Décision du 24 novembre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/00658

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ARRÊT DU

24 Novembre 2023

N° 1644/23

N° RG 22/00658 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UIBW

MLBR/SL*PB

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE

en date du

25 Mars 2022

(RG 16/00898 -section )

GROSSE :

Aux avocats

le 24 Novembre 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANTE :

SASU TEL AND COM

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Virginie LEVASSEUR, avocat au barrreau de DOUAI, assistée par Me Pascal GASTEBOIS, avocat au barreau de PARIS,

INTIMÉ :

M. [E] [W]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Samuel VANACKER, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Valérie DOIZE

DÉBATS : à l’audience publique du 27 juin 2023

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Novembre 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 27 juin 2023

Exposé du litige

EXPOSÉ DU LITIGE’:

La SAS Tel and Com, filiale de la société Squadra, exerçait notamment une activité de vente de téléphones mobiles et de distribution de contrats d’abonnement en téléphonie mobile pour le compte des opérateurs Orange et Bouygues Telecom, principalement dans des boutiques situées en centre-ville et dans les galeries marchandes des centres commerciaux.

Elle formait, avec la société Squadra et la société L’Enfant d’Aujourd’hui, l’unité économique et sociale (UES) Tel and Com, la société Squadra étant elle-même détenue à 100 % par la société holding Sarto Finances, détenue par M. [H].

Courant 2012, suite notamment à l’arrivée d’un quatrième opérateur de téléphonie mobile sur le marché, l’intensité concurrentielle s’est accrue entre les différents opérateurs et a eu des répercussions sur le secteur de la distribution indépendante de services et produits de téléphonie mobile, des opérateurs se désengageant de leurs relations commerciales avec les distributeurs indépendants.

C’est dans ce contexte concurrentiel, les opérateurs Orange et Bouygues Telecom ayant résilié leur contrat de distribution avec la société Tel and Com, que cette dernière, qui disposait alors de 125 magasins situés sur l’ensemble du territoire français et comprenait 755 salariés répartis entre les magasins et le siège, a décidé au cours de l’année 2015 de mettre un terme à son activité de distribution de téléphonie mobile, accessoires et offre d’accès internet en fermant l’ensemble de ses points de vente en France.

L’UES Tel and Com a alors présenté aux représentants du personnel un plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE) prévoyant la suppression de la quasi-totalité de son effectif soit’:

*716 emplois au sein de la société Tel and Com,

*3 emplois au sein de la société L’enfant d’aujourd’hui,

*1 emploi au sein de la société Squadra.

Suite à l’échec des négociations en vue de l’élaboration d’un accord majoritaire sur le projet de PSE, la direction a procédé à l’élaboration d’un document unilatéral fixant le contenu d’un plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE 1).

Suite à l’homologation du plan le 18 mai 2015 par la DIRECCTE, la société Tel and Com a déclenché les procédures de licenciement des salariés concernés.

Par jugement du 14 octobre 2015, le tribunal administratif de Lille a toutefois annulé la décision d’homologation en raison de l’insuffisance des mesures du PSE 1, jugement qui sera par la suite confirmé par la cour administrative d’appel de Douai dans un arrêt du 11 février 2016.

Un nouveau plan de sauvegarde pour l’emploi a alors été élaboré et soumis à la DIRECCTE qui par décision du 3 février 2016, l’a homologué (PSE 2).

A l’exception de quelques ruptures conventionnelles antérieures, l’ensemble des contrats des salariés de l’UES Tel and Com a été rompu dans le cadre de ces deux PSE successifs.

S’agissant du PSE 2, le tribunal administratif de Lille a validé la décision d’homologation, jugement qui a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d’appel de Douai rendu le 17 novembre 2016.

Les deux décisions de la cour administrative d’appel de Douai ont fait l’objet de pourvoi devant le Conseil d’État qui par 2 arrêts rendus le 7 février 2018 les a annulées puis réglant l’affaire au fond, a :

– par un premier arrêt du 24 octobre 2018, rejeté la requête présentée par la société Tel and Com devant la cour administrative d’appel pour contester le jugement du tribunal administratif en date du 14 octobre 2015 relativement au PSE 1,

– par un second arrêt du même jour, annulé le jugement du tribunal administratif rendu le 29 juin 2016 ainsi que la décision d’homologation de la DIRECCTE du 3 février 2016 concernant le PSE 2, en raison de l’omission faite par l’administration dans l’appréciation des moyens financiers dont disposait la société Sarto Finances, cette omission entachant d’illégalité la décision d’homologation.

En parallèle à ces contentieux administratifs, de nombreux salariés ont saisi les juridictions prud’homales afin de contester leur licenciement et obtenir diverses indemnités en lien avec l’exécution et la rupture de leur contrat de travail.

C’est notamment le cas de M. [E] [W] qui occupait en dernier lieu les fonctions de directeur régional. La société Tel and Com lui a notifié son licenciement dans le cadre du PSE 1. M. [E] [W] ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, la rupture de son contrat de travail est intervenue le 15 juillet 2015.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Lille par requête en date du 10 juin 2016.

Par jugement du 25 mars 2022, le conseil de prud’hommes de Lille a’:

– révoqué le sursis à statuer prononcé le 2 avril 2021,

– constaté la nullité du PSE dont M. [E] [W] a bénéficié sur le fondement de l’article L. 1235-16 du code du travail,

– condamné la société Tel and Com à payer à M. [E] [W], sur la base d’un salaire moyen de référence des six derniers mois de 3190’euros, les sommes suivantes’:

*19140 euros à titre de dommages-intérêts,

*9570 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 957’euros au titre des congés payés y afférents,

– débouté M. [E] [W] de sa demande de dommages-intérêts pour inobservation du forfait jours et pour travail dissimulé,

– débouté M. [E] [W] de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de résultat en matière de santé et sécurité,

– débouté M. [E] [W] de sa demande de paiement de jours RTT,

– débouté M. [E] [W] de sa demande de rappel d’indemnité de licenciement et de congés payés,

– condamné la société Tel and Com à payer M. [E] [W] la somme de 1000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé à chacune des parties la charge de ses dépens,

– ordonné l’exécution provisoire de droit et rejeté la demande d’exécution provisoire sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile,

– débouté les parties de toutes les autres demandes différentes, plus amples ou contraires au dispositif.

Par déclaration reçue au greffe le 28 avril 2022, la société Tel and Com a relevé appel de ce jugement.

Moyens

Motivation

MOTIFS DE LA DÉCISION’:

– sur la révocation du sursis à statuer :

Il est constant que dans le cadre de la présente affaire, le conseil de prud’hommes, par un premier jugement du 2 avril 2021, a ordonné d’office qu’il soit sursis à statuer ‘jusqu’à la décision administrative définitive concernant le périmètre et les autres questions relatives à la validité du PSE’.

La société Tel and Com fait grief aux premiers juges d’avoir fait droit à la demande de révocation de ce sursis à statuer formulée par le salarié alors que celle-ci, qui ne tendait qu’à critiquer le bien fondé de la décision initiale de sursis, relevait de la voie de l’appel et non, en l’absence d’élément nouveau, de la procédure de révocation.

Selon l’article 379 du code de procédure civile, le sursis à statuer ne dessaisit pas le juge qui peut, ‘selon les circonstances, révoquer le sursis ou en abréger le délai’.

Aussi, en constatant après avoir entendu les parties à ce sujet que les arrêts définitifs du Conseil d’Etat du 24 octobre 2018 avaient purgé tous les litiges administratifs concernant notamment le périmètre et les autres questions relatives à la validité du PSE, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par la société Tel and Com, les premiers juges, dans le strict respect des motifs du sursis ordonné, ont justifié de circonstances suffisantes pour le révoquer dans la mesure où celui-ci n’avait pas lieu d’être au jour où ils ont statué, aucun événement n’étant susceptible de survenir.

Il est peu important que le salarié ait préféré opter pour la procédure de révocation plutôt que celle de l’appel, ce que les textes ne prohibent pas, dès lors que les circonstances de l’affaire, même liées à des faits anciens, font manifestement apparaître que la mesure de sursis à statuer est sans objet et qu’il n’y a plus d’obstacle à ce qu’il soit statué sur le fond du litige.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a révoqué le sursis à statuer.

– sur la validité de la clause de forfait-jours

Le salarié fait grief à son employeur de ne pas avoir respecté les dispositions relatives au forfait jours. En particulier, il soutient qu’il n’avait pas connaissance de l’accord sur le fondement duquel le forfait jour lui était appliqué, que la direction n’organisait aucun suivi, ni entretien concernant l’application du forfait jour et sa charge de travail, que ses jours de repos ne suffisaient pas à compenser l’amplitude horaire excessive de ses journées, 6 jours sur 7 et parfois même le dimanche résultant des sujétions qui lui étaient imposées à travers notamment les systèmes de communication en ligne et que son employeur a ainsi manqué à son obligation de sécurité en matière de contrôle de la durée du travail.

En réplique, la société Tel and Com fait valoir que le contrat indique expressément que l’accord d’entreprise sur la rédaction et l’aménagement du temps du travail est mis à la disposition du salarié, qu’une note explicative lui est remise sur les modalités de décompte du temps de travail et qu’il comporte une clause individuelle de forfait jour dont le principe a été accepté sans réserve par le salarié. Elle soutient également qu’elle organisait des entretiens annuels au cours desquels le salarié n’a jamais contesté les modalités de décompte de son temps de travail et n’a jamais émis la moindre critique sur sa charge de travail. Enfin, elle souligne que l’intimé n’établit aucune insuffisance manifeste de sa rémunération au regard de la réalité de son travail et qu’en tout état de cause, le salarié n’allègue pas ni a fortiori ne démontre l’existence d’un préjudice spécifique.

Sur ce,

En premier lieu, il convient de relever que contrairement à ce qu’affirme le salarié, les éléments contractuels qu’il produit lui-même comporte effectivement une clause individuelle de forfait jour, assise sur les dispositions de l’accord sur la réduction et l’aménagement du temps de travail de l’UES Tel and Com conclu le 31 janvier 2000 et ses avenants. Cette clause prévoit notamment au titre des modalités de mise en ‘uvre une base de référence de 218 jours, sur la période annuelle du 1er juin au 31 mai, avec 25 jours de congés payés.

En second lieu, quelle que soit la date et les modalités d’application de la convention individuelle de forfait jours définies par les parties, l’employeur doit veiller dans le cadre de son obligation légale de sécurité au caractère raisonnable de la charge de travail de son salarié et de l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale de celui-ci ainsi qu’au respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire, la société Tel and Com rappelant elle-même dans ses conclusions que le salarié demeurait soumis dans le cadre du forfait jours, à un repos minimum quotidien de 11 heures consécutives ainsi qu’au repos hebdomadaire.

Or, en l’espèce, la société Tel and Com ne justifie pas avoir assuré ce suivi, ce distinctement de l’entretien d’évaluation professionnelle, étant observé que le seul exemple d’entretien produit ne porte pas sur la charge et la répartition du travail et ne permet donc pas de démontrer qu’elle a effectivement organisé l’entretien ad hoc. En outre, si elle a procédé sur les bulletins de paie à un décompte mensuel et annuel des journées travaillées, avec leur date et le solde de RTT restant à prendre, elle ne précise pas de quelle manière elle a pu s’assurer de la compatibilité de la charge de travail du salarié avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire. Il est par ailleurs indifférent qu’elle n’ait pas été alertée sur le caractère excessif de la charge de travail puisqu’il lui incombait de procéder elle-même aux vérifications.

Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que la clause litigieuse est privée d’effet et que le salarié est en droit de réclamer l’application des dispositions légales et conventionnelles en matière de temps de travail.

Le salarié ne sollicite pas en l’espèce le paiement d’heures supplémentaires mais le versement de dommages et intérêts.

Il ressort des pièces produites par le salarié qu’il a assez régulièrement travaillé très tôt le matin, avant 8h00, et très tard le soir, au delà de 21h00, voir parfois après minuit, ainsi que ponctuellement le dimanche.

Il est également acquis aux débats que le salarié était connecté à la liste de discussion WhatsApp entre les cadres de l’entreprise et à l’application Instaply destinée à recevoir et répondre même en dehors des heures d’ouverture des magasins aux interrogations des clients en cas de réaction tardive des salariés des magasins situés dans son secteur. A supposer même comme le prétend l’employeur que le salarié n’avait pas l’obligation de répondre immédiatement aux diverses sollicitations reçues à travers ces systèmes de communication, la prise de connaissance de ces messages directement sur son téléphone parfois tard le soir est malgré tout de nature à empêcher une déconnexion totale pendant son temps de repos quotidien.

Au regard de ces éléments qui tendent à établir un non-respect des temps de repos obligatoires, il résulte de ce qui précède que la société Tel and Com, à qui incombe la preuve contraire, ne justifie pas des mesures prises pour garantir, à travers un suivi de la charge de travail et de la bonne répartition du temps de travail, un strict respect des dispositions légales concernant les temps de repos quotidien et hebdomadaire de son salarié. Elle ne démontre d’ailleurs pas non plus que ceux-ci ont été parfaitement respectés.

Par conséquent, la société Tel and Com sera condamnée à payer à M. [E] [W] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui est nécessairement résulté du non-respect de son droit au repos dans le cadre du système de forfait jours illicite auquel il a été soumis.

– sur la demande d’indemnité pour travail dissimulé

L’article L.8221-5 du code du travail prévoit qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche,

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie,

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Toutefois, le caractère intentionnel du travail dissimulé ne peut se déduire de la seule application d’une convention de forfait illicite.

En l’espèce, bien que le système de forfait en jours appliqué par l’employeur ait été jugé irrégulier, aucun élément ne permet d’établir que M. [E] [W] a réalisé comme il le prétend sans toutefois en préciser le nombre, ni apporter d’élément précis pour étayer ses dires, des heures de travail au delà de celles que son employeur a déclarées de manière forfaitaire sur ses bulletins de salaire, étant observé qu’il ne réclame d’ailleurs pas le paiement d’heures supplémentaires qui n’auraient pas été compensées par des jours de repos et de RTT, et qu’il n’est pas prétendu, ni justifié par le salarié que la société Tel and Com aurait sciemment ignoré une éventuelle réclamation de sa part sur la durée de travail au cours de l’exécution du contrat.

La sous-évaluation intentionnelle des bulletins de salaire n’étant ainsi pas caractérisée, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

– sur le non-respect de la visite médicale d’embauche et périodique

Si les éléments produits par l’employeur ne permettent pas de s’assurer du parfait respect de ses obligations en matière de visite médicale à l’embauche ou au cours de la relation de travail, le salarié ne démontre pas l’existence d’un préjudice en lien avec un tel manquement, de sorte qu’il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de sa demande en dommages et intérêts de ce chef.

– sur le paiement des jours de RTT

S’il appert qu’à compter du 1er juin 2015, le salarié disposait au sein de l’entreprise de 13 jours de récupération du temps de travail, ce nombre de jours doit être proratisé en fonction du temps de présence du salarié. Ainsi, force est de constater au vu des bulletins de salaire produits que le salarié a été correctement rempli de ses droits par le versement d’une indemnité calculée à juste titre au jour de son départ de l’entreprise. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point et le salarié débouté de sa demande.

– sur le reliquat de l’indemnité de licenciement

Il résulte de l’article R.1234-4 du code du travail que le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l’ensemble des mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n’est prise en compte que dans la limite d’un montant calculé à due proportion.

Dès lors, c’est à raison que le salarié se prévaut d’un salaire de référence basé sur ses douze derniers mois d’activité, celui-ci étant plus avantageux que celui calculé par l’employeur sur les trois derniers salaires perçus.

Par conséquent, déduction faite des indemnités déjà perçues, la société Tel and Com sera condamnée à payer à M. [E] [W] la somme de 163,91’euros à titre de reliquat d’indemnité de licenciement’; le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

– sur le licenciement :

Dans le cadre de son appel incident, le salarié se limite à contester le montant de l’indemnité qui lui a été allouée sur le fondement de l’article L. 1235-16 du code du travail. En revanche, il ne discute pas les dispositions du jugement écartant l’application de l’article L. 1235-11 du même code sur lequel il se fondait initialement, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner les moyens et arguments développés par la société Tel and Com sur ce dernier point.

*sur l’application de l’article L. 1235-16 du code du travail :

La société Tel and Com fait grief au jugement d’avoir déclaré le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse et accueilli en partie les demandes financières subséquentes de celui-ci, en faisant application de l’article L. 1235-16 du code du travail.

Aux termes du dispositif de ses conclusions, elle soulève à titre principal l’irrecevabilité desdites demandes en raison de leur prescription, en faisant valoir qu’il s’agit de demandes formulées après le prononcé des arrêts du Conseil d’Etat, soit plus de 12 mois après la notification du licenciement de l’intéressé.

A titre subsidiaire, la société Tel and Com demande d’écarter l’application de l’article L. 1235-16 du code du travail en raison de son inconventionnalité in abstracto et in concreto, soutenant qu’il viole l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT, l’article 24 de la Charte Sociale Européenne, l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et le protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.

Rappelant qu’en l’espèce l’annulation de l’homologation du PSE résulte d’une erreur de droit de l’administration et non de sa faute, elle fait valoir en substance que :

– l’article L. 1235-16 conduit à la condamnation forfaitaire et automatique de l’employeur et à sa responsabilité de plein droit, sans rechercher s’il a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité et si le salarié justifie d’un quelconque préjudice, ce qui serait selon elle contraire au principe de responsabilité civile, ainsi qu’à l’exigence d’une ‘indemnisation adéquate’ posée par la Charte sociale européenne et la Convention n°158 de l’OIT, soulignant également qu’en l’espèce, une telle réparation serait disproportionnée, le salarié n’établissant pas par les pièces produites la réalité d’un préjudice équivalent à au moins 6 mois de salaire,

– par son caractère forfaitaire et la fixation d’un plancher indemnitaire, il porte une atteinte disproportionnée à son patrimoine non justifiée par la défense de l’intérêt général, et ce d’autant plus que le salarié ne démontre pas l’existence de son préjudice et qu’elle doit pour sa part faire face aux demandes similaires de nombreux salariés,

– l’automaticité de sa condamnation, alors que l’erreur est imputable à l’administration, et l’existence d’un plancher indemnitaire sont contraires au droit à un procès équitable et plus précisément au droit de se défendre pleinement, l’employeur devant répondre des carences de l’administration qui n’est pas partie à l’instance prud’homale et dont la responsabilité ne peut être actionnée que dans des conditions particulièrement strictes, ce qui crée un déséquilibre défavorable à l’employeur.

Sur ce,

L’article L.1235-16 dans sa version applicable à l’espèce dispose que l’annulation de la décision de validation mentionnée à l’article L. 1233-57-2 ou d’homologation mentionnée à l’article L. 1233-57-3 pour un motif autre que celui mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 1235-10 donne lieu, sous réserve de l’accord des parties, à la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. A défaut, le salarié a droit à une indemnité à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice de l’indemnité de licenciement prévue à l’article L. 1234-9.

Au regard du motif retenu par le Conseil d’Etat, distinct de l’insuffisance du contenu du PSE, cet article trouve à s’appliquer au cas d’espèce.

* sur la prescription des demandes du salarié fondées sur ces dispositions :

Ainsi que le fait justement valoir la société Tel and Com, le délai de prescription de douze mois prévu par l’article L. 1235-7 du code du travail dans sa version issue de la loi du 14 juin 2013, qui concerne les contestations relevant de la compétence du juge judiciaire telles que celles fondées sur l’article L.1235-11 mais également sur l’article L. 1235-16 du code du travail, court à compter de la notification du licenciement.

Il est acquis aux débats que le salarié a saisi le conseil de prud’hommes dans l’année ayant suivi son licenciement mais qu’il a formulé ses demandes fondées sur l’article L. 1235-16 précité, après le prononcé de l’arrêt du Conseil d’Etat du 24 octobre 2018.

Toutefois, ces demandes additionnelles ont la même cause, à savoir la rupture du même contrat de travail, et le même objet, la contestation de la validité de son licenciement et surtout la réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi, que ses prétentions initiales fondées sur l’article L.1235-11 avec lesquelles elles présentent dès lors un lien suffisant au sens de l’article 70 du code de procédure civile.

Ainsi, l’interruption de la prescription au titre de la demande initiale et dont les effets perdurent jusqu’à l’extinction de l’instance conformément à l’article 2242 du code civil, s’est étendue aux demandes additionnelles du salarié sur le fondement de l’article L. 1235-16 qui ont le même objet et tendent aux mêmes fins que la première.

Le moyen d’irrecevabilité tiré de la prescription sera en conséquence rejeté.

* sur la conventionnalité de l’article L. 1235-16 du code du travail :

Sont tout d’abord inopérants les moyens tirés de la violation de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne dès lors que celle-ci n’a pas d’effet direct dans les litiges entre particuliers, sa mise en oeuvre en droit interne nécessitant que soient pris des actes complémentaires d’application. Son invocation ne peut donc conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-16 du code du travail.

Il ressort par ailleurs des termes de l’article L. 1235-16 du code du travail que cette disposition a pour objet d’assurer aux salariés une indemnisation minimale de la perte injustifiée de leur emploi en cas de licenciement non suivi de réintégration.

En effet, en son premier alinéa, cette disposition prévoit que l’annulation de la décision d’homologation donne d’abord lieu, ‘sous réserve de l’accord des parties, à la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis’. Ce n’est qu’à défaut d’une telle réintégration par l’employeur que le salarié a droit à une indemnisation minimale de 6 mois de salaire.

Cette indemnisation constitue en réalité en vertu de la protection du droit de chaque salarié à obtenir un emploi, une compensation minimale de l’impossibilité pour le salarié de pouvoir poursuivre la relation de travail dans le cadre d’une réintégration et bénéficier des droits qu’il avait acquis.

Elle ne constitue ainsi nullement une sanction de l’employeur et procède d’une conciliation équilibrée entre la protection du droit de chaque salarié à obtenir un emploi et le principe de responsabilité, de sorte que sont inopérants les moyens tirés du caractère punitif de cette indemnisation, de l’absence de faute de l’employeur dans l’annulation de l’homologation du PSE et de l’absence de préjudice du salarié.

La fixation par le législateur d’un plancher d’indemnisation de 6 mois n’apparaît pas non plus contraire à l’exigence d’une indemnisation adéquate posée par l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT, dès lors qu’il s’agit non pas d’une réparation ne tenant pas compte du préjudice réel du salarié, mais d’une protection minimale garantie au salarié en raison du préjudice que la perte injustifiée de son emploi, à défaut de réintégration, lui a nécessairement causé, à travers la perte de salaire et le temps, fût-il court, nécessaire pour retrouver un nouvel emploi, et ce quelle que soit son ancienneté, le juge conservant en revanche toute latitude pour fixer ou pas une indemnité supérieure en fonction des éléments présentés par le salarié pour établir l’ampleur de son préjudice et des moyens de contestation de l’employeur.

Les dispositions de l’article L. 1235-16 du code du travail qui garantit uniquement une protection minimale au salarié, étant ainsi compatibles avec la finalité d’une indemnisation adéquate posée par l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT, le moyen fondé sur son inconventionnalité par rapport à cette norme internationale ne peut prospérer.

Sont dès lors également inopérants les moyens tirés de l’inconventionnalité de son application au regard de l’article 10 de la convention de l’OIT, ce contrôle in concreto n’ayant pas lieu d’être puisque l’exigence d’une indemnisation adéquate est respectée, l’article L. 1235-16 du code du travail devant donc s’appliquer à tous dans les mêmes termes.

Au regard du droit pour l’employeur de discuter la demande indemnitaire du salarié devant le juge qui conserve un large pouvoir d’appréciation, et du recours parallèle ouvert à l’employeur pour engager la responsabilité de l’Etat devant les juridictions administratives du fait de l’illégalité de la décision d’homologation, il existe également une conciliation équilibrée entre la protection, à travers cette indemnisation minimale, du droit pour le salarié d’obtenir un emploi et le droit de l’employeur d’accéder à un juge, avec les garanties d’un procès équitable pour défendre ses intérêts.

Sont inopérants à ce titre les moyens tirés de l’absence de l’Etat au procès prud’homal et des conditions jugées restrictives par la société pour mettre en cause la responsabilité de l’Etat. En effet, l’objet du litige dont est saisie la cour sur le fondement de l’article L.1235-16 ne porte pas sur la question de la responsabilité de l’Etat dans l’annulation de l’homologation du PSE mais sur l’indemnisation du préjudice du salarié qui est résulté de la perte injustifiée de son emploi à défaut de réintégration par l’employeur, à la suite de cette annulation.

La société Tel and Com ne peut en outre dénoncer une atteinte au principe de sécurité juridique et à l’accès effectif au juge au seul motif que l’employeur n’a jamais la certitude que son recours parallèle contre l’Etat prospérera alors que les conditions de mise en ‘uvre de la responsabilité de l’Etat sont clairement définies par la loi et de ce fait prévisibles, la société Tel and Com ayant d’ailleurs agi en ce sens devant le tribunal administratif de Lille.

La cour n’a au surplus pas le pouvoir d’examiner la conventionnalité, au regard du droit d’accès au juge, de la procédure de mise en jeu de la responsabilité de l’Etat dès lors que celle-ci relève du juge administratif.

Par ailleurs, il existe concrètement dans l’affaire en cause un juste équilibre entre le droit de propriété de la société Tel and Com au sens du protocole additionnel n°1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la protection du droit pour le salarié d’obtenir un emploi.

En effet, l’indemnisation plancher équivalant à 6 mois de salaire prévue par l’article L. 1235-16 du code du travail ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la société Tel and Com au regard du but poursuivi, compte tenu du préjudice qui est nécessairement résulté pour le salarié de la perte injustifiée de son emploi à travers la perte de salaire et le temps, fût-il court, nécessaire pour retrouver un emploi à défaut de réintégration, sachant qu’est inopérant le moyen tiré de l’existence des autres litiges opposant la société à des salariés, la conventionnalité de l’application de la règle et ce faisant, l’éventuelle disproportion de l’atteinte portée au droit de propriété de la société Tel and Com ne pouvant s’apprécier qu’au regard de l’affaire en cause.

La société Tel and Com prétend que la disproportion résulte de sa situation financière ‘nécessairement dégradée’ et fragilisée, rappelant qu’elle a définitivement cessé son activité de distribution en raison d’une modification de la structure du marché sur lequel elle évoluait.

Toutefois, sachant que la société existe toujours, aucun élément n’étant donné sur l’évolution de ses activités depuis l’arrêt de son activité de distribution de téléphonie mobile, la société Tel and Com ne précise pas explicitement les données financières qui établiraient que l’octroi d’une indemnité minimale de 6 mois de salaire porterait une atteinte disproportionnée à son patrimoine. Comme il a été dit plus haut, cette indemnisation plancher ne fait en outre pas obstacle, sur le recours de l’employeur, à la condamnation de l’Etat à réparer le préjudice résultant de l’illégalité de la décision d’homologation, la procédure devant les juridictions administratives étant d’ailleurs toujours en cours.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’aucun moyen avancé par la société Tel and Com pour dénoncer l’inconventionnalité in abstracto et in concreto de l’article L. 1235-16 du code du travail ne peut prospérer.

* sur les demandes financières du salarié sur ce fondement :

L’employeur ne développant aucun autre moyen de contestation que ceux examinés plus haut, et la réintégration du salarié étant en l’espèce impossible, le salarié est fondé à solliciter une indemnité sur le fondement de l’article L. 1235-16 du code du travail.

Le salarié sollicite que l’indemnisation accordée par les premiers juges soit portée à un montant de 59779,08’euros, sur la base d’un salaire de référence de 3321,06’euros différent de celui retenu par les premiers juges.

Sur la base des 6 derniers mois de salaire retenue à raison par les premiers juges, et au vu cependant de l’ancienneté du salarié et des pièces produites concernant sa situation professionnelle postérieurement à la rupture de la relation de travail, il convient par voie d’infirmation de porter l’indemnisation à un montant de 19671,67’euros.

Le licenciement n’étant pas annulé sur le fondement de l’article L. 1235-16 du code du travail, et les sommes que la société Tel and Com entend voir déduire de l’indemnité susvisée n’ayant pas été directement perçues par le salarié, s’agissant uniquement du financement (pièce 26 de la société Tel and Com) des mesures d’accompagnement au reclassement qui au demeurant n’ont pas le même objet que les dommages-intérêts réparant le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l’emploi, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de l’employeur de ce chef, étant relevé que dans son dispositif, le jugement n’a pas condamné le salarié à rembourser une quelconque somme au titre des mesures mises en ‘uvre dans le cadre du PSE.

Précision étant fait que l’indemnité compensatrice de préavis est due en raison de l’irrégularité du licenciement et non de sa nullité non encourue sur le fondement de l’article L. 1235-16 du code du travail, c’est à raison que le salarié se prévaut d’un salaire de référence basé sur ses douze derniers mois d’activité, celui-ci étant plus avantageux que celui calculé par l’employeur sur les trois derniers salaires perçus ou retenus par les premiers juges. Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives à l’indemnité compensatrice de préavis dont le montant sera porté à un montant de 9963,18 euros outre les congés payés afférents.

Il n’y a enfin pas lieu d’examiner la demande de la société Tel and Com au titre du remboursement des indemnités chômage, le conseil de prud’hommes ne l’ayant pas ordonné.

– sur les demandes accessoires :

Il convient d’enjoindre à la société Tel and Com de délivrer au salarié les documents sociaux de fin de contrat rectifiés conformément au présent arrêt et ce dans un délai de 45 jours suivant la signification de la décision. Il n’y a en revanche pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Au vu de ce qui précède, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Le salarié ayant été en partie accueilli en ses demandes en appel, la société Tel and Com devra supporter les dépens d’appel.

Il est en outre inéquitable de laisser au salarié la charge des frais irrépétibles non compris dans les dépens, qu’il a exposés en appel. La société Tel and Com est condamnée en application de l’article 700 du code de procédure civile à lui verser à ce titre une indemnité de 700 euros.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement en date du 25 mars 2022 en ses dispositions critiquées à l’exception de celles constatant la nullité du Plan de sauvegarde de l’emploi et de celles relatives au montant de l’indemnité accordée sur le fondement de l’article L. 1235-16 du code du travail, à l’indemnité compensatrice de préavis, à la convention de forfait jours et au rappel d’indemnité de licenciement,

statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

REJETTE le moyen d’irrecevabilité tiré de la prescription de la demande formée sur le fondement de l’article L.1235-16 du code du travail ;

DIT n’y avoir lieu à constater l’annulation du PSE sur le fondement de l’article L.1235-16 du code du travail’;

DIT que la convention de forfait jours n’est pas opposable à M. [E] [W]’;

CONDAMNE la société Tel and Com à payer à M. [E] [W] les sommes suivantes’:

– 19671,67’euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article L. 1235-16 du code du travail,

– 9963,18’euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 996,31’euros de congés payés y afférents,

– 163,91’euros à titre de reliquat d’indemnité de licenciement,

– 3000’euros en réparation du préjudice causé par le non-respect des dispositions relatives au forfait jours,

– 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel’;

ORDONNE à la société Tel and Com de délivrer à M. [E] [W] les documents sociaux de fin de contrat rectifiés conformément au présent arrêt et ce dans un délai de 45 jours suivant la signification de la décision’;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes’;

DIT que la société Tel and Com supportera les dépens d’appel.

LE GREFFIER

S. LAWECKI

LE PRESIDENT

M. LE BRAS

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