COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 02 MARS 2023
N° RG 20/01661
N° Portalis DBV3-V-B7E-T7JJ
AFFAIRE :
[P] [D]
C/
S.A.S. CAPGEMINI TECHNOLOGY SERVICES (venant aux droits de SOGETI France)
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 juillet 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANBCOURT
N° Section : E
N° RG : 18/01432
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Jacques MATTEI
Me Frédéric ZUNZ
le :
Expédition numérique délivrée à Pôle Emploi :
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DEUX MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant le 09 février 2023 prorogé au 16 février 2023 puis au 02 mars 2023, les parties en ayant été averties, dans l’affaire entre :
Monsieur [P] [D]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Jacques MATTEI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0531 substitué par Me Elodie SMILA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1437
APPELANT
****************
S.A.S. CAPGEMINI TECHNOLOGY SERVICES venant aux droits de SOGETI France
N° SIRET : 479 766 842
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentant : Me Frédéric ZUNZ de la SELEURL MONTECRISTO, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J153
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 08 décembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,
Greffier placé lors des débats : Virginie BARCZUK
Greffier en pré-affectation lors du prononcé : [G] [L]
Exposé du litige
Rappel des faits constants
La SAS Capgemini Technology Services, dont le siège social est situé à [Localité 7] dans les Hauts-de-Seine, est une Entreprise de Services Numériques (ESN). Elle emploie près de 14 000 salariés et applique la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite Syntec.
M. [P] [D], né le 30 mai 1975, a été engagé par la société Capgemini France, selon contrat de travail à durée indéterminée à effet au 16 août 1999, en qualité de technicien.
Suite à plusieurs transferts et à une opération de fusion-absorption, le contrat de travail de M. [D] a finalement été repris par la société Capgemini Technology Services.
M. [D] a pris acte de la rupture de son contrat de travail, par courrier du 13 septembre 2018, dans les termes suivants :
« A de multiples reprises et notamment au cours de mes entretiens de développement professionnel, j’ai évoqué les nombreux dysfonctionnements dont j’ai à me plaindre et exprimé mon mécontentement auprès de mon supérieur hiérarchique. J’ai été embauché par la société Capgemini en qualité de technicien ETAM position 2.3 coefficient 355, le 16 août 1999 avec un horaire de 39 h par semaine.
Après 19 ans de bons et loyaux services, j’estime avoir rempli loyalement mes obligations salariales et fait mes meilleurs efforts pour obtenir la satisfaction des clients.
Je considère que tel n’est pas le cas de la part de mon employeur :
– Absence totale de suivi de mission en clientèle : je travaille sur le site du client, selon ses horaires, ordres et directives, sans aucune instruction de la part de Sogeti si ce n’est un mail de temps en temps quand mon rapport d’activité est erroné. J’ai effectué de nombreuses missions dont deux très longues, chez Upsa à [Localité 4] pendant 7 ans, puis chez Sanofi à partir de 2008. Cette dernière mission dure donc depuis 10 ans sans aucun suivi proche de Sogeti,
– Préjudices financiers découlant de ces très longues missions : rémunérations inférieures à celles de mes homologues. Les ressources internes aux mêmes postes ont bénéficié de conditions plus favorables alors que nous effectuions les mêmes travaux,
– Absences de réévaluation salariales et d’évolution de poste : j’ai demandé à bénéficier d’évolutions de poste et de réévaluations salariales, ce qui m’a été systématiquement refusé,
– Absence de formations : la plupart de mes demandes de formations m’ont toujours été également refusées,
– Non-respect des règles et procédures internes et conventionnelles : certains managers ne transmettent pas les ordres de mission ou avec plusieurs mois de retard. Quand ces ODM me parviennent, ils se résument à une copie du précédent, au bout du compte, une copie de la fiche de poste initiale du client,
– Non-respect des 48 heures de travail hebdomadaires : Dans le cadre des astreintes, j’ai été emmené à intervenir en nuit et en week-end sans recevoir en retour les consignes de repos liées aux temps de repos obligatoires.
Confiné pendant de longues périodes (…), sans formation et sans évolution de salaires, j’ai donc subi un préjudice inacceptable.
Ma situation économique m’a contraint à toujours accepter les multiples nouvelles tâches et activités, fussent-elles non adaptées et dégradantes.
Mon employeur ne se soucie que du chiffre d’affaires généré par ses collaborateurs, sans se soucier des droits de ses salariés. Il se contente d’un simple prêt de main-d »uvre ce qui est contraire à la législation.
L’ensemble de ces éléments me semble contraire à la législation du travail, et ne me permettent plus de poursuivre ma relation de travail. Dès lors, je vous demande de considérer la présente lettre comme une prise d’acte mettant fin à mes relations de travail avec votre société. ».
Sollicitant que sa prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt par requête reçue au greffe le 22 novembre 2018.
La décision contestée
Par jugement contradictoire rendu le 2 juillet 2020, la section encadrement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :
– jugé que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail à l’initiative de M. [D] s’analysait en une démission,
– débouté M. [D] de l’intégralité de ses demandes,
– débouté la société Capgemini Technology Services de sa demande au titre des frais irrépétibles,
– condamné M. [D] aux entiers dépens.
M. [D] avait demandé au conseil de prud’hommes, dans le dernier état de ses conclusions, de voir sa prise d’acte produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et à se voir allouer les sommes suivantes :
. 5 942, 64 euros à titre d’indemnité de préavis,
. 14 113,77 euros à titre d’indemnité de licenciement,
. 44 569,80 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 8 913,96 euros à titre d’indemnité pour mauvaise foi de l’employeur,
. 11 885,28 euros à titre d’indemnité pour manquement de l’employeur à l’obligation de formation,
. 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Il a demandé en outre au conseil d’ordonner l’exécution provisoire du jugement par application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile et la condamnation de la société Capgemini Technology Services aux dépens.
La société Capgemini Technology Services avait quant à elle conclu au débouté de M. [D] et avait sollicité la condamnation de celui-ci à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La procédure d’appel
M. [D] a interjeté appel du jugement par déclaration du 27 juillet 2020 enregistrée sous le numéro de procédure 20/01661.
Par ordonnance rendue le 23 novembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 8 décembre 2022.
Prétentions de M. [D], appelant
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 3 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [D] demande à la cour d’appel de :
– infirmer le jugement entrepris,
– dire et juger que sa prise d’acte est justifiée par les manquements graves de la société Capgemini Technology Services venant aux droits de la société Sogeti France,
– dire et juger que la rupture sera prononcée aux torts de la société Capgemini Technology Services et produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Capgemini Technology Services à lui verser :
. au titre de l’indemnité de préavis, la somme de 5 942,64 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2018,
. au titre de l’indemnité de licenciement, la somme de 14 113,77 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2018,
. au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 44 569,80 euros avec intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
. sur le fondement de la mauvaise foi de la société Sogeti dans l’exécution du contrat de travail, la somme de 8 913,96 euros avec intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
. sur le fondement du manquement de la société Sogeti à son obligation en matière de formation professionnelle, la somme de 11 885,28 euros avec intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir,
– condamner la société Capgemini Technology Services à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Capgemini Technology Services aux dépens et dire que Me Mattei pourra les recouvrer directement conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Prétentions de la société Capgemini Technology Services, intimée
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 21 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Capgemini Technology Services demande à la cour d’appel de :
– juger qu’elle a exécuté de bonne foi le contrat de travail,
– juger qu’elle n’a commis aucun prêt illicite de main d »uvre ni de délit de marchandage,
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
– condamner M. [D] au versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [D] aux entiers dépens.
Motivation
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt le 2 juillet 2020,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
REQUALIFIE la prise d’acte de M. [D] en rupture aux torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SAS Capgemini Technology Services à payer à M. [P] [D] à ce titre les sommes suivantes’:
– 5 942,64 euros à titre d’indemnité conventionnelle de préavis,
– 14 113,77 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 35 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SAS Capgemini Technology Services à payer à M. [P] [D] une somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de formation,
CONDAMNE la SAS Capgemini Technology Services à payer à M. [P] [D] une somme de 4 000 euros pour exécution déloyale du contrat de travail,
CONDAMNE la SAS Capgemini Technology Services à payer à M. [P] [D] les intérêts de retard au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le Bureau de jugement pour les créances contractuelles et à compter de l’arrêt pour les créances indemnitaires,
ORDONNE le remboursement par la SAS Capgemini Technology Services aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [P] [D] dans la limite de trois mois d’indemnités,
DIT qu’une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l’article R.’1235-2 du code du travail,
CONDAMNE la SAS Capgemini Technology Services au paiement des entiers dépens dont distraction pour ceux d’appel au profit de Me Mattei, avocat,
CONDAMNE la SAS Capgemini Technology Services à payer à M. [P] [D] une somme de 3’000’euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SAS Capgemini Technology Services de sa demande présentée sur le même fondement.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme [G] [L], greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER EN PRE-AFFECTATION, LE PRÉSIDENT,