Licenciement pour absences prolongées et désorganisation de l’entreprise

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L’affaire concerne un litige entre une salariée, Madame M, et la société Init, suite au licenciement de la salariée. Madame M conteste la légitimité de son licenciement, affirmant avoir été victime de harcèlement moral. Elle réclame à la cour différentes sommes, dont des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, préjudice moral, rappel de salaire, congés payés, indemnités compensatrices, prime d’intéressement, et des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. La société Init, de son côté, demande à la cour de confirmer le jugement initial qui a débouté Madame M de ses demandes de harcèlement et de licenciement, et de réduire les montants alloués. La Cour se réfère aux conclusions des parties pour un exposé détaillé des faits et des arguments présentés.

Les problématiques de cette affaire

1. Licenciement pour absences prolongées désorganisant l’entreprise
2. Montant des sommes allouées par le conseil de prud’hommes
3. Appel interjeté par Madame [M]

Les Avocats de référence dans cette affaire

Les Parties impliquées dans cette affaire

– APPELANTE : Madame [X] [M], représentée par Me Reihaneh NOVEIR, avocat au barreau d’ESSONNE
– INTIMEE : SAS INIT, représentée par Me Isabelle DELMAS, avocat au barreau de PARIS

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

18 janvier 2023
Cour d’appel de Paris
RG n° 19/10991

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRET DU 18 JANVIER 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/10991 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA4RE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Septembre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRÉTEIL – RG n° 18/00075

APPELANTE

Madame [X] [M]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Reihaneh NOVEIR, avocat au barreau d’ESSONNE

INTIMEE

SAS INIT

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Isabelle DELMAS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1647

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Anne MENARD, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Anne MENARD, présidente

Madame Fabienne ROUGE, présidente

Madame Véronique MARMORAT, présidente

Lors des débats : Madame Sarah SEBBAK, greffière en préaffectation sur poste

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Anne MENARD, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffière en préaffectation sur poste à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [M] a été engagée par la société Init le 4 novembre 2016 et qualité de chargée d’études senior, statut cadre.

Son salaire était de 3.167 euros par mois.

Elle a été en arrêt de travail du 27 juin au 13 août 2017, puis à compter du 26 septembre 2017.

Elle a été licenciée le 21 décembre 2017 pour absences prolongées désorganisant l’entreprise.

Elle a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil le 19 janvier 2018.

Par jugement en date du 24 septembre 2019, ce conseil a condamné la société Init à lui payer les sommes suivantes :

5.383,80 euros au titre du maintien du salaire de novembre 2017 à mars 2018

538,38 euros au titre des congés payés afférents

1.300 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Elle a été déboutée du surplus de ses demandes.

Elle a interjeté appel de cette décision le 29 octobre 2019.

MOTIFS

– Sur les demandes de rappel de salaire

A titre liminaire, les parties s’opposent sur l’ancienneté de la salariée dans l’entreprise, l’employeur soutenant qu’il convient de déduire de la durée totale de la relation de travail les périodes d’arrêt maladie.

L’article 12 de la convention collective syntec, applicable à la relation de travail, stipule :

‘On entend par ancienneté le temps passé dans l’entreprise, c’est-à-dire le temps pendant lequel le salarié a été employé en une ou plusieurs fois quels qu’aient été ses emplois successifs.

(…)

Seront en outre prises en compte toutes les années pendant lesquelles l’enquêteur aura reçu onze bulletins de salaire sur douze et aura perçu au moins trois fois la valeur du SMIC.

Les interruptions pour mobilisation ou faits de guerre entrent intégralement en compte pour la détermination du temps d’ancienneté. Il en est de même des interruptions pour :

– périodes militaires obligatoires dans la réserve ;

– maladies, accidents ou maternités (à l’exclusion des périodes d’incapacité de travail ininterrompue supérieure ou égale à 6 mois pendant lesquelles le contrat de travail est suspendu) ;

– congés de formation ;

– congés annuels ou congés exceptionnels de courte durée résultant d’un commun accord entre les parties ;

– détachements auprès d’une filiale ;

– les autres interruptions du contrat donnant droit, selon les dispositions du code du travail, au maintien à tout ou partie de l’ancienneté’.

Il en résulte qu’il n’y a pas lieu de déduire de l’ancienneté de madame [M] ses arrêts de travail, et quelle avait donc un an d’ancienneté le 4 novembre 2017.

– demande de rappel de salaire pour les mois de novembre 2017 à mars 2018

Madame [M] était en arrêt de travail durant cette période, et elle avait acquis une année d’ancienneté.

Aux termes de l’article 43 de la convention collective, en cas de maladie ou d’accident dûment constatés par certificat médical et contre-visite, s’il y a lieu, les IC recevront les allocations maladie nécessaires pour compléter, jusqu’à concurrence des appointements ou fractions d’appointements fixées ci-dessus, les sommes qu’ils percevront à titre d’indemnité, d’une part, en application des lois sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et des lois sur l’assurance maladie, d’autre part, en compensation de perte de salaire d’un tiers responsable d’un accident.

Dans le cas d’incapacité par suite d’accident du travail ou de maladie professionnelle survenus au service de l’employeur, les allocations prévues ci-dessus sont garanties dès le premier jour de présence, alors que dans les autres cas de maladie ou d’accident elles ne sont acquises qu’après 1 an d’ancienneté.

Cette garantie est fixée à 3 mois entiers d’appointements.

Il est précisé que l’employeur ne devra verser que les sommes nécessaires pour compléter ce que verse la sécurité sociale et, le cas échéant, un régime de prévoyance, ainsi que les compensations de perte de salaire d’un tiers responsable, jusqu’à concurrence de ce qu’aurait perçu, net de toute charge, l’IC malade ou accidenté s’il avait travaillé à temps plein ou à temps partiel, non compris primes et gratifications.

Madame [M] percevait une rémunération de 3.167 euros, soit pour les trois mois de la garantie 9.501 euros, dont il convient de déduire les sommes perçues au titre des mois de novembre à janvier à hauteur de 2.890,80 euros, soit un solde dû par l’employeur de 6.610,20 euros, outre 661 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé sur ce montant.

La salariée sollicite également le maintien de son salaire au titre de la prévoyance. Toutefois, elle ne justifie pas de ce que les salariés bénéficiaient d’une prévoyance, et dans cette hypothèse, elle n’indique pas pour quelle raison elle ne l’aurait pas saisie. Il ne sera pas fait droit à la demande de ce chef.

– Demande de rappel de salaire pour la demi-journée du 27 juin 2017 et pour la journée du 25 septembre 2017

Madame [M] indique que le 27 juin 2017, elle a quitté l’entreprise en milieu de journée pour aller voir son médecin, et qu’elle n’a pas été payée de cette journée. Elle indique également ne pas avoir été payée de la journée du 25 septembre 2017, dernière journée travaillée.

L’employeur affirme que ces salaires ont bien été payés.

Il ressort de la lecture des bulletins de paie de juin et septembre 2017, et de celui de janvier 2018 comportant des régularisations, que les salaires des 27 juin 2017 et 25 septembre 2017 ont été payés sur les bulletins de paie correspondant à ces deux mois. En janvier 2018, l’employeur a régularisé en retenant 3,5 heures pour la demi journée non travaillée du 27 juin. Il a également opéré une retenu pour une absence accident de trajet du 13 septembre au 24 septembre. En revanche, aucune retenue n’a été opérée pour le 25 septembre 2017, qui avait été payé avec le salaire de ce mois.

Madame [M] sera donc déboutée de ces chefs de demande.

– Sur la demande au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés

Madame [M] a perçu au moment de son solde de tous comptes une somme de 1.102,54 euros correspondant à 7,5 jours de congés payés. Cette somme est venue en compensation d’un net à payer négatif.

La cour constate qu’entre novembre 2017 et janvier 2018, période durant laquelle elle était en arrêt maladie, son solde de congés payés est passé de 11,37, à 5, sans que l’employeur ne s’en explique. Par ailleurs, elle est fondée à demander que ses congés soient décomptés pour la période de novembre 2017 à janvier 2018, compte tenu du droit au maintien du salaire sur cette période.

Il sera donc fait droit à ce chef de demande à hauteur de 1.818,45 euros, outre 181,84 euros au titre des congés payés afférents.

– Sur la demande au titre de l’indemnité compensatrice de RTT

Cette journée de RTT correspond à une période durant laquelle madame [M] ne travaillait pas et ne pouvait donc prétendre à une journée de réduction de temps de travail.

– Sur la demande au titre du reliquat de la prime d’intéressement

Madame [M] indique que sa prime d’intéressement devait correspondre à un mois de salaire, et qu’elle n’a perçu que 1.941 euros brut.

Toutefois, la prime d’intéressement, prévue la loi, est liée aux résultats de l’entreprise, et ne présente pas de caractère de fixité. Le contrat de travail stipule le versement d’une prime d’intéressement selon le contrat en vigueur, sans spécifier aucun montant.

Il ne sera pas fait droit à ce chef de demande.

– Sur le harcèlement moral

Par application des dispositions de l’article L1154-1 du code du travail, il appartient au salarié qui se prétend victime de harcèlement moral de présenter des faits laissant supposer l’existence de ce harcèlement ; celui-ci se définit, selon l’article L 1152-1 du code du travail, par des actes répétés qui ont pour objet ou pour effet, indépendamment de l’intention de leur auteur, une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement.

Une situation de harcèlement moral se déduit ainsi essentiellement de la constatation d’une dégradation préjudiciable au salarié de ses conditions de travail consécutive à des agissements répétés de l’employeur révélateurs d’un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs d’autorité, de direction, de contrôle et de sanction.

Madame [M] fait valoir qu’elle recevait des ordres et des contre-ordres, des reproches injustifiés, de remarques humiliantes auprès de clients, ou en réunion en présence de collègues, qu’elle était surchargée de travail.

Elle souligne que ces reproches sur ses capacités, réitérées au cours d’une même période, l’ont gravement déstabilisée, et qu’elle a été placée en arrêt de travail, avec des insomnies et des angoisses ; qu’à son retour, il lui a été demandé de modifier certains rapports, ce qui l’a obligée à travailler le soir jusqu’à 20 heures et le samedi, les délais qui lui ont été laissés étant trop courts ; que c’est dans ces conditions qu’elle a de nouveau été en arrêt de travail, mais que son travail n’a pas été traité durant les dix jours de son absence ; qu’elle a de nouveau été en arrêt de travail pour un syndrome anxio-dépressif.

Elle ajoute que durant son arrêt de travail, l’employeur a intentionnellement tardé à adresser à la CPAM ses attestations de salaire.

En ce qui concerne les ordres et les contre-ordres qu’elle indique avoir reçu, elle produit trois échanges de mails :

– Le premier concerne un échange relatif à un doublon, sur lequel madame [M] a interrogé sa supérieure. Cette dernière après avoir annoncé qu’elle ne pourrait pas regarder ce point avant le 27 juin a finalement donné dès le 26 juin la consigne de ne pas écarter le doublon. Il n’y a pas de contre-ordre, simplement une réaction au fait que madame [M] avait fait observer qu’il lui restait peu de temps pour traiter ce dossier. Et il ne lui est pas reproché un retard, contrairement à ce qu’elle indique, mais seulement répondu qu’aucun retard ne serait accepté, car elle avait souligné dans un mail précédent le peu de temps qu’il lui restait avant le 4 juillet.

– Le second concerne les codes couleurs à utiliser dans les graphiques. Elle indique qu’elle a appliqué les consignes de monsieur [T], directeur d’étude, et qu’elle a subi les reproches de sa supérieure madame [L]. Toutefois, l’échange produit ne fait pas apparaître les consignes qu’elle aurait reçue de monsieur [T] et auxquelles elle se serait conformée.

– Le troisième échange de mail est relatif à un rapport qui devait être terminé le vendredi. Pour se conformer autant que possible à cet impératif madame [M] à écrit à madame [L] le vendredi à 19h19 qu’elle travaillerait sur ce rapport le week end, et cette dernière lui a répondu ‘[X], je viens de t’avoir au téléphone et comme je te l’ai dit je sais que tu es fatiguée et je ne souhaites pas que tu travailles ce week end sur le rapport [S]. Le week end est fait pour se reposer. Je préfère donc que nous trouvions des solutions lundi pour rattraper le retard’. Il ne s’agit nullement d’un contre-ordre, mais simplement du constat que le planning n’avait pas pu être respecté et que cela ne justifiait pas de travailler le week end.

L’existence d’ordres et de contre-ordres ne ressort donc pas des pièces produites par madame [M].

En ce qui concerne les reproches incessants, elle produit différents mails, notamment dans les dossiers Alat et Habitalys, en juin 2017. Dans le dossier Alat, il lui est demandé de se mettre rapidement au travail, sur un ton ferme, et dans le dossier Habitalys, il lui est adressé une liste de corrections et modifications à apporter à son rapport. Elle produit par ailleurs des attestations d’un ancien collègue d’une autre entreprise qui donne son appréciation sur le respect des procédures qualité dans la société Init.

Madame [M] verse également aux débats un courriel qui lui a été adressé le 31 mai 2017 par madame [L], sur lequel elle revient en détail sur deux dossiers traités par madame [M], pour conclure : ‘Tout ceci m’amène à constater qu’il y a beaucoup trop d’erreurs dans la tenue de tes dossiers. Des erreurs ou des oublis qui ne devraient pas exister sur des sujets aussi élémentaires que du codage ou de la retranscription de questions. Tes collègues CE junior, moins expérimentés que toi, ne font pas ces erreurs, ou en tout cas, en nombre beaucoup moins important que toi. A ce titre, je souhaite te rappeler que tes collègues et supérieurs hiérarchiques ne sont pas là pour corriger tes erreurs (…)’.

Elle produit également un mail du 21 mai 2017 de madame [C], directrice d’études, lui demandant d’apporter de nombreuses corrections sur un dossier Arpavie, et un autre du 26 juin 2017 critiquant son travail et sa méthode dans un autre dossier, le dossier Acppa. Le ton est approprié.

Elle produit enfin un mail de monsieur [T] en date du 1er septembre 2017 dans un dossier WMF coffee machines, listant différentes corrections à réaliser. Le ton est très correct, voire cordial.

Le fait que madame [M] faisait l’objet de très nombreux reproches est ainsi établi par les pièces produites.

La salariée fait également observer que sous couvert de mettre en place de nouvelles méthodes, la société Init a accru la surveillance sur son travail et qu’ elle ne pouvait plus déléguer ses tâches à des assistants. Elle ne justifie par aucune pièce de ce dernier point, qui est contesté par l’employeur.

Madame [M] indique par ailleurs que dans ce contextes, les ‘points sur son travail’ se sont multipliés, et qu’à la suite d’une réunion ainsi organisée avec madame [L] le 27 juin 2017, elle a ressenti un malaise et a été placée en arrêt de travail.

En ce qui concerne la surcharge de travail qu’elle invoque, madame [M] expose qu’à son retour d’arrêt de travail, elle a été contrainte d’apporter des modifications au dossier sur lequel elle travaillait dans un délai contraint, et qu’elle a ainsi dû travailler le samedi ; qu’à la suite d’un nouvel arrêt de travail, elle a constaté que personne n’avait pris en charge ses dossiers, de sorte qu’elle a à nouveau dû les traiter dans des délais insuffisants, et à de nouveau été arrêtée.

Elle produit un mail qu’elle a adressé à [J] [C] le vendredi 8 septembre 2017 pour l’informer qu’elle a pratiquement terminé le rapport Apravie et qu’elle le terminera le lendemain, et deux messages envoyés le lendemain samedi à 8h44 et 10h13 joignant le travail terminé. Elle produit deux autres mails envoyés durant le week end un an plus tôt, en décembre 2016. Elle produit également deux mails de madame [C] envoyés un dimanche, mais qui n’appelaient aucune réponse urgente.

En ce qui concerne les humiliations qu’elle soutient avoir subies, elle expose qu’à deux reprises, elle a entendu madame [L] utiliser le terme ‘chinetoque’, alors qu’elle-même a des origines asiatiques. Elle ne produit aucune pièce sur ce point qui est contesté.

Elle expose également qu’un client ayant sollicité une présentation des résultats dans un dossier qu’elle a traité, madame [L] lui a répondu que madame [M] n’était pas en mesure de réaliser des présentations de résultats. Elle produit le mail adressé au client en ce sens.

Elle soutient par ailleurs avoir été humiliée en réunion de planning le 9 juin 2017, ses compétences ayant été remises en cause. Elle produit les attestations de deux personnes qui travaillent dans le même bâtiment mais pour une autre entreprise, et qui relatent qu’elles l’ont vu sortir en pleurs, et qu’elle leur a expliqué qu’elle subissait des pressions sur son lieu de travail, et qu’elle se sent harcelée et humiliée par sa hiérarchie.

Madame [M] fait valoir que son employeur préparait son licenciement dès le mois de mai, et produit des échanges de mails internes faisant apparaître que des éléments la concernant étaient réunis par la direction des relations humaines.

Enfin, madame [M] produit des éléments médicaux démontrant que ses arrêts de travail sont en lien avec des angoisses et une dépression.

Pris dans leur ensemble, les éléments ainsi présentés par madame [M] sont de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral.

En réponse, la société Init soutient qu’elle a rencontré avec madame [M] un réel problème de compétence, et que le travail qu’elle réalisait ne correspondait pas aux attentes de ses clients, et devait toujours être corrigé ; qu’elle ne pouvait pas faire autrement que de lui signaler ses erreurs ; qu’elle a cherché à la soutenir en mettant en place un accompagnement et une nouvelle méthode de travail. Elle ajoute que madame [M] avait nettement moins de projets à traiter que ses collègues, qu’il ne lui a jamais été demandé de faire des heures supplémentaires, ni de travailler le week end.

La cour constate qu’à la réception des nombreux mails listant ses erreurs dans les différents dossiers, madame [M] a le plus souvent reconnu ses erreurs, cherchant parfois à les minimiser. La lecture de ces mails montre qu’il s’agit de reproches purement factuels, de corrections précises à apporter, les reproches étant objectifs et ne relevant pas d’un niveau d’exigence anormal. L’employeur ne pouvait se contenter d’un travail qui ne lui donnait pas satisfaction pour ne pas heurter la salariée qui acceptait mal ces critiques.

Pour l’essentiel, le ton des mails adressés à madame [M] pour lui signaler ses erreurs et lui demander d’apporter des corrections est tout à fait approprié, et n’est ni violent, ni agressif, ni humiliant. Si plusieurs mails, compte tenu du nombre des rectifications à faire ou des retards pris, laissent paraître une certaine irritation, les termes utilisés restent compatibles avec la fonction hiérarchique de leur auteur, et la volonté d’arriver à un travail mieux réalisé.

Les propos humiliants qui auraient été tenus en réunion ne sont démontrés par aucun élément du dossier. Quant au fait d’avoir indiqué à un client que madame [M] n’était pas en mesure de faire une présentation devant trente personnes dans le dossier Vinci, alors qu’elle n’en avait jamais fait auparavant même devant quelques personnes, cela relève du pouvoir de direction de l’employeur. Le ton utilisé auprès du client n’est nullement dénigrant, ne fait en rien état d’incompétence, mais seulement d’un manque d’expérience, étant précisé que madame [M] avait moins d’une année d’ancienneté.

En ce qui concerne la surcharge de travail, les quatre mails envoyés le week end en un an, sans avoir été sollicités par l’employeur, ne permettent pas de retenir qu’elle soit excessive, étant souligné que lorsqu’en juin 2017 madame [M] a indiqué à son supérieur qu’elle allait finir un rapport durant le week end, il lui a été demandé de ne pas le faire, qu’elle était fatiguée et que le week end est fait pour se reposer.

Par ailleurs, l’employeur justifie de ce que madame [M] était en charge de sensiblement moins de dossiers que ses collègues, parfois juniors, et la salariée n’apporte aucun élément au soutient de son affirmation selon laquelle les dossiers qui lui étaient confiés étaient plus lourds.

En ce qui concerne les échanges de mails entre les supérieurs hiérarchiques de madame [M] et la direction des relations humaines, qui ont manifestement été imprimés depuis l’ordinateur de l’un de ses supérieurs puisque madame [M] n’était pas en copie, la cour observe que le fait de s’ouvrir des problèmes de compétence rencontrés avec une salariée auprès de la direction du personnel, dont c’est la fonction, ne constitue pas du harcèlement, étant souligné qu’en définitive, aucune sanction, ni mise en garde sur la qualité du travail, n’a été adressée par ce service. Ces échanges de mails sont concomitants aux nombreux échanges avec madame [M] sur les erreurs répétées commises sur ses dossiers, de sorte que sa hiérarchie pouvait sans commettre de faute envisager un licenciement pour insuffisance professionnelle, qu’elle a renoncé à prononcer.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la cour ne retient pas que madame [M] ait été victime de harcèlement moral, le jugement étant confirmé de ce chef.

– Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Madame [M] soutient en premier lieu que l’employeur, informé de la dégradation de son état de santé en raison de ses conditions de travail, n’aurait rien fait.

Toutefois, force est de constater que durant son arrêt maladie, elle a dénoncé les faits dont elle s’estimait victime, sans les qualifier toutefois de harcèlement, auprès de la personne même à laquelle elle les reprochait.

Son courrier du 1er août 2017, auquel personne n’est mis en copie, est adressé à madame [L], et ne forme de grief que contre cette dernière. Il ne peut donc être retenu qu’elle ait fait connaître sa souffrance au travail à son employeur par ce courrier.

En tout état de cause, elle n’a retravaillé que quelques semaines après l’envoi de ce courrier et les échanges produits démontrent qu’elle a été accueillie avec bienveillance par monsieur [T]. Aucun des courriels de reproches produit ne concerne la période postérieure à son arrêt de travail, et par conséquent au courrier du 1er aout 2017.

Le courrier qu’elle a adressé à la représentante du personnel n’a pas été relayé par cette dernière. Dans ces conditions, la cour ne retient pas de manquements de l’employeur à son obligation de sécurité.

Madame [M] soutient en second lieu que la société Init aurait volontairement tardé à adresser les attestations de salaire à la CPAM.

Il est démontré que l’arrêt de travail de madame [M] ayant débuté le 27 juin 2017, ce n’est qu’à la fin du mois de septembre que la CPAM a été en possession de tous les éléments pour le versement des IJSS, que madame [M] ne conteste pas avoir perçues en totalité.

Le caractère intentionnel de ce retard qu’elle allègue n’est nullement établi, étant souligné que les deux rappels adressés à l’employeur l’ont été durant l’été.

En tout état de cause, madame [M] ne démontre pas le préjudice que lui aurait causé ce retard, entièrement régularisé.

Il ne sera donc pas fait droit à sa demande de dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail.

– Sur le licenciement

La lettre de licenciement est motivée de la manière suivante :

‘Nous avons pris la décision de vous licencier en raison de vos absences prolongées qui rendent nécessaire votre remplacement définitif pour assurer un fonctionnement normal de l’entreprise.

En effet, vous avez été absente :

– du 27 juin 2017 au 13 août 2017

– depuis le 26 septembre 2017

Soit une durée totale d’absence de plus de 110 jours à la date de l’entretien entrecoupé par une période de congés payés du 14/8 au 25/8/2017.

Ces absences ont eu pour conséquences une désorganisation de l’entreprise. En effet, vous avez en charge la mise en place et le traitement des études marketing sur un portefeuille clients. A chaque absence prolongée, votre portefeuille doit être repris par vos collègues, ce qui se traduit par une surcharge de travail pour ces derniers et un travail fastidieux et long de prise de connaissance de l’historique de vos dossiers et d’appropriation des méthodes d’études utilisées ainsi que des exigences particulières de chaque client ou étude. Au vu de la taille de notre structure, il est très difficile pour vos collègues d’absorber votre charge de travail de manière régulière.

Il ne nous est pas possible, compte tenu des caractéristiques de votre poste, de procéder pour chacune de vos absences à votre remplacement temporaire dans des conditions qui permettraient de garantir un fonctionnement satisfaisant de l’entreprise. En effet, le recrutement d’un chargé d’études senior est particulièrement difficile dans le cadre d’un contrat à durée déterminée.

En outre, au vu de la durée de traitement des dossiers sur lesquels vous travaillez, qui s’étale sur plusieurs semaines ou mois, il serait ardu pour une personne présente temporairement dans l’entreprise de prendre connaissance de l’historique de chaque étude tout en respectant les délais fixés par nos clients. C’est pourquoi nous avons été dans l’obligation de recruter une personne en contrat à durée indéterminée à votre poste afin de vous remplacer de manière définitive’.

Si l’article L122-45 devenu L. 1132-1 du Code du travail fait interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, ce texte ne s’oppose pas au licenciement motivé non pas par l’état de santé du salarié mais par la situation objective de l’entreprise qui se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement définitif d’un salarié dont l’absence prolongée ou les absences répétées perturbent son fonctionnement.

Madame [M] occupait des fonctions de chargée d’étude senior, et elle avait le statut de cadre. À la date de son licenciement, en novembre 2017, elle n’avait travaillé qu’un mois dans l’entreprise depuis le 27 juin 2017. Elle appartenait à une équipe de trois personnes, qui ne pouvaient donc absorber durablement sa charge de travail. Par ailleurs, la qualification requise pour le poste, et la nécessité de reprendre les dossiers en cours, rendait difficile, voire impossible, le recrutement en contrat à durée déterminée ou le recours au travail en intérim. Les perturbations que les arrêts de travail de madame [M] ont apporté à l’entreprise sont donc suffisamment démontrées.

La société Init justifie avoir recruté pour remplacer madame [M] en chargé d’étude par contrat du 22 janvier 2018, à effet au 8 mars 2018. Le fait qu’il s’agisse d’un chargé d’étude confirmé et non junior n’est pas de nature à remettre en cause la réalité du remplacement de madame [M].

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a retenu que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse.

 

 

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