Licenciement contesté et dysfonctionnements managériaux chez Wavestone Advisors

Notez ce point juridique

Dans cette affaire, M. V a fait appel d’un jugement refusant de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail avec la société Wavestone Advisors. Il demande également des rappels de salaire sur sa part variable, une indemnité conventionnelle de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. En réponse, la société Wavestone Advisors a fait un appel incident pour contester la résiliation judiciaire du contrat, le licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que les demandes de M. V concernant des frais de téléphonie, la restitution de matériel et des notes de frais. Les deux parties demandent des condamnations financières et des dommages-intérêts. L’affaire est en attente de jugement de la cour.

Les problématiques de cette affaire

1. Licenciement sans cause réelle et sérieuse
2. Harcèlement moral au travail
3. Non-respect des procédures disciplinaires

Les Avocats de référence dans cette affaire

Bravo à Me Mehdi LEFEVRE-MAALEM et Me Franck LAFON pour leur plaidoirie dans cette affaire devant la Cour d’Appel de Versailles.

Les Parties impliquées dans cette affaire

– Société WAVESTONE ADVISORS représentée par Me Nathalie ATTIAS de la SCP ATTIAS, avocat au barreau de PARIS
– Société WAVESTONE ADVISORS représentée par Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

22 mars 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n° 21/01424

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 MARS 2023

N° RG 21/01424

N° Portalis DBV3-V-B7F-UP52

AFFAIRE :

[D] [V]

C/

Société WAVESTONE ADVISORS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 avril 2021 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

Section : E

N° RG : F 20/00174

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Mehdi LEFEVRE-MAALEM

Me Franck LAFON

Copie numérique adressée à :

Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [D] [V]

né le 15 juin 1964 à [Localité 4] (33)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Mehdi LEFEVRE-MAALEM, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1714

APPELANT

****************

Société WAVESTONE ADVISORS

N° SIRET : 433 224 847

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentant : Me Nathalie ATTIAS de la SCP SCP ATTIAS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0978 – Représentant : Me Franck LAFON, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 janvier 2023, Madame Nathalie GAUTIER, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [V] a été engagé par la société Kurt Salmon France, en qualité d’associé avec application des dispositions relatives aux cadres dirigeants, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er juin 2004, avec reprise d’ancienneté au 14 avril 1998 moyennant un salaire annuel brut et un bonus potentiel.

La société Wavestone Advisors a été créée en janvier 2016 à la suite du rachat, par la société Solucom, des activités européennes de la société Kurt Salmon France.

La société Wavestone Advisors est un cabinet de conseil indépendant français en stratégie, organisation et management auprès des entreprises, des institutions financières et des administrations. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale dite Syntec.

Le 16 novembre 2015, le salarié a signé un avenant à son contrat de travail modifiant la structure de sa rémunération, avec maintien du versement d’une rémunération brute annuelle en douze mensualités et d’une prime annuelle potentielle sur objectif.

Le 21 décembre 2015, l’employeur a versé au salarié une prime dite ‘ make Good Payment’ en compensation de la perte d’actions attribuées mais non acquises au jour de la réalisation de la cession d’activités du Cabinet Kurt Salmon à la société Solucom.

Par lettre du 4 janvier 2016, l’employeur a informé le salarié qu’il bénéficiait d’un dispositif d’association aux collaborateurs clés à la réussite du projet OneFirm dans le cadre de la création de la nouvelle société, consistant en une prime versée sous condition de présence.

Le 28 mars 2017, l’employeur a notifié au salarié une lettre de mise en garde sur ses pratiques manageriales.

Le 6 novembre 2017, l’employeur a informé le salarié de l’ouverture d’une enquête interne en coopération avec le CHSCT afin d’identifier l’existence de dysfonctionnements dans le cadre des interactions du salarié avec d’autres collaborateurs du cabinet.

Le 7 décembre 2017, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société Wavestone Advisors.

Le salarié a été en arrêt de travail du 15 au 29 décembre 2017.

Par lettre du 3 janvier 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 16 janvier 2018.

Il a été licencié par lettre du 22 janvier 2018 dans les termes suivants:

« Après réflexion, nous avons pris la décision de vous licencier, aucune des explications recueillies au cours de cet entretien n’ayant permis de modifier notre appréciation des faits qui vous sont reprochés. Je me désole qu’une nouvelle fois vous ayez refusé de vous expliquer sur les éléments issus de l’enquête et que j’ai porté à votre connaissance de manière détaillée, vous ayant même remis une copie de ce rapport au cours de cet entretien. Au contraire, vous avez persisté dans votre posture et stratégie consistant à détourner le sujet en imaginant opportunément un prétendu processus d’éviction orchestré de toutes pièces par mes soins, allant même jusqu’à m’accuser de discrimination et de harcèlement à votre égard alors même que jusqu’à cette enquête vous n’avez jamais fait état de telles allégations. Votre absence totale de remise en question sur des dysfonctionnements objectifs concernant votre management, et donc l’absence de perspective d’une quelconque coopération me prive de toute autre alternative que celle du licenciement.

Ainsi que nous vous l’avons indiqué, dans le courant du mois de juillet 2017, votre assistante, [Z] [R] a alerté son Responsable RH, [C] [Y], de ses difficultés relationnelles avec vous. A la suite de cette alerte, [E] [S] (DRH de Wavestone) a rencontré [Z] [R] qui lui a indiqué que sa relation avec vous était devenue insupportable pour elle, faisant état d’un comportement tantôt brutal, tantôt paternaliste, ayant pour effet de la déstabiliser et de créer un fort climat d’insécurité. [Z] [R] a également indiqué avoir décidé d’en parler à [C] [Y] lorsqu’elle a appris que la réorganisation envisagée en septembre 2017 pour l’ensemble des assistantes du cabinet serait reportée. Elle voyait dans cette réorganisation une porte de sortie lui permettant de changer de périmètre et ainsi de cesser sa collaboration avec vous. Craignant de devoir continuer sa collaboration avec vous du fait du report de cette réorganisation, elle a décidé de révéler les faits de harcèlement dont elle s’estimait victime, tout en insistant fortement sur l’anonymat de sa plainte par crainte de votre réaction.

Compte tenu des précédentes difficultés relationnelles et comportementales remontées par d’autres collaborateurs et qui ont donné lieu à des mises en garde les 10 juillet 2014 et 28 mars 2017, nous avons décidé de conduire une enquête interne pour vérifier les dysfonctionnements comportementaux signalés par Madame [R] tant auprès d’elle que d’autres collaborateurs et ainsi nous assurer de l’existence même de ces faits et en apprécier éventuellement la gravité.

Cette enquête a donc été menée conjointement par les DRH ([E] [S] et [N] [I]) et CHSCT issu des périmètres Wavestone SA et Wavestone Advisors constituant Wavestone.

Je vous ai informé verbalement et par mail le 6 novembre 2017 concernant l’ouverture de cette enquête. La Médecine du travail a également été informée de cette enquête le 7 novembre et elle a été tenue informée de son déroulement. Les CHSCT ont été informés par mail de l’ouverture de cette enquête le 10 novembre 2017.

L’enquête s’est déroulée en 4 étapes :

– Identification des collaborateurs à interviewer par la DRH (courant octobre)

Cette identification a ciblé des collaborateurs que vous avez encadrés hiérarchiquement (issus du périmètre historique de Wavestone Advisors), des collaborateurs de l’équipe commerciale EUT travaillant régulièrement avec vous dans le cadre des opérations commerciales ainsi que des collaborateurs que vous avez encadrés sur des missions client. Je rappelle que nous vous avons également proposé de communiquer des noms de collaborateurs que vous souhaitiez voir interviewer et que vous n’avez pas donné suite.

– Préparation conjointe des trames d’entretiens entre la direction des ressources humaines et les représentés désignés au sein des CHSCT (courant octobre)

– Conduite des auditions (entre le 17 et le 24 novembre 2017) 14 personnes ont été auditionnées dont vous-même. Les auditions ont été conduites sur la base de questions ouvertes et de manière strictement confidentielle pour ne pas obérer vos relations professionnelles avec les personnes concernées.

Bien que les noms des collaborateurs entendus ne vous aient pas été révélés pour les raisons que je viens d’évoquer, pendant votre audition vous avez disposé des verbatim précis issus des comptes-rendus d’audition. Vous avez cependant catégoriquement refusé de vous expliquer et de donner des explications sur les faits et comportements qui étaient rapportés.

Rédaction d’un rapport d’enquête (le 11 décembre 2017)

Ce rapport d’enquête m’a été adressé et j’ai par ailleurs entendu les personnes ayant mené les auditions pour avoir directement leur compte-rendu du déroulement de l’enquête (réunion du 19 décembre 2017).

La majorité des auditions fait ressortir des dysfonctionnements managériaux considérés par plusieurs personnes entendues comme majeurs et rédhibitoires.

Un manque de fiabilité qui génère du stress chez vos collègues de travail

Beaucoup de personnes auditionnées relatent votre manque de fiabilité : « planter » vos collaborateurs au dernier moment, en rendez-vous commercial, « dire des choses que vous ne faites pas », « difficulté à vous joindre », « pas là quand on a besoin », ne « tient pas ses promesses vis-à-vis des équipes et des clients », « ne répond pas à ses mails ».

Un mode de communication brutal et déstabilisant

Les auditions font ressortir :

– Des mots blessants, cassants, un manque de considération et d’écoute des raisonnements des autres pour imposer le vôtre, un ton directif, autant de comportements contraires à l’esprit de dialogue et de coopération requis de la part d’un associé avec ses équipes.

– Des changements d’attitude soudains et déstabilisants, certains collaborateurs ne sachant pas comment se positionner vis-à-vis de vous, par crainte de vos réactions (par exemple, un collaborateur que vous avez encadré sur une mission nous a indiqué que sa relation avec vous était devenue obsessionnelle). Ils déplorent des cris, des haussements de ton, des grands gestes, votre impatience, le fait que vous puissiez vous montrer humiliant en faisant sentir ou en disant aux gens qu’ils ne sont pas bons et pas efficaces, parfois même en présence d’autres collaborateurs.

Le résultat pour eux c’est un climat de travail désagréable et non professionnel qui génère au minimum du stress et dans certains cas du malaise voire une profonde détresse.

– Plusieurs collaborateurs en ont été très éprouvés. Une personne que vous avez encadrée sur mission a rapporté avoir eu de nombreuses crises de larmes du fait de votre comportement (y compris pendant son audition). [B] [X], pour lequel une mise en garde vous a été adressée, indique avoir eu une relation exécrable, a été vu avec les larmes aux yeux (ce que nous ignorions lorsque nous vous avons envoyé une mise en garde le 28 mars 2017).

Une relation basée sur le rapport de force et l’autoritarisme

L’enquête fait également ressortir que vous fonctionnez sur la base d’un rapport de force permanent. Les collaborateurs qui travaillent avec vous n’ont qu’une alternative : se soumettre ou vous contrer pour ne pas se laisser écraser. Vous vous montrez autoritaire, cherchant à faire passer en force vos positions. Il en résulte une relation professionnelle difficile, tendue voire impossible, incompatible avec votre niveau de responsabilité.

Vous êtes décrit comme à l’aise dans un rôle de « chef total’qui décide de tout de A à Z sur son périmètre », la seule possibilité pour travailler avec vous étant d’être « consensuel et pas rentre dedans », ce qui « demande des efforts », ou encore comme « paternaliste’quand ça se passe bien, mais quand ça se passe mal, cela ne peut être acceptable pour un grand nombre de personnes ».

Un comportement susceptible de caractériser un harcèlement moral à l’égard d'[Z] [R]

L’enquête interne a mis en relief des agissements particulièrement graves concernant [Z] [R].

De nombreuses personnes ont rapporté : « je n’ai jamais vu de choses avec les équipes car c’est [Z] qui prend tout. Ils se vouvoient mais il lui dit « vous avez vraiment fait n’importe quoi »; « mais non ce n’est pas ce qu’il faut faire » alors qu’il change d’avis et fait porter le chapeau à [Z]. Ce n’est pas hyper clean de le faire devant tout le monde » ; « Idem avec [Z] [R] avec laquelle il est toujours très sec, très froid, très critique. Elle fait ce qu’elle peut mais ce n’est jamais très facile de savoir ce qu’il veut » ; « Sa relation avec [Z] [R] m’a souvent étonnée. Il peut se comporter de manière désinvolte et agressive. Il a des jugements qui dépassent le cadre professionnel et qui peuvent être abaissants « vous oubliez toujours tout, vous êtes tête en l’air ». C’est aussi dans sa manière de l’interpeller sur le bench, en l’appelant, en l’apostrophant de l’autre bout du bench. Ça met forcément mal à l’aise. »

« La seule personne dont j’ai trouvé qu’il avait une attitude de harcèlement, c’est vis-à-vis d'[Z] car il dénigrait systématiquement ce qu’elle faisait, il faisait systématiquement précéder ses propos d’un « ma petite [Z] », « vous avez encore oublié ça », « vous êtes étourdie » ou « c’est encore [Z] qui a oublié ça ».

[Z] [R] a fait part d’une grande détresse. Au cours de son audition, elle a indiqué :

– Votre « comportement agressif ». « Il ne sait pas mettre les formes. Il est directif dans une forme infantilisante.».

– « Avant d’arriver le matin, je suis stressée ne sachant pas quelle va être son humeur de la journée car il peut être sympa dans ses bons jours ; quand cela concerne la famille, il peut être gentil (exemple maladie enfant), mais c’est justement cela qui est perturbant. Il peut m’apporter des nougats de Montélimar, dire à [J] (l’autre assistante) « quand est ce qu’elle revient ma petite [Z] » pendant mon congé maternité ».

– « Un jour, il vient dans mon bureau pour me demander de monter un dossier à la RH. J’appelle [L] [F] qui me dit de le garder. Il revient me voir pour me demander si le dossier est monté et quand je lui réponds que non, il me crie dessus en me disant « mais c’est qui le chef».

– « Face à ces situations, je me sens humiliée : quand dans l’open space, il me parle mal, c’est une humiliation. Une fois au téléphone, il m’a traité de salope en raccrochant, ce qui m’a été rapporté par [H] [W] qui était présent et qui depuis est parti (la personne auditionnée se met à pleurer). »

– « J’essaie de relativiser, de ne pas voir la réalité en face. Je ne me rendais pas compte à quel point cela me faisait du mal. Quand j’ai vu [C] [Y], j’ai craqué. C’est comme si je sortais tout ce que j’avais accumulé pendant 5 ans ».

– « Quand je viens vous alerter, c’est un appel au secours, une détresse. Je ne voyais pas la solution. Les assistantes Bleu me disaient qu’elles ne se laisseraient jamais faire comme ça. C’est là que je me suis rendue compte que j’ai encaissé trop de choses intolérables, que je ne disais jamais rien’ j’ai l’impression d’être sa chose, son objet, qu’il menace si je ne fais pas ce qu’il demande’ ». « Je suis allée voir [N] pour en parler au printemps 2017. La réorganisation prévue à la rentrée me laissait envisager une porte de sortie ».

– « En juillet 2017, j’ai craqué pendant mon entretien avec [C] [Y] suite à la décision de repousser l’organisation cible. J’ai ensuite alerté [E] [S] ».

– « Je me sens coupable aujourd’hui d’avoir tiré la sonnette d’alarme car aujourd’hui il est gentil ce qui est encore plus perturbant ».

En conclusion, l’enquête interne met clairement en évidence des dysfonctionnements managériaux importants de votre part à l’égard de plusieurs collaborateurs, quels que soient leur niveau, ou leur rattachement hiérarchique. Les seuls collaborateurs qui parviennent à collaborer avec vous expliquent que c’est parce que, soit ils se soumettent à votre mode de fonctionnement, soit ils doivent vous contrer pour se faire respecter, démarche contraire à la nécessité de construire une relation de travail normale. Une amélioration a pu être relevée mais qui procède en réalité de la configuration des locaux en open space, ce qui vous oblige à une nécessaire retenue mais qui, malheureusement, ne s’observe pas toujours.

Ces faits sont d’autant plus graves qu’ils s’inscrivent dans un contexte d’insuffisances managériales qui ont déjà justifié deux mises en garde les 10 juillet 2014 et 28 mars 2017.

A la suite du rapprochement entre les sociétés Kurt Salmon et Solucom et la création de Wavestone, nous vous avons confié la responsabilité de co-piloter la practice Energy, utilities & transport (EUT) avec [O] [U]. Les modalités de pilotage de cette practice ont été aménagées en mars 2018 et vous avez accepté dans ce cadre de concentrer vos activités sur le développement commercial de la practice, [O] [U] assurant de ce côté le pilotage opérationnel et l’encadrement RH des équipes.

Force est de déplorer qu’alors même que vos fonctions managériales ont été largement atténuées du fait de ces responsabilités, des manquements graves ont persisté.

Ces agissements sont incompatibles avec les exigences attendues d’un associé telles qu’être un « acteur clé du management de sa practice, de l’attraction et de la rétention des talents », « fédérer les équipes », « être considéré comme un exemple au sein de Wavestone », « coacher les seniors managers, clients managers et les jeunes partners».

Hélas, les mises en garde qui vous ont été adressées se sont avérées insuffisantes pour vous amener à changer de comportement.

La relation de travail que vous avez instaurée, qui s’avère, au vu de l’enquête interne, dangereuse pour les collaborateurs amenés à travailler avec vous, est incompatible avec notre obligation de sécurité. En particulier, l’appel au secours exprimé par votre assistante, Madame [Z] [R], et les faits révélés par l’enquête au sujet de votre relation avec elle sont d’une particulière gravité.

Nous serions fondés à prononcer à votre égard un licenciement privatif de vos indemnités de rupture compte tenu de la gravité des faits découverts dans le cadre de cette enquête interne. Nous n’y renonçons qu’eu égard à votre ancienneté et à votre statut et pour préserver votre considération professionnelle vis-à-vis des tiers.

Néanmoins, nous considérons que votre présence dans l’entreprise n’est plus souhaitable durant votre préavis que vous vous dispensons d’effectuer. Vous serez toutefois payé aux échéances comme si vous aviez travaillé normalement. ».

Il a été dispensé d’effectuer son préavis de trois mois pour lequel il a été rémunéré.

Par jugement du 12 avril 2021, le conseil de prud’hommes de Saint-Germain-en-Laye (section encadrement) a:

– dit n’y avoir lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [V],

– dit que le licenciement de M. [V] est dénué de cause réelle et sérieuse,

– fixé la moyenne des salaires de M. [V] à la somme de 22 916,67 euros,

– condamné la société Wavestone Advisors à verser à M. [V] les sommes suivantes :

. 150 000 euros à titre de rappel de salaire sur la part variable pour les années 2015, 2016 et 2017,

. 15 000 euros au titre des congés payés y afférents,

. 27 777,73 euros à titre de rappel de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

. 68 750 euros à titre de dommages et intérêts pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

.1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné à la société Wavestone Advisors de rembourser à Pôle emploi, en application de l’article L 1235-4 du code du travail, les indemnités versées à M. [V] dans la limite d’un mois,

– condamné la société Wavestone Advisors à payer les intérêts de droit sur les salaires et éléments de salaire à compter du 30 janvier 2018, date de réception par le défendeur de la convocation à l’audience du bureau de conciliation et d’orientation et du prononcé pour le surplus,

– rappelé que par application de l’article R.1454- 28 du code du travail, l’exécution provisoire est de droit pour la remise des documents et pour les indemnités énoncées à l’article R. 1454- 14 dans la limite de neuf mois de salaire, fixe la moyenne des salaires à la somme de 22 916,67 euros,

– débouté M. [V] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Wavestone Advisors de l’intégralité de ses demandes,

– condamné la société Wavestone Advisors aux éventuels dépens comprenant les frais d’exécution du présent jugement.

Par déclaration adressée au greffe le 12 mai 2021, M. [V] a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance d’incident du 15 juin 2022, le conseiller de la mise en état de la 17ème chambre a:

– rejeté les demandes de M. [V] tendant à :

. dire irrecevables les conclusions signifiées par la société Wavestone Advisors le 4 novembre 2021,

. dire irrecevable l’appel incident régularisé par la société Wavestone Advisors,

– dit n’y avoir lieu de condamner M. [V] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [V] aux dépens dont distraction au profit de Me Frank Lafont, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 3 janvier 2023.

MOTIFS

Sur la rémunération variable

Le salarié soutient avoir réclamé le versement de ses primes même si les demandes n’ont pas été systématiquement formalisées par écrit. Il explique que l’employeur ne justifie pas de la privation d’un droit contractuel à rémunération et qu’il lui appartenait de prendre l’initiative de fixer ses objectifs annuels, cette responsabilité pesant sur l’employeur.

L’employeur réplique qu’avant d’être informé le 6 novembre 2017 de l’ouverture d’une enquête interne le concernant, le salarié ne lui a jamais écrit pour réclamer le versement d’une quelconque prime sur objectifs pendant toute la relation contractuelle, dont il savait qu’il n’avait pas droit compte tenu des résultats de l’entreprise et de ses propres performances individuelles, qui n’étaient pas à la hauteur. L’employeur affirme que le salarié avait connaissance de ses objectifs qui lui avaient été fixés et qu’en tout état de cause, il n’était pas automatiquement redevable de l’intégralité de la prime convenue à défaut de fixation des objectifs.

***

Lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu’ils sont réalisables et qu’ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice. (Soc., 30 mars 2011, pourvoi n° 09-42.737)

En l’absence de fixation des objectifs, le montant de la rémunération variable est fixé en fonction des critères visés au contrat de travail et des accords conclus les années précédentes, et, à défaut, des données de la cause. ( Soc., 15 mai 2019, pourvoi n° 17-20.615)

Au cas présent, l’article 1 de l’avenant au contrat de travail signé par les parties le 16 novembre 2015 prévoit le versement d’un salaire annuel payable en douze mensualités et d’une prime annuelle potentielle sur objectif versée au terme de l’exercice fiscal.

L’article 1 précise que : ‘ Au titre de l’année 2015, cette prime annuelle potentielle pourra atteindre un montant de 80.000 euros bruts à 100% des objectifs atteints.

L’attribution de cette prime annuelle potentielle et le montant versé dépendent :

– de la présence du salarié dans les effectifs de la société à la fin de l’exercice soit au 31 décembre de chaque année,

– de la durée de la présence du salarié au cours de l’exercice fiscal ( calcul au prorata temporis) considéré sous réserve d’une présence minimale de 4 mois,

– des résultats de la société,

– des résultats de la ‘practice’ de rattachement du salarié,

– de l’atteinte des objectifs individuels du salarié en cours d’exercice. Ces objectifs sont déerminés unilatéralement par la société après discussion avec le salarié et communiqué au salarié au début de chaque année.

Le montant de la prime sur objectifs sera déterminé en fin d’année par la direction gérérale de la société à l’issue du processus d’évaluation de la réalisation des objectifs fixés au salarié.

Dans l’hypothèse du départ du salarié de la société en cours d’exercie, quelle qu’en soit la raison, celui-ci ne pourra prétendre à un quelconque paiement au titre de la prime sur objectifs.’.

Le salarié sollicite le paiement de la part variable sur trois années, de 2015 à 2018, à raison de 80 000 euros par année. La demande sera examinée conformément aux dispositions de l’avenant du 16 novembre 2015 à effet du 1er janvier 2015, les dispositions antérieures n’étant plus applicables.

Lors de la rupture, le salarié percevait un salaire brut mensuel de 18 750 euros et l’employeur lui a versé en complément :

– une prime d’objectifs de 50 000 euros bruts au titre des performances de l’année 2014 en application de l’avenant au contrat de travail du 1er juin 2004 versée en juillet 2015,

– une prime exceptionnelle de 100 000 euros bruts en février 2016,

– une prime ‘ make Good Payment ‘ de 38 927,11 euros bruts en juillet 2016,

– une prime exceptionnelle de 16 079,34 euros bruts en mars 2017

– une somme de 50 000 bruts en avril 2017 au titre d’un dispositif ‘ OneFirm package’, afin d’associer les ‘collaborateurs’ clés à la réussite du projet OneFirm relatif à la création d’une nouvelle société à la suite du rachat de la société Kurt Salmon France par la société Solucom et la création de la société Wavestone Advisors.

Par lettre du 13 décembre 2017, le salarié, contestant les conditions de réalisation de l’enquête interne dont il faisait l’objet, a notamment indiqué à l’employeur que ce dernier lui a fait part lors d’un entretien tenu le 6 novembre 2017qu’il refusait de lui verser les primes sur objectifs dues au titre des exercices 2015 et 2016 et de discuter des conditions de détermination de la prime au titre de l’exercice 2017: ‘ vous avez estimé que ne je peux prétendre à ces primes sur objectifs dès lors que d’autres primes m’ont été versées sur cette période.’.

Toutefois, aucune disposition contractuelle ne précise que les primes exceptionnelles et avantages perçus par le salarié en 2016 et 2017 se substituaient à la prime sur objectifs.

Par ailleurs, si le salarié a été tenu informé de la politique salariale de l’entreprise en sa qualité d’associé, l’avenant prévoit que les objectifs individuels étaient déterminés unilatéralement par la société après discussion avec le salarié et lui étaient communiqués au début de chaque année, ce qui n’a pas été le cas pour les années 2015 à 2017.

La société se borne à affirmer, sans l’établir, que le salarié avait connaissance de ses objectifs, les règles générales de la politique de rémunération ou le référentiel d’entreprise n’équivalant pas à la fixation d’objectifs individuels pour M. [V].

L’employeur ne peut pas davantage se prévaloir des résultats ‘insatisfaisants’ du salarié entre 2015 et 2017 sans en justifier, ni également invoquer les difficultés financières rencontrées par l’entreprise et connues du salarié, ces allégations étant dépourvues d’offre de preuve.

Dans ces conditions, faute pour l’employeur d’avoir fixé les objectifs du salarié pour la période considérée, ce dernier est éligible au paiement d’une prime variable de 2015 à 2017.

L’employeur ne communique aucune pièce permettant de déterminer les conditions de fixation de la prime au titre de l’année 2014 à laquelle il se réfère pour la fixation des primes à compter de 2015.

En tout état de cause, la prime de 2014 a été fixée selon les anciennes modalités contractuelles, avant la reprise par la société Solucom de la société Kurt Salmon France, de sorte que la référence à l’année 2014 n’est pas opérante pour le calcul de la prime pour les années suivantes.

Le contrat de travail applicable prévoyait une part variable annuelle d’un montant maximum de 80 000 euros bruts qui dépendait de la réalisation d’objectifs fixés unilatéralement par l’employeur.

Cette rémunération doit être payée intégralement à l’intéressé, qui devait percevoir le montant maximum prévu contractuellement pour la part variable, l’employeur ne justifiant d’aucun élément de nature à réduire ce montant.

Dès lors, le salarié peut prétendre au paiement de la somme de 80 000 euros bruts par année, de 2015 à 2017.

Par voie d’infirmation du jugement, la société sera condamnée à payer au salarié la somme totale de 240 000 euros bruts de ce chef, outre les congés payés afférents.

Sur le reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement

Les premiers juges ont alloué au salarié une part variable totale de 150 000 euros.

Ils ont ensuite fait droit à la demande de rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement en intégrant dans le calcul de l’assiette du salaire de référence la somme de 150 000 euros.

La cour fera donc droit à la demande du salarié calculée sur la base d’une part variable fixée précédemment à la somme de 240 000 euros, non contestée en son calcul par l’employeur.

Par voie d’infirmation du jugement, l’employeur sera condamné à verser au salarié la somme de 45 280,40 euros au titre du reliquat de l’indemnité conventionnelle de licenciement.

Sur la rupture

Lorsqu’un salarié a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que l’employeur le licencie ultérieurement, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation était justifiée. Si tel est le cas, il fixe la date de la rupture à la date d’envoi de la lettre de licenciement.

La résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée à l’initiative du salarié et aux torts de l’employeur, lorsque sont établis des manquements par ce dernier à ses obligations suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. Dans ce cas, la résiliation produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la résiliation judiciaire

Au soutien de sa demande de résiliation de son contrat de travail, le salarié invoque l’absence de versement de sa rémunération variable pendant trois années et la modification unilatérale de son contrat de travail.

L’employeur conteste la réalité de ces manquements. Il expose qu’en qualité d’associé de la société, le salarié connaissait parfaitement les modalités de versement de la part variable pour avoir participé à l’élaboration de la politique salariale mise en oeuvre au sein de l’entreprise . Il ajoute que ne constituent pas un motif suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail, les griefs dont les salarié s’étaient ‘visiblement accommodés’ pendant plusieurs années faute d’avoir élevé la moindre réclamation, le salarié étant d’une extrême mauvaise foi en attendant le mois de décembre 2017 pour faire part de ses griefs à son employeur, pour la première fois.

L’employeur indique enfin que l’allégation du salarié qui soutient que la ‘ modification de ses fonctions’ intervenue au mois de mars 2017 constituait une sanction disciplinaire pour laquelle son accord était requis est tout aussi désespérée, compte tenu de la tardiveté, qu’injustifiée.

***

L’absence de paiement intégral de la rémunération variable est un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.(Soc., 2 juin 2021, pourvoi n° 19-20.449).

Néanmoins, au cas présent, le salarié n’a sollicité le paiement de cette rémunération que dans le cadre de la saisine des premiers juges, alors que pendant trois années, il était associé et cadre dirigeant de la société, qu’il occupait ainsi l’un des postes les plus importants de la hiérarchie, ce qui lui permettait aisément de réclamer et obtenir le paiement de la part variable auprès du directeur général, ce qu’il n’établit pas.

Ainsi, le salarié a sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail le 7 décembre 2017 et a adressé une lettre à l’employeur le 13 décembre 2017 évoquant pour la première fois la question du paiement de la part variable.

Pas davantage, le salarié ne justifie d’une démarche antérieure en vue d’une demande de fixation par l’employeur de ses objectifs personnels et annuels.

Si la circonstance que le salarié n’a effectué aucune réclamation n’empêchait pas le versement de la part variable par l’employeur, auquel la cour a d’ailleurs précédemment fait droit, elle démontre cependant toute absence de différend entre eux à ce titre.

Le manquement invoqué n’a donc pas été considéré par le salarié pendant plusieurs années comme un motif de rupture de la relation de travail, l’intéressé s’en étant visiblement accommodé même s’il allègue une perte financière non négligeable.

Dès lors, ce premier manquement n’était pas d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

S’agissant du grief relatif à la modification de ses fonctions, le salarié ne produit aucune pièce établissant la modification unilatérale de ses fonctions, le recentrage de ses activités sur le développement commercial et le pilotage de missions complexes. Il ne justifie également pas que ces nouvelles fonctions étaient moins valorisantes que les fonctions managériales précédemment occupées, ce qu’il n’a d’ailleurs pas contesté avant la saisine du conseil de prud’hommes et qui ne ressort pas des échanges versés au dossier.

Il en résulte que le salarié a accepté à compter du 1er avril 2017, à la suite du rachat de la société Kurt Salmon France et la création de la société Wavestone Advisors, un changement de fonctions, conservant toujours son statut d’associé et de cadre dirigeant de la société, dont le contenu précis n’était pas défini au contrat, sauf à indiquer qu’il a été recruté en qualité ‘ d’associé’.

Le second manquement reproché à l’employeur par le salarié n’est donc pas établi.

En conséquence, le salarié n’ayant pas établi les manquements invoqués, c’est à juste titre que les premiers juges l’ont débouté de sa demande de résiliation judiciaire, et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le licenciement

Le salarié expose avoir été licencié dans un contexte de restructuration du groupe et de réduction des coûts pour avoir refusé de renoncer à ses droits au terme d’un processus qui a été initié pour l’y contraindre, l’ouverture de l’enquête interne étant la conséquence directe de son refus d’accepter la modification de ses conditions de rémunération. Il affirme que le licenciement est de nature disciplinaire, les termes de la lettre de licenciement lui reprochant des comportements fautifs, et non de simples carences professionnelles.

Le salarié indique également qu’en matière disciplinaire, l’employeur ne peut sanctionner deux fois les mêmes faits et que les faits dont il a eu connaissance depuis plus de deux mois sont prescrits pour engager des poursuites disciplinaires.

L’employeur réplique avoir rompu le contrat de travail du salarié en raison de ses carences managériales et qu’il n’y a pas de motif discipliaire à la rupture, puisqu’il n’évoque aucun comportement fautif du salarié mais des dysfonctionnements, l’enquête interne n’ayant pas permis de relever de la part du salarié une volonté délibérée de mal se comporter à l’égard de ses collègues de travail.

L’employeur ajoute ne pas avoir épuisé son pouvoir disciplinaire pour les faits datants de 2014 et mars 2017, le salarié n’ayant jamais été sanctionné avant le licenciement mais seulement mis en garde, et les faits de juillet 2017 n’étant pas prescrits

***

Sur le motif du licenciement

L’article L. 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

L’insuffisance professionnelle constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement dès lors qu’elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié.

L’incompétence alléguée doit reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l’employeur et ne suppose aucun comportement fautif du salarié.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et il appartient au juge de qualifier les faits évoqués.

S’il résulte des termes de la lettre de licenciement, quand bien même l’employeur n’aurait pas expressément qualifié les faits de « fautifs » que celui-ci a entendu sanctionner par le licenciement un agissement du salarié qu’il estimait fautif, ce licenciement présente un caractère disciplinaire et le juge est tenu par cette qualification.

Au cas présent, la lettre de licenciement reproche au salarié de nombreux manquements dont la gravité est relevée par l’employeur, notamment en ces termes :

– « vous avez persisté dans votre posture et stratégie consistant à détourner le sujet en imaginant opportunément un prétendu processus d’éviction orchestré de toutes pièces par mes soins, allant même jusqu’à m’accuser de discrimination et de harcèlement à votre égard alors même que jusqu’à cette enquête vous n’avez jamais fait état de telles allégations,

– Compte tenu des précédentes difficultés relationnelles et comportementales remontées par d’autres collaborateurs et qui ont donné lieu à des mises en garde les 10 juillet 2014 et 28 mars 2017

– un mode de communication brutal et déstabilisant

– ces faits sont d’autant plus graves qu’ils s’inscrivent dans un contexte d’insuffisances managériales qui ont déjà justifié deux mises en garde les 10 juillet 2014 et 28 mars 2017.

– ces agissements sont incompatibles avec les exigences attendues d’un associé telles qu’être un « acteur clé du management de sa practice, de l’attraction et de la rétention des talents », « fédérer les équipes », « être considéré comme un exemple au sein de Wavestone », « coacher les seniors managers, clients managers et les jeunes partners.

– Hélas, les mises en garde qui vous ont été adressées se sont avérées insuffisantes pour vous amener à changer de comportement.

– Nous serions fondés à prononcer à votre égard un licenciement privatif de vos indemnités de rupture compte tenu de la gravité des faits découverts dans le cadre de cette enquête interne. Nous n’y renonçons qu’eu égard à votre ancienneté et à votre statut et pour préserver votre considération professionnelle vis-à-vis des tiers. »

Si l’employeur indique dans ses conclusions que le licenciement a pour cause l’ insuffisance professionnelle du salarié, ce motif n’est pas indiqué dans lettre de licenciement qui évoque uniquement ‘un contexte d’insuffisances managériales qui ont déjà justifié deux mises en garde les 10 juillet 2014 et 28 mars 2017″.

Toute la terminologie utilisée par l’employeur fait état d’agissements graves et relatent des faits fautifs liés à du harcèlement managérial.

Ainsi, l’employeur dissocie bien le contexte d’insuffisance professionnelle rappelée pour se placer ensuite sur le terrain disciplinaire, qui plus est après deux lettres de ‘mise en garde’ ce dont il résulte que le licenciement a été prononcé pour des motifs disciplinaires.

Enfin, le salarié qui se borne à alléguer, sans offre de preuve, qu’il a été licencié à la suite de la réorganisation de la société, n’établit pas davantage qu’il a été licencié pour avoir réclamé le paiement de la part variable de sa rémunération.

Il convient en conséquence de vérifier si la procédure disciplinaire a été régulièrement observée.

Sur la prescription des faits fautifs

Aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance ; toutefois ce texte ne s’oppose pas à la prise en considération d’un fait antérieur à deux mois dès lors que le salarié a commis dans le délai de prescription un agissement fautif de même nature.

Ce n’est pas la date des faits qui constitue le point de départ du délai de prescription mais celle de la connaissance par l’employeur des faits reprochés. Cette connaissance par l’employeur s’entend d’une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits (Soc., 17 février 1993, pourvoi n° 88-45.539, Bull V n°55 et Soc. 28 septembre 2011, pourvoi n°10-17.343).

Par ailleurs, selon l’article L.1332-5 du code du travail, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction.

Il résulte de la chronologie des faits que l’assistante du salarié, Mme [R], a alerté en juillet 2017 Mme [S], ‘HR development Director’ (la directrice des ressources humaines) du comportement ‘ tantôt brutal tantôt paternaliste’ du salarié à son égard, la déstabilisant et créant un fort climat d’insécurité, la salariée lui faisant alors part de son mal-être tout en sachant que la réorganisation envisagée en septembre 2017 entraînait le changement de manager de sorte qu’elle ne devait plus travailler avec le salarié.

Toutefois, la relance de la salariée en octobre 2017 auprès de Mme [S] a conduit l’employeur à une prise de conscience du caractère durable et persistant des faits reprochés et il a diligenté une enquête dont le rapport lui a été communiqué le 11 décembre 2017.

L’employeur a eu la connaissance complète des agissements du salarié cette date, de sorte que les faits dénoncés par Mme [R] n’étaient pas prescrits lors de l’engagement de la procédure de licenciement le 3 janvier 2018, date de la convocation du salarié à l’entretien préalable au licenciement.

Sur l’épuisement du pouvoir disciplinaire

S’agissant de l’épuisement du pouvoir disciplinaire de l’employeur, si le salarié retient que la lettre du 10 juillet 2014 présentait un caractère disciplinaire, il n’est plus possible de l’évoquer en raison de la prescription triennale, conformément aux dispositions de l’article L.1332-5 du code du travail.

Par ailleurs, la lettre du 27 août 2017, dont le salarié ne demande pas l’annulation, consiste en une lettre de rappel à l’ordre du salarié, non qualifiée d’avertissement, et ne contenant notification d’aucune sanction, l’employeur indiquant qu’il mettait en garde le salarié dont le comportement relationnel était critiqué par des collaborateurs.

Or, l’article L.1331-1 du code du travail dispose que ‘Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération’.

Il en résulte que, pour être qualifiée de sanction, deux conditions doivent être réunies: d’abord l’existence d’un agissement du salarié considéré comme fautif par l’employeur, ensuite une mesure prise par l’employeur qui soit de nature à affecter immédiatement ou non la situation du salarié.

En l’espèce, dans la lettre du 27 août 2017 l’employeur ne considère pas comme fautif les faits qui y sont exposés, selon lesquels l’employeur rappelle au salarié qu’en ‘ ta qualité d’associé tu es délégataire d’une partie de la responsabilité qui pèse sur l’entreprise de respecter la sécurité et la santé de nos collaborateurs et que tu te dois d’adopter un comportement parfaitement exemplaire. Nous t’avions proposé une mesure de coaching pour t’aider à améliorer tes dysfonctionnements managériaux que tu n’as pas voulu saisir. Les faits rapportés par [B] [X] sont sérieux et nous obligent à te mettre une nouvelle fois en garde concernant ton comportement managérial. ( …) Nous te demandons à l’avenir de remédier sérieusement à tes difficultés relationnelles de sorte que, dans le cadre de cette nouvelle organisation tu puisses te concentrer sur le développement commercial, le ‘ delivery’ de projets complexes et l’appui au recrutement de profits expérimentés, sans que de nouvelles difficultés surgissent. Je serai particulièrement vigilant sur ce point.’.

Il en ressort que l’employeur n’a alors pas considéré comme fautif le comportement du salarié, l’incitant seulement à le modifier et à regretter qu’il n’ait pas suivi le coaching proposé.

Par ailleurs, l’employeur n’a alors pris aucune mesure de nature à affecter la situation du salarié, qui a conservé la plénitude de ses fonctions d’associé comme précédemment indiqué, la cour ayant écarté le moyen tiré de la modification des fonctions du salarié à l’appui de sa demande de résiliation judiciaire.

En tout état de cause, le salarié ne sollicite pas l’annulation de cette lettre mais invoque uniquement son caractère disciplinaire pour soutenir qu’il a été déjà sanctionné pour les faits reprochés.

Le moyen tiré de l’épuisement par l’employeur de son pouvoir disciplinaire sera en conséquence écarté.

Sur le bien fondé du licenciement

Sur alerte de Mme [R], secrétaire de direction, engagée en 2010 et travaillant avec M. [V], son supérieur hiérarchique, depuis 2012, , l’employeur a diligenté une enquête interne, dont le salarié a été tenu informé par entretien du 6 novembre 2017 puis par courriel du 7 novembre 2017, onze collaborateurs de l’entreprise ayant été entendus par deux membres de la direction des ressources humaines et deux membres du CHSCT, M. [V] ayant été auditionné en dernier.

Chaque audition a fait l’objet d’un long compte rendu écrit, la plupart des entretiens ayant été ensuite signés par la personne auditionnée et de nombreux collaborateurs ont été entendus, ce qui conduit la cour à retenir comme probants ces témoignages délivrés dans le cadre de l’enquête interne et qui ne sont contredits par aucune pièce du salarié.

La lettre de licenciement reprend de très nombreux extraits de ces auditions dont il ressort que le salarié adoptait un comportement managérial inadapté, ce qu’il ne conteste d’ailleurs pas.

Il ressort de l’ensemble de ces témoignages que le salarié était très exigeant, d’humeur changeante, autoritaire, pressant avec certains collaborateurs voire brutal, tenait des propos blessants et très vifs, pouvait adopter un comportement condescendant, ayant des collaborateurs préférés, décidait de son emploi du temps en dépit des plannings précédemment arrêtés, ne manifestait aucune considération pour la plupart de ses interlocuteurs, nécessitant que ces derniers adaptent leur comportement sur celui du salarié pour éviter tout heurt et reproche.

Toutefois, le salarié est également décrit comme une personne pouvant apporter un grand soutien professionnel et d’une grande fiabilité professionnelle.

En tout état de cause, le salarié n’a pas pris la mesure de ses agissements, M. [A], ayant collaboré avec M. [V] sur des projets communs relatant : ‘ J’ai réussi à comprendre ce qu’il fallait faire pour travailler avec lui, retirer le meilleur de ce qu’il peut apporter sur le fond technique ou sur sa relations avec les clients. ( …) Je pense qu’il fait partie de cette catégorie de gens très à l’aise dans un rôle de chef total, genre patron de PME qui décide de tout de A à Z sur son périmètre’.

M. [T], qui a également collaboré avec M. [V], résume son propos en indiquant que les relations avec M. [V] n’étaient pas de ‘l’ordre du harcèlement’ mais étaient ‘perturbantes pour l’équipe et le fonctionnement’.

Un senior manager, M. [M], embauché en 2003, indique que M. [V] ‘ peut être dur et exigeant, en fait plus exigeant que dur. Cette exigence peut être vécue difficilement par certains’. Il précise que cette exigence a entraîné le départ de collaborateurs mais qu’il n’a jamais assisté à des ‘ choses particulières de type violence, intimidation harcèlement’.

Enfin, Mme [R] évoque un comportement ‘ agressif’ à son encontre et affirme s’être ‘sentie non valorisée voire même humiliée’. Même si la salariée conclut lors de son audition ‘ je me sens coupable aujourd’hui d’avoir tiré la sonnette d’alarme car il est aujourd’hui gentil ce qui est encore plus déstabilisant’, elle décrit de nombreux faits qui justifient son ressenti dans un témoignage ensuite très précis et circonstanciés, lesquels sont confirmés par d’autres salariés.

Sachant que le salarié a été averti à deux reprises par l’employeur pour son comportement managérial inadapté et qu’il n’a pas suivi le coaching qui lui a alors été proposé dans les lettres de mise en garde, et quand bien même son comportement est décrit comme s’étant adouci depuis qu’il était en poste sur l’open space en 2017, il n’en demeure pas moins que le témoignage de Mme [R], à l’origine de l’enquête interne en octobre 2017, établit que le salarié n’a modifié son comportement managérial que lorsque l’enquête a été initiée.

En conséquence, les griefs reprochés au salarié, le manque de fiabilité générant du stress pour ses collègues, un mode de communication brutal et déstabilisant, une relation basée sur le rapport de force et l’autoritarisme, un comportement inadapté avec son assistante, Mme [R], sont établis.

Ces griefs, établis, sont constitutifs d’une faute justifiant le licenciement du salarié.

Infirmant le jugement, il convient de dire que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et de débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts subséquente.

Le jugement sera également infirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à rembourser aux organismes concernés des indemnités de chômage versées au salarié à concurrence de six mois.

Sur les dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier des 491 actions attribuées en 2016, et les dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier de la prime ‘ OneFirm Package’

Le salarié qui n’a pu, du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse intervenu avant le terme de la période d’acquisition, se voir attribuer de manière définitive des actions gratuites, subit une perte de chance (Soc., 7 février 2018, pourvoi n° 16-11.635).

Au cas présent, le salarié fait valoir qu’en raison de son licenciement injustifié, il a perdu la chance de bénéficier des actions attribuées à titre gratuit par la société Solucom le 28 janvier 2016 sous condition de présence au 31 mars 2017 pour un tiers et au 31 mars 2018 pour les deux autres tiers, ce que conteste l’employeur.

Le salarié indique avoir été également privé, du fait de son licenciement injustifié, de la prime de présence de 100 000 euros bruts qui devait lui être versée en avril 2018, sous condition de présence au 31 mars 2018. Il invoque une décision de la Cour de cassation qui indique ‘ qu’ayant jugé nul le licenciement du salarié prononcé en cours d’exercice, la condition de présence à la clôture de cet exercice ne pouvait être opposée au salarié’ ( Soc., 27 mai 2020, pourvoi n° 18-20.156).

Cependant, l’issue du litige, dont il ressort que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, conduit à rejeter la demande du salarié qui, son licenciement étant justifié, n’a donc pas été privé indûment du bénéfice des actions attribuées en 2016.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de ces chefs de demande.

Sur les demandes reconventionnelles de l’employeur

Par lettre du 20 novembre 2018, l’employeur a sollicité que le salarié rembourse de frais professionnels et de téléphonie et restitue du matériel professionnel.

L’employeur qui ne justifie pas de la politique de gestion de frais professionnels (taxi, hôtel, repas d’affaire, voyage d’affaire, abonnements, trains) de la société sera débouté de sa demande de remboursement de la somme de 7 572,08 euros par le salarié correspondant à trois notes de frais ‘ non conformes à la politique de gestion de frais de la société indûment versés via un bulletin de paye émis en juin 2018.’

L’employeur n’établit pas davantage les conditions de prise en charge des frais de téléphonie négociées avec le salarié pour réclamer le remboursement de la somme de 120 euros à ce titre d’autant plus que les factures produites entre mai et octobre 2018 ne font pas mention de cette somme restant due et leur addition ne correspond pas à la somme de 120 euros.

Enfin, l’employeur ne produit ni la fiche de remise du téléphone et de l’ordinateur portables du salarié ni leurs conditions d’utilisation, de sorte qu’ il ne sera pas fait droit à la demande de restitution de ce matériel, demande également imprécise quant aux références de ces deux appareils.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté l’employeur des demandes de ce chef sous astreinte.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

L’employeur qui succombe, doit supporter la charge des dépens et ne saurait bénéficier d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il est inéquitable de laisser à la charge du salarié les frais par lui exposés en première instance et en cause d’appel non compris dans les dépens, qu’il conviendra de fixer à la somme totale de 4 000 euros, dont 1000 euros déjà ordonnés par les premiers juges.

 

 

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