COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
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ARRÊT DU : 07 FEVRIER 2024
PRUD’HOMMES
N° RG 21/01411 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-L7OJ
Monsieur [S] [E]
c/
S.A.S.U. CLS REMY COINTREAU
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 février 2021 (R.G. n°F 19/00287) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGOULÊME, Section encadrement, suivant déclaration d’appel du 08 mars 2021,
APPELANT :
Monsieur [S] [E]
né le 24 juin 1970 à [Localité 5] de nationalité française Profession : Cadre, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Pierre SANTI de la SELARL DARMENDRAIL/SANTI, avocat au barreau de PAU
INTIMÉE :
SASU CLS Rémy Cointreau, prise en la personne de son représentant légal Monsieur [X] [CC] en sa qualité de Président domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1]
N° SIRET : 434 831 335
représentée par Me Arnaud PILLOIX de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX, Assistée de Me Pierre-alexis DUMONT de la SAS ACTANCE, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Romain MACHALCAK
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 janvier 2024 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente et Madame Sylvie Tronche,conseiller chargé d’instruire l’affaire Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvie Hylaire, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
Greffier lors des débats : Sylvaine Déchamps
Greffier lors du prononcé : A.-Marie Lacour-Rivière
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
Exposé du litige
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le groupe Rémy Cointreau qui compte environ 800 salariés, est composé de plusieurs entités juridiques dont la société CLS Rémy Cointreau dans laquelle M. [S] [E], né en 1984, a été embauché le 4 novembre 2015 dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en qualité de responsable paie, statut cadre.
La relation de travail était régie par la convention collective nationale des vins, cidres, jus de fruits, sirops, spiritueux et liqueurs de France du 15 mars 2013.
Le 2 avril 2019, M. [E] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s’est tenu le 12 avril 2019.
Par lettre du 17 avril 2019, il a été licencié pour cause réelle et sérieuse, motif pris de ses manquements répétés.
Il a été dispensé de l’exécution de son préavis et son contrat de travail a pris fin le 18 juillet 2019.
A la date de son licenciement, M. [E] avait une ancienneté de 3 ans et 5 mois.
Après avoir été débouté de diverses demandes présentées en référé, M. [E] a saisi de nouveau le conseil de prud’hommes d’Angoulême le 29 novembre 2019 pour contester son licenciement et solliciter, outre des indemnités de rupture, des dommages et intérêts pour licenciement abusif et réparation des conditions vexatoires ayant entouré ce dernier, le paiement de rappels de salaire pour les heures supplémentaires effectuées ainsi que de complément au titre des primes d’intéressement et de participation.
Par jugement rendu le 8 février 2021, M. [E] a été débouté de l’ensemble de ses demandes et condamné aux dépens.
Par déclaration du 8 mars 2021, il a relevé appel de cette décision.
Par ordonnance en date du 26 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a débouté M. [E] de sa demande de communication d’un certain nombre de pièces et l’a condamné aux dépens de l’incident ainsi qu’à payer à la société CLS Rémy Cointreau la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés pour la procédure d’incident.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 20 octobre 2023, M. [E] demande à la cour d’annuler le jugement pour vice de motivation faisant peser un doute sur l’impartialité de la juridiction, qui a dénaturé les conclusions, les documents de la cause, et méconnu les termes du litige, subsidiairement, l’infirmer en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau sur l’intégralité des demandes, de :
– débouter l’intimée de toutes ses demandes,
– prononcer l’inopposabilité de la convention de forfait-jours, les stipulations de l’accord d’entreprise ne permettant pas de protéger la santé du salarié au forfait et l’intimée ne prouvant pas avoir effectué un contrôle effectif et régulier de la charge de travail,
– faire droit à la demande relative aux heures supplémentaires, le salarié, qui ne supporte pas la charge de la preuve et n’a pas à étayer sa demande, présentant des éléments contractuels et factuels et produisant des pièces, revêtant un minimum de précision, alors que l’employeur est défaillant dans l’administration du mécanisme probatoire propre aux heures supplémentaires,
– prononcer la nullité du licenciement intervenu – au moins en partie – en violation de la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ou, subsidiairement l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement disciplinaire, la plupart des faits étant prescrits, les autres griefs étant contestés et l’insuffisance professionnelle n’étant pas établie,
– condamner l’intimée à lui verser :
Dans l’hypothèse d’une nullité avec réintégration :
* 357.180 euros (5.953 x 60 mois) d’indemnité d’éviction correspondant au montant de la rémunération entre le 17 avril 2019 et le 17 avril 2024 depuis la date du licenciement jusqu’à la date de réintégration et ce, sans déduire les revenus de remplacement, (somme à parfaire en fonction de date effective de réintégration),
* 35.718 euros d’indemnité compensatrice de congés payés acquis pendant la période d’éviction, sur le fondement de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’union, interprété à la lumière du dernier état de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE) et de la Cour de cassation (somme à parfaire en fonction de la date effective de réintégration),
(demandes recevables en application de l’article 565 du code de procédure civile) ;
Dans l’hypothèse du rejet de la demande de réintégration :
* 75.000 euros de dommages-intérêts pour licenciement nul sur le fondement de l’article L. 1235-3-1 du code du travail (demande recevable en application de l’article 565 du code de procédure civile) ou, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse en écartant le barème Macron, contraire aux articles 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 24 de la Charte sociale européenne, 10 de la convention n°158 de l’OIT et 6$1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ou à titre infiniment subsidiaire 23.812 euros sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail ;
En tout état de cause, condamner l’intimée à lui verser les sommes suivantes :
* 102.234,92 euros de rappel d’heures supplémentaires outre 10.223,49 euros de congés payés afférents, sur le fondement de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, interprété à la lumière de la jurisprudence de la CJUE et des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail,
* 49.532,79 euros de rappel de contrepartie obligatoire en repos ,outre 4.953,27 euros de congés afférents sur le fondement des articles L. 3121-30 et L. 3121-38 du code du travail,
* 6.500,92 euros de complément de prime de participation (somme à parfaire lorsque l’intimée aura communiqué les pièces indiquant les taux définitifs),
* 7.682,90 euros de complément de prime d’intéressement (somme à parfaire lorsque l’intimée aura communiqué les pièces indiquant les taux définitifs),
* 43.194,74 euros d »indemnité forfaitaire spéciale pour travail dissimulé sur le fondement des articles L 8223-1 du code du travail et 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, interprétés à la lumière de la jurisprudence de la CJUE,
* 35.000 euros de dommages-intérêts pour violation de la durée maximale absolue hebdomadaire de 48 heures de travail et des durées minimales de repos sur le fondement du principe constitutionnel du droit au repos et à la santé et des articles L. 3121-20 du code du travail, 6b) de la directive n°2003/88 et 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, interprétés à la lumière de la jurisprudence de la CJUE,
* 15.000 euros de dommages-intérêts pour violation de la durée maximale journalière de 10 heures de travail sur le fondement du principe constitutionnel du droit au repos et à la santé et des articles L. 3121-18 du code du travail et 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
* 5.500 euros au titre des frais irrépétibles et de première instance et d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– assortir les condamnations des intérêts au taux légal depuis la date de saisine du conseil de prud’hommes et faire application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil autorisant la capitalisation des intérêts et condamner l’intimée aux dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 décembre 2023, la société CLS Rémy Cointreau demande à la cour de :
A titre principal,
– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
– rejeter l’ensemble de demandes de M. [E],
– le condamner au paiement de la somme 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner aux dépens,
A titre subsidiaire et en tout état de cause,
– fixer la moyenne des salaires de M. [E] sur les douze derniers mois précédant la rupture du contrat de travail à 4.989,61 euros bruts,
– juger sa demande de réintégration irrecevable du fait de sa nouveauté,
– juger que le licenciement n’est entaché d’aucune nullité,
– juger que M. [E] ne justifie de l’existence d’aucun préjudice lié à sa perte d’emploi,
– juger qu’il n’a subi aucun préjudice au titre du forfait jours,
Subsidiairement et en tout état de cause,
– juger qu’il n’apporte pas d’élément suffisamment précis de nature à étayer sa demande de rappel d’heures supplémentaires, de rappel de primes de participation et d’intéressement, de rappels de repos compensateurs pour la période du 17 juillet 2016 au 17 juillet 2019,
– limiter le montant de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3 mois de salaire représentant la somme de 14.968,83 euros,
– le débouter de ses autres demandes.
A titre infiniment subsidiaire,
– juger que l’indemnité d’éviction doit être calculée à compter du 23 octobre 2023, déduction faite des revenus de remplacement perçus par le salarié.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 8 janvier 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.
Motivation
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Déboute M. [E] de sa demande tendant à l’annulation du jugement déféré,
Dit que les demandes nouvelles présentées par M. [E] au titre de la violation des durées maximales absolues hebdomadaires et journalières de travail et des durées minimales de repos et au titre de la nullité de son licenciement assortie d’une demande de réintégration sont recevables,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté M. [E] de ses demandes au titre de la validité de sa convention de forfait et en paiement d’heures supplémentaires ainsi que des demandes subséquentes en résultant,
Statuant des chef infirmés et y ajoutant,
Déclare inopposable à M. [E] la convention de forfait conclue entre les parties,
Déboute M. [E] de ses demandes au titre de la violation des durées maximales absolues hebdomadaires et journalières de travail et des durées minimales de repos,
Déboute M. [E] de sa demande au titre de la nullité du licenciement et de ses demandes subséquentes de réintégration et d’octroi d’une indemnité d’éviction,
Déboute M. [E] de sa demande au titre du travail dissimulé,
Condamne la société CLS Remy Cointreau à payer à M. [E] les sommes suivantes :
– 18.767,54 euros bruts au titre des heures supplémentaires réalisées outre la somme de 1.876,75 euros bruts pour les congés payés afférents,
– 2.546,12 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos et 254,61 euros pour les congés payés afférents,
– 2.064,42 euros au titre de la prime de participation,
– 2.439,78 euros au titre de la prime d’intéressement,
– 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés,
Rappelle que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
Condamne la société CLS Remy Cointreau aux dépens.
Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire