Droit de la Presse : Pigiste en CDI : subtil mais légal

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Subtilité du droit de la presse : la Cour de cassation a confirmé qu’un pigiste peut être en CDI, en effet, la pige est un mode de rémunération et non une qualification juridique.  Cette solution est valable pour tous les journalistes pigistes, presse ou audiovisuel, éditeurs, rédacteurs et rédacteurs en chef de sites de presse.

 

Affaire L’Equipe  

En l’espèce, la relation de travail nouée entre des journalistes de l’Equipe et leur employeur a été qualifiée de contrat de travail à durée indéterminée rémunéré à la pige. Les salariés ont été déboutés de leurs demandes de requalification de la collaboration en contrat à durée indéterminée à temps complet, et de leurs demandes de rappels de salaire y afférents.

Présomption de contrat de travail

En application de l’article L. 7112-1 du code du travail : « Toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties. ».

Statut de pigiste

En l’occurrence, aucun contrat écrit n’a été conclu à l’origine et le salarié avait la qualité de journaliste professionnel au sens de l’article L. 7111-3 du code du travail, tout autant que [les sociétés] sont des entreprises de presse, de telle sorte que la présomption de contrat de travail s’appliquait.  L’ensemble des bulletins de salaire mentionnaient le statut de pigiste.

Temps complet ou temps partiel ?

Si l’article L. 3123-6 du code du travail institue une présomption de travail à temps complet, l’employeur peut cependant rapporter la preuve contraire, en ce que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à sa disposition; s’agissant de la disponibilité du salarié, les pièces communiquées établissaient que le responsable du planning sollicitait par courriel préalable les journalistes pigistes quant à leurs disponibilités pour les semaines à venir afin d’établir les plannings, mois après mois, de sorte que ceux-ci étaient libres, ou bien de refuser s’ils n’étaient pas disponibles, ou bien d’accepter de se voir attribuer des piges lorsqu’ils étaient  disponibles.

En conséquence, aucune planification n’était  imposée aux journalistes pigistes qui n’ont ainsi pas à se tenir à la disposition permanente de l’employeur, étant observé que si l’envoi des plannings a lieu tardivement, ainsi que reproché par les salariés, les disponibilités ont toutefois été sollicitées en amont, et les plannings réalisés en conséquence.

Le journaliste pigiste bénéficiait donc d’une liberté et d’une souplesse dans son activité professionnelle lui permettant d’avoir plusieurs collaborations extérieures sans avoir à faire de déclaration ni solliciter d’autorisation auprès de son (ses) employeur(s), contrairement aux journalistes professionnels non pigistes, ainsi qu’en dispose l’article 7 de la convention collective des journalistes.

La seule obligation du journaliste pigiste était de fournir une production convenue dans les formes et délais prévus par l’employeur, n’étant au surplus pas astreint à une présence régulière dans les locaux de l’entreprise et libre d’organiser son activité sans être soumis à un horaire déterminé. Ainsi, l’employeur qui a régulièrement procuré du travail [au salarié] en le rémunérant à la pige dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée a l’obligation de continuer à lui fournir du travail, sans être toutefois tenue de lui fournir un volume de travail constant, les journalistes pigistes étant payés à la tâche.

Notion de pigiste

Selon la Convention Collective des Journalistes, le journaliste pigiste correspond au journaliste professionnel employé à titre occasionnel, ladite expression désignant « le journaliste salarié qui n’est pas tenu de consacrer une partie déterminée de son temps à l’entreprise de presse (ou de télévision) à laquelle il collabore mais n’a pour obligation que de fournir une production convenue dans les formes et délais prévus par l’employeur ». La  jurisprudence ajoute que le journaliste pigiste « n’a pas d’obligation de présence, peut ne pas proposer ses services, a la faculté de refuser ceux qui leurs sont demandés et dont le lien de subordination envers l’employeur n’a pas la rigueur de celui que l’on constate dans les contrats de travail de droit commun… » (CA Chambery, 14/01/1991).

Il ressort de cette définition que le journaliste pigiste qui est salarié d’une société peut être lié à d’autres sociétés de presse ou audiovisuelles par une relation de travail relativement souple puisque lui permettant de déroger sur de nombreux points aux obligations afférentes à un salarié ordinaire c’est-à-dire un journaliste permanent lié par une convention d’exclusivité, qui est astreint à effectuer un nombre d’heures minimal pour l’entreprise, à exercer ses fonctions dans les locaux de ladite entreprise ou dans les lieux indiqués par son responsable hiérarchique et travailler sous le contrôle et la direction permanente de ce dernier. Tel n’est pas le cas du journaliste pigiste qui peut travailler occasionnellement, mais n’est pas astreint à une présence régulière, à justifier le temps passé au profit de l’entreprise, peut travailler dans les locaux de l’entreprise mais n’y est pas astreint, la seule chose qui lui est demandée étant la remise de sa pige, c’est-à-dire fournir une production convenue dans les formes et les délais prévus, étant par ailleurs libre d’organiser son activité sans être soumis à un horaire déterminé.

Si la Convention Collective applicable impose au journaliste permanent de déclarer préalablement à l’employeur tout projet de collaboration extérieure à l’entreprise qui peut refuser son accord si cette collaboration porte atteinte à ses intérêts professionnels ou moraux es qualités, tel n’est pas le cas pour le journaliste pigiste exonéré de cette obligation, les collaborations multiples étant généralement la règle.

La pige correspond à une rémunération forfaitaire indépendante du temps passé sur le travail fourni même s’il est parfois fait référence à un nombre théorique d’heures qui y est consacré ; le pigiste peut proposer des missions à son ou ses employeurs sur des sujets qu’il détermine seul ou en liaison avec ces derniers ; dans un arrêt du 29/11/2009, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a pris une position nette en écartant l’obligation de fourniture d’un volume de travail constant, le Conseiller rapporteur ayant souligné que « l’application sans restriction de l’article 1134 du Code Civil au journaliste pigiste porterait en elle-même la condamnation de l’activité du pigiste en tant que telle qui est une forme assez courante de collaboration dans le domaine de la presse » ; observation retenue par la Cour qui a considéré que l’employeur «.. n’est pas tenu de fournir un volume de travail constant.», consacrant ce faisant l’existence du statut atypique du pigiste.  En conclusion : i) la pige constitue tant un mode de rémunération que d’activités sui generis ;  ii) la liberté du pigiste est entière tant en ce qui concerne son indépendance, l’organisation de son travail que sa latitude d’avoir plusieurs employeurs ; iii) l’employeur du pigiste n’a pas l’obligation de lui fournir un volume de travail constant : iv) l’employeur est tenu envers le pigiste de reconnaître son statut sans aucune ambiguïté. Téléchargez la décision

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