République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 28/09/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 22/02664 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UJ36
Jugement (N° 2018003724) rendu le 29 mars 2022 par le tribunal de commerce de Boulogne-sur- Mer
APPELANTE
SAS Brasserie [I], prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège
ayant son siège social, [Adresse 1]
représentée par Me Alex Dewattine, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué
INTIMÉS
Monsieur [F] [U]
né le 03 septembre 1990 à [Localité 8]
de nationalité française
demeurant [Adresse 4]
Société Les Autres Bières, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social, [Adresse 4]
représentés par Me Hadrien Debacker, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
Monsieur [B] [V]
né le 02 mars 1979 à [Localité 8]
de nationalité française
demeurant [Adresse 3]
défaillant à qui la déclaration d’appel et les conclusions ont été signifiées le 10 août 2022 (remise à l’étude)
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Samuel Vitse, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
DÉBATS à l’audience publique du 22 juin 2023, après rapport oral de l’affaire par Agnès Fallenot
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT RENDU PAR DEFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président, et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 8 juin 2023
Exposé du litige
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FAITS ET PROCEDURE
La société Brasserie [I], grossiste en bières, a embauché Monsieur [B] [V] en qualité de responsable informatique le 1er avril 2012, et Monsieur [F] [U] en qualité d’attaché commercial le 1er octobre 2012.
Le contrat de travail de Monsieur [V] a pris fin le 30 avril 2017 dans le cadre d’une rupture conventionnelle à la demande du salarié.
Le contrat de travail de Monsieur [U] a été rompu suite à la démission du salarié le 27 mai 2017.
Affirmant avoir constaté une chute de l’activité auprès de sa clientèle de commerces alimentaires-cavistes à compter du départ de Monsieur [U], clientèle dont ce dernier avait la charge, et avoir appris par l’un de ses distributeurs que la société Les Autres bières, dont Monsieur [U] était le président et l’associé unique, passait du commerce de détail à la distribution en gros, la société Brasserie [I] a mandaté un prestataire informatique, la société Proservia, puis Monsieur [NP] [S], lesquels ont mis en évidence que les courriels qui étaient adressés à l’ancienne adresse mail professionnelle de Monsieur [U] étaient redirigés vers une adresse « [Courriel 7] ». Une copie du disque dur de l’ordinateur portable utilisé par Monsieur [V] a été placée sous scellé au sein de l’étude de Maître [T] [WP], huissier de justice, qui a dressé constat de l’ensemble des opérations.
Par requête du 11 janvier 2018, la société Brasserie [I] a sollicité une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile auprès du président du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer.
Par ordonnance du 18 janvier 2018, il a été fait droit à sa demande, et, le 20 février 2018, ont été réalisés :
– un procès-verbal de constat par Maître [HI] [Y] au domicile de Monsieur [U] et de son épouse, Madame [M] [L], salariée de la société Sodiboissons, concurrente de la société Brasserie [I] ;
– un procès-verbal de constat par Maître [T] [WP] dans l’entrepôt de la société Les Autres bières situé [Adresse 2] à [Localité 5] ;
– un procès-verbal de constat par Maître [R] [E] au domicile de Monsieur [V].
En parallèle, des rapports techniques ont été établis par Monsieur [S].
Par actes d’huissier du 21 septembre 2018, la société Brasserie [I] a assigné la société Les Autres bières et Monsieur [U] devant le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer afin d’obtenir réparation des préjudices qu’elle estimait établis par ces mesures d’instruction.
Par acte d’huissier du 4 février 2019, la société Les Autres bières, Monsieur [U] et Monsieur [V] ont sollicité la rétractation de l’ordonnance sur requête du 18 janvier 2018, l’annulation des opérations de constats et des rapports d’expertises afférents, la restitution de l’ensemble des documents pris en originaux, ainsi que la destruction de leurs copies.
Par ordonnance du 30 juillet 2019, confirmée par arrêt en date du 28 mai 2020, ils ont été déboutés de leurs demandes. Leur pourvoi formé devant la Cour de cassation a été rejeté le 3 février 2022.
Par jugement rendu le 29 mars 2022, le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a statué en ces termes :
« DIT n’y avoir lieu à écarter les procès-verbaux de constat d’huissier du 20 février 2018 ainsi que les rapports d’expertise de Monsieur [S].
DEBOUTE la société LES AUTRES BIERES de sa demande de nomination d’un nouvel expert.
DIT que monsieur [F] [U] et la société LES AUTRES BIERES ont commis et profité d’actes fautifs de concurrence déloyale.
CONDAMNE solidairement la société LES AUTRES BIERES et Monsieur [U] à verser à la Brasserie [I] la somme de 150.000,00 euros de dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale et 10.000 € à titre de préjudice moral.
DEBOUTE la Brasserie [I] de sa demande d’indemnité résultant de man’uvres dilatoires.
DEBOUTE la société LES AUTRES BIERES de sa demande reconventionnelle.
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.
ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel et sans caution.
CONDAMNE solidairement la société LES AUTRES BIERES et Monsieur [U] à payer la somme de 7.500,00 euros au titre de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, liquidés concernant les frais de greffe à la somme de 94.34 euros TTC. ».
Par déclaration du 1er juin 2022, la société Brasserie [I] a relevé appel de cette décision, en intimant la société Les Autres bières, Monsieur [U] et Monsieur [V], en ces termes :
« -DEBOUTE la Brasserie [I] de sa demande d’indemnité résultant des man’uvres dilatoires ;
-DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes. Le jugement est ainsi critiqué en ce qu’il :
-N’a pas statué sur les demandes formulées à l’encontre de Monsieur [B] [V], alors que celui-ci était intervenu volontairement à l’instance et que les conclusions récapitulatives de la société BRASSERIE [I] sollicitaient sa condamnation solidaire ;
-Limité la condamnation solidaire de Monsieur [F] [U] et la société LES AUTRES BIERES à la somme forfaitaire de 150.000€, au titre du préjudice subi résultant de la concurrence déloyale ;
-Limité la condamnation solidaire de Monsieur [F] [U] et la société LES AUTRES BIERES à la somme de 10.000€ au titre du préjudice moral. Afin qu’il soit statué à nouveau :
-CONDAMNER solidairement la société LES AUTRES BIERES, Monsieur [F] [U] et [B] [V] en raison des actes de concurrence déloyale commis au préjudice de la société BRASSERIE [I] ;
-CONDAMNER solidairement la société LES AUTRES BIERES, Monsieur [F] [U] et [B] [V] en raison des man’uvres dilatoires commises au préjudice de la société BRASSERIE [I] ;
-CONDAMNER solidairement la société LES AUTRES BIERES, Monsieur [F] [U] et [B] [V] à verser à la société BRASSERIE [I] les sommes suivantes :
o Pour la période allant du 15 mai 2017 au 31 décembre 2017 : 446.478,53 euros, avec intérêts ;
o Pour la période allant du 1er janvier au 18 février 2018 : 89.261,19 euros, avec intérêts
o Pour la période allant du 19 février 2018 au 14 mai 2019 : 798.250,02 euros, avec intérêts ;
o 300.000 euros à titre de préjudice moral ;
o 80.000€ au titre du préjudice résultant des man’uvres dilatoires ;
-CONDAMNER solidairement la société LES AUTRES BIERES, Monsieur [F] [U] et [B] [V] au paiement d’une somme de 25.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER solidairement la société LES AUTRES BIERES, Monsieur [F] [U] et [B] [V] aux entiers dépens. ».
Moyens
Motivation
SUR CE
A titre préliminaire, il convient de souligner qu’il n’y a lieu ni de reprendre ni d’écarter dans le dispositif du présent arrêt les chefs de demandes figurant dans les dispositifs des écritures des parties qui portent sur des moyens ou des éléments de fait relevant des motifs et non des chefs du présent arrêt devant figurer dans sa partie exécutoire.
I – Sur les demandes concernant Monsieur [V]
La société Brasserie [I] reproche aux premiers juges de ne pas avoir statué sur ses demandes à l’égard de Monsieur [V], faisant valoir que ce dernier a été intervenant ‘dans l’ensemble des procédures diligentées’ et qu’elle a ‘toujours présenté des demandes à son encontre dans le dispositif de ses conclusions’.
Monsieur [U] et la société Les Autres bières répliquent que Monsieur [V] avait été mentionné par erreur en tant qu’intervenant volontaire dans leurs écritures de première instance, ce qu’ils ont expliqué lors de l’audience tenue le 19 janvier 2021, sans que la société Brasserie [I] n’émette de protestation.
Aucune note d’audience, signée par le greffier et le président de la composition, n’a été rédigée. La mention, au demeurant confuse, portée par une main inconnue, sans date ni signature, sur le rôle de ladite audience, ne peut se voir reconnaître de véritable valeur probante.
Il reste que le jugement querellé est motivé de la manière suivante :
‘Nonobstant la mention portée au précédent jugement du 25 septembre 2020 sur ce point, le Tribunal a relevé que dans les écritures des demandeur et défendeurs, il est fait état de monsieur [B] [V] en qualité de défendeur alors que l’assignation introductive d’instance n’a été délivrée qu’à la société LES AUTRES BIERES et à monsieur [F] [U].
Que maître [P] [C], sur interrogation orale du Tribunal à l’audience, a confirmé qu’il s’agissait bien d’une erreur de plume, et qu’il n’intervenait pas pour monsieur [B] [V] celui-ci n’intervenant pas non plus volontairement à la procédure.
Que le conseil de la société Brasserie [I] a confirmé également que c’est en raison d’une erreur de plume qu’il avait repris monsieur [V] en tant que défendeur dans ses conclusions de sorte qu’il apparaît inutile à la juridiction de prendre en compte ni de qualifier les éléments factuels reprochés à monsieur [V] tels la présence à son domicile dans son ordinateur de nombreux documents d’ordre administratif, financier ou juridique appartenant à la brasserie [I] qui demeurent sans rapport avec l’action en concurrence déloyale dirigée contre LES AUTRE BIERES et monsieur [U].’
Aux termes de l’article 457 du code de procédure civile, le jugement a la force probante d’un acte authentique, sous réserve des dispositions de l’article 459. Il en résulte que les mentions qui y figurent font foi jusqu’à inscription de faux.
Ne s’étant pas inscrit en faux contre ces constatations, ne serait-ce qu’à titre incident dans le cadre de la présente procédure, la société Brasserie [I] ne peut valablement prétendre et tenter de prouver en cause d’appel que les conseils des parties n’ont pas tenu les propos rapportés, ce qu’elle ne fait d’ailleurs pas, se contentant d’arguments totalement inopérants.
Il en résulte que Monsieur [V], qu’elle n’a pas jugé utile d’assigner, n’a pas été partie à la procédure de première instance et ne pouvait être intimé à hauteur d’appel.
Il doit donc être mis hors de cause, et les demandes de la société Brasserie [I] à son encontre déclarées irrecevables.
II – Sur la validité des constats d’huissier et des rapports techniques
1) Sur l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt d’appel en date du 28 mai 2019
Aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ses prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé. Les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Aux termes de l’article 125 du code de procédure civile, les fins de non-recevoir doivent être relevées d’office lorsqu’elles ont un caractère d’ordre public, notamment lorsqu’elles résultent de l’inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées les voies de recours ou de l’absence d’ouverture d’une voie de recours.
Le juge peut relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.
La société Brasserie [I] reproche à la société Les Autres bières et Monsieur [U] de persister à solliciter l’annulation des procès-verbaux de constat établis par Maîtres [WP], [Y] et [E] le 20 février 2018, ainsi que les rapports d’expertise afférents établis par Monsieur [S], en soutenant que cette demande avait été formulée dans le cadre du référé-rétractation et qu’elle est donc irrecevable en raison de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt d’appel en date du 28 mai 2019, sans cependant formuler aucune prétention en ce sens dans le dispositif de ses écritures, qui seul saisit la cour.
Cette dernière n’ayant pas à examiner d’office ce moyen, il ne sera pas répondu à l’argumentaire de la société appelante sur ce point.
2) Sur les griefs formulés à l’encontre des huissiers de justice et de l’expert informatique
Aux termes de l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
Aux termes de l’article 1 bis A de l’ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, en vigueur à la date des faits, devenu l’article 8 de l’ordonnance n°2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice, les huissiers de justice ne peuvent, à peine de nullité, instrumenter à l’égard de leurs parents et alliés et de ceux de leur conjoint en ligne directe ni à l’égard de leurs parents et alliés collatéraux jusqu’au sixième degré.
Aux termes de l’article 117 du code de procédure civile, constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte :
Le défaut de capacité d’ester en justice ;
Le défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès comme représentant soit d’une personne morale, soit d’une personne atteinte d’une incapacité d’exercice ;
Le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice.
Aux termes de l’article 237 du code de procédure civile, le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité.
Par un arrêt rendu le 1er juin 2016 (1re Civ., 1er juin 2016, pourvoi n°15-11.417), la Cour de cassation a, en vertu des dispositions combinées de l’article 1 bis A de l’ordonnance de 1945 et de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, jugé que l’huissier de justice est tenu, lorsqu’il agit en tant qu’officier public délégataire de l’État dans l’exercice de sa mission d’auxiliaire de justice, d’une obligation statutaire d’impartialité et d’indépendance.
En outre, par un autre arrêt rendu le 25 janvier 2017 (1re Civ., 25 janvier 2017, pourvoi n°15-25.210), la Cour de cassation a également rappelé que le droit à un procès équitable commande que la personne qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante.
L’exigence d’un procès équitable impose en effet, non seulement au juge, mais également à tous les auxiliaires de justice, d’être indépendants et impartiaux, cette exigence devant s’interpréter objectivement.
Or il est versé aux débats :
– un procès-verbal de constat ‘des opérations de Monsieur [NP] [S]’ dressé les 16 et 17 août 2017 par Maître [WP] à la requête de la société Brasserie [I] ;
– un ‘rapport technique, projet V2.0’ en date du 6 septembre 2017 réalisé par Monsieur [NP] [S] à la demande de la société Brasserie [I], afin de lui ‘apporter tout éclairage technique s’agissant de redirections de messagerie à propos desquelles elle m’affirme avoir été l’objet’ (sic) ;
– un ‘rapport technique’ en date du 10 avril 2019 réalisé par Monsieur [NP] [S] à la demande de la société Brasserie [I], aux fins de ‘apporter toute remarque technique ou factuelle relativement à l’assignation en référé rétractation du conseil de la société LES AUTRES BIERES, Maître [C], et les rapports techniques de Monsieur [O] [H]’.
La circonstance que Maître [WP] et Monsieur [S] soient intervenus antérieurement à la demande de mesures d’instruction in futurum, pour le compte de la société appelante, et ce dans la même affaire, sur laquelle ils ne pouvaient donc plus porter un regard neutre, ainsi que l’intervention postérieure de Monsieur [S] en faveur de la société Brasserie [I], alors partie dans le cadre de l’instance en référé-rétractation, établissent que ces auxiliaires de justice entretenaient avec elle une relation d’intérêts privés, de nature à faire naître un doute raisonnable et objectivement justifié sur leur impartialité et leur indépendance.
Ces circonstances constituent un vice de fond affectant la validité de leurs constatations.
Il en résulte que le procès-verbal de constat dressé le 20 février 2018 par Maître [WP] et les rapports techniques de Monsieur [S], correspondant aux pièces de la société Brasserie [I] n°17 bis, 18 bis et 19 doivent être annulés.
En revanche, les allégations des intimés selon lesquelles Maître [MC] n’aurait pas respecté le strict périmètre de l’ordonnance sont manifestement dénuées de fondement, l’huissier s’étant contenté de remettre au technicien informatique ‘un ancien ordinateur portable de Madame [U]’ afin qu’il procède ‘dans le respect strict des termes de l’ordonnance aux investigations sur cet ordinateur’, les reproches formulés tenant en réalité à la manière dont les données présentes sur cet ordinateur ont été exploitées par Monsieur [S] dont les rapports ont été annulés.
Dès lors, et en l’absence de critique formée contre le procès-verbal de constat de Maître [E], il convient de débouter la société Les Autres bières et Monsieur [U] de leur demande visant à faire écarter des débats les pièces de la société Brasserie [I] numéros 17 et 18 correspondant aux procès-verbaux de constats établis par ces huissiers.
III – Sur les demandes indemnitaires de la société Brasserie [I]
Aux termes des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
L’action en concurrence déloyale constitue une action en responsabilité civile, qui implique non seulement l’existence d’une faute commise par le défendeur mais aussi celle d’un préjudice souffert par le demandeur. Il appartient à celui qui s’en prévaut d’en apporter la preuve.
Or la société Brasserie [I] échoue à mettre en évidence les actes de concurrence déloyale qu’elle impute à Monsieur [U] et à la société Les Autres bières.
Il sera rappelé que rien n’interdisait à Monsieur [U] de développer l’activité de la société Les Autres bières, étant rappelé que la libre recherche de clientèle est de l’essence du commerce, et qu’un salarié libre de tout engagement de non-concurrence peut démarcher la clientèle de son ancien employeur dès lors qu’il respecte les usages loyaux du commerce.
De même, le fait pour une clientèle de suivre spontanément un salarié qui démissionne n’est pas, en l’absence de toute man’uvre, constitutif d’un détournement de clientèle.
A cet égard, il ne peut être tiré aucune conclusion du courriel adressé le 20 juillet 2017 par Monsieur [G] à la société Brasserie [I], selon lequel : ‘nos commandes destinées à notre magasin spécialisé La Cave des Brasseurs ont effectivement basculées depuis environ 2 mois sur la société Les Autres Bières, représentée par Mr [U], ce dernier nous ayant précisé que cette nouvelle structure commerciale étaient destinée à mieux approvisionner les activités cavistes’, les termes employés ne permettant pas d’établir que Monsieur [U] a tenté de faire croire à l’existence d’un rapport ‘structurel ou capitaliste’ entre la société Les Autres bières et la société Brasserie [I]. D’ailleurs, Monsieur [G] lui-même, dans une attestation ultérieure remise aux intimés, a contesté cette interprétation faite de ses propos par la société Brasserie [I], indiquant : ‘Monsieur [U] a bien expliqué qu’il créé personnellement une nouvelle entreprise, ciblant particulièrement l’activité des cavistes’.
De même, aucune pièce objective ne vient corroborer l’attestation de Monsieur [EH] [Z] selon laquelle ‘Mr [U] a fait envoyer un courrier aux supermarchés de la région en attestant que la société les autres bières se supplantait à la société [I] pour la distribution des produits’, ‘a eu connaissance d’informations confidentielles qu’il n’a pu obtenir en ayant une vue sur les correspondances électroniques de Mr [J] [I]’ et ‘se servait des moyens mis en place par ses employeurs la Brasserie [I] pour servir les intérêts de sa propre société les autres bières, véhicules, ordinateurs, tarifs…’ dont la force probante est particulièrement limitée s’agissant de simples affirmations, générales, dont il est peu vraisemblable qu’un simple fournisseur de la société appelante ait pu avoir connaissance.
Les autres témoignages versés ne démontrent pas davantage la réalité des actes de concurrence déloyale reprochés aux intimés.
En revanche, les attestations de Messieurs [KO] [K] et [TE] [N] et de Madame [TJ] [W] démontrent qu’informés du départ de Monsieur [U] de la société Brasserie [I], ils ont spontanément souhaité travailler avec lui.
Il doit par ailleurs être constaté que les pièces produites par les intimés confortent leur explication selon laquelle la règle de redirection des courriels adressés à l’adresse professionnelle de Monsieur [U] vers l’adresse ‘[Courriel 7]’ avait été créée pour pallier des problèmes de consultation et de synchronisation de sa messagerie professionnelle sur son smartphone, le fait que deux autres salariés de la société appelante attestent ne jamais avoir rencontré de difficulté de réception de leurs courriels sur leurs téléphones portables professionnels étant sans conséquence, le problème évoqué portant sur la synchronisation et la consultation, non sur la réception, aucun élément ne permettant en tout état de cause de vérifier que les équipements dont ils disposaient étaient identiques à ceux de Monsieur [U].
Dans ce contexte, la date de création de cette règle de redirection, à propos de laquelle les parties versent aux débats les avis divergents de leurs techniciens privés, Monsieur [S] pour la société Brasserie [I], Monsieur [O] pour Monsieur [U] et la société Les Autres bières, fût-elle proche ou concomitante à la lettre de démission de Monsieur [U], est indifférente, et ne peut établir la réalité d’un détournement de données confidentielles.
Par ailleurs, si les intimés admettent dans leurs écritures qu’ont été retrouvées en leur possession les conditions générales et les grilles tarifaires de la société Brasserie [I], ils établissent que ces documents n’ont pas été ouverts, accréditant leur explication selon laquelle ces documents résultent d’une sauvegarde demandée à Monsieur [V] par son employeur.
Une mesure d’instruction ne pouvant être ordonnée en vue de suppléer la carence d’une partie dans l’administration de la preuve, aux termes de l’article 146 du code de procédure civile, la société Brasserie [I] sera déboutée de sa demande d’expertise, présentée subsidiairement.
Elle sera, au regard de son échec probatoire, tout autant déboutée de sa demande de ‘destruction de l’ensemble des données et documents détenus par Monsieur [B] [V], [F] [U] et la SAS LES AUTRES BIERES, en présence d’un Commissaire de justice, dès le prononcé de la décision à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard’, ainsi que de ses demandes indemnitaires.
La décision entreprise sera donc infirmée en ce qu’elle a :
-dit que Monsieur [F] [U] et la société Les Autres bières ont commis et profité d’actes fautifs de concurrence déloyale ;
-condamné solidairement la société Les Autres bières et Monsieur [U] à verser à la société Brasserie [I] la somme de 150 000 euros de dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale et 10 000 euros à titre de préjudice moral ;
et confirmée en ce qu’elle a :
– débouté la société Brasserie [I] de sa demande d’indemnité résultant de man’uvres dilatoires.
IV – Sur la demande de dommages et intérêts présentée par la société Les Autres bières
Aux termes des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Les agissements fautifs de la société Brasserie [I] au préjudice de la société Les Autres bières sont insuffisamment démontrés par les pièces versées aux débats, étant rappelé les principes de liberté du commerce et de libre démarchage de la clientèle dont l’intimée s’est elle-même prévalue.
Les actes de dénigrement allégués ne sont pas non plus suffisamment prouvés par le seul contenu de l’audition de Monsieur [NV] [A], ancien directeur commercial de la société Brasserie [I], devant le juge d’instruction, en l’absence de tout autre élément objectif corroborant ses déclarations.
La décision entreprise sera donc confirmée en ce qu’elle a débouté la société Les Autres bières de sa demande de dommages et intérêts.
V – Sur les demandes accessoires
1) Sur les dépens
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
L’issue du litige justifie de condamner la société Brasserie [I] aux dépens d’appel et de première instance. La décision entreprise sera réformée de ce chef.
2) Sur les frais irrépétibles
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
La décision entreprise sera infirmée du chef des frais irrépétibles de première instance.
La société Brasserie [I] sera condamnée à payer à la société Les Autres bières la somme de 10 000 euros au titre de ses frais irrépétible, et déboutée de sa propre demande de ce chef.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare irrecevables les demandes formées à l’encontre de Monsieur [B] [V] par la société Brasserie [I] ;
Confirme le jugement rendu le 29 mars 2022 par le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer en ce qu’il a :
– dit n’y avoir lieu à écarter les procès-verbaux de constat d’huissier établis par Maître [Y] et Maître [E] ;
– débouté la société Brasserie [I] de sa demande d’indemnité résultant de man’uvres dilatoires ;
– débouté la société Les Autres bières de sa demande de dommages et intérêts ;
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau, et y ajoutant,
Annule le procès-verbal de constat dressé le 20 février 2018 par Maître [WP] et les rapports techniques de Monsieur [S], correspondant aux pièces de la société Brasserie [I] n°17 bis, 18 bis et 19 ;
Déboute Monsieur [U] et la société Les Autres bières du surplus de leur demande d’annulation ;
Déboute la société Brasserie [I] de sa demande de condamnation solidaire de Monsieur [U] et de la société Les Autres bières à lui payer les sommes de :
– 1 842 834 euros de dommages et intérêts au titre des actes de concurrence déloyale ;
– 300 000 euros à titre de préjudice moral ;
Déboute la société Brasserie [I] de sa demande d’expertise ;
Condamne la société Brasserie [I] à payer à la société Les Autres bières la somme de 10 000 euros au titre de ses frais irrépétibles ;
Déboute la société Brasserie [I] de sa propre demande au titre de ses frais irrépétibles ;
Condamne la société Brasserie [I] aux dépens d’appel et de première instance.
Le greffier
Marlène Tocco
Le président
Samuel Vitse