplémentaires :

Aux termes de l’article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n’incombe ainsi spécialement à aucune des parties, et si l’employeur doit être en mesure de fournir les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir effectuées afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

En l’espèce, M. [J] soutient avoir accompli 244,5 heures supplémentaires en 2014 et produit aux débats :

-ses agendas,

-un relevé des heures travaillées établi à partir des agendas.

Il déduit de ses calculs les 10 jours de RTT dont il a bénéficié en 2014.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre par des éléments objectivant le temps de travail du salarié.

Or, la société Sysco France critique les documents qu’elle estime établis pour les besoins de la cause et non cohérents entre eux, mais ne produit aucune pièce de nature à établir le temps de travail effectué par M. [J].

Elle reproche à M. [J] de solliciter le paiement d’heures supplémentaires sur une période au cours de laquelle il était en arrêt maladie en 2015, or il ne demande le paiement que d’heures supplémentaires accomplies en 2014.

Elle soutient que le décompte est réalisé sur les semaines 29 à 51 de 2014, ce qui ne permet pas de démontrer que le forfait annuel est dépassé, or il a été jugé que ce forfait était inopposable à M. [J].

Quant au taux horaire appliqué par M. [J] à ses calculs, celui-ci, de 15,81 €, est conforme et même inférieur à la rémunération perçue en dernier lieu, de sorte que les critiques de la société Sysco France sur les calculs de M. [J] sont vaines.

Par conséquent, il sera alloué à M. [J] les sommes de 3 999,22 euros bruts à titre de rappels de salaire sur heures supplémentaires, outre 399,92 euros bruts au titre des congés payés y afférents, déduction faite des 10 jours de RTT.

Sur le travail dissimulé :

En application de l’article L 8221 – 5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paye un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

En l’espèce, M. [J] estime que l’employeur avait connaissance du fait qu’il effectuait des heures supplémentaires mais le maintenait artificiellement sous le régime d’un forfait inopposable ; toutefois le caractère intentionnel du travail dissimulé ne résulte pas de facto de l’inopposabilité de la convention de forfait ; en l’espèce M. [J] ne produit aucun élément de nature à illustrer cet élément intentionnel de sorte que la demande d’indemnité forfaitaire sera rejetée par confirmation du jugement déféré.

Sur le surplus des demandes :

La société Sysco France, succombante, sera condamnée aux dépens de première instance par infirmation du jugement entrepris, ainsi qu’aux dépens d’appel, et à payer à M. [J] la somme de 4 500 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.

 

 

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