Licenciement pour faute grave contesté après congé maternité

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Les problématiques de cette affaire

1. Licenciement pour faute grave
2. Demandes de rappel de salaire, indemnités de préavis et de licenciement
3. Contestation de la décision du conseil des prud’hommes

Les Avocats de référence dans cette affaire

Bravo à Me Florence FREDJ-CATEL, avocat au barreau de MEAUX, pour avoir représenté l’appelante Madame [K] [G] épouse [X] dans cette affaire.

Bravo également à Me Caroline LANTY, avocat au barreau de PARIS, toque : A0737, pour avoir représenté l’intimée SASU PROVERA FRANCE dans cette affaire.

Les Parties impliquées dans cette affaire

Sociétés représentées par leurs avocats :

1. SASU PROVERA FRANCE, représentée par Me Caroline LANTY, avocat au barreau de PARIS

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

15 mars 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/04809

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 15 MARS 2023

(n° , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04809 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCEXL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 2 Juillet 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MEAUX – Section Encadrement – RG n° F17/00338

APPELANTE

Madame [K] [G] épouse [X]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Florence FREDJ-CATEL, avocat au barreau de MEAUX

INTIMÉE

SASU PROVERA FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Caroline LANTY, avocat au barreau de PARIS, toque : A0737

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M. Stéphane MEYER, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Madame [K] [G] épouse [X] a été engagée par contrat à durée indéterminée à compter du 20 janvier 2014, en qualité d’acheteur, cadre niveau VII, fonctions qu’elle exerçait toujours au moment de la rupture de son contrat de travail.

La relation de travail est régie par la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

L’entreprise compte plus de onze salariés.

Madame [K] [G] épouse [X] a été en congé maternité de mars à août 2016.

Par lettre du 20 décembre 2016, Madame [K] [G] épouse [X] était convoquée pour le 30 décembre 2016 à un entretien préalable à son licenciement et était mise à pied à titre conservatoire. Son licenciement lui a été notifiée le 10 janvier 2017 pour faute grave, caractérisée d’une part par une insubordination tenant au non-respect des jours de repos fixés par son employeur, et d’autre part pour désintérêt manifeste pour ses fonctions.

La salariée a saisi le conseil des prud’hommes de Meaux le 4 mai 2017 afin de voir condamner la société PROVERA FRANCE à lui payer les sommes suivantes :

-1.927 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied,

-192,70 € à titre de congés payés y afférents,

-11.562 € à titre d’indemnité de préavis,

-1.156,20 € à titre de congés payés y afférents,

-2.505,10 € à titre d’indemnité de licenciement,

-35.000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

outre la remise sous astreinte des documents de fin de contrat, les intérêts au taux légal et les dépens.

Par jugement en date du 2 juillet 2020, le conseil des prud’hommes de MEAUX a débouté Madame [K] [G] épouse [X] de l’intégralité de ses demandes.

A l’encontre de ce jugement notifié le 6 juillet 2020, la salariée a interjeté appel en visant expressément les dispositions critiquées, par déclaration du 21 juillet 2020.

********

MOTIFS

Sur le licenciement

Il résulte des dispositions de l’article L. 1234-1 du code du travail que la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle nécessite le départ immédiat du salarié, sans indemnité.

La preuve de la faute grave incombe à l’employeur, conformément aux dispositions des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile.

Si elle ne retient pas la faute grave, il appartient à la juridiction saisie d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, conformément aux dispositions de l’article L. 1232-1 du code du travail.

Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.

En l’espèce, la lettre de licenciement du 20 décembre 2016, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l’article L.1232-6 du code du travail, vise les griefs suivants’:

-En premier lieu, un non-respect des consignes et une insubordination: «’Je constate que vous avez unilatéralement annulé la veille au soir la journée de RTT 2016 validée pour le 20 décembre 2016 et imposé son report pour 2017. [‘] Par votre agissement, vous défiez délibérément votre responsable qui vous avait opposé un refus catégorique. Cet acte d’insubordination notoire, est intolérable.’»

-En deuxième lieu, un désengagement professionnel caractérisé par’:

-D’une part, un manque d’assiduité vis-à-vis des fournisseurs: «’La mission essentielle de votre fonction d’acheteuse est la négociation des prix et conditions d’achat avec les fournisseurs. [‘] 46 fournisseurs constituent le périmètre de l’épicerie salée. Je relève que durant ces 16 dernières semaines :

-Vous ne recevez, en tout et pour tout, que 20 fournisseurs [‘], soit moins de 2 rendez-vous fournisseurs par semaine en moyenne ;

-Vous avez programmé 36 rendez-vous téléphoniques avec 19 fournisseurs, ce qui correspond à moins de 3 par semaine en moyenne ;

En synthèse, 24 de vos fournisseurs, soit plus de la moitié du portefeuille, n’ont fait l’objet d’aucun rendez-vous [‘] programmé en près de 4 mois.

Cette analyse souligne malheureusement votre faible activité à l’achat depuis votre reprise le 29 août 2016. [‘] Au-delà d’un temps d’adaptation, je constate que vous n’avez pas repris la mesure de votre poste et que vous vous êtes montrée peu volontaire dans les rencontres avec les fournisseurs, pourtant capitales dans votre mission d’acheteuse’»’;

-D’autre part, un manque de motivation dans la négociation tarifaire avec les fournisseurs’: «’Vous manquez de ténacité et de pugnacité dans vos négociations avec les fournisseurs, acceptant des hausses tarifaires ou des conditions d’achat très défavorables à nos clients ; (‘) Vous cédez à la facilité dans la négociation en sollicitant très rapidement l’intervention de votre responsable, pourtant [‘] à utiliser dans des situations d’extrême blocage de négociations ; (‘) Vous faites un reporting erroné de la situation de vos appels d’offres et contraire aux instructions reçues’».

L’employeur conclut’: «’Vous n’assurez plus délibérément votre mission d’acheteuse. Ces manquements qui remettent en cause la compétitivité de nos conditions d’achats dont vous êtes la seule responsable sont intolérables et pénalisent nos clients [‘]’».

-Sur le grief de non-respect des consignes et d’insubordination

Il est établi que Madame [K] [X] a unilatéralement annulé la veille au soir la journée de RTT 2016 qu’elle avait précédemment posée et qui avait été validée par son employeur pour le 20 décembre 2016, en arguant de son droit de reporter ses congés et RTT de 2016 en 2017.

Le fait d’aller à l’encontre de la décision de validation de RTT de son employeur constitue une faute de la salariée.

Celle-ci tente de se justifier par un droit au report de ses congés et RTT sur l’année suivante, mais n’établit nullement qu’elle pouvait se prévaloir d’un tel droit.

En effet, il résulte de l’article L. 3141-16 du code du travail qu’à défaut de stipulation dans la convention ou l’accord conclus en application de l’article L. 3141-15, l’employeur définit après avis, le cas échéant, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel la période de prise des congés.

Or, l’employeur avait défini l’année civile comme période de référence, ainsi que cela ressort de son mail du 6 octobre 2016, et Madame [X] ne démontre pas l’existence d’une disposition de la convention collective, d’un accord ou d’un usage prévoyant la possibilité d’un report des congés ou RTT d’une année civile sur l’autre.

La faute de la salariée n’était cependant pas d’une gravité suffisante pour constituer à elle seule une faute grave et même une cause réelle et sérieuse de licenciement, s’agissant d’une journée unique, et d’une salariée ayant plus de deux ans et demi d’ancienneté.

-Sur le grief de désengagement professionnel

La faute disciplinaire est une faute professionnelle et volontaire. L’insuffisance professionnelle ne présente pas un caractère fautif. En revanche, l’insuffisance d’activité, lorsqu’elle procède d’une abstention volontaire ou d’une mauvaise volonté délibéré, est constitutive d’une faute disciplinaire susceptible de justifier un licenciement.

En l’espèce, l’employeur reproche à Madame [X] d’avoir réalisé insuffisamment d’entretiens avec les fournisseurs sur la période septembre-décembre 2016, soit cinq entretiens par semaine, et de n’avoir entendu que la moitié des fournisseurs de son portefeuille.

Aucun élément ne permet toutefois de déterminer de façon certaine quel était le nombre moyen de rendez-vous attendu d’un acheteur par semaine, ou à quelle fréquence les différents fournisseurs devaient être reçus. Le seul élément de comparaison produit par l’employeur est l’emploi du temps d’un autre acheteur, Monsieur [C], sur la même période de quatre mois, ce qui est insuffisant pour établir la charge de travail normale moyenne d’un acheteur, ce d’autant que Madame [X] fait état d’autres tâches qui lui avaient été confiées en parallèle et dont la réalité n’est pas contestée par l’employeur (campagnes d’été non traitées pendant son absence, gestion simultanée de huit appels d’offre, mise en place d’un partenariat premier prix, gestion d’un périmètre additionnel épicerie sucrée).

L’employeur fait également état d’une pugnacité insuffisante dans le cadre des négociations tarifaires menées. Il ne verse toutefois pas d’éléments comparatifs s’agissant de négociations tarifaires estimées satisfaisantes, étant précisé qu’il ressort des chiffres produits que Madame [X] avait obtenu des baisses tarifaires. En outre, l’employeur justifie avoir demandé à la salariée de repartir en négociation sur certains dossiers, mais uniquement dans son compte-rendu d’activité adressé par mail du 13 décembre 2016. Ayant été mise à pied le 20 décembre, il ne peut lui être reprochée de ne pas avoir mis en place des actions en réponse en l’espace d’une semaine.

En tout état de cause, il conviendrait que l’employeur établisse, notamment par comparaison avec le niveau d’activité antérieur de la salariée, que Madame [X] a volontairement désinvesti ses missions, démonstration qu’il ne réalise pas.

A défaut d’établir l’existence d’une faute disciplinaire, le licenciement de Madame [X] est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement du conseil de prud’hommes de Meaux sera infirmé sur ce point.

Sur les autres demandes

A la date de son licenciement, la salariée avait deux ans et onze mois d’ancienneté et l’entreprise comptait plus de onze salariés. Sa rémunération brute moyenne mensuelle était de 3.854 €.

-Sur le rappel de salaires sur mise à pied et les congés payés afférents

En application des dispositions de l’article L. 1332-3 du code du travail, en l’absence de faute grave, la mise à pied à titre conservatoire n’était pas justifiée et Madame [X] est donc fondée à percevoir le salaire correspondant, soit la somme de 1.927 €, ainsi que l’indemnité de congés payés afférente, soit 192,70 €.

-Sur l’indemnité de préavis et les congés payés afférents

A la date de la rupture, Madame [X] avait plus de deux années d’ancienneté et est donc fondée à percevoir une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire sur le fondement des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail, soit la somme de 7.708 € (2 x 3.854 €), ainsi que l’indemnité de congés payés afférente, soit 770,80 €. L’appelante sera déboutée pour le surplus.

-Sur l’indemnité de licenciement

En vertu de l’article L. 1234-9 du code du travail dans sa version applicable à l’espèce, le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte une année d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

En vertu de l’article R. 1234-2 du même code dans sa version applicable à l’espèce, l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté, auquel s’ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d’ancienneté.

En l’espèce, Madame [X] est également fondée à percevoir une indemnité de licenciement à hauteur de deux cinquième de 3.854 €, soit 1.541,60 €. L’appelante sera déboutée pour le surplus.

-Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

L’entreprise comptant plus de dix salariés, Madame [X], qui avait plus de deux ans d’ancienneté, a droit à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable au litige, et qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.

Au moment de la rupture, Madame [X], était âgée de 34 ans et comptait plus de deux ans d’ancienneté. Elle ne produit aucun élément relatif à sa situation à la suite de la rupture du contrat de travail. Son ancien employeur verse au débat un profil linkedin non contesté duquel il résulte qu’elle a retrouvé un emploi similaire d’acheteuse en avril 2017, soit trois mois après son licenciement.

En dernier lieu, elle percevait un salaire mensuel brut de 3.854 €.

Au vu de cette situation, et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle il convient d’évaluer son préjudice à 23.124 €. L’appelante sera déboutée pour le surplus.

Enfin, sur le fondement de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l’employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de six mois.

-Sur la remise des documents sociaux

Il convient d’ordonner la remise d’un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d’un certificat de travail et d’une attestation destinée à Pôle Emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans que le prononcé d’une astreinte apparaisse nécessaire.

-Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Sur les dépens, il y a lieu d’infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a condamné Madame [X] aux dépens, et, statuant de nouveau, de condamner la société PROVERA FRANCE aux dépens de la procédure de première instance et d’appel.

Sur l’article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d’infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a débouté Madame [X], et, statuant de nouveau, de condamner la société PROVERA FRANCE à lui verser la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles.

La société PROVERA FRANCE sera déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

 

 

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