L’affaire jugée concerne une salariée, Mme P, qui a prétendu à la nullité de son licenciement en raison de harcèlement moral. Elle a affirmé avoir subi des agissements répétés de la part de son supérieur hiérarchique, M. X, entraînant une dégradation de ses conditions de travail et de sa santé. Malgré des éléments prouvant la dégradation de son état de santé, l’employeur a contesté ces allégations en produisant des témoignages et des échanges WhatsApp montrant une relation cordiale entre les deux parties. Le tribunal a conclu que le harcèlement moral n’était pas établi avant avril 2017.
En ce qui concerne la cause réelle et sérieuse du licenciement, la salariée a contesté les griefs mentionnés dans la lettre de licenciement, notamment l’insuffisance professionnelle et l’insubordination. L’employeur a justifié le licenciement en produisant des éléments prouvant le refus de la salariée d’accomplir certaines tâches et son comportement d’insubordination. Le tribunal a considéré que la cause réelle et sérieuse du licenciement était établie.
Enfin, la salariée a invoqué une atteinte à sa liberté fondamentale d’agir en justice, affirmant que son licenciement était une mesure de rétorsion à une action en justice pour harcèlement moral. Cependant, le tribunal a estimé que le lien entre la procédure judiciaire et le licenciement n’était pas établi par la salariée.
En conséquence, la décision prud’homale a confirmé le licenciement pour cause réelle et sérieuse, rejeté la demande de nullité pour harcèlement moral et condamné la salariée à verser une somme de 3000 € à l’employeur au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Les problématiques de cette affaire
1. Licenciement pour insuffisance professionnelle et insubordination : La validité du licenciement de Mme [P] pour insuffisance professionnelle et insubordination soulève des questions sur le respect des procédures légales et des motifs invoqués par l’employeur.
2. Contestation des motifs de licenciement : La contestation par Mme [P] des motifs de son licenciement, notamment en ce qui concerne son refus d’effectuer certaines tâches et son comportement envers sa hiérarchie, soulève des questions sur la légitimité des raisons avancées par l’employeur.
3. Demandes de Mme [P] en réparation : Les demandes de Mme [P] en réparation de son préjudice moral, d’indemnités pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, ainsi que pour les honoraires de son avocat, soulèvent des questions sur les éventuelles conséquences financières pour l’employeur et la légitimité de ces demandes devant la cour.
Les notions clefs de cette affaire
Les 4 mots clés les plus importants dans ce cas sont :
1. Licenciement
2. Insuffisance professionnelle
3. Insubordination
4. Prud’hommes
Définitions juridiques
Définitions:
Licenciement: Acte par lequel un employeur met fin au contrat de travail d’un salarié pour diverses raisons, telles que des motifs personnels ou économiques.
Insuffisance professionnelle: Situation où un salarié ne parvient pas à atteindre les objectifs fixés par son employeur en termes de compétences, de résultats ou de comportement au travail.
Insubordination: Refus de se soumettre à l’autorité de l’employeur ou de respecter les consignes de travail, pouvant entraîner des sanctions disciplinaires, voire un licenciement.
Prud’hommes: Juridiction compétente en France pour régler les litiges individuels entre employeurs et salariés, notamment en cas de contestation d’un licenciement ou de demande de dommages et intérêts pour préjudice subi.
Les Avocats de référence dans cette affaire
Bravo à Me Cécile PRADELLE et Me Matthieu ODIN pour avoir plaidé cette affaire devant la Cour d’appel de Versailles.
Les Parties impliquées dans cette affaire
– Madame [O] [P] représentée par Me Cécile PRADELLE, avocat au barreau de VERSAILLES
– S.A.R.L. SOCIETE FINANCIERE [K] Sigle : SOFIROP représentée par Me Matthieu ODIN de la SELARL SERRE ODIN EMMANUELLI, avocat au barreau de PARIS
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
4 mars 2024
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/03562
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-3
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 04 MARS 2024
N° RG 21/03562 –
N° Portalis DBV3-V-B7F-U37R
AFFAIRE :
[O] [P]
C/
S.A.R.L. SOCIETE FINANCIERE [K] Sigle : SOFIROP
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Février 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE / FRANCE
N° Section : C
N° RG : 17/03079
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Cécile PRADELLE
Me Matthieu ODIN de la SELARL SERRE ODIN EMMANUELLI
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATRE MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [O] [P]
née le 13 Février 1981 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentant : Me Cécile PRADELLE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 549
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 786460022021005733 du 09/11/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de VERSAILLES)
APPELANTE
****************
S.A.R.L. SOCIETE FINANCIERE [K] Sigle : SOFIROP
N° SIRET : 379 110 315
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentant : Me Matthieu ODIN de la SELARL SERRE ODIN EMMANUELLI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R105 substitué à l’audience par Me Clémence DONON, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 30 Janvier 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Laurence SINQUIN, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence SINQUIN, Président,
Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseiller,
Madame Michèle LAURET, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,
FAITS ET PROCEDURE
La société Financière [K] (SOFIROP) compte un effectif à 10 salariés et exerce une activité consistant en toutes opérations portant sur la gestion, la vente ou l’apport en société de tous biens d’équipements, usines, installations, biens de participations, valeurs mobilières quelconques, droits sociaux dans toutes sociétés ou dans tous GIE comprises dans son patrimoine.
Mme [P] a été engagée par la société en qualité de gestionnaire des données techniques par contrat de travail à durée indéterminée en date du 21 septembre 2015. Son temps de travail s’élevait à 37 heures par semaine, moyennant une rémunération mensuelle brute de 2 334 euros.
Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale du caoutchouc.
Par lettre recommandé avec accusé de réception du 8 novembre 2017, la société SOFIROP a convoqué Mme [P] à un entretien préalable à un licenciement. L’entretien s’est tenu le 20 novembre 2017.
Par lettre recommandé avec accusé de réception du 23 novembre 2017, l’employeur a notifié à Mme [P] son licenciement pour insuffisance professionnelle et insubordination en ces termes :
« Madame,
Nous faisons suite à notre entretien préalable du 20 novembre 2017, au cours duquel nous vous avons exposé les raisons pour lesquelles nous envisagions de prononcer votre licenciement et avons reçu vos observations.
Par la présente, nous vous notifions votre licenciement, pour les motifs suivants :
1) Insuffisance professionnelle résultant de votre mauvaise volonté délibérée :
Vous avez été recrutée par contrat du 21 septembre 2015, en qualité de gestionnaire des données techniques, niveau III. échelon 31, coeff. 215.
Vous disposez des compétences et de la formation nécessaires pour exercer les tâches correspondant à votre périmètre de fonctions et avez été formée à nos procédures internes depuis votre arrivée dans l’entreprise.
Cependant, et depuis plusieurs mois, vous refusez de manière catégorique d’effectuer les tâches qui vous sont confiées par votre supérieur hiérarchique, M. [I] [K].
Votre périmètre de fonctions vous a été rappelé en dernier lieu, par courriel du 5 septembre 2017.
Il vous a alors été demandé de veiller à vous conformer aux directives qui vous étaient données et d’exécuter les tâches qui vous étaient confiées.
Or, vous n’avez nullement tenu compte de ce courriel et avez persisté dans votre attitude.
A titre d’exemples, vous avez notamment refusé d’effectuer les tâches suivantes :
– Développement de l’interface Excel VBA des étiquettes de livraison pour le client SDMO (12 juillet 2017 et 27 octobre 2017) ;
– Traitement du fichier du fournisseur GSA avec articles à remonter en M3 (0189) (28-31 juillet 2017 et 28 août 2017) ;
– Hausse du tarif achat fournisseur IVG 000975/Mise à jour de contrat (28-30 août 2017) ;
– Création de fiches/ Ajout des prix d’achats dans le contrat Molac (28 août 2017) ;
– Création d’articles (MMMS001, MMMS002, etc.) (29 septembre-30 octobre 2017) ;
– Traitement du dossier « Facture » dans le Datawarehouse/My report (9 novembre 2017).
Par ailleurs, vous avez tardé à effectuer les tâches suivantes :
– Mise à jour des tarifs de cession TIEFFE ‘ (3 juillet 2017)
– Mise à jour du fichier des clients inactifs (1 août 2017)
De manière générale, les tâches qui vous sont confiées sont l’objet de contestations quasi systématiques de votre part, suivies de discussions et d’échanges de mails interminables imposés à votre supérieur hiérarchique, chronophages et perturbateurs pour l’organisation de notre entreprise.
Vous croyez pouvoir justifier votre attitude par une prétendue absence de formation aux tâches qui vous sont confiées.
Cela n’est pas conforme à la réalité, puisque ces tâches appartiennent à votre périmètre de fonctions et que vous avez été formée aux procédures internes depuis votre arrivée dans l’entreprise.
Cette justification est d’autant moins opérante que vous l’invoquez de manière systématique et non pas seulement pour une tâche particulière.
En réalité vous vous êtes manifestement enfermée dans une attitude caractérisée par une mauvaise volonté constante et un refus délibéré d’exécuter des tâches prévues par votre contrat de travail.
Cette attitude n’est pas acceptable et entraîne une désorganisation de l’entreprise.
Nous avons fait preuve de patience, mais votre obstruction systématique à l’exécution de votre travail démontre une mauvaise volonté préjudiciable à l’entreprise.
Ce comportement est constitutif d’une insuffisance professionnelle résultant d’une mauvaise volonté de votre part.
2) Insubordination et exécution de mauvaise foi du contrat de travail :
Par ailleurs, vous êtes soumise à l’autorité hiérarchique de M. [I] [K].
Or, votre comportement s’est progressivement dégradé à partir de mai 2017 et vous vous êtes installée dans une attitude de défiance systématique envers votre hiérarchie.
Cette attitude s’est caractérisée par une opposition systématique aux directives de votre hiérarchie, rendant impossible toute collaboration, ainsi que par un non-respect de l’autorité hiérarchique de M. [I] [K] et un refus d’application systématique des instructions de celui-ci, comme exposé précédemment.
Elle s’est également caractérisée par l’envoi de plusieurs courriels à la tonalité déplacée.
Cette attitude procède d’une insubordination envers l’employeur.
En dernier lieu, par courriel du 7 novembre dernier, vous n’avez pas hésité à écrire à M. [K] en ces termes :
« Suite à votre dernier mail : « je considère que cela fait partie de vos attributions je suis surprise de voir ce mot venant de vous je n’imaginais pas que vous puissiez le connaître !!! Je dirais même qu’il est sidérant de voir le manque de considération que vous pouvez avoir pour le travail fourni de manière général ! Soit ! (…) Je vous rappelle une nouvelle fois que je ne suis que gestionnaire des données techniques et que mes fonctions sont limitées à ce domaine malgré votre mail du mardi 5 septembre 2017 10:13 qui semble plus être une requête enfantine de fête de fin d’année qu’une fiche de poste. Néanmoins je reste dans l’attente d’obtenir des demandes en lien avec mon travail (…). Merci de bien vouloir prendre connaissance des documents ci-joints et éventuellement au besoin de vous renseigner auprès du service RH
Le ton agressif et condescendant employé à l’encontre de votre supérieur hiérarchique, notamment dans ce courriel, est totalement inacceptable.
Vous procédez de manière récurrente à une présentation erronée des faits, en imputant à votre supérieur hiérarchique le fait de vous attribuer des tâches étrangères à ses fonctions, ce qui ne correspond pas à la réalité.
Vous prétendez également ne pas être formée à certaines tâches, ce qui n’est pas non plus exact.
Vous usez donc de mauvaise foi pour vous soustraire à l’accomplissement des tâches qui vous sont confiées.
Cette énumération, non exhaustive, témoigne d’une d’insubordination systématique de votre part, de votre refus de vous plier aux instructions de votre hiérarchie pour faire prévaloir votre propre appréciation et de votre incapacité à vous remettre en question et d’accepter la critique.
S’ajoute à cela la tonalité volontairement polémique, véhémente et totalement déplacée de certains de vos courriels, caractéristique d’une défiance envers votre hiérarchie problématique pour le maintien d’une relation de confiance.
Les faits précédemment rappelés ne sauraient être tolérés et ont été préjudiciables à l’organisation interne de notre société.
Compte tenu de leur degré de gravité, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible.
Votre licenciement interviendra donc à l’expiration du délai de préavis de deux mois, qui suivra la date de première présentation de cette lettre.
Je vous précise que vous serez dispensé d’activité durant cette période.
Votre salaire vous sera versé aux conditions habituelles durant la période de préavis.
A la date de prise d’effet de votre licenciement, votre solde de tout compte, votre certificat de travail et votre attestation pôle emploi vous seront adressés en lettre recommandée avec accusé de réception à votre domicile,
A la suite de votre départ de l’entreprise, vous pourrez bénéficier, en application de l’article 14 de l’Accord National Interprofessionnel du 11 janvier 2008 et de la loi N° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, du maintien des garanties de frais de santé, sous réserve de justifier de votre prise en charge par le régime assurance chômage.
Dans cette hypothèse et compte tenu de la durée de votre contrat de travail au sein de notre entreprise, le maintien de vos garanties santé prendra effet pendant une durée de 12 mois dès la cessation de votre contrat de travail sans contrepartie de cotisations.
Le maintien de vos garanties santé cessera en tout état de cause à la date d’une reprise d’activité professionnelle, à la date de liquidation de votre retraite et quelle qu’en soit la cause, à la date de cessation du versement de vos allocations chômage.
Enfin, vous avez acquis des heures sur votre compte personnel de formation.
Ces heures peuvent vous permettre de financer tout ou partie d’une action de formation, de validation des acquis de l’expérience ou d’un bilan de compétences.
Vous pouvez consulter votre compteur sur le site gouvernemental : http:/www.moncompteformation.gouv.fr.
Nous vous prions d’agréer, Madame, l’expression de nos sentiments distingués. »
Par requête du 6 octobre 2017, Mme [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre.
Par jugement du 12 février 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :
– Dit que le licenciement n’est pas nul.
– Dit et jugé les causes du licenciement de Mme [P] réelles et sérieuses.
– Débouté Mme [P] de l’ensemble de ses demandes.
– Débouté la société Financière [K] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamné Mme [P] aux éventuels dépens.
Mme [P] a interjeté appel de ce jugement par déclaration d’appel au greffe du 7 décembre 2021.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 10 janvier 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 5 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, Mme [P] demande à la cour de :
– La dire recevable et bien fondée en son action,
Y faisant droit et statuant à nouveau,
– Infirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,
A titre principal,
– Juger que son licenciement est nul,
En conséquence,
– Condamner la société Financière [K] à lui verser la somme de 56.016 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,
A titre subsidiaire,
– Juger que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
– Condamner la société Financière [K] à lui verser la somme de 28.008 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse non plafonnée correspondant à 12 mois de salaire, Subsidiairement, dans l’hypothèse où la cour n’écarterait pas l’application du barème d’indemnisation plafonnée issu de l’article L. 1235-3 du code du travail, la somme de 8.169 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse plafonnée à hauteur de 3 mois et demi de salaire,
En tout état de cause,
– Condamner la société Financière [K] à lui verser la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
– Ordonner le report du point de départ des intérêts à la date de la saisine de la juridiction, soit au 6 octobre 2017, sur le fondement de l’article 1231-7 du code civil,
– Condamner la société Financière [K] à verser à Maître Cécile Pradelle la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 37 de la loi n° 91- 647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et de l’article 700 du code de procédure civile, sous réserve que Maître Cécile Pradelle, qui intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat,
– Condamner la société Financiere [K] aux éventuels dépens sur le fondement de l’article 696 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 9 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Financière [K] demande à la cour de :
– Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Nanterre du 12 février 2021 en toutes ses dispositions ;
En conséquence,
– Débouter Mme [P] de l’ensemble de ses demandes ;
– Condamner Mme [P] à payer à la société Sofirop la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner Mme [P] aux entiers dépens.
Après mise en état de l’affaire, le dossier a été clôturé le 10 janvier 2024.
MOTIFS
Sur le harcèlement moral
En application de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
Lorsque survient un litige relatif à des faits de harcèlement au sens de l’article L 1152 – 1 du code du travail, le salarié établit, conformément à l’article L 1154 – 1 du code du travail, des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement ;
Au vu de ces éléments, il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ;
Mme [P] prétend à la nullité de son licenciement en raison d’un harcèlement moral. Elle affirme que depuis une période précédent même le mois de mars 2016, elle subit de la part de son supérieur hiérarchique M. [E] [X] des remarques et menaces quotidiennes depuis son placement en mi-temps thérapeutique à 80% puis en janvier 2017 à 50%. Elle soutient également que ce supérieur l’a contrainte à travailler sur des projets qui ne relevaient pas de sa compétence et de ses capacités sans lui offrir des formations adaptées. Elle ajoute que cette charge de travail inadapté à contribuer à la dégradation de son état de santé. À partir du mois d’avril 2017, avec l’intention de lui nuire, elle fait valoir que l’employeur lui a refusé ses congés payés après les avoir validés. Elle indique avoir alerté les dirigeants de cette situation de harcèlement moral dans un courrier du 13 avril 2017 et avoir été, dès le 26 avril, convoquée à un entretien préalable en vue d’une sanction. Elle a fait l’objet d’un rappel à l’ordre le 9 mai 2017. Dans cette lettre elle expose qu’une lettre médiation avait été organisé par l’employeur et qu’à la suite de l’échec de cette médiation, elle s’est trouvée isolée et sans plus aucune autre activité conforme à ses attributions.
Elle communique un ensemble de messages avec Monsieur [I] [K] du 2 au 9 août et du 28 juillet au 28 août, message du 6 septembre, du 6 au 16 novembre faisant état de tâches sollicitées qu’elle juge inadaptées à ses fonctions et son défaut de formation. Elle transmet également la demande de congé validée le 10 avril 2017. Elle joint aussi le courrier du 13 avril 2017 qui retracent les difficultés avec M. [X] et le compte rendu de l’entretien préalable du 26 avril 2017 lors duquel est évoqué le problème des congés. Elle produit enfin la sanction du 9 mai 2017 et les éléments de la saisine du conseil du prud’homme pour des faits de harcèlement moral.
Au travers des arrêts de travail et du certificat du Docteur [J] communiqués, elle justifie de la dégradation de son état de santé.
L’ensemble de ces faits permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L’employeur considère que les allégations de Mme [P] ne sont ni précises ni étayées ; que la dégradation de son état de santé n’est aucunement liée aux conditions de travail le premier arrêt de travail datant du 12 janvier 2016 alors que les relations entre la salariée et M. [X] ne posaient aucune difficulté.
L’employeur relève que le seul courrier de la salariée dans lequel elle porte des accusations de harcèlement moral date du 13 avril 2017 et a été transmis postérieurement à la convocation à un entretien disciplinaire du 14 avril 2017; qu’antérieurement aucun acte de harcèlement moral ne lui avait été reproché. Il produit enfin une discussion WhatsApp entre la salariée et M. [X] sur la période de janvier 2016 jusqu’en avril 2017 qui démontre une amitié sincère et l’absence de tensions entre les deux protagonistes. La cordialité de ces échanges est corroborée par plusieurs attestations.
Monsieur [G] témoigne en ces termes: «lors de mes déplacements professionnels réguliers sur le site de [Localité 3] j’ai toujours constaté que les échanges entre [O] [P] et [E] [X] étaient très cordiaux et dans une bonne ambiance de travail ; de plus nous allions très régulièrement déjeuner ensemble avec [O] et [E] toujours dans un une ambiance conviviale.’
Dans son attestation M. [D] note que lors de sa collaboration et l’ensemble des missions il n’a jamais entendu la moindre remarque désobligeante ou propos dévalorisant envers Mme [P].
Dans son attestation M. [F] précise « travaillant et en contact chaque jour avec ces deux personnes je n’ai jamais constaté quoi que ce soit en termes de harcèlement de la part de Monsieur [X]. Je dirais plutôt que c’est quelqu’un de conciliant qui donne des directives claires. J’ajoute que j’ai déjeuné avec Mme [P] et M. [X] pendant environ une année et que je n’ai pas constaté de problème relationnel entre ces deux personnes»
L’employeur transmet également deux courrier du 11 janvier 2017 et du 11 octobre 2017organisant l’adaptation du poste de travail de la salarié suite à ses deux mi-temps thérapeutiques.
L’employeur communique également l’attestation de Monsieur [U] et le contrat travail de la salariée qui atteste de l’impossibilité d’accorder des congés sur la période d’inventaire.
Enfin, l’employeur produit les échanges WhatsApp sur toute l’année 2007 et soutient qu’il a au vu de ces messages, de l’enquête menée et de la tentative de médiation avec le médecin du travail il a pris des dispositions pour éviter que la salariée soit placée sous l’autorité directe de M. [X].
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les allégations de harcèlement formées par la salariée avant avril 2017 ne résultent d’aucune pièce. Si un arrêt de travail est intervenu en janvier 2016, aucun élément n’indique que la pathologie à l’origine de cet arrêt de travail est en lien avec un harcèlement moral. La mise en place d’un mi-temps thérapeutique à la suite de la visite de reprise le 8 mars 2016 ne suffit pas à lui seul à le démontrer. Les échanges relevés sur 2016 entre M. [X] et Mme [P] le contredisent. En effet, dans son message du 27 janvier 2016 Mme [P] parlant à M. [X] lui indique « j’ai hâte de reprendre… j’espère ne pas être prolongé ».
À compter d’avril 2017, il est constant qu’une altercation va intervenir entre la salariée et sa hiérarchie sur un problème des congés envisagés sur janvier 2018.
Au regard du contrat de travail de la salariée et du principe selon lequel sauf abus il appartient à l’employeur de déterminer la période des congés payés et de juger de sa conformité aux nécessités du service, l’employeur était légitime au regard de la période d’inventaire à refuser de valider les congés sollicités par la salariée. Il ressort de l’ensemble des pièces versées aux débats que cette décision de refus de la hiérarchie va cristalliser les tensions avec la salariée. Les propos tenus pendant l’entretien préalable à la sanction disciplinaire d’avril 2017 en attestent.
Mme [P] a mis en cause l’attitude de M. [X] à son égard, or les témoignages de M. [F], M. [D] et M. [G] ainsi que les échanges WhatsApp entre Mme [P] et M. [X] prouvent que les allégations de remarques désobligeantes, propos dévalorisants ou reproches concernant son état de santé ne sont pas établis.
Les pièces versées aux débats démontrent aussi, contrairement à ce qu’allègue la salariée, qu’elle a été destinataire d’une charge de travail. Elles établissent aussi que les commandes qui lui étaient passées n’étaient pas hors de ses champs de compétences et ne nécessitaient pas de formation spécifique, la salariée ayant déjà été formée sur les points sollicités ou ayant déjà expérimenté les éléments techniques de la commande.
Il résulte, enfin, des éléments du dossier qu’elle n’a pas été isolée. Une médiation a été tentée par l’employeur dès lors qu’il a été informé des accusations de harcèlement proférées à l’encontre de M. [X] et l’attestation de ce dernier, non contredite par la salariée, ce qui prouve que l’employeur a pris des dispositions pour séparer les bureaux et rompre le lien de hiérarchie qui pouvait exister entre eux. Si l’employeur a pris ces dispositions, c’est afin de prévenir toute situation de harcèlement moral et non comme elle le prétend d’isoler la salariée.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments et de ces motifs que la situation de harcèlement moral dénoncé n’est pas établi et sur ce point la décision prud’homale sera donc confirmée.
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement
En vertu des dispositions de l’article L.1232-1 du Code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire être fondé sur des éléments objectifs, vérifiables et imputables au salarié.
Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
Madame [P] conteste les griefs mentionnés dans la lettre de licenciement concernant l’insuffisance professionnelle résultant de sa mauvaise foi délibérée, son insubordination et l’exécution de mauvaise foi de son contrat de travail. Elle soutient qu’en réalité des tâches lui étaient imposés alors même qu’elle ne disposait ni des compétences et des formations et qu’elle était légitime à refuser de les exécuter.
Il est constant qu’avant le mois d’avril 2017, la salariée ne s’est jamais plainte d’avoir à réaliser des tâches inadaptées à ses compétences ou à sa formation. Ainsi Madame [P] indique dans un courriel du 30 août 2017 adressé à Monsieur [I] [K] « jusqu’au 12 avril 2017 il n’y a eu que de bons retours à mon sujet concernant mon travail, mon implication professionnelle ce qui a à plusieurs reprises été rappelé. Si j’avais refusé de faire une tâche qui m’incombe il est évident que Cour d’appel aurait été relevé avant le 12 avril 2017″.
Alors qu’elle va conserver son poste, dans le même service, avec les mêmes fonctions, la salariée va opposer des refus de tâches à son employeur à partir du moment où ses congés vont lui être refusés. L’employeur justifie que ces refus n’étaient pas fondés. La comparaison entre la fiche de poste du 2 septembre 2015 et les missions refusées par la salarié le 12 juillet et le 7 novembre 2017 permet de considérer que la salariée disposait des compétences et qu’elle avait été formée et disposait d’une expérience pour les exécuter. L’attestation de Monsieur [G] en atteste.
Le grief relatif à l’exécution de mauvaise foi par la salarié est démontré par l’attestation de M [G] le souligne clairement en indiquant : « je peux aussi attester que début mai 2017 j’ai sollicité [O] [P] dans le cadre d’un projet de développement de fichiers Excel (développement ‘) permettant de générer des étiquettes clients. [O] avait déjà travaillé avec ‘ , sur un développement similaire quelques mois avant (fichier Excel pour le suivi de relance clients). Début juillet lors d’un point téléphonique pour le projet, [O] me faisait part qu’elle ne poursuivrait pas le développement du projet, que ce n’était pas contre moi mais qu’elle ne souhaitait plus rendre service à l’entreprise car pour elle le développement ne faisait pas partie de ses attributions de gestionnaire de base de données’.
C’est enfin à juste titre que le conseil des prud’hommes relève dans sa décision que les mails produits démontrent l’agressivité et l’insolence de la salariée envers M. [K] son nouvel interlocuteur. La lecture des messages transmis le 28 août 2017 ou 9 et 16 novembre 2017 suffisent à le constater. Ces messages révèlent une attitude d’insubordination de la salariée et une exécution de mauvaise foi du contrat de travail qui a elles seules par leur répétition et leur caractère illégitime caractérisent la cause réelle et sérieuse du licenciement.
Sur la nullité du licenciement contemporain à une action en justice.
Pour pouvoir juger si un licenciement procède d’une atteinte à la liberté fondamentale d’agir en justice les juges qui sont saisies au fond doivent d’abord statuer sur les motifs du licenciement invoqué par l’employeur. Lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits.
Madame [P] fait valoir qu’elle a engagé une action devant le conseil des prud’hommes de Nanterre pour faire constater la situation de harcèlement moral dont elle a été victime l’absence de fourniture de travail depuis avril 2017, obtenir réparation de son préjudice moral et la mise en conformité sous astreinte de la fourniture de travail conforme à son contrat de travail. Elle justifie d’un avis adressé le 11 décembre 2017 à son avocat par le conseil des prud’hommes de Nanterre pour une audience fixée au 16 mai 2018. La date de saisine est du 6 octobre 2017. Elle transmet également une requête d’octobre 2017 non précisément datée et deux messages de son avocat des 11 et 18 septembre 2017 faisant état d’un contact entre les avocats de deux parties.
La société Sofirop soutient qu’à la date de transmission de la convocation à entretien préalable du 8 novembre 2017 elle n’était pas informée de l’action engagée.
Il est établi par les pièces versées aux débats par la salariée qu’ en septembre 2017, l’avocat de la salariée a tenté de joindre celui de l’employeur pour obtenir « une issue amiable ». Rien ne permet d’établir qu’il y soit parvenu et encore moins que l’employeur ou son avocat ait été avisé du dépôt de la requête et l’engagement d’une procédure devant le conseil de prud’hommes au mois d’octobre. Aucun élément ne démontre qu’avant de recevoir la convocation devant le bureau de conciliation qui lui a été adressée par le greffe du conseil des prud’hommes le 11 décembre 2017, l’employeur disposait de cette information. La salariée ne justifie pas non plus avoir informé son employeur de son intention de saisir la juridiction prud’homale.
C’est donc à juste titre le conseil de prud’hommes dans sa décision à considérer que le lien entre la procédure et le licenciement n’était pas établi par la salariée.
Sur la demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile
L’équité commande qu’il soit fait droit à la demande de la société de condamner Mme [P] à la somme de 3000 € au titre de l’article 700 cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Mme [P] à payer à la société Financière [K] la somme de :
– 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus des demandes ,
Condamne Mme [P] aux dépens.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Laurence SINQUIN, Président et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,