AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 20/05912 – N° Portalis DBVX-V-B7E-NGTZ
[Z]
C/
Société IPACKCHEM
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de SAINT ETIENNE
du 21 Octobre 2020
RG : F18/00618
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 25 MAI 2023
APPELANT :
[R] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me John CURIOZ, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
INTIMÉE :
Société IPACKCHEM
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Gérald PETIT, avocat postulant inscrit au barreau de LYON
et représentée par Me Jean- François TOURNEUR, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS,
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 23 Février 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Etienne RIGAL, Président
Vincent CASTELLI, Conseiller
Françoise CARRIER, Magistrat honoraire
Assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 25 Mai 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Etienne RIGAL, Président, et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
*************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [R] [Z] (le salarié) a été embauché par la société Boxmore Emballage, devenue la société Ipackchem (la société, l’employeur) par un contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 1998 en qualité de responsable administratif et financier. Par avenant en date du 1er février 2000, le salarié a été promu directeur administratif et financier.
La société Ipackchem, établie à [Localité 3], conçoit et fabrique des bidons en plastique rigide pour l’industrie chimique et emploie environ 80 salariés.
La convention collective nationale de la plasturgie est applicable.
M.[R] [Z] était actionnaire de la société holding du groupe, JPACK INTERNATIONAL SAS.
Par courrier recommandé avec avis de réception en date du 23 août 2018, le salarié a été licencié pour motif personnel dans les termes suivants :
» Depuis plusieurs mois, nous avons constaté que le travail vous incombant en tant que Directeur Administratif et Financier en charge également de la fonction commerciale, n’était pas fait ou pas avec le niveau de sérieux attendu d’un cadre de votre niveau de responsabilités.
Dans vos attributions de Directeur Administratif et Financier
Nous avons constaté une multiplication de négligences, d’imprécisions et de défaillances dans l’organisation du travail.
– Des négligences dans la préparation des chiffres importants sont régulières et contraignent les autres membres de la direction de la société ou du groupe à revérifier les chiffres que vous avez fournis. Par exemple, le budget prévisionnel chiffré que vous avez préparé pour le séminaire de direction d’avril 2018 ne comportait pas d’achat d’électricité sur l’année suivante, causant un écart de 1,38 millions d’euros sur le résultat opérationnel. De même, vous êtes le seul membre de la direction à être venu au séminaire de direction sans avoir fait la préparation demandée sur l’évolution de nos coûts sur les 5 dernières années. Les chiffres rassemblés étaient des données brutes et partielles fournies par la Supply Chain ne permettant pas de travailler. Autre exemple : le document de support de nos demandes d’investissements au groupe que vous avez transmis le 31 mai ne contenaient pas les données de trésorerie et montraient que les investissements demandés n’étaient jamais rentables alors qu’en réalité ils le sont rapidement.
– A la fin d’année 2017, vous n’avez pas construit de plan de trésorerie à long terme. En conséquence, nous avons navigué à vue pendant plusieurs mois de [date à date] sur la trésorerie avec des coûts de financement plus élevés que nécessaires.
– De même, vous n’avez pas mis en place d’outil d’analyse de la structure de coût et de marge des produits de [Localité 4] qui permette de comparer par exemple un client et un autre. Alors que je vous ai demandé régulièrement de mettre en place cet outil aux réunions de management, vous vous êtes contenté de transmettre des données quasi-brutes, sans faire les traitements et analyses qui sont de la responsabilité d’un Directeur Financier.
– Ces défaillances ne se limitent pas au fonctionnement interne de la société : elles concernent également votre interaction avec le Directeur Financier du groupe. Par exemple, concernant l’évolution des coûts de stockage sur l’année, il a fallu quatre aller-retours d’emails en mai et juin 2018 pour aboutir à une explication partielle des coûts, alors que le Directeur Financier groupe demandait une simple analyse de la situation sur un écart constaté. Ce type d’échanges se produit de façon récurrente, par exemple au sujet du profit de novembre 2017, le cash-flow sur la fin d’année 2018 ou les coûts de stockage. De telles approximations et erreurs récurrentes ne sont pas compatible avec vos attributions.
Dans vos fonctions de Responsable Commercial
Là encore nous avons constaté des défaillances importantes d’organisation du travail. En témoignent les exemples suivants :
– Je vous ai demandé le 12 janvier de mettre en place une animation mensuelle de révision de nos prévisions de vente et d’analyse des évolutions sur 12 mois roulants pour piloter l’activité commerciale. Vous avez délégué en totalité le travail à [W] [O], Responsable Supply Chain et vous m’avez passé au bout de deux mois un outil adapté à la fonction supply chain mais pas un outil d’analyse ni d’animation des équipes commerciales. J’ai dû reprendre ce projet avec les commerciaux pendant votre arrêt de travail en mars-avril 2018. En un mois les commerciaux ont construit l’outil que nous utilisons désormais.
– De la même manière, nous avons constaté lors de votre arrêt de travail de mars-avril que les prévisions financières n’étaient faites que par vous et de façon très manuelle. En un mois, nous avons réalisé à l’aide des équipes commerciales et de la SC l’automatisation des prévisions que vous n’aviez pas mise en place.
– Alors qu’il s’agit de points clés de l’activité commerciale, vous n’avez jamais construit avec vos équipes de plans d’action concernant les hausses de prix et les volumes additionnels. Là encore j’ai dû demander aux commerciaux un plan précis, qu’ils ont construit et complété rapidement et qui est utilisé aujourd’hui pour le suivi de l’activité commerciale.
Vous avez tenté d’expliquer vos insuffisances dans votre courrier du 25 juin 2018 par des prétendues tâches supplémentaires et des demandes contradictoires.
En réalité vos carences sérieuses et récurrentes ne peuvent pas s’expliquer par une surcharge de travail, alors que vos responsabilités sont les mêmes depuis plusieurs années et que mon arrivée en tant que Directeur Général vous a déchargé des missions que vous exerciez temporairement pendant la vacance de mon poste. Vous n’avez en aucune manière été soumis à des instructions contradictoires ou des tâches étrangères à vos fonctions ou d’une ampleur inhabituelle.
Elles ne peuvent davantage être expliquées par un manque de moyens, vos équipes et les outils dont vous disposez étant parfaitement dimensionnés à vos responsabilités. Vous n’avez d’ailleurs formulé aucune demande ou plainte à ce sujet.
J’ai attiré régulièrement votre attention sur l’ensemble de ces points au cours des derniers mois sans que la situation ne s’améliore.
Nous estimons que l’ensemble de ces faits constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Par ailleurs, s’y est ajouté une attitude de défiance et d’opposition systématique envers moi se manifestant par des rétentions d’information ou contournements qui, au-delà de la remise en cause délibérée de mon autorité en tant que Directeur Général, nuisent au bon fonctionnement de la direction de l’entreprise.
Nous vous avions adressé des remarques écrites les 8 janvier et 22 février 2018 concernant d’une part votre refus de transmettre des informations et d’autre la prise d’engagements auprès d’un client allant au-delà de ce qui avait été décidé collégialement. Malgré cela vous avez persisté dans ce type d’agissement, comme en témoignent les exemples suivants :
– Les 21 et 22 mai 2018, vous m’avez confirmé que dans le cadre du reporting budgétaire au groupe, vous aviez transmis les indicateurs de performance (KPI) au groupe. J’ai appris deux jours plus tard le 24 mai par le Directeur Financier Groupe que ces indicateurs n’avaient en réalité pas été transmis.
– Le 5 juin 2018 au matin, vous avez adressé sans me prévenir au groupe l’analyse des ventes que vous m’aviez transmis la veille à 19h pour relecture.
– En mai 2018, vous avez pris la décision de modifier le traitement des reliquats de congés payés sur les fiches de paie sans même me prévenir, alors que c’est un sujet sur lequel je suis susceptible d’être questionné par les représentants du personnel.
Nous estimons que cet ensemble de faits constitue également une cause réelle et sérieuse de licenciement. »
Contestant son licenciement, par requête du 19 décembre 2018, le salarié a saisi le conseil des prud’hommes de Saint-Étienne aux fins de voir déclarer son licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse, et voir la société condamnée à lui verser
– 2 782 638 euros à titre de dommages-intérêts
– 1 434 euros à titre de rappel d’indemnité de licenciement
– 205 euros à titre de rappel de salaire
– 22 782 euros à titre de rappel de prime sur 2018
– 21 484 euros à titre de rappel de salaire
– 4 590 euros à titre de congés payés afférents.
Par jugement du 21 octobre 2020, le conseil de prud’hommes a :
– Dit que le licenciement notifié le 23 août 2018 au salarié repose sur une cause réelle et sérieuse
– Débouté le salarié de l’intégralité de ses demandes
– Débouté les parties de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– Condamné le salarié aux entiers dépens de l’instance.
Le salarié a relevé appel du jugement le 27 octobre 2020.
Dans ses conclusions déposées au greffe le 30 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, le salarié demande à la cour d’infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de SAINT ETIENNE le 21 octobre 2020 en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,
A titre principal,
– Dire et juger que le licenciement de M. [Z] est nul ;
A titre subsidiaire,
» Dire que le licenciement de M. [Z] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
» Condamner la Sté IPACKCHEM à payer à M. [R] [Z] :
o 1.944.738 € à titre de dommages et intérêts outre intérêts à compter de la date de dépôt de la requête
o 1.434 € au titre de rappel d’indemnité de licenciement
o 205 € au titre de rappel de salaire pour le nombre de jours travaillés en novembre
o 22.782 € à titre de rappel de prime sur l’année 2018
o 21.484 € à titre de rappel de salaire, montant arrêté au mois de novembre 2018
o 4.590,50 € au titre des congés payés afférents
o 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile pour la 1ère instance
o 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile pour l’instance d’appel
o Les entiers dépens de 1ère instance et d’appel.
Le salarié fait valoir essentiellement que :
» Il détenait des titres dans la holding qui présidait la société Ipackchem, et qu’en application d’une convention avec un autre associé de la holding, il était lié par une promesse de vente de ses titres en cas de rupture du contrat de travail. Il soutient donc que la véritable cause de son licenciement était en réalité de le contraindre à vendre ses parts, ce qui a permis aux autres associés, au moment de la cession des titres de la holding, de réaliser un bénéfice supplémentaire de 1,7 million d’euros. Il estime donc être victime de discrimination à raison de son statut d’associé minoritaire dans la holding et conclut à la nullité de son licenciement.
» Il a en outre fait l’objet de harcèlement, comme le démontre le burn out dont il a été victime, la volonté de l’employeur de changer une équipe vieillissante, l’absence de confiance qui lui était témoignée parce qu’il se syndiquait, l’insistance manifestée par la direction pour obtenir une rupture conventionnelle, la diffusion d’un organigramme où il n’apparaissait plus et la menace de lui octroyer un statut de » mauvais partant » ( » bad leaver « ) en cas de refus de signer la rupture conventionnelle.
» Subsidiairement, le salarié soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où l’employeur ne démontre pas les griefs invoqués dans la lettre de licenciement. Il souligne qu’il n’a jamais été rémunéré pour la fonction de responsable commercial, et que s’agissant de sa fonction de directeur des affaires financières, l’employeur ne justifie d’aucun des 15 griefs invoqués.
Dans ses conclusions déposées au greffe le 21 février 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la société demande à la cour de :
» Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Saint-Etienne et débouter le salarié de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions
» Condamner le salarié à verser à la société la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société fait essentiellement valoir que :
– Le salarié ne précise pas le fondement de la prétendue nullité de son licenciement et affirme sans preuve que la direction aurait voulu » rajeunir » l’effectif.
– Son licenciement n’a rien à voir avec son état de santé, la caisse primaire d’assurance maladie ayant rejeté le caractère professionnel de son arrêt pour burn out.
– Aucun élément de preuve ne vient soutenir l’affirmation mensongère de harcèlement.
– L’argument de la discrimination syndicale est purement factice, l’intéressé, cadre dirigeant, n’ayant jamais déployé d’activité syndicale concrète dans l’entreprise.
– Le salarié ne fait qu’affirmer sans preuve que la véritable cause de son licenciement serait la volonté de l’actionnaire financier de récupérer ses titres, ce qui de toute façon ne constitue pas une cause de nullité du licenciement.
– Les griefs énoncés dans la lettre de licenciement sont circonstanciés et précis et se trouvent établis par les pièces versées par la société.
– Le salarié ne justifie nullement le caractère exorbitant de ses demandes d’indemnisation.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 24 janvier 2023.
Motivation
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, rendu en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de M. [R] [Z] tendant à voir déclarer nul son licenciement ;
INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [R] [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages-intérêts ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
CONDAMNE la société IPACKCHEM à verser à M. [R] [Z] la somme de 187 558,69 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la société IPACKCHEM à rembourser à l’association PÔLE EMPLOI la totalité des indemnités chômage versées à M. [R] [Z], dans la limite de six mois d’indemnités;
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de M. [R] [Z] tendant au paiement d’un rappel d’indemnité de licenciement ;
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de M. [R] [Z] tendant au paiement d’un rappel de salaire pour les jours travaillés au mois de novembre 2018 ;
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de M. [R] [Z] tendant au paiement d’un rappel de prime pour l’année 2018 ;
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de M. [R] [Z] tendant au paiement d’un rappel de salaire ainsi qu’au paiement des congés payés afférents tels qu’arrêtés au mois de novembre 2018 ;
INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société IPACKCHEM aux dépens de première instance et d’appel ;
CONDAMNE la société Ipackchem à verser à M. [R] [Z] la somme de 5 000 euros au titre des frais de première instance et d’appel non compris dans les dépens ;
REJETTE la demande de la société IPACKCHEM au titre des frais irrépétibles.
Le Greffier Le Président